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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 21 septembre 2015, n° 13-01959

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Kamande (SAS)

Défendeur :

Auch Hyper Distribution (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ramonatxo

Conseillers :

Mme Wagenaar, M. Remy

Avocats :

Mes Le Barazer, Jauffret, Puybaraud, Jolly

T. com. Bordeaux, du 26 févr. 2013

26 février 2013

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES:

La SA Auch hyper distribution exploite un hypermarché sous l'enseigne Leclerc à Clarac (32). Elle est en concurrence avec la SAS Kamande qui exploite également un hypermarché sous l'enseigne Intermarché situé à Auch (32).

Dans le cadre de son activité, la SA Auch hyper distribution effectue des relevés de prix chez des concurrents et notamment dans le magasin de la SAS Kamande avec pour finalité de réaliser des publicités comparatives afin de démontrer au consommateur final qu'elle est la moins chère. Jusqu'en décembre 2007, ses opérations de relevé de prix se sont déroulées sans incident.

Suite à un changement de dirigeant au sein de la SAS Kamande, cette dernière a interdit à la SA Auch hyper distribution de relever ses prix au moyen d'un lecteur optique et a exigé qu'il soit réalisé manuellement.

Un constat d'huissier a été dressé le 5 février 2008 et une procédure de référé a été engagée le 14 mars 2008 par la SA Auch hyper distribution.

Le 11 février 2009, un protocole d'accord sa été régularisé, visant à déterminer les modalités de relevé des prix entre les deux magasins.

Par courrier en date du 13 octobre 2010, la SAS Kamande a indiqué à la SA Auch hyper distribution qu'elle s'opposait au relevé de prix effectué par ses salariés au motif que ces relevés, retranscrits dans les publicités de cette dernière, étaient faux et a mis fin au protocole du 11 février 2009.

Par courrier en date du 23 octobre 2010, la SA Auch hyper distribution a indiqué que le relevé de prix était exécuté dans la stricte application du protocole signé et a dénoncé, à nouveau, l'interdiction faite par la SAS Kamande à son personnel de relever les prix de cette dernière.

Un constat d'huissier a été dressé le 3 novembre 2010, mentionnant le refus de la SAS Kamande de laisser les salariés de la SA Auch hyper distribution de faire des relevés de prix dans son magasin.

Par courrier en date du 8 novembre 2010, la SAS Kamande a indiqué à la SA Auch hyper distribution qu'elle n'était pas contre les relevés de prix à la condition qu'ils soient réalisés par une société indépendante dite " panéliste ".

Le 26 avril 2011, la SA Auch hyper distribution a saisi le Tribunal de commerce d'Auch afin de contraindre au visa de l'article L. 410-2 du Code de commerce la SAS Kamande à lui laisser le libre accès de son magasin pour effectuer les relevés de prix.

Par jugement en date du 27 janvier 2012, le Tribunal de commerce d'Auch a relevé d'office son incompétence au motif que cette affaire relevait des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce attribuant conformément aux dispositions de l'article R. 420-3 du même Code une compétence en matière de pratique anti-concurrentielle à des juridictions spécialisées dont le Tribunal de commerce de Bordeaux désigné pour les ressorts des Cours d'appel d'Agen, de Bordeaux, de Limoges, de Pau et de Toulouse.

Par jugement querellé en date du 26 février 2013, le Tribunal de commerce de Bordeaux a :

- ordonné à la SAS Kamande de laisser pratiquer des relevés de prix par les salariés de la SA Auch distribution ou par des sociétés dites " panélistes " par tout moyen y compris des lecteurs électroniques de code barre sous astreinte de 500 euro par refus constaté un mois après la signification du présent jugement et sous réserve de réciprocité à l'égard de la SAS Kamande,

- dit que la publicité comparative doit comparer des produits dont les caractéristiques sont identiques,

- interdit à la SA Auch hyper distribution de pratiquer la règle de trois pour comparer des produits de même nature mais dont les caractéristiques ne seraient pas identiques sous astreinte de 500 euro à chaque fois que la règle de trois sera utilisée un mois après la signification du présent jugement,

- dit néanmoins qu'il n'y a pas lieu d'interdire les publicités comparatives publiées par la SA Auch hyper distribution,

- débouté la SAS Kamande de sa demande de dommages et intérêts,

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,

- dit qu'il n'y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et que chaque partie conservera la charge de ses dépens.

Respectivement les 28 mars 2013 et 8 avril 2013, la SAS Kamande et la SA Auch hyper distribution ont relevé appel de cette décision.

Le 25 juillet 2013, par mention au dossier, l'affaire n° 13-2127 a été jointe au n° 13-1959, l'instance se poursuivant sous le n° 13-1959 ;

Par conclusions déposées et signifiées le 25 septembre 2013, la SAS Kamande demande à la cour de :

Vu l'article 1382 du Code civil,

Vu l'article L. 121-8 du Code de la consommation,

Déclarer recevable et bien fondée la société Kamande en son appel,

Y faisant droit, Infirmer le jugement entrepris hormis en ce qu'il a été interdit à la société Auch hyper distribution de faire application de la règle de trois,

Statuant à nouveau,

Dire et juger que :

- la société Auch hyper distribution ne pourra réaliser des relevés de prix au sein de la société Kamande uniquement par l'intermédiaire de sociétés panelistes, à l'exclusion de ses salariés et ce sous peine d'astreinte de 500 euro par infraction constatée,

- seuls les relevés de prix réalisés par des sociétés panelistes pourront être utilisés par la société Auch hyper distribution pour réaliser des publicités comparatives à l'égard de la société Kamande et ce sous peine d'astreinte de 500 euro par infraction constatée,

- la société Auch hyper distribution s'est rendue coupable de pratiques déloyales et de publicités comparatives illicites au titre de ces prospectus publicitaires réalisés le 17 août 2010, 12 novembre 2010, 15 mars 2011, 30 mai 2011,

Condamner la société Auch hyper distribution à verser la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts du fait de ses pratiques déloyales à la société Kamande,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il interdit à la société Auch hyper distribution de pratiquer la règle de 3 pour comparer des produits de même nature mais dont les caractéristiques ne seraient pas identiques, sous astreinte de 500 euro à chaque fois que la règle de 3 sera utilisée,

Condamner la société Auch hyper distribution aux entiers dépens ainsi qu'à une somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions déposées et signifiées le 19 septembre 2013, la SA Auch hyper distribution demande à la cour de :

Vu le jugement entrepris,

Vu les articles 1382 et 1383 du Code civil,

Vu l'article L. 410-2 du Code de commerce,

Vu les articles L. 121-8 et suivants du Code de la consommation,

De déclarer recevable et bien fondé l'appel de la société concluante,

Réformant partiellement le jugement entrepris,

De dire et juger que la SAS Kamande méconnaît les droits de la société Auch hyper distribution, en interdisant à ses salariés d'effectuer des relevés de prix des produits qu'elle offre à la vente dans son magasin,

De dire et juger qu'un tel comportement constitue un acte de concurrence déloyale,

D'ordonner à la SAS Kamande de laisser pratiquer des relevés de prix des produits qu'elle offre à la vente, par les préposés de la société Auch hyper distribution, dans le magasin qu'elle exploite, par tout procédé de leur choix, notamment au moyen de lecteurs électroniques de codes-barres, et ce, sous astreinte de 2 500 euro par refus constaté par huissier,

De réformer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la publicité comparative doit comparer des produits dont les caractéristiques sont identiques, et interdit à la SA Auch hyper distribution de pratiquer la règle de trois pour comparer des prix de même nature mais dont les caractéristiques ne seraient pas identiques sous astreinte de 500 euro à chaque fois que la règle de trois sera utilisée,

De dire et juger que la publicité comparative peut comparer des produits dont les caractéristiques ne sont pas identiques s'ils répondent aux mêmes besoins ou ont le même objectif,

De débouter la société Kamande de toutes ses demandes comme irrecevables, injustes, ou en tous cas mal fondées,

De condamner la SAS Kamande à payer à la SA Auch hyper distribution la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 juin 2015.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Au vu de l'état du droit en la matière et à l'examen des pièces versées aux débats, la cour constate que le tribunal a fait une analyse pertinente des faits de la cause, par des motifs adaptés qu'elle adoptera ; elle y ajoutera simplement quelques arguments topiques ;

En droit, l'article L. 420-1 du Code de commerce consacre la liberté des prix et les articles L. 121-8 autorisent la publicité comparative, sous certaines réserves, et notamment qu'elle ne soit pas trompeuse ou de nature à induire en erreur et portent sur des biens répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ;

La Cour de cassation a répondu à une question préjudicielle de constitutionnalité que le fait pour un distributeur de faire pratiquer par ses propres salariés des relevés de prix dans les magasins concurrents ne constituait pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété ;

C'est donc à tort que la société Kamande s'oppose indirectement à cette pratique de son adversaire Leclerc, par des moyens détournés comme le refus de recevoir ses préposés, en exigeant l'intervention de sociétés " panelistes ", ou de les laisser procéder à des relevés par lecteur optique de codes barre ;

En effet, faire droit à ce qui constitue même une demande en justice de la société Kamande dans le cadre de cette instance, ne pourrait que se heurter à plusieurs grands principes tels que la libre concurrence, la liberté de circulation ou le droit d'être servi dans un commerce soumis à l'interdiction du refus de vente ;

Il sera donc répété que les pratiques de la SAS Kamande, visant pour ainsi dire à " casser le thermomètre ", en empêchant ou en limitant les relevés de prix, sont contraires à la loi et ne sauraient être tolérés, quel qu'en soit le motif ;

En l'espèce, cette société cru pouvoir prendre prétexte du fait que son concurrent Leclerc avait fait diffuser des publicités trompeuses ou portant sur des biens ne répondant pas aux mêmes besoins ou ayant un autre objectif ;

Il est vrai que la SA Auch Hyper Distribution revendique pour sa part de pouvoir appliquer la règle de 3 sur des produits de même nature mais vendus en quantités différentes, affirmant qu'elles sont conformes à la loi, ce qui est inexact ;

En effet, il suffit d'observer dans un même magasin les prix d'un produit identique vendu sous différents conditionnements pour s'apercevoir qu'ils sont différents, ramenés au kilo ou au litre, selon la quantité vendue, d'où l'obligation légale d'afficher les prix par quantité fixe (pris au litre ou au kilo) ;

En l'espèce sur l'exemple des pointes de Brie, la vente par 200 grammes ou 500 grammes ne répondent pas aux mêmes besoins, le plus grand correspondant plus aux familles, d'où le vocable "format familial" inscrit sur certains emballages, alors que le plus petit sera utilisé par d'autres consommateurs, moins nombreux ;

La cour confirmera donc la position du tribunal qui a considéré que le recours à la règle de 3 n'était pas conforme aux exigences de l'article L. 121-8 précité puisque de nature à induire en erreur et ne répondant pas aux mêmes besoins ;

Elle la confirmera également quant au rejet de la demande de dommages et intérêts, le préjudice résultant de ce type de pratiques, réciproques au demeurant, étant délicat à établir de façon chiffrée, et en tous cas ne l'étant pas en l'espèce ;

Elle confirmera enfin le refus d'appliquer en équité l'article 700 du Code de procédure civile à ces deux sociétés qui succombant chacune partiellement (d'où le partage des dépens), ont refusé la médiation judiciaire qui leur avait été proposée ;

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Déclare les appels recevables mais non fondés, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Rejette toutes les autres demandes des parties, Dit que chacune des parties gardera à sa charge ses dépens d'appel.