CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 30 septembre 2015, n° 13-06346

Par acte du 25 février 2010, la SARL Fayolle André, aux droits de laquelle vient la SARL Arsa, qui a une activité de façonnage d'articles de papeterie à destination essentiellement de professionnels, a assigné devant le Tribunal de commerce de Lyon la SAS Imprimerie du Moulin à Vent, qui exerce une activité d'imprimeur, en lui reprochant d'avoir rompu brutalement en 2007 les relations commerciales établies existant depuis 1993.

Par jugement du 5 septembre 2011, le Tribunal de commerce de Lyon a :

- débouté la société Fayolle André de sa demande de production sous astreinte du compte client au nom de la société Façonnage Gérard Paccalin ;

- condamné la société Imprimerie du Moulin à Vent à payer à la société Fayolle André la somme de 7 000 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive des relations commerciales, outre intérêt de droit au taux légal à compter du jugement ;

- condamné la société Imprimerie du Moulin à Vent à payer à la société Fayolle André la somme de 750 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- rejeté l'ensemble des autres demandes des parties ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Le 29 mars 2013, la société Imprimerie du Moulin à Vent a interjeté appel de ce jugement.

Le 10 avril 2013, la société Arsa a également interjeté appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 15 juin 2015, par lesquelles la société Imprimerie du Moulin à Vent, demande à la cour de :

- réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon en date du 5 septembre 2011 sauf en ce qu'il a débouté' la société' Fayolle André de sa demande de communication sous astreinte de l'extrait de compte fournisseurs concernant la société Façonnage Gérard Paccalin.

Statuant à nouveau,

- constater que la société Arsa, venant aux droits de la société Fayolle André, a manqué à ses obligations dans l'exécution des tâches de façonnage qui lui étaient confiées,

- constater que la société Arsa, venant aux droits de la société Fayolle André, a refusé de donner suite à toute sollicitation de la part de la société IMAV,

- constater que la société Arsa, venant aux droits de la société Fayolle André, a cessé de démarcher commercialement la société IMAV,

- constater que les pièces versées par la société IMAV ne souffrent d'aucune suspicion,

- constater la mauvaise foi de la société Arsa, venant aux droits de la société Fayolle André, et du procédé utilisé pour rendre responsable la société IMAV du conflit qui l'oppose avec M. Paccalin alors que la concluante y est étrangère.

En conséquence,

- dire et juger que la société IMAV n'est pas à l'origine de la rupture des relations contractuelles avec la société Arsa, venant aux droits de la société Fayolle André,

- débouter la société Arsa, venant aux droits de la société Fayolle André, de l'intégralité de ses demandes et de son appel incident.

A titre reconventionnel,

- condamner la société Arsa, venant aux droits de la société Fayolle André, à payer à la société IMAV la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner la société Arsa, venant aux droits de la société Fayolle André, à payer à la société IMAV la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens, dont distraction pour ceux le concernant au profit de Maître Stéphane Fertier, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 15 juin 2015, par lesquelles la société Arsa demande à la cour de :

Au visa des articles 142 du Code de procédure civile, L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, 1382 du Code civil,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a retenu la brutalité de la rupture des relations commerciales établies et débouté la société IMAV de ses demandes reconventionnelles,

- réformer pour le surplus,

Et statuant à nouveau,

- constater que les pièces comptables certifiées ont bien été produites aux débats, ce qui permet de démontrer la réalité du préjudice éprouvé,

- dire et juger que la brusque rupture ne peut être indemnisée que par référence à la durée effective des relations contractuelles entretenue, soit en l'espèce 14 années,

- dire et juger que le légitime préavis, dont la société Fayolle André a été frustrée, est d'au moins dix-huit mois, du fait de l'ancienneté des relations commerciale et du poids très significatif du chiffre d'affaires de la société IMAV dans les comptes de la société Fayolle André,

- dire et juger qu'il résulte des pièces comptables communiquée aux débats que la perte de marge moyenne annuelle est bien de 90 550,40 euro pour 12 mois,

- condamner en conséquence la société Imprimerie du Moulin à Vent d'avoir à lui verser à ce titre une indemnité de 135 825,60 euro, outre intérêts de droit calculés au taux légal, à compter de la date de l'assignation,

- condamner la société Imprimerie du Moulin à Vent d'avoir à lui verser la somme de 7 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Imprimerie du Moulin à Vent aux entiers dépens de l'instance et de ses suites, dont ceux distraits au profit de la société Lexavoue Paris sur son affirmation de droit.

Cela étant exposé, LA COUR,

Sur la jonction des deux instances :

Considérant que les parties ont successivement interjeté appel du même jugement et que la société Imprimerie du Moulin à Vent sollicite la jonction des deux instances ; qu'il a lieu d'ordonner la jonction des instances enregistrées sous les n° de RG 13-06346 et 13-07222 ;

Sur la rupture des relations commerciales :

Considérant que la société Arsa expose que, suite à une transmission universelle de son patrimoine à son profit avec effet au 12 mai 2011, la société Fayolle André a été dissoute ; qu'alors que la société Fayolle André a entretenu une relation constante depuis 1993 avec la société Imprimerie du Moulin à Vent- IMAV, qui lui passait régulièrement des commandes de travail à façon et a représenté pendant 14 ans environ 20 % de son chiffre d'affaires global, cette dernière a cessé ses commandes à compter du mois d'août 2007 ; que non seulement la société Fayolle André n'a pas été avisée par écrit de l'intention de rompre de la société Imprimerie du Moulin à Vent, mais son chiffre d'affaires est passé de 66 083 euro en 2006-2007 à 0 euro en 2007-2008 ;

Considérant que la société Arsa fait valoir que la société Imprimerie du Moulin à Vent affirme, de façon mensongère et sans verser aucun élément probant, qu'elle n'aurait pas matériellement honoré des commandes, qu'il aurait existé des malfaçons sur un façonnage réalisé au mois d'août 2007, qu'elle n'aurait pas répondu à des sollicitations ; que la société Imprimerie du Moulin à Vent fait état pour la première fois en appel d'une malfaçon survenue en janvier 2007 pour la société Lejaby, alors que la commande pour ce client a été passée le 24 mai 2007 ; que la société Imprimerie du Moulin à Vent ne saurait justifier la rupture de 14 années de relations commerciales pour un prétendu litige portant sur une somme de 297 euro, chiffre d'affaires du client Lejaby ; que la société Imprimerie du Moulin à Vent lui reproche sa fermeture totale durant deux semaines au mois d'août 2007, alors que depuis le début de la relation commerciale la société ferme durant tout le mois d'août ; que les attestations de complaisance de M. Gérard Paccalin, son ancien salarié devenu un concurrent, qui a une communauté d'intérêts avec la société Imprimerie du Moulin à Vent et celle de M. Mielle doivent être écartées des débats ;

Considérant que la société Imprimerie du Moulin à Vent répond que la société Fayolle André, qui n'était qu'un sous-traitant ponctuel, est à l'origine de la rupture des relations entre les parties ; que la société Fayolle André a commis des erreurs professionnelles en janvier 2007 sur une commande, ce qui a entraîné le mécontentement de son client la société Lejaby; que courant juillet 2007 les travaux confiés à la société Fayolle André comportaient des malfaçons que cette société n'a pu rectifier, et la société Fayolle André ayant fermé sans prévenir pour cause de congés, elle a été contrainte à demander à la société FBM de réaliser le travail ; qu'après le départ de M. Paccalin, elle n'a plus reçu de visite commerciale de la part de la société Fayolle André ; que ses demandes de prix sont restées sans réponse ; qu'à compter d'octobre 2007 les relations ont pris fin à l'initiative de la société Fayolle André ;

Mais considérant qu'il n'est pas contesté que les relations commerciales entre les parties ont débuté en 1993, ce que la société Fayolle André établit par la production de l'extrait de son journal des ventes d'octobre 1992 à septembre 1993 ; que la production du tableau du chiffre d'affaires de la société Fayolle André avec la société Imprimerie du Moulin à Vent sur les années 2002 à 2008, certifié par l'expert-comptable, montre que ce chiffre d'affaires s'établit à 0 euro à compter du mois de septembre 2007 et jusqu'au mois de septembre 2008 ; qu'il est ainsi rapporté la preuve par la société Fayolle André que la société Imprimerie du Moulin à Vent a cessé de lui passer des commandes à compter du mois de septembre 2007 ; que le tableau du chiffre d'affaires produit par la société Fayolle André fait apparaître des commandes passées tous les mois, un montant de chiffre d'affaires annuel important réalisé avec la société Imprimerie du Moulin à Vent et un pourcentage du chiffre d'affaires allant de 28 % sur la période 2002-2003 à 14,44 % sur la période 2006-2007 ; que ces éléments établissent l'existence entre les parties d'une relation commerciale établie, c'est-à-dire qui présente un caractère suivi, stable et habituel, et dans laquelle la société Fayolle André pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité ;

Considérant que si la société Imprimerie du Moulin à Vent produit une lettre de réclamation du 16 janvier 2007 concernant une commande de brochures pour la société Lejaby, la société Fayolle André produit un bon de commande en date du 24 mai 2007 avec une demande de livraison pour le 25 mai 2007 ; que la facture établie par la société FBM Façonnage, qui est un sous-traitant de la société Imprimerie du Moulin à Vent, le 31 août 2007 avec une échéance au 10 octobre 2007 et l'attestation de son dirigeant, qui se contente de relater les propos du dirigeant de la société Imprimerie du Moulin à Vent, ne rapportent pas la preuve de malfaçons commises par la société Fayolle André ; qu'il y a lieu de ne pas retenir les attestations des membres de la famille Paccalin, en raison de la situation de conflit familial dans laquelle elles ont été établies et des rapports existants entre M. Gérard Paccalin et chacune des parties ; que les attestations établies par les salariés de la société Imprimerie du Moulin à Vent sont insuffisantes à elles seules à rapporter la preuve que la société Fayolle André ne faisait plus de visite et ne répondait pas aux demandes de devis ; que la société Imprimerie du Moulin à Vent, qui ne peut reprocher à son sous-traitant sa fermeture annuelle pour congés au mois d'août, n'établit pas que la rupture totale des relations commerciales établies entre les parties soit imputable à la société Fayolle André ; que le jugement sera confirmé de ce chef ;

Sur le préavis :

Considérant qu'il n'est pas contesté qu'aucun préavis écrit n'a été adressé à la société Fayolle André, laquelle expose que compte tenu de la durée des relations commerciales, 14 ans, et du poids que représentait la société Imprimerie du Moulin à Vent dans son chiffre d'affaires global, environ 20 %, un préavis minimum de 18 mois aurait dû lui être octroyé par le tribunal ;

Considérant que la société Imprimerie du Moulin à Vent soutient qu'un préavis de 18 mois est excessif ;

Mais considérant que le délai du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture et qu'en cas d'insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire ;

Considérant que la société Fayolle André, qui reconnaît ne pas être dans une situation de dépendance économique, n'était qu'un des sous-traitants de la société Imprimerie du Moulin à Vent ; que si une relation commerciale suivie existait depuis 1993, le tableau certifié par l'expert-comptable de la société Fayolle André montre que le chiffre d'affaires réalisé par cette société avec la société Imprimerie du Moulin à Vent diminuait progressivement tous les ans, tant en montant qu'en pourcentage de chiffre d'affaires ; qu'ainsi le chiffre d'affaires pour la période 2002-2003 qui s'élevait à 134 023,14 euro est descendu progressivement pour atteindre la somme de 66 083,18 euro pour la période 2006-2007 ; que de même le pourcentage de chiffre d'affaires réalisé avec la société Imprimerie du Moulin à Vent est passé de 28 % pour la période 2002-2003 à 14,44 % pour la période 2006-2007 ;

Considérant que compte tenu de ces éléments le tribunal a justement fixé à six mois la durée du préavis suffisant ; que le jugement doit être confirmé de ce chef ;

Sur le préjudice de la société Fayolle André :

Considérant que la société Fayolle André expose que son préjudice est a minima constitué des gains manqués pendant la période de préavis qui n'a pas été respecté ; que la moyenne annuelle du chiffre d'affaires réalisées au cours des cinq dernières années avant la rupture s'élève à 94 039,26 euro, avec un taux de marge brute de 97 % ; que la société Fayolle André sollicite que son préjudice soit évalué à la somme de 135 825,60 euro (90 550,40 euros x 18 mois /12 mois) ;

Considérant que la société Imprimerie du Moulin à Vent répond que le calcul de la marge brute est excessif, car la société Fayolle André profitait des installations et du matériel de la société Arsa et n'avait pas des frais conformes à son activité ; qu'elle ne justifie pas avoir investi pour assurer les prestations qu'elle lui confiait ; que la société Fayolle André n'a subi aucun préjudice puisqu'elle a maintenu son chiffre d'affaires sur les années 2007-2008 et reconnaît que la perte de son chiffre d'affaires est due à la concurrence de son ancien salarié, M. Paccalin ;

Considérant que eu égard à la diminution progressive du chiffre d'affaires entre les parties il y a lieu de retenir les chiffres de la période 2005-2007, soit un chiffre d'affaires mensuel moyen de 6 100 euro ; que la cour ne retiendra pas un taux de marge brute de 97 %, qui n'est pas conforme à l'activité de la société, mais un taux de marge brute de 60 %, soit une marge brute mensuelle de 3 660 euro ; que le préjudice de la société Fayolle André doit être fixé à la somme de 21 960 euro ; que le jugement doit être infirmé de ce chef ;

Sur la demande reconventionnelle de la société Imprimerie du Moulin à Vent :

Considérant que la société Imprimerie du Moulin à Vent qui succombe est mal fondée à reprocher à la société Fayolle André avoir abusé de son droit d'ester en justice ; que la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive doit être rejetée ;

Par ces motifs, Ordonne la jonction des instances enregistrées sous les n° de RG 13-06346 et 13-07222, Confirme le jugement sauf en sa disposition ayant condamné la société Imprimerie du Moulin à Vent à verser à la société Fayolle André la somme de 7 000 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive des relations commerciales, Et statuant de nouveau dans cette limite, Condamne la société Imprimerie du Moulin à Vent à verser à la société Arsa la somme de 21 960 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations établies, avec intérêt au taux légal à compter du jugement, Condamne la société Imprimerie du Moulin à Vent à verser à la société Arsa la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel, Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne la société Imprimerie du Moulin à Vent aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés en application de l'article 699 du Code de procédure civile.