CA Paris, Pôle 2 ch. 1, 29 septembre 2015, n° 14-02765
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
US Golf (SA)
Défendeur :
Covea Risks (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bichard
Conseillers :
Mmes Maunand, Herve
Avocats :
SCP C. & Associés, SCP AFG
Les sociétés Golf'us et Golf house ayant le même dirigeant, ont fait l'une et l'autre l'objet d'actions en contrefaçon de la marque Golf Plus appartenant à M. S. et donnée en licence aux sociétés Golf Perreire et Golf équipement, et en concurrence déloyale.
Ces procédures au cours desquelles elles étaient assistées chacune de Maître C., avocat, ont donné lieu à :
- un arrêt de la cour d'appel de Versailles du du 15 février 2001 qui a infirmé le jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre du du 1er mars 1999 et a condamné la société US Golf venant aux droits de la société Golf'us à payer à M. S. la somme de 10 000 F et à chacune des deux sociétés licenciées la somme de 20 000 F au titre des préjudices résultant de l'imitation de la marque Golf Plus, et a alloué aux sociétés Golf Perreire et Golf équipement chacune la somme de 200 000 F en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale.
- un arrêt de la cour d'appel de Paris du du 10 janvier 2001 qui a infirmé le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du du 1er septembre 1999 et débouté M. S. de ses demandes en contrefaçon de marque formées contre la société Golf house.
M. S. a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris tandis que la société US golf a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles et la Cour de cassation, par un arrêt du 23 avril 2003, a annulé les deux décisions compte tenu de leur caractère inconciliable et a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel d'Orléans, laquelle n'a pas été saisie de sorte que les jugements rendus par les tribunaux de grande instance de Paris et de Nanterre sont devenus définitifs.
La société US Golf a fait assigner maître C. et son assureur, la société Covea risks, devant le Tribunal de grande instance de Paris en responsabilité et indemnisation. Par un jugement du 15 janvier 2014, le tribunal a dit que maître C. avait commis une faute mais a rejeté les demandes.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 13 mai 2015, la société US Golf sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu la faute de maître C. et son infirmation en ce qu'il n'a pas retenu la perte de chance de voir reconnues ses prétentions bien fondées. Elle demande la condamnation solidaire de maître C. et de Covea risks à lui payer la somme de 1 014 524 euro à titre de dommages-intérêts, outre une indemnité de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions communiquées par voie électronique le 15 juin 2015, maître C. et la société Covea risks sollicitent que la pièce 10 soit écartée des débats et que certaines demandes en dommages-intérêts soient déclarées irrecevables comme étant nouvelles, que la demande de restitution de pièces soit déclarée prescrite, que la pièce N°10 soit écartées des débats, que les demandes de la société US Golf soient rejetées et que le jugement entrepris soit confirmé. Ils sollicitent enfin la condamnation de la société US Golf à une indemnité de 10 000 euro, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1/ la recevabilité des demandes :
Les intimés soulèvent l'irrecevabilité de deux demandes qu'ils considèrent comme nouvelles, en application de l'article 564 du Code de procédure civile.
Ils font valoir que la société US Golf sollicite au titre des dommages-intérêts, 'des coûts nécessités pour procéder tant au plan du droit des sociétés qu'au plan marketing aux changements de dénomination et de marque et au lancement d'une marque nouvelle' ainsi qu' 'un manque à gagner en terme de marge brute sur chiffre d'affaires depuis 2006", qu'elle n'avait pas réclamés en 1ère instance.
L'appelante réplique qu'il ne s'agit pas de demandes nouvelles mais seulement des explications complémentaires apportées pour l'évaluation de son préjudice et elle invoque l'article 566 du Code de procédure civile.
La lecture du jugement entrepris fait apparaître que la société US Golf avait demandé à titre de dommages-intérêts la somme de 88 420 euro correspondant à celle qui lui était réclamée par un commandement aux fins de saisie-vente délivré en exécution du jugement de Nanterre.
Dans le cadre de l'instance d'appel, la société US Golf sollicite désormais la somme de 1 014 524 euro en ajoutant au montant de la condamnation de 88 420euro, les coûts de changement de signe distinctif et le manque à gagner en raison du fait de l'impossibilité d'utiliser la marque Golf'us.
Il convient de constater que ces demandes visent à obtenir la réparation intégrale du préjudice résultant de l'exécution du jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre pour lequel l'appelante déclare avoir perdu une chance de saisir la cour d'appel et elles constituent ainsi l'accessoire de la demande formulée en 1ère instance. Elles sont donc recevables au regard des dispositions de l'article 566 du Code de procédure civile et la pièce n°10 relatif au préjudice résultant du manque à gagner, sera acceptée.
2/ l'existence d'une faute :
La société US Golf reproche à M. C. de ne pas l'avoir informée des conséquences de l'arrêt de la Cour de cassation, des modalités et des conséquences du renvoi devant une nouvelle cour d'appel, du délai et de la procédure de sa saisine. Elle soutient que M. C. l'a ainsi privée d'une chance sérieuse d'obtenir l'infirmation du jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre du du 1er mars 1999 dans un sens qui lui aurait été plus favorable.
Les intimés contestent l'existence d''une faute en invoquant les lettres adressées par l'avocat à son client les 18 juillet 2003 et 22 juillet 2005.
Dans la lettre du 18 juillet 2003 faisant suite à l' arrêt de la cour de cassation du du 23 avril 2003 signifié le 1er juillet suivant, M. C. en expose les conséquences avec l'obligation pour la société US Golf de restituer à M. S. et ses sociétés la somme de 73 175, 52 euro outre les intérêts, en lui faisant part de la possibilité d'une transaction avec ces derniers, en en exposant les termes et en lui demandant de reprendre contact avec lui dans les meilleurs délais pour faire part de ses souhaits.
La société US Golf n'a pas répondu et par lettre du 22 juillet 2005, M. C. lui a rappelé les conséquences de l'arrêt de la Cour de cassation, lui a fait savoir que M. S. et ses sociétés réclamaient les sommes dues en exécution des jugements définitifs et qu'ils ne paraissaient pas hostiles à une renonciation à une partie de la somme en cas de paiement spontané.
Il convient de constater que dès le 18 juillet 2003, M. C. a informé sa cliente des conséquences de l'arrêt de la cour de cassation sur les jugements de 1ère instance et de l'obligation à paiement pesant sur elle. En outre, il a proposé à la société US Golf de finaliser une transaction avec la partie adverse en lui en exposant les termes;
Néanmoins, il y a lieu de relever qu'il n'a pas informé sa cliente que passé le délai de quatre mois de saisine de la cour d'appel d'Orléans, son obligation à paiement deviendrait définitive et qu'elle serait alors contrainte de l'exécuter, en l'absence d'une transaction aboutie.
Ainsi, M. C. n'a pas attiré l'attention de sa cliente sur la nécessité de prendre rapidement position sur la proposition de transaction et sur l'intérêt d'une saisine de la cour d'appel de renvoi au moins à titre conservatoire.
Aussi il y a lieu de retenir qu'il a manqué à son obligation de conseil et qu'il a commis une faute ouvrant droit à réparation s'il en est résulté un préjudice.
3/ l'existence d'une perte de chance :
La société US Golf soutient qu'elle a perdu une chance sérieuse d'obtenir réformation des jugements du Tribunal de grande instance de Paris et de Nanterre.
Néanmoins la société US Golf n'étant pas partie à l'instance s'étant déroulée devant le Tribunal de grande instance de Paris, elle ne peut valablement se prévaloir que de la possibilité d'obtenir la réformation du jugement de Nanterre.
Le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Nanterre le 1er mars 1999 a:
- déclaré irrecevable l'action en contrefaçon de marque des sociétés Golf Perreire et Golf équipement,
- débouté M. S. de ses actions en contrefaçon de marque,
- débouté la société Golf'us (devenue US Golf) de sa demande en nullité de la marque Golf Plus,
- condamné sous astreinte la société Golf'us à modifier sa dénomination sociale et son enseigne ainsi que toute publicité subséquente,
- condamné la société Golf'us à payer aux sociétés Golf Perreire et Golf équipement chacune la somme de 500 000 F au titre des actes de concurrence déloyale,
- condamné la société Golf'us à payer une indemnité de 20 000 F à chacun des trois demandeurs, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- autorisé les demandeurs à faire publier le dispositif du jugement dans 4 journaux pour un coût global de 40 000 F.
Le jugement de Nanterre a ainsi condamné la défenderesse à modifier sa dénomination sociale et son enseigne Golf''us en retenant que celle-ci entraînait un risque de confusion avec les éléments nominatifs de la marque semi-figurative Golf Plus déposée par M. S.
Il a également retenu que la société Golf''us avait commis des actes de concurrence déloyale à l'égard des sociétés Golf Perreire et Golf équipement en raison de publicités représentant un caddy de supermarché comme des publicités antérieures de ses concurrentes, et en raison de l'embauche en connaissance de cause d'un ancien salarié de la société Golf Perreire, malgré une clause de non-concurrence.
S'agissant du risque de confusion entre la dénomination Golf''us et les éléments verbaux de la marque Golf Plus, il y a lieu de constater que la cour d'appel de Versailles a également reconnu son existence et confirmé la décision imposant à l'appelante de modifier sa dénomination sociale.Le jugement du Tribunal de grande instance de Paris statuant sur une demande en contrefaçon de la marque Golf Plus par la partie française de la marque internationale Golf'us, a retenu l'existence d'un risque de confusion et de la contrefaçon.
La cour d'appel de Paris, en revanche, a jugé que la dénomination Golf'us ne constituait pas la contrefaçon de la marque Golf Plus en l'absence de similitude phonétique et intellectuelle. Elle a ainsi estimé que les lettres 'US' de la marque Golf'us devaient se prononcer à l'anglaise ou à l'américaine et qu'il n'était pas usuel de contracter 'plus' en 'us', qu'enfin la seule présence du terme d'attaque GOLF ne suffisait pas à caractériser un risque de confusion.
Compte tenu de cette motivation pertinente au regard des critères d'appréciation du risque de confusion, il y a lieu de retenir que la faute de M. C. a fait perdre à la US Golf une chance réelle et sérieuse d'obtenir une infirmation du jugement de Nanterre en ce qu'il a retenu l'existence d'un risque de confusion entre la marque Golf Plus et la dénomination sociale Golf'us.
S'agissant des condamnations prononcées par le jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre au titre des actes de concurrence déloyale et du parasitisme, il conviendra tout d'abord de relever que le Tribunal de grande instance et la cour d'appel de Paris n'ont pas été saisis de ces faits uniquement imputés à la société Golf'us et que la cour d'appel de Versailles avait confirmé en son principe la décision du Tribunal de Nanterre en ce que :
- la société Golf'us avait repris de façon fautive l'élément caractéristique de la publicité de ses concurrents, le caddie de supermarché, en exploitant l'association entre chariot de supermarché et caddie de golf,
- elle avait embauché en connaissance de cause un ancien salarié d'une des demanderesses, tenu par une clause de non-concurrence.
La société US Golf fait valoir que la reprise d'une même idée ne peut être constitutive d'une faute, néanmoins ce moyen perd de son efficacité ainsi que l'ont retenu tant le tribunal que la cour lorsque la juridiction est saisie sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et qu'elle constate la création d'un risque de confusion avec le concurrent, dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne.
S'agissant de l'embauche du salarié en connaissance de la clause de non-concurrence, la société US Golf conteste la force probante d'une attestation établie par un associé de M. S. mais celle-ci a été retenue tant par le tribunal que par la cour et il n'est pas justifié de circonstances nouvelles justifiant qu'elle soit écartée.
Ainsi la faute commise par M. C. n'a pas fait perdre à la société US Golf une chance sérieuse d'obtenir la réformation de la décision de 1ère instance sur le principe d'une condamnation pour concurrence déloyale.
Néanmoins il y a lieu de constater que la cour d'appel de Versailles avait fixé une évaluation moindre du préjudice subi par les demanderesses puisqu'elle a limité à 200 000 F le montant des dommages-intérêts alloués à chacune des deux sociétés alors que le Tribunal de grande instance de Nanterre avait fixé le montant des dommages-intérêts dus à chacune à 500 000 F sans indiquer les éléments comptables qui permettait de retenir ce chiffre.
Aussi il convient de retenir que la société US Golf a perdu une chance sérieuse d'obtenir une réduction importante de la condamnation pécuniaire prononcée à son encontre.
4/ l'évaluation du préjudice :
La société US Golf a été condamnée par le Tribunal de grande instance de Nanterre à modifier sa dénomination sociale et son enseigne ainsi que toute publicité subséquente.
Elle évalue le préjudice résultant de la perte de chance d'obtenir l'infirmation de cette décision et constitué par les coûts engendrés par le changement de dénomination et le lancement d'une marque nouvelle à 10 000 euro, auxquels vient s'ajouter le manque à gagner du fait de la perte de clientèle internationale à la suite de l'interdiction d'utiliser la marque Golf Us en France et la marque Golf house et les enseignes correspondantes, qu'elle évalue à 916 104 euro.
Pour justifier de l'évaluation de son préjudice, la US Golf verse aux débats une pièce N°10 constituée d'une attestation de son dirigeant, M. V. et des liasses fiscales des années 2006 à 2013 de la société ainsi qu'une pièce n°11 constituée d'une seconde attestation d'une société de conseil qui confirme les chiffres mentionnés par M. V..
La société Golf'us devenue US Golf a effectivement modifié sa dénomination sociale, mais n'a versé aux débats aucune facture ou autre document comptable permettant de connaître les frais engagés à la suite de ce changement. Il y a donc lieu d'écarter ce chef de préjudice.
Par ailleurs, la seule indication des chiffres d'affaires de 2006 à 2013 dont l'évolution n'est pas significative, ne permet pas d'établir un lien avec la condamnation du Tribunal de grande instance de Nanterre qui au surplus, ne portait pas sur la marque GOLF US de la société Golf House.
La demande en dommages-intérêts de la société US Golf au titre du manque à gagner doit donc être rejetée.
S'agissant de la perte de chance de voir réduire la condamnation à des dommages-intérêts prononcée pour les faits de concurrence déloyale, la société US Golf évalue son préjudice à la somme de 88 420 euro correspondant au montant des condamnations à sa charge.
Il convient tout d'abord de relever que cette somme inclut la condamnation à payer une indemnité de 30 000 F (4 573, 47 euro) prononcée par la cour d'appel de Paris qui ne peut être prise en compte.
Par ailleurs, en cas de perte de chance, la réparation du dommage ne peut être que partielle et le préjudice qui en résulte sera ainsi apprécié à la somme de 20 000 euro.
Il sera alloué à la société US Golf la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du du 15 janvier 2014 en ce qu'il a retenu la faute de M. C. et l'a condamné aux dépens, Y ajoutant déclare recevables les demandes relatives aux frais de changement de dénomination et au manque à gagner ainsi que la pièce 10, L'infirme pour le surplus, Condamne in solidum M. C. et la société Covea risks à payer à la société US Golf la somme de 20 000 euro à titre de dommages-intérêts, Condamne in solidum M. C. et la société Covea risks à payer à la société US Golf la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne in solidum M. C. et la société Covea risks aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP AFG, selon l'article 699 du Code de procédure civile.