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Décisions

Cass. com., 19 octobre 1983, n° 82-12.114

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Baudoin

Rapporteur :

M. Le Tallec

Avocat général :

M. Montanier

Avocat :

SCP Waquet

Paris, du 22 janv. 1982

22 janvier 1982

LA COUR : - Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses trois branches : - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Paris, 22 janvier 1982) que, suivant un acte date du 14 septembre 1979, l'organisme hongrois d'exportation a confié à la société de droit américain " Ideal Toy Corporation " (la société "Ideal Toy") la distribution exclusive en France d'un jeu de patience fabriqué en Hongrie et constitué d'un cube comprenant plusieurs cubes articulés ; que ces cubes ont été distribués en France au cours de l'année 1980 par la société "Idéal Loisirs", filiale de la société "Ideal Toy" ; que le 8 octobre 1979, le même organisme hongrois a accepté de livrer 2 500 cubes à la société Edimay qui les a distribués en France ; que la société Edimay a également importé de Taiwan des cubes identiques fabriqués dans ce pays qu'elle a distribués par l'intermédiaire de grossistes, parmi lesquels la société Dimova ; que les sociétés "Ideal Toy" et "Idéal Loisirs " ont assigné en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale les sociétés Edimay et Dimova ; que celles-ci ont présenté une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts ;

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir débouté les sociétés "Ideal Toy" et "Idéal Loisirs" de leur demande fondée sur la distribution de cubes constituant des copies serviles des leurs, au motif que le contrat de distribution exclusive consenti à la société "Ideal Toy" n'était pas opposable aux tiers et n'avait d'ailleurs pas date certaine, alors que, selon le pourvoi, d'une part, la méconnaissance d'un contrat d'exclusivité par un tiers peut entrainer la responsabilité délictuelle de celui-ci ; qu'en décidant que l'existence du contrat de distribution exclusive ne pouvait créer d'obligation extracontractuelle à la charge de la société Edimay, la cour d'appel a violé l'article 1165 du Code civil par fausse application, alors que, d'autre part, l'exigence de la date certaine pour rendre une convention opposable aux tiers ne bénéficie qu'aux ayants-cause a titre particulier des parties contractantes ; qu'en déduisant de la seule absence de date certaine que la société Edimay ne pouvait se voir opposer la convention d'exclusivité, la cour d'appel a violé l'article 1328 du Code civil, et alors, enfin, qu'en décidant que la méconnaissance par la société Edimay de l'exclusivité attribuée au distributeur ne pouvait lui être imputée à faute, sans rechercher si la société Edimay connaissait l'existence de cette convention d'exclusivité - connaissance qui résultait nécessairement du refus opposé par l'organisme d'état hongrois aux demandes d'achat de la société Edimay après son acquisition unique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que le moyen reproche à la cour d'appel d'avoir débouté les sociétés importatrices bénéficiaires d'une exclusivité de leur demande de dommages-intérêts dirigée contre les sociétés diffusant en France la copie servile du cube authentique ; qu'il ne résulte ni des conclusions de l'arrêt que les sociétés "Ideal Toy" et "Idéal Loisirs" aient critiqué le fait de l'importation d'un produit d'origine différente au mépris du droit que leur conférait la convention d'exclusivité ; que nouveau et mélangé de fait et de droit, le moyen est irrecevable ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en ses quatre branches : - Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir statué comme il l'a fait, aux motifs, selon le pourvoi, que le distributeur exclusif ne pouvait triompher que s'il démontrait avoir le premier commercialisé en France l'un des cubes en présence, qui sont respectivement la copie servile l'un de l'autre ; que la preuve était faite que c'était la société Edimay qui a, la première, vendu en France les cubes de provenance hongroise, alors que, d'une part, le fait de diffuser sur le marché un produit qui n'est autre que la copie servile d'un autre produit vendu par le fabricant et ses ayants-cause, constitue une faute entrainant la responsabilité de son auteur ; que la cour d'appel qui constate que la société Edimay a vendu des reproductions serviles du cube diffusé par la société "Idéal Loisirs", ne pouvait la déclarer exempte de faute sans violer l'article 1382 du Code civil, alors que, d'autre part, l'antériorité doit s'apprécier au moment de la création d'un produit et non au moment de sa diffusion ; que le créateur d'un produit et ses ayants-cause peuvent toujours s'opposer à la diffusion par un tiers d'une imitation servile de leur fabrication, et que les faits de diffusion par la société Edimay n'étaient donc pas de nature à effacer le caractère fautif de son comportement ; qu'ainsi la cour d'appel a derechef violé l'article 1382 du Code civil, alors, en outre, que la question posée était de savoir si les cubes de provenance de Taiwan constituaient une imitation servile des cubes de provenance hongroise ; que la cour d'appel, qui se borne à relever que la société Edimay a vendu quelques cubes hongrois avant la société "Idéal Loisirs" , sans rechercher si l'importation des cubes de Taiwan a été postérieure à la conclusion par la société "Ideal Toy" du contrat de concession exclusive et donc sans caractériser la prétendue antériorité de la société Edimay, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil, et alors, enfin, que le fait d'avoir commercialise un produit pendant un certain temps n'autorise pas la concurrence déloyale de ce produit - couvert par la suite par une exclusivité - par le lancement d'autres produits l'imitant servilement ; qu'ainsi, la cour d'appel a derechef violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu, par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, qu'il n'était pas établi que la commercialisation en France par la société "Idéal Loisirs" de cubes de fabrication hongroise ait été antérieure à la commercialisation des cubes vendus par la société Edimay, la cour d'appel, abstraction faite de tous autres motifs surabondants, a décidé à bon droit qu'il ne pouvait être reproché à cette dernière société d'avoir commis, en distribuant ses cubes, un acte de concurrence déloyale ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal : - Attendu qu'il est enfin reproché à l'arrêt d'avoir débouté les sociétés "Ideal Toy" et "Idéal Loisirs" de leur demande fondée sur l'utilisation par les sociétés Edimay et Dimova d'emballages identiques aux leurs, au motif que la preuve n'a pas été rapportée que ce mode de présentation du cube ait été d'abord utilisé par la société Idéal Loisirs, alors que, selon le pourvoi, il appartenait à la société Edimay, qui invoquait l'exception d'antériorité, de démontrer qu'elle eut été la première à utiliser le mode d'emballage litigieux ; qu'ainsi, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil ;

Mais attendu qu'il appartenait aux sociétés "Ideal Toy" et "Idéal Loisirs", demanderesses, d'apporter la preuve de la date à partir de laquelle elles avaient utilisé l'emballage litigieux ; que c'est sans renverser la charge de la preuve que la cour d'appel a statué comme elle l'a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen du pourvoi incident, pris en ses deux branches : - Attendu qu'il est reproché enfin à l'arrêt d'avoir déboute la société Edimay de sa demande reconventionnelle, en dommages-intérêts alors que, selon le pourvoi, d'une part, en statuant ainsi après avoir décidé que la société Edimay ne s'était pas rendue coupable de copie servile et avait pu diffuser sans faute le produit litigieux, de sorte que les imputations de contrefaçon et les pressions qui en étaient déduites se trouvaient dépourvues de tout fondement, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui en découlaient et a violé l'article 1382 du Code civil et alors que, d'autre part, en s'abstenant de répondre aux conclusions de la société Edimay faisant valoir qu'elle avait été privée de ventes et de marchés à la suite du comportement de la société "Idéal Loisirs", la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel a retenu dans l'exercice de son pouvoir souverain que la société Edimay n'établissait pas l'existence des préjudices par elle allégués ; que, par ce motif, répondant aux conclusions invoquées, elle a, abstraction faite de tous autres motifs surabondants, justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais, sur le premier moyen du pourvoi incident pris en sa seconde branche : - Vu les articles 1382 et 1383 du Code civil ; - Attendu que pour statuer comme elle l'a fait, la cour d'appel énonce : "considérant que la circulaire précitée d'Edimay apparait comme critiquable en ce qu'elle établit une comparaison, au demeurant dénigrante, entre les produits par elle offerts à la vente et les prix pratiqués en général en France", alors surtout qu'il n'est ni allégué, ni en tous cas démontre qu'à l'époque, c'est-à-dire durant le 1er semestre de 1980, aient existé sur le marché d'autres produits concurrents que ceux respectivement distribués par les parties " ;

Attendu qu'en se décidant par ces motifs sans préciser si les prix, aux mêmes conditions de vente, s'appliquaient à des produits différents, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs : casse et annule, dans la limite du moyen, l'arrêt rendu le 22 janvier 1982, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; Remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties, au même et semblable état ou elles étaient avant ledit arrêt, et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel d'Amiens, à ce désignée par délibération spéciale prise en la chambre du conseil.