CA Paris, Pôle 2 ch. 2, 25 septembre 2015, n° 14-08089
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Global Mail Concept (Sté), Vital Beauty
Défendeur :
Lorion
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vidal
Conseillers :
Mmes Richard, Chesnot
Avocats :
Mes Mirande, Deur, Janet
La société Global mail concept exploite sous les enseignes Vital beauty, Le coin des délices et Swiss home shopping un commerce de vente par correspondance de compléments alimentaires, de produits de bien-être et d'entretien et de denrées alimentaires, et diffuse par publipostage des catalogues assortis de jeux sous forme de loteries publicitaires. Au cours de l'année 2012, M. Lorion a été destinataire de plusieurs de ces opérations, dotées de prix de 56 200 euro (publipostage FCM022), 55 000 euro (publipostage FCM032), 59 900 euro (publipostage FCM042A), 59 900 euro (publipostage FHBJ022), 56 200 euro (publipostage FXJ11), et 58 000 euro (publipostage FVMC012). Faisant valoir que ces documents le présentaient sans équivoque comme le grand gagnant des six prix mis en jeu, il a réclamé par assignation du 20 juin 2012 le paiement de la somme cumulée de 345 200 euro au visa de l'article 1371 du Code civil et subsidiairement de l'article 1382 du même Code.
Par jugement du 11 mars 2014, le Tribunal de grande instance de Paris a condamné la société Global mail concept exerçant sous l'enseigne Le coin des délices à payer à M. Lorion la somme de 56 200 euro avec intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2012 ainsi que celle de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens. Le même jugement a débouté M. Lorion du surplus de ses demandes et a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire. Le tribunal a procédé à une analyse détaillée des documents composant chacun des six envois publicitaires, pour retenir que l'existence d'un aléa n'était pas mise en évidence à la première lecture intégrale du courrier relatif au jeu FCM022 bien qu'il soit accompagné d'un document distinct au verso duquel le règlement complet du jeu était précisé, de sorte que la société Global mail concept s'était obligée par ce fait purement volontaire à délivrer la somme de 56 200 euro à M. Lorion présenté comme le grand gagnant de ce prix, lequel avait pu légitimement croire à cette attribution, et dont la bonne foi n'était pas utilement mise en cause par la société Global mail concept qui se contentait de dire qu'il n'avait pas passé commande. Pour les autres envois, le tribunal a considéré que l'aléa et le caractère potentiel des gains annoncés étaient suffisamment mis en évidence, et qu'en particulier M. Lorion avait été mis en mesure de comprendre à première lecture la distinction à faire entre le chèque qui lui était destiné et le premier prix mis en jeu. Il a également estimé fautifs les procédés utilisés compte tenu du nombre de courriers et de leur contenu, incitant en particulier à passer commande, mais que le préjudice causé, caractérisé par la contrainte de recevoir et lire tous les courriers, de subir un harcèlement par correspondance et de supporter une certaine frustration face aux gains mirobolants mis en jeu, avait été entièrement réparé par la somme de 56 200 euro attribuée.
La société Global mail concept a relevé appel de ce jugement et, dans ses dernières conclusions notifiées le 7 mai 2015, elle demande d'infirmer la décision en ce qu'elle l'a condamnée à payer à M. Lorion la somme de 56 200 euro mise en jeu dans le cadre de l'opération publicitaire codifiée FCM022, de dire que M. Lorion n'a pas pu croire de bonne foi à l'attribution du prix mis en jeu dans le cadre de cette opération et a agi de mauvaise foi en réclamant judiciairement l'attribution de ce prix alors qu'il connaissait parfaitement le fonctionnement des loteries publicitaires et l'aléa présidant à l'attribution des prix mis en jeu, de le débouter de ses demandes au titre du jeu codifié FCM022, en tout état de cause de dire infondé l'appel incident interjeté par M. Lorion, de confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté des réclamations formulées pour les cinq autres jeux codifiés FCM032, FCM042A, FHBJ022, FXJ11 et FVMC012, et de le condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme de 3 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle expose que ces loteries sont dotées d'un prix principal et de prix annexes dont le montant et la nature sont expressément indiqués dans un règlement qui est intégralement reproduit sur les documents commerciaux adressés à sa clientèle et dont un exemplaire est déposé auprès d'une étude d'huissiers de justice, que chaque jeu donne lieu à un pré-tirage au sort à l'issue duquel est désigné sur une liste aléatoire de clients un grand gagnant potentiel dont le numéro d'attribution donne vocation à l'attribution du prix principal, que pour prétendre à l'attribution de ce prix la clientèle doit retourner dans les délais précisés au règlement un bon de participation sur lequel est reporté le numéro d'attribution attribué au hasard à chaque participant, que seul celui dont le numéro d'attribution correspond au numéro gagnant pré-tiré au sort se voit attribuer le prix principal, et qu'elle a communiqué les procès-verbaux de pré-tirage au sort des six loteries qui établissent que M. Lorion n'a jamais disposé du numéro grand gagnant.
Elle soutient que les documents expédiés respectent scrupuleusement le principe de gratuité et l'absence d'obligation d'achat exigés par le Code de la consommation, que chaque message publicitaire envoyé contient la reproduction particulièrement lisible du règlement de nature à éclairer le consommateur, que la jurisprudence exige de prendre en compte l'ensemble du contenu des documents envoyés sans s'arrêter à certaines formules, la mise en évidence de l'aléa devant résulter d'une lecture complète et normalement attentive ne se réduisant pas aux seules annonces attractives, et que l'aléa est ici caractérisé dès la prétendue annonce du gain par l'emploi de termes simples et compréhensibles faisant référence à une procédure de vérification de droits qualifiés de potentiels, ne laissant aucune ambiguïté quant au caractère conditionnel de l'attribution du prix principal. Elle fait valoir que l'application de l'article 1371 du Code civil suppose un engagement de verser un lot à un destinataire nommément désigné ainsi que la croyance légitime de celui-ci en la réalité du gain, nécessairement caractérisée par sa bonne foi, et qu'en réalité M. Lorion n'a participé qu'à une seule des loteries incriminées, codifiée FCM042A, et s'est vu attribuer par le tribunal le prix d'une opération à laquelle il n'avait pas participé, son inaction démontrant qu'il n'avait pas cru à l'attribution du prix. Elle ajoute qu'elle a découvert postérieurement au jugement de première instance que M. Lorion était un plaideur rompu au mécanisme des loteries publicitaires, puisqu'il avait déjà poursuivi une société concurrente devant le tribunal de grande instance de Grasse le 24 mai 2011 afin de se faire remettre les prix mis en jeu dans le cadre de loteries très ressemblantes de sorte qu'il n'avait pu se méprendre sur leur contenu à réception des messages publicitaires concernés.
Formant appel incident, M. Lorion demande, dans ses dernières conclusions notifiées le 9 septembre 2014 au visa des articles 1371 et 1382 du Code civil et L. 120-1, L. 121-1, L. 121-36, L. 121-37 et L. 122-11 du Code de la consommation, de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Global mail concept exerçant sous l'enseigne Le coin des délices à lui payer la somme de 56 200 euro outre les intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2012, de l'infirmer pour le surplus, de constater sur le fondement de l'article 1371 du Code civil que la société Global mail concept exerçant sous les enseignes Vital beauty, Swiss home shopping et Le coin des délices s'est unilatéralement engagée envers lui à verser les sommes précitées d'un montant cumulé de 345 200 euro, de la condamner en conséquence à lui payer cette somme avec intérêts au taux légal à compter des présentes conclusions, à titre subsidiaire de la condamner sur le fondement de l'article 1382 du Code civil à payer la somme de 15 000 euro en indemnisation de son préjudice moral et matériel avec intérêts au taux légal à compter de la date des présentes conclusions, et en tout état de cause de la condamner au paiement de la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il fait valoir que l'engagement quasi-contractuel de la société appelante est démontré par l'analyse concrète des documents envoyés, s'adressant nommément à lui et le présentant comme le grand gagnant des sommes réclamées, sans mettre en évidence à première lecture l'existence d'un aléa comme l'exige la jurisprudence, et que le quasi-contrat crée un engagement unilatéral dès l'annonce du gain, peu important que le destinataire ne soit pas en mesure de justifier d'une participation qui le contraindrait à engager une dépense, alors que l'obligation de verser de l'argent ou de supporter un coût quelconque est prohibée. Il soutient que l'analyse à première lecture ne s'entend pas d'une lecture complète ou normalement attentive mais d'une lecture rapide où le consommateur perçoit les formules péremptoires, affirmatives et annonciatrices de gains, faites pour être lues les premières, et que la notion de bonne foi doit reposer sur une appréciation in abstracto, portant uniquement sur la mise en évidence de l'aléa. Il relève que l'extrait de règlement du jeu dont la reproduction est exigée par l'article R. 121-11 du Code de la consommation doit être "particulièrement lisible", ce qui n'est pas le cas de la reproduction intégrale mais indéchiffrable et inaccessible dont se prévaut la partie adverse. A titre subsidiaire, il entend faire juger que les fautes commises par la société appelante, qui contrevient à la réglementation spécifique aux loteries en poussant astucieusement le consommateur à passer commande, et qui lui a adressé une profusion de courriers s'apparentant à du harcèlement moral au sens de l'article L. 122-11 du Code de la consommation et faisant naître de fausses espérances, sont constitutives d'un préjudice.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il ressort de l'application de l'article 1371 du Code civil que l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence à première lecture l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer.
En l'espèce, le tribunal a procédé à une juste analyse des documents composant chacun des six envois nominativement adressés à M. Lorion entre le 23 décembre 2011 et le 27 avril 2012, en relevant que le destinataire avait été mis en mesure de comprendre à première lecture l'existence de l'aléa présidant à l'attribution des prix annoncés s'agissant des jeux codifiés FCM032, FCM042A, FHBJ022, FXJ11 et FVMC012, mais qu'en revanche l'envoi daté du 30 janvier 2012 codifié FCM022 laissait entendre, par une présentation ambiguë et l'emploi dès la première page de formules péremptoires, qu'il avait personnellement gagné la somme de 56 200 euro.
Ces éléments ne pouvaient cependant emporter en faveur de M. Lorion la condamnation au paiement de cette somme en application des dispositions précitées, alors que celui-ci, qui avait déjà introduit le 24 mai 2011 une action devant le Tribunal de grande instance de Grasse contre une autre société de vente par correspondance pour lui réclamer sur le même fondement le gain espéré, connaissait parfaitement, dès la réception des envois tous postérieurs à l'instance ainsi engagée, le mécanisme des loteries publicitaires dont il était destinataire. Dans son assignation, il dénonçait les mêmes procédés consistant à lui avoir adressé nommément des documents le présentant "de manière non équivoque comme le grand gagnant", à exploiter "la crédulité du consommateur" par les formules choisies et la présentation employée, et à l'avoir incité à passer commande en "violation de la réglementation spécifique aux loteries". Il présentait déjà la jurisprudence développée en application de l'article 1371 du Code civil comme cherchant à "sanctionner le comportement des annonceurs indélicats" en imposant aux "sociétés qui annoncent des gains mirifiques" de les délivrer. Dans ces circonstances, les annonces de la société Global mail concept ne pouvaient fonder de sa part un espoir légitime de gain ferme. Il ne saurait dès lors prétendre de bonne foi à l'exécution d'une quelconque obligation quasi-contractuelle de ce chef.
Le comportement de mauvaise foi de M. Lorion fait de même obstacle à ce qu'il recherche la responsabilité quasi-délictuelle de l'annonceur pour avoir contrevenu à la réglementation des loteries et abusé de sa crédulité, alors que c'est en toute conscience des règles mises en œuvre qu'il a pris part aux opérations publicitaires dont il était destinataire. Dans de telles circonstances, le dommage invoqué au titre de la "privation" du gain et des "frustrations nées de fausses espérances" n'est aucunement caractérisé.
Dès lors, la cour déboutera M. Lorion de toutes ses demandes.Il n'est pas inéquitable d'abandonner à la société Global mail concept la charge de ses frais non compris dans les dépens.
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a condamné la société Global mail concept à payer à M. Lorion la somme de 56 200 euro avec intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2012 et à supporter les dépens ainsi qu'une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Et, statuant à nouveau, Déboute M. Lorion de toutes ses demandes, le Condamne aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du même Code.