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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 24 septembre 2015, n° 14-18206

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Plastika Kritis (SA)

Défendeur :

Moingeon

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aubry-Camoin

Conseillers :

MM. Fohlen, Prieur

Avocats :

Mes Daniel, Joly

T. com. Aix-en-Provence, du 1er sept. 20…

1 septembre 2014

Monsieur Moingeon était agent commercial de la société Plastika Kritis dont le siège social est à Iraklion-Crète en Grèce, avec pour mandat de commercialiser au nom et pour le compte de cette dernière ses différentes gammes de film plastique agricole et de géomembrane auprès de la clientèle des professionnels, entreprises agricoles, distributeurs et autres.

Selon l'assignation introductive d'instance, ce mandat non écrit a été consenti pour un territoire composé de la Tunisie, de l'Algérie, du Portugal et de l'Italie, puis étendu au Maroc.

Monsieur Moingeon était par ailleurs sous agent commercial de monsieur FORTIER pour certains départements français selon contrat du 1° juillet 2004.

Par courrier électronique du 30 octobre 2012, la société Plastika Kritis a informé monsieur Moingeon de son souhait de résilier amiablement son mandat d'agent commercial à effet du 1er janvier 2013 en invoquant la dégradation de la situation économique en Grèce et en lui proposant une indemnité correspondant à une commission de 2% sur les ventes FOB réalisées auprès de tous les clients dont il s'est occupé en 2012.

Les parties n'ont pu s'acorder sur le montant de l'indemnité de cessation de mandat malgré l'échange de nombreux courriers électroniques en novembre et décembre 2012.

Par lettre recommandée du 20 mars 2013, monsieur Moingeon a constaté la rupture des relations contractuelles par application de l'article L. 134-13-2 en faisant grief à la société Plastika Kritis d'avoir cessé de le mettre en mesure de poursuivre l'exécution de son mandat et d'avoir refusé de lui verser les commissions qui lui étaient dues.

Par acte du 30 avril 2013, monsieur Moingeon a fait assigner la société Plastika Kritis devant le Tribunal de Commerce d'Aix-en-Provence au visa des articles L. 134-6, L. 134-11 et L. 134-12 du Code de commerce aux fins de voir prononcer sa condamnation à lui payer, avec dépens à sa charge et exécution provisoire :

- la somme de 26 612,74 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis inexécuté,

- la somme de 188 902 euros au titre de l'indemnité légale de cessation de mandat,

- la somme de 4 840,91 euros au titre de ses factures de commission n° 130304PK, 130305PK et 130306PK, outre intérêts de droit à compter de l'assignation,

- la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Plastika Kritis a soulevé la nullité de l'assignation ainsi que l'incompétence du Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence au profit de la juridiction commerciale d'Iraklion lieu du siège de la société mandante, au motif que le demandeur ne rapporte pas la preuve d'une activité régulière en France accomplie en exécution du contrat d'agent commercial le liant à la concluante.

Par jugement contradictoire du 1° septembre 2014, le Tribunal de commerce a rejeté l'exception de nullité de l'assignation et l'exception d'incompétence territoriale soulevées par la société Plastika Kritis, et a renvoyé la cause et les parties au fond à une audience ultérieure.

Par lettre recommandée avec accusé de réception reçue par le greffe du Tribunal de commerce le 10 septembre 2014, la société Plastika Kritis a formé un contredit de compétence motivé à l'encontre de cette décision.

Dans ses dernières conclusions, la société Plastika Kritis demande à la Cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son contredit,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu la compétence du Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence en lieu et place de la juridiction commerciale d'Iraklion en Grèce, lieu du siège social de la concluante,

- dire que le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence est incompétent pour statuer sur l'action engagée par monsieur Moingeon à l'encontre de la société Plastika Kritis,

- renvoyer monsieur Moingeon à mieux se pourvoir,

- condamner monsieur Moingeon au paiement de la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- le condamner aux entiers dépens,

- très subsidiairement, faire application de l'article 90 du Code de procédure civile et renvoyer les parties à constituer avocat et à conclure sur le fond.

La société Plastika Kritis soutient :

- que l'essentiel de son activité se déroulant à l'étranger, monsieur Moingeon n'est pas fondé à se prévaloir des dispositions de l'article 46 alinéa 2 du Code de procédure civile pour déroger au principe du critère du lieu du domicile du défendeur,

- que selon jurisprudence de la Cour de cassation, l'indemnité de fin de contrat est une obligation indépendante du caractère licite ou non de la rupture du contrat, et que le tribunal du défendeur est seul compétent pour connaître de cette demande,

- que monsieur Moingeon a contesté le déclinatoire de compétence de la concluante en se prévalant des dispositions du règlement CE du 22 décembre 2000 selon lesquelles le critère à retenir est le lieu d'exécution de l'obligation et plus particulièrement en matière de fourniture de service le lieu où le service est fourni, ainsi que d'un arrêt de la CJCE du 11 mars 2010 dont la Cour de cassation a repris la jurisprudence,

- que la CJCE considère qu'en l'absence de stipulations relatives au lieu de fourniture de la prestation de service, les juridictions nationales 'doivent prendre en considération le lieu où il a effectivement déployé, de manière prépondérante, ses activités en exécution du contrat', et que ce n'est qu'à titre subsidiaire que le lieu d'exécution est retenu,

- que monsieur Moingeon précise dans son assignation que le mandat d'agent commercial a été initialement consenti pour la Tunisie, l'Algérie, le Portugal et l'Italie, puis étendu aux pays du Maghreb et à une partie du territoire français,

- qu'il s'ensuit que l'activité déployée par l'agent commercial au sens de la jurisprudence de la CJCE est clairement identifiable de sorte qu'il n'y a pas lieu de retenir le critère du domicile,

- que la dérogation de compétence résultant du règlement CE du 22 décembre 2000 ne peut trouver application dès lors que l'activité prépondérante était exercée au Maghreb hors des pays membres de l'UE,

- que s'agissant de la clientèle française, la concluante est liée par un contrat d'exclusivité avec monsieur Fortier sans interruption depuis le 3 août 1993 et qu'il n'y a pas place pour un autre agent commercial sur le territoire français, sauf à ce que monsieur Fortier ait consenti un contrat de sous agent de sa seule initiative, lequel n'est pas opposable à la concluante,

- que la société SMS n'est pas une cliente française habituelle de la concluante et n'intervient qu'en qualité d'intermédiaire pour des raisons fiscales de la société Europrogress dont le siège social est à Mirandola en Italie, laquelle adresse directement ses commandes à la concluante,

- que le tableau des commissions facturées par monsieur Moingeon de 2010 à 2012 client par client ne révèle aucun client français, et que les prestations ont été réalisées pour l'essentiel au Maghreb,

- que monsieur Moingeon ne rapporte pas la preuve d'une activité prépondérante en France, et que l'activité déployée en France s'inscrit dans le cadre de l'exécution du mandat conclu avec monsieur Fortier et est distincte juridiquement de l'activité relevant du mandat conclu avec la société Plastika Kritis.

Dans ses dernières conclusions, monsieur Moingeon demande à la Cour de :

- débouter la société Plastika Kritis de son contredit,

Vu l'article 5.1 du règlement CE du 22 décembre 2000 et l'article 46 du Code de procédure civile,

- dire que le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence était bien territorialement compétent pour connaître des demandes de monsieur Moingeon,

Vu l'article 90 du Code de procédure civile

- évoquer l'entier litige,

Vu l'article 700 du Code de procédure civile

- condamner la société Plastika Kritis à régler à monsieur Moingeon la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens.

Monsieur Moingeon fait valoir :

Sur le caractère autonome de l'obligation

- que la jurisprudence dont se prévaut la société Plastika Kritis est dépourvue de pertinence et obsolète au regard des dispositions du règlement CE du 22 décembre 2000 qui fixe les règles de compétence en prévoyant comme règle générale la compétence du pays du défendeur (article 2§1), et comme règle spéciale le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée (article 5.1.a),

- que selon l'article 5.1 du règlement, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est pour la fourniture de services, le lieu d'un état membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis,

- que selon jurisprudence de la Cour de cassation, la créance d'indemnité de cessation de contrat n'est pas une obligation autonome,

Sur le lieu de fourniture principale des prestations

- que selon l'article 5-1 du règlement, est compétent en matière contractuelle le lieu où en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis,

- que selon jurisprudence de la CJCE, le tribunal compétent pour connaître de toutes les demandes fondées sur le contrat d'agence est celui dans le ressort duquel se trouve le lieu de la fourniture principale des services, et que s'agissant d'un contrat d'agent commercial, ce lieu est celui de la fourniture principale des prestations de services par l'agent commercial tel qu'il résulte du contrat ou à défaut le lieu de l'exécution effective du contrat ou à défaut le lieu du domicile du défendeur,

- que le lieu de fourniture principale des services n'est pas le lieu où l'agent réalise le chiffre d'affaire le plus important mais celui où il exécute effectivement ses obligations contractuelles au profit du mandant,

- que selon l'article L. 134-1 du Code de commerce et en l'absence de contrat écrit, l'agent commercial est chargé de négocier voire de conclure des ventes pour le compte de son mandant,

- que le concluant exécutait principalement sa mission de négociation et de vente en France à son domicile situé au Puy sainte Réparade (13) soit par internet soit par téléphone, et consacrait environ 35 jours par an à rechercher des prospects et à rencontrer sa clientèle pour la fidéliser,

- qu'en outre le concluant visitait et vendait également à la clientèle française, notamment à l'important client Société Méditerranéenne de Serres située à Nice,

- qu'il était par ailleurs sous agent commercial en France de monsieur Fortier dans les départements 26, 04, 05 et 06,

- que ce mandat de sous agent commercial est opposable à la société Plastika Kritis dès lors qu'il rendait compte de son activité directement à la société Plastika Kritis par la transmission directe des commandes, ne négociait pas les ventes au nom de monsieur FORTIER mais au nom de la société Plastika Kritis qui les honorait,

- qu'ainsi conformément à l'article 5-1 du règlement CE du 22 décembre 2000 , il est établi que le concluant exécutait principalement en France ses obligations à l'égard de la société Plastika Kritis d'une part en négociant et concluant les ventes à son domicile professionnel en France, d'autre part en négociant et concluant en France des ventes pour la société Plastika Kritis en sus des pays étrangers qui lui étaient confiés.

Sur l'évocation

- que la nature du litige, la déloyauté de la société Plastika Kritis, la situation économique de la Grèce et l'état de santé de monsieur Moingeon justifient qu'il soit fait application par la Cour de l'article 89 du Code de procédure civile.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs argumentations respectives.

MOTIFS DE LA DECISION

La société Plastika Kritis n'est pas fondée à se prévaloir du caractère autonome de la demande en paiement de l'indemnité de cessation de contrat d'agence qui relevait antérieurement de la compétence du tribunal du domicile du mandant, au regard des dispositions de l'article 5.1 du règlement CE du 22 décembre 2000 et de l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 14 mars 2006 , selon lesquels les parties à un contrat d'agent commercial sont liées par un contrat de fourniture de services, et les critères de compétence posés par l'article 5.1 du règlement CE du 22 décembre 2000 sont applicables tant à l'indemnité de clientèle qu'aux dommages et intérêts pour rupture abusive.

Aux termes de l'article 5 du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 applicable à la cause :

'Une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre :

1.a en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée,

1.b aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est :

pour la vente de marchandises, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées

pour la fourniture de services, le lieu d'un état membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient du être fournis

Pour l'application de ce texte à un contrat d'agent commercial, la CJCE a dit pour droit dans son arrêt Wood Floor du 11 mars 2010 (aff. C-19/09) que le lieu de fourniture de services est celui de la fourniture principale des services de l'agent tel qu'il découle du contrat, à défaut de telles dispositions, celui de l'exécution effective de ce contrat et, en cas d'impossibilité de le déterminer sur cette base, le lieu du domicile de l'agent commercial.

S'agissant d'un contrat d'agent commercial, le lieu de fourniture principale des services qui découle soit du contrat soit à défaut de l'exécution effective du contrat, n'est pas le lieu où l'agent réalise le chiffre d'affaire le plus important mais le lieu où l'agent exécute effectivement ses obligations contractuelles au profit de son mandant.

Conformément aux dispositions de l'article L. 134-1 du Code de commerce, les obligations contractuelles de l'agent consistent à négocier et conclure des contrats afférents aux opérations dont il est chargé par son mandant.

Si ni les dispositions du contrat ni son exécution ne permettent de déterminer le lieu de fourniture principale des services, il convient de retenir le lieu du domicile de l'agent commercial qui est identifiable, prévisible et présente un lien de proximité avec le litige.

En l'espèce, le lieu de fourniture principale des services ne peut être identifié sur la base du contrat en l'absence de contrat écrit.

Monsieur Moingeon est immatriculé au registre spécial des agents commerciaux au greffe du Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence qui mentionne un début d'activité le 1° août 2004, ainsi que son adresse professionnelle et personnelle au Puy Sainte Réparade (13) qui sont identiques.

Ses déplacements à l'étranger étaient relativement peu nombreux et limités en temps, et leur coût tel qu'il ressort de la déclaration fiscale 2035 s'est élevé à la somme de 5 734 euros en 2010, de 4 083 euros en 2011, et de 5 790 euros en 2012 soit une somme très modérée au regard de l'étendue du territoire concerné qui confirme la limitation de ses déplacements.

Selon le contrat de sous agence commerciale du 1° juillet 2004, monsieur FORTIER lui déléguait l'exécution du mandat à lui consenti par la société Plastika Kritis pour les régions PACA et Rhône Alpes concernant les géomembranes, et pour les départements 26-04-05-06 et la suisse concernant les films agricoles.

Ce contrat de sous agence commercial spécifie qu'il est en droit de communiquer directement avec la société Plastika Kritis en raison de son mandat d'agent commercial pour d'autres pays.

Selon les pièces produites, monsieur Moingeon exécutait de manière effective ses obligations contractuelles à son agence commerciale située au Puy Sainte Réparade qui est également son domicile personnel par courrier électronique, par fax et par téléphone, ainsi que le révèle les nombreuses correspondances électroniques échangées avec ses interlocuteurs professionnels qui comportent notamment son adresse avec la mention 'agence commerciale', son téléphone fixe et son fax à ce domicile.

Il s'ensuit que le lieu de fourniture principale des services de monsieur Moingeon au sens de l'article 5.1 du règlement CE du du 22 décembre 2000 se trouvait au Puy Sainte Réparade où il négociait et concluait les ventes, et qui était en outre son domicile personnel.

Le jugement du 1° septembre 2014 en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Plastika Kritis sera en conséquence confirmée.

Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 89 du Code de procédure civile en évoquant l'affaire.

La société Plastika Kritis qui succombe n'est pas fondée en sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et supportera les frais et dépens du contredit.

Il convient en équité de condamner la société Plastika Kritis à payer à monsieur Moingeon la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, statuant contradictoirement et en dernier ressort, En la forme, Déclare le contredit de compétence recevable, Au fond, Le rejette , Confirme le jugement du 1° septembre 2014 en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la société Plastika Kritis et a retenu la compétence territoriale du Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, Dit n'y avoir lieu d'évoquer et renvoie les parties au fond devant le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, Déboute la société Plastika Kritis de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Plastika Kritis à payer à monsieur Moingeon la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Plastika Kritis aux frais et dépens du contredit.