CA Paris, Pôle 2 ch. 2, 25 septembre 2015, n° 14-08098
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Global Mail Concept (Sté)
Défendeur :
Madiesse
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vidal
Conseillers :
Mmes Richard, Chesnot
Avocats :
Mes Mirande, Deur, Janet
La société Global mail concept exploite sous les enseignes Vital beauty, Le coin des délices et Swiss home shopping un commerce de vente par correspondance de compléments alimentaires, de produits de bien-être et d'entretien et de denrées alimentaires, et diffuse par publipostage des catalogues assortis de jeux sous forme de loteries publicitaires. Entre février et avril 2012, Mme Madiesse a été destinataire de plusieurs de ces opérations, dotées de prix de 56 200 euro (publipostage FCPE022A), 54 300 euro (publipostage FVAC012), 57 400 euro (publipostage FVPE032A), 52 200 euro (publipostage FAMC1), 52 850 euro (publipostage FAMD1), et 58 600 euro (publipostage FCFC012). Faisant valoir que ces documents la présentaient sans équivoque comme le grand gagnant des six prix mis en jeu, elle a réclamé par assignation du 7 juin 2012 le paiement de la somme cumulée de 331 550 euro au visa de l'article 1371 du Code civil et subsidiairement de l'article 1382 du même Code.
Par jugement du 11 mars 2014, le Tribunal de grande instance de Paris a condamné la société Global mail concept exerçant sous l'enseigne Le coin des délices à payer à Mme Madiesse la somme de 56 200 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ainsi que celle de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens. Le même jugement a débouté Mme Madiesse du surplus de ses demandes et a dit n'y a avoir lieu à exécution provisoire. Le tribunal a procédé à une analyse détaillée des documents composant chacun des six envois publicitaires, pour retenir que l'existence d'un aléa n'était pas mise en évidence à la première lecture intégrale du courrier relatif au jeu FCPE022A bien qu'il soit accompagné d'un document distinct au verso duquel le règlement complet du jeu était précisé, de sorte que la société Global mail concept s'était obligée par ce fait purement volontaire à délivrer la somme de 56 200 euro à Mme Madiesse présentée comme la grande gagnante de ce prix, laquelle avait pu légitimement croire à cette attribution, et dont la bonne foi n'était pas utilement mise en cause puisqu'elle avait au contraire passé commande pour s'assurer que la somme gagnée lui serait bien envoyée et n'avait pas coché la case concernant le règlement et les aléas. Pour les cinq autres envois, le tribunal a considéré que l'aléa et le caractère potentiel des gains annoncés étaient suffisamment mis en évidence, et qu'en particulier Mme Madiesse avait été mise en mesure de comprendre à première lecture la distinction à faire entre le chèque qui lui était destiné et le premier prix mis en jeu. Il a également estimé que les procédés utilisés étaient fautifs, compte tenu du nombre de courriers et de leur contenu, incitant en particulier à passer commande, mais que le préjudice causé, caractérisé par la contrainte de recevoir et lire tous les courriers, de subir un harcèlement par correspondance et de supporter une certaine frustration face aux gains mirobolants mis en jeu, avait été entièrement réparé par la somme de 56 200 euro attribuée.
La société Global mail concept a relevé appel de ce jugement et, dans ses dernières conclusions notifiées le 30 avril 2015, elle demande d'infirmer la décision en ce qu'elle l'a condamnée à payer à Mme Madiesse la somme de 56 200 euro outre 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, entendant faire juger que les documents publicitaires dont Mme Madiesse a été rendue destinataire mettaient en évidence à première lecture l'existence d'un aléa s'agissant de l'attribution des prix principaux mis en jeu, que cet aléa était notamment mis en évidence par le règlement des jeux dont Mme Madiesse a pu prendre connaissance, qu'elle n'a donc pris aucun engagement à l'égard de l'intimée concernant le versement des premiers prix mis en jeu, et qu'en outre elle n'a pas davantage engagé sa responsabilité quasi délictuelle. Elle demande de confirmer le jugement pour le surplus et de débouter Mme Madiesse de son appel incident. Elle sollicite la condamnation de l'intimée à lui verser la somme de 3 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel.
Elle expose que ces loteries sont dotées d'un prix principal et de prix annexes dont le montant et la nature sont expressément indiqués dans un règlement qui est intégralement reproduit sur les documents commerciaux adressés à sa clientèle et dont un exemplaire est déposé auprès d'une étude d'huissiers de justice, que chaque jeu donne lieu à un pré-tirage au sort à l'issue duquel est désigné sur une liste aléatoire de clients un grand gagnant potentiel dont le numéro d'attribution donne vocation à l'attribution du prix principal, que pour prétendre à l'attribution de ce prix la clientèle doit retourner dans les délais précisés au règlement un bon de participation sur lequel est reporté le numéro d'attribution attribué au hasard à chaque participant, que seul celui dont le numéro d'attribution correspond au numéro gagnant pré-tiré au sort se voit attribuer le prix principal, et qu'elle a communiqué les procès-verbaux de dépôt du règlement des opérations et ceux des pré-tirages au sort qui établissent que Mme Madiesse n'a jamais disposé du numéro grand gagnant.
Elle soutient que les documents expédiés respectent scrupuleusement le principe de gratuité et l'absence d'obligation d'achat exigés par le Code de la consommation, que chaque message publicitaire envoyé contient la reproduction distincte et lisible du règlement de nature à éclairer le consommateur, que la jurisprudence exige de prendre en compte l'ensemble du contenu des documents envoyés sans s'arrêter à certaines formules attractives, la mise en évidence de l'aléa devant résulter d'une lecture complète et normalement attentive, et que l'aléa est ici caractérisé dès la prétendue annonce du gain par l'emploi de termes simples et compréhensibles faisant référence à une procédure de vérification de droits qualifiés de potentiels, ne laissant aucune ambiguïté quant au caractère conditionnel de l'attribution du prix principal. Elle fait valoir que l'application de l'article 1371 du Code civil suppose un engagement de verser un lot à un destinataire nommément désigné ainsi que la croyance légitime de celui-ci en la réalité du gain, nécessairement caractérisée par sa bonne foi, et qu'en réalité certains des publipostages incriminés, qui étaient insérés dans les colis expédiés à l'intéressée, ne sont pas même personnalisés, de telle sorte qu'il est impossible de caractériser l'existence d'une annonce de gains nominative. Elle ajoute que Mme Madiesse n'a participé qu'à la première des six opérations incriminées, codifiée FCPE022A, manifestant ainsi un désintérêt inconciliable avec une croyance légitime et sincère, et feignant d'avoir été abusée alors que les documents commerciaux qui lui ont été adressés mettaient clairement en évidence le caractère aléatoire de l'attribution des prix principaux mis en jeu, qu'elle a elle-même demandé à recevoir les jeux à son domicile, et qu'elle a délivré l'assignation sans jamais formuler de réclamation préalable.
Formant appel incident, Mme Madiesse demande, dans ses dernières conclusions notifiées le 27 avril 2015 au visa des articles 1371 et 1382 du Code civil et L. 120-1, L. 121-1, L. 121-36, L. 121-37 et L. 122-11 du Code de la consommation, de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Global mail concept exerçant sous l'enseigne Le coin des délices à lui payer la somme de 56 200 euro outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation, de l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée du surplus de ses demandes, de constater sur le fondement de l'article 1371 du Code civil que la société Global mail concept exerçant sous les enseignes Vital beauty, Swiss home shopping et Le coin des délices s'est unilatéralement engagée envers elle à verser les autres sommes précitées d'un montant cumulé de 275 350 euro, de la condamner en conséquence à lui payer cette somme avec intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2012, à titre subsidiaire de la condamner sur le fondement de l'article 1382 du Code civil à payer la somme de 15 000 euro en indemnisation de son préjudice moral et matériel avec intérêts au taux légal à compter de la date des présentes conclusions, et en tout état de cause de la condamner au paiement de la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle fait valoir que l'engagement quasi-contractuel de la société appelante est démontré par l'analyse concrète des documents envoyés, s'adressant nommément à elle et la présentant de manière non équivoque comme la grand gagnante des sommes réclamées, sans mettre en évidence à première lecture l'existence d'un aléa comme l'exige la jurisprudence, et que le quasi-contrat crée un engagement unilatéral dès l'annonce du gain, peu important que le destinataire ne soit pas en mesure de justifier d'une participation qui le contraindrait à engager une dépense, alors que l'obligation de verser de l'argent ou de supporter un coût quelconque est prohibée. Elle soutient que les affirmations répétées de gains auxquels elle a réellement cru, et l'engagement de les délivrer, ne sont pas sérieusement contredits par des mentions écrites en tout petits caractères et en termes ambigus, et que l'article 1371 du Code civil n'induit aucune exigence quant à la participation ou la bonne foi, laquelle au demeurant se présume. A titre subsidiaire, elle entend faire juger que les fautes commises par la société appelante, qui contrevient à la réglementation spécifique aux loteries en poussant astucieusement le consommateur à passer commande et en abusant des reproductions de chèques dans le but de créer la confusion dans l'esprit du destinataire, et qui lui a adressé une profusion de courriers s'apparentant à du harcèlement moral au sens de l'article L. 122-11 du Code de la consommation et faisant naître de fausses espérances, étaient constitutives d'un préjudice.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il ressort de l'application de l'article 1371 du Code civil que l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence à première lecture l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer.
En l'espèce, le tribunal a exactement relevé l'emploi d'expressions catégoriques quant au gain annoncé à Mme Madiesse dans l'envoi daté du 17 février 2012 codifié FCPE022A, lui laissant comprendre qu'elle avait personnellement gagné la somme de 56 200 euro. D'emblée, le courrier s'adresse à elle en ces termes : "Mme Josseline Madiesse, vous êtes la personne grande gagnante des 56 200 euro", et : "J'imagine aussi votre surprise en découvrant le montant du 1er prix que je dois vous envoyer : c'est bien un chèque bancaire de 56 200 euro". Ces formules écrites en gros caractères ne comportent en elles-mêmes aucune nuance quant à l'existence d'un aléa. La seule condition indiquée à Mme Madiesse est de renvoyer son "accord personnel portant le numéro ayant été déclaré grand gagnant", au moyen d'un "bordereau d'identification" dont le tribunal a exactement analysé le contenu laissant lui-même croire, par une présentation ambiguë, au gain annoncé. Ce n'est que dans une formule écrite en haut du courrier, à l'écart et en très petits caractères, échappant à la première lecture, qu'il est précisé : "A réception dans les délais impartis de votre accord personnel dûment complété et signé et sous réserve de la vérification de vos droits potentiels, nous vous confirmerons le cas échéant ce qui suit". Le document distinct sur lequel le règlement du jeu est reproduit porte cette même mention, que seule une lecture minutieuse permet de découvrir, suivie de l'indication péremptoire, en caractères majuscules et immédiatement ostensibles : "Le résultat national est désormais connu ! La grande gagnante du chèque de 56 200 euro a été identifiée et contactée dans les Hauts de Seine, il s'agit de Mme Josseline Madiesse !". Une telle présentation laissait comprendre que Mme Madiesse était personnellement gagnante du prix présenté comme "unique montant en argent mis en jeu". Elle contredisait toute autre notion d'aléa que celle présidant à l'attribution préalable des numéros de participation, d'autant que les documents envoyés affirmaient que le numéro dont Mme Madiesse était détentrice avait d'ores et déjà été "constaté gagnant", ce qui ne pouvait s'entendre sans équivoque du "chèque de réduction d'une valeur commerciale de 2 euro" dont tous les autres destinataires étaient bénéficiaires selon le règlement. La circonstance que Mme Madiesse ait demandé à recevoir les jeux à son domicile et décidé d'entreprendre une action judiciaire sans mise en demeure préalable n'est pas de nature à caractériser de sa part un comportement de mauvaise foi et un défaut de croyance légitime dans le gain mentionné. Dès lors, c'est à juste titre que le tribunal a condamné la société Global mail concept à délivrer la somme de 56 200 euro dont le gain lui était annoncé sans mettre clairement en évidence l'existence d'un aléa.
Pour le reste, trois des documents ultérieurement reçus par Mme Madiesse en mars et avril 2012 sont entièrement anonymes (FVAC012, FAMC1, FAMD1), de sorte qu'elle n'a pu considérer à leur lecture qu'elle était personnellement titulaire de gains, et qu'à défaut de comporter une annonce nominative ces envois ne peuvent emporter pour la société Global mail concept une quelconque obligation de lui délivrer les prix concernés. Les deux autres documents (FVPE032A et FCFC012) ont bien été envoyés à la personne dénommée de Mme Madiesse, mais les lettres figurant en première page qui lui sont personnellement adressées, débutant en ces termes : "Votre éligibilité au grand prix de 57 400 euro est confirmée à 100%", et : "J'ai personnellement pris la décision de vous sélectionner pour participer à notre grand jeu 'Gagnez 58 600 euro cash' et j'ai la joie de vous annoncer que vous avez d'ores et déjà gagné un 1er prix", ne formulent à son intention qu'une annonce de gain encore éventuel quant à la somme mise en jeu.. Le caractère incertain de l'attribution du prix principal ressort également des expressions "le cas échéant" et "après[...]vérification de votre statut" employées dans ces mêmes courriers et explicitées par le règlement joint aux envois. De même, le formulaire contenu dans les bons de participation joints aux documents invite le destinataire à réclamer le grand prix "sous réserve" de la vérification de ses "droits potentiels". C'est donc à juste titre que le tribunal a retenu que l'existence d'un aléa avait bien été mise en évidence à première lecture. En outre, même si l'organisateur de la loterie publicitaire ne peut subordonner l'exécution de ses obligations au renvoi par le destinataire d'un bon de participation, le fait que Mme Madiesse se soit abstenue de toute démarche à la réception de ces documents traduit bien de sa part une absence de croyance légitime dans les gains concernés. Le jugement qui a débouté Mme Madiesse du surplus de ses prétentions fondées sur l'article 1371 du Code civil sera donc confirmé.
Pour solliciter l'allocation de dommages et intérêts sur le fondement subsidiaire de l'article 1382 du même Code, Mme Madiesse ne peut reprocher à l'annonceur un comportement assimilable à du harcèlement du fait de la profusion de courriers reçus en mars et avril 2012, alors qu'elle en a expressément accepté le principe en cochant sur le bulletin de participation du premier envoi retourné le 27 février 2012 la mention : "Oui, je confirme l'exactitude de mes coordonnées. Merci de m'envoyer vos courriers et jeux à cette même adresse". N'ayant donné aucune suite aux sollicitations qui lui sont lui parvenues après ce premier envoi, elle ne peut par ailleurs se prévaloir d'un quelconque dommage en lien avec des pratiques commerciales contraires aux dispositions du Code de la consommation.
Dès lors, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.
Il n'est pas inéquitable d'abandonner aux parties la charge de leurs frais non compris dans les dépens.
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne la société Global mail concept aux dépens exposés en appel, avec droit de recouvrement direct dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs autres demandes.