CA Aix-en-Provence, 9e ch. C, 25 septembre 2015, n° 14-17697
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Crystal Finance (SA)
Défendeur :
Garcin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dabosville
Conseillers :
Mmes Vindreau, Valette
Avocats :
Mes Pierchon, Lescudier, Porte, Mouric
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Olivier Garcin a été engagé par la SA Chrystal Finances Montpellier selon contrat à durée indéterminée à temps complet du 5 février 2008 en qualité de responsable régional France Sud-est, qualification cadre, en contrepartie d'une rémunération mensuelle brute de 2 000 euro.
Le contrat était soumis à la convention collective nationale des entreprises de courtage d'assurances et/ou de réassurances.
Le 4 février 2010, les parties ont signé un protocole de rupture conventionnelle qui prévoyait que le contrat de travail de Monsieur Garcin prendrait fin le 12 mars suivant.
Les parties ont conclu un contrat de mandat d'agent commercial avec effet au 22 mars 2010.
Le 6 mai 2010, Monsieur Garcin a été immatriculé par le greffe du Tribunal de commerce de Marseille au registre spécial des agents commerciaux et a été inscrit à l'Orias le 9 juillet 2010.
Le 13 juillet 2011, le mandant constatant l'intervention de Monsieur Garcin au registre spécial des agents commerciaux dans l'intérêt de HSBC France, la SA Chrystal lui a écrit pour rompre son contrat d'agent commercial.
Le 21 juillet 2011, Monsieur Garcin a dénoncé cette rupture, décision qui a été rétractée par la SA Chrystal Finances Montpellier en raison d'une homonymie.
Le 27 mars 2012, Monsieur Garcin a fait radier sa société d'agent commercial, sans en informer la société selon cette dernière, et restera inscrit à l'Orias jusqu'au 7 juillet 2012.
Le 20 avril 2012, la SA Chrystal Finances Montpellier a notifié à Monsieur Garcin sa décision de rompre effectivement le contrat de mandat au motif que celui-ci n'aurait pas communiqué les documents relatifs à sa mise en conformité pour l'année 2012.
Le 27 juillet 2012, soutenant que la relation salariée s'était poursuivie après la rupture conventionnelle dans le cadre de son activité d'agent commercial pour le compte de la SA Chrystal Finances Montpellier, Monsieur Garcin a saisi le Conseil de prud'hommes de Marseille pour solliciter la condamnation de la société au paiement de diverses sommes au titre d'un licenciement abusif et irrégulier, de travail dissimulé, de l'indemnité compensatrice de préavis.
In limine litis, la SA Chrystal Finances Montpellier a soulevé l'incompétence du Conseil de prud'hommes de Marseille au profit du Tribunal de commerce de Montpellier pour statuer sur les demandes de Monsieur Garcin.
Par jugement en date du 11 juillet 2014, le Conseil de prud'hommes de Marseille aux motifs que " le conseil de prud'hommes dit que 3 conditions doivent être remplies pour se déclarer matériellement compétent : le litige doit être individuel, un contrat de travail doit exister et le litige doit être né à l'occasion du contrat de travail " et que " le conseil de prud'hommes exerçant souverainement sa faculté d'appréciation qu'il tient des dispositions du Code de procédure civile et après l'examen des pièces versées au dossier de la procédure dit, qu'il est compétent pour juger de l'existence ou pas d'un contrat de travail liant les parties, la charge de la preuve incombant à chacune d'entre elles ", a :
- déclaré le conseil de prud'hommes de céans matériellement compétent pour connaître du litige qui est lui soumis et dit qu'à défaut de recours, l'affaire est appelée à l'audience du bureau de jugement du 11 décembre 2014,
- réservé les dépens.
La SA Chrystal Finances Montpellier a régulièrement formé contredit contre cette décision.
Au visa de ses conclusions écrites et réitérées lors des débats, et auxquelles la cour se réfère quant aux prétentions et moyens invoqués, la SA Chrystal Finances Montpellier demande de :
Vu les articles L. 1411 et L. 1411-3 du Code du travail et les articles 4,5,12, 76 et 455 du Code de procédure civile,
- faire droit au contredit,
- annuler et en tout cas réformer le jugement rendu sur la compétence,
- statuant à nouveau sur l'exception d'incompétence soulevée par la SA Chrystal Finances Montpellier, avant toute défense au fond, déclarer incompétent le conseil de prud'hommes de Marseille au profit du tribunal de commerce de Montpellier pour statuer sur les demandes présentées dans le cadre de cette instance,
- condamner Monsieur Garcin à lui verser la somme de 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
En réplique, au visa de ses conclusions écrites et réitérées lors des débats, et auxquelles la cour se réfère quant aux prétentions et moyens invoqués, Monsieur Garcin domicilié à Marseille, demande de :
- constater l'existence d'un lien de subordination le liant à la SA Chrystal Finances Montpellier,
- confirmer le jugement entrepris,
- débouter la SA Chrystal Finances Montpellier,
- déclarer compétent le conseil de prud'hommes de Marseille pour statuer sur le litige,
- condamner l'employer au versement de la somme de 1 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
La SA Chrystal Finances Montpellier soutient que le jugement serait nul, faute de motivation suffisante.
Si le jugement déféré est à tout le moins peu clair (sa lecture ne permettant pas de savoir avec certitude si les premiers juges ont retenu leur compétence pour dire s'il y avait ou non contrat de travail, ou si considérant qu'un tel contrat existait bien, se sont déclarés compétents pour statuer sur les demandes formulées par Monsieur Garcin), il est toutefois motivé et n'encourt dès lors pas l'annulation.
La SA Chrystal Finances Montpellier soutient que la juridiction prud'homale est incompétente pour connaître de la rupture du contrat d'agent commercial établi entre les parties, ce contrat étant exclusif de tout lien de subordination.
Monsieur Garcin a signé, sans que rien ne vienne établir que son consentement ait été vicié, une rupture conventionnelle du contrat de travail conclu avec la SA Chrystal Finances Montpellier le 5 février 2008.
Il est constant qu'à compter du 22 mars 2010, la relation entre Monsieur Garcin et la SA Chrystal Finances Montpellier s'est poursuivie sous la forme d'un contrat de mandat d'agent commercial, Monsieur Garcin s'étant fait, de lui-même immatriculer en qualité d'agent commercial.
L'agent commercial est un travailleur indépendant dont la profession est caractérisée par l'absence de lien de subordination avec le commettant.
Toutefois, lorsqu'il est démontré l'existence d'un lien de subordination, le contrat d'agent commercial est réputé devenir un contrat de travail régi par le Code du travail.
L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité.
Il appartient au conseil de prud'hommes compétent en application de l'article L. 1411 du Code du travail de régler les différends pouvant s'élever à l'occasion de tout contrat de travail, de dire s'il existe ou non, entre les parties une telle relation.
Il appartient à Monsieur Garcin qui revendique l'existence d'un contrat de travail d'en apporter la preuve.
Un contrat de travail implique qu'une personne accepte de fournir une prestation de travail au profit d'une autre personne en se plaçant dans un état de subordination vis-à-vis de cette dernière moyennant une rémunération.
Le lien de subordination est la caractéristique essentielle du contrat de travail.
La subordination résulte d'un ensemble d'éléments constituant un faisceau d'indices (soumission à un horaire de travail, respect des directives, soumission aux contrôles).
Monsieur Garcin fait valoir qu'il a poursuivi son activité dans des conditions identiques à celles auxquelles il était soumis alors qu'il était salarié, sauf à exercer son activité sur toute la France.
Il considère que si la SA Chrystal Finances Montpellier a su rédiger un contrat duquel il ne ressort aucunement l'existence d'un lien de subordination (aucun horaire mentionné, il est libre d'organiser son temps de travail, le reporting est fortement encadré pour ne concerner que certains dossiers), la lecture du contrat démontre, au contraire, qu'existait bien un lien de subordination (clause d'objectif, clause de quota, absence de territoire déterminé, clause de non-concurrence, absence d'indemnisation en cas de rupture du contrat d'agent commercial).
Monsieur Garcin soutient que sa liberté d'action quant à l'organisation de son temps de travail et la prétendue absence de directive était fortement limitée par les réunions imposées à Paris avec le responsable de Chrystal France.
Il n'apporte cependant aucune preuve de ces réunions et de leur périodicité, la production en cause d'appel d'un billet de train aller-retour pour Paris sans plus de précision étant insuffisante à cet effet.
Force est de constater que Monsieur Garcin reconnaît lui-même ne pas avoir été contraint à des horaires, que les clauses de quota sont fréquentes dans les contrats d'agent commerciaux et que les clauses d'objectifs ne sont pas illicites en la matière.
La SA Chrystal Finances Montpellier souligne pertinemment que Monsieur Garcin peut discuter devant la juridiction commerciale de la validité ou non de la clause de non-concurrence, au regard des dispositions de l'article L. 134-14 du Code de commerce et que l'exclusivité réservée par l'agent sur la gamme de produits vendus par la société ne peut être un indice d'un contrat de travail, l'agent commercial restant libre de commercialiser tous autres produits, que de plus la discussion sur le déséquilibre ou non du contrat d'agent commercial est sans objet pour l'appréciation des critères du contrat de travail de même que les commissions librement consenties par les dispositions contractuelles.
Les 4 mails produits par Monsieur Garcin en cause d'appel, émanant du service ingénierie patrimoniale de la SA Chrystal Finances Montpellier, ne démontrent pas, contrairement à ce qu'il soutient, que la société lui communiquait des instructions strictes quant à l'exécution des tâches à accomplir, la teneur de ces courriels relevant plus de l'information quant aux conditions légales d'accès de certains produits, ou des éléments reçus des clients.
Monsieur Garcin produit en outre un listing de clients dont il précise qu'ils sont référencés par son code en tant qu'agent commercial, cet élément n'est pas plus que les précédents de nature à démontrer l'existence du lien de subordination indispensable pour que soit retenue l'existence d'un contrat de travail.
S'ensuit, qu'en l'absence de démonstration de l'existence d'un lien de subordination entre les parties et partant d'un contrat de travail, la juridiction prud'homale n'est pas compétente pour connaître du litige lié à la rupture du contrat de mandat d'agent commercial.
Il convient en réformation du jugement déféré, de déclarer incompétent le Conseil de prud'hommes de Marseille au profit du tribunal de commerce de Montpellier, lieu du siège de la société.
Aucune considération tirée de l'équité ne conduit à condamner l'une ou l'autre des parties sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Monsieur Garcin, qui succombe, supportera les dépens.
Par ces motifs LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale, Reçoit le contredit régulier en la forme, Infirme le jugement déféré rendu le 11 juillet 2014 par le Conseil de prud'hommes de Marseille, Statuant à nouveau et y ajoutant, Déboute Monsieur Garcin de sa demande relative à l'existence d'un contrat de travail, Déclare en conséquence incompétent le conseil de prud'hommes de Marseille, au profit du tribunal de commerce de Montpellier, pour connaître de la rupture du mandat d'agent commercial conclu entre Monsieur Garcin et la SA Chrystal Finances Montpellier, Condamne Monsieur Garcin aux dépens de l'entière procédure, Rejette toute autre demande.