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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 9 octobre 2015, n° 13-06033

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

ZV France (SAS)

Défendeur :

Avent Media (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Touzery-Champion

Conseillers :

Mme Prigent, M. Richard

Avocats :

Mes Chardin, Dussausaye, Havet, Sayada

T. com. Paris, du 5 mars 2013

5 mars 2013

La société Avent Media est une agence digitale, spécialisée notamment dans l'élaboration d'opérations événementielles pour des annonceurs, pour les périodes de soldes et de fin d'année.

La société ZV France est une société de commerce de détail d'habillement exerçant son activité sous le nom commercial et la marque déposée Zadig et Voltaire, en magasin spécialisé et par l'intermédiaire de son site Internet www.zadig-et-voltaire.com.

Par bon de commande n° ZADI 40715 signé 21 juin 2011 par la société ZV France, la société Avent Media s'est vue confier par cette dernière une opération de communication sur Internet dans le cadre de l'opération " Soldes no limit ".

L'opération s'est déroulée en 2 étapes : des bannières publicitaires communes aux enseignes de ZV France et de l'un de ses concurrents, mises en ligne sur les sites Internet de Glamour (Glamour, Vogue et GQ), permettaient à l'internaute, en cliquant sur celles-ci, d'être redirigé sur une page intermédiaire hébergée sur un site Glamour contenant 2 autres bannières pour des opérations de soldes privées des deux enseignes.

Le bon de commande indiquait que la société Avent Media s'engageait sur 125 000 clics pour la période allant du 22 juin au 26 juillet 2011 en contrepartie du versement de la somme HT de 25 000 euro augmentée d'une TVA à 19,6 %. Les parties avaient convenu que le suivi du nombre de clics serait assuré par l'outil de calcul de la société Avent Media, ce dernier étant dénommé " Trade Doubler Integral ".

Par e-mail du 5 juillet 2011, la société Avent Media indiquait à la société ZV France que l'opération avait généré 158 522 clics au 4 juillet 2011et adressait à sa cliente, la facture correspondante n° FA 3044 pour un montant TTC de 29 900 euro.

Par e-mail du 29 juillet 2011, la société ZV France indiquait à la société Avent Media qu'il existait des incohérences entre les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus quant à cette campagne de soldes. Par courrier du 11 octobre 2011, la société ZV France a refusé de régler la facture en précisant qu'elle avait observé des écarts de performance majeurs entre les performances communiquées par la société Avent Media et ceux obtenus par les liens traqués qu'elle avait mis en place.

Par courrier recommandé du 25 octobre 2011 avec accusé de réception, la société Avent Media a demandé à nouveau le paiement de la facture de 29 900 euro TTC.

Par courrier recommandé du 28 décembre 2011 avec accusé de réception, la société Avent Media a réitéré sa demande de paiement par l'intermédiaire de son conseil.

Par acte du 6 avril 2012, la société Avent Media a assigné la société ZV France en paiement devant la formation des référés du président du Tribunal de commerce de Paris qui, par ordonnance du 20 juin 2012, a estimé qu'il n'y avait pas lieu à référé et a renvoyé les parties devant la formation collégiale du Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 5 mars 2013, le Tribunal de commerce de Paris a, sous bénéfice de l'exécution provisoire :

- rejeté l'exception d'inexécution soulevée par la société ZV France,

- débouté la société ZV France de toutes ses demandes,

- condamné la société ZV France à payer à la société Avent Media la somme de 29 900 euro TTC avec les intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2011,

- débouté la société Avent Media de sa demande au titre de la clause pénale,

- condamné la société ZV France à payer à la société Avent Media la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société ZV France a interjeté appel du jugement.

Par conclusions signifiées le 8 octobre 2013, la société ZV France demande :

- de constater que la société Avent Media n'a pas réalisé la prestation à laquelle elle s'était engagée et de déclarer recevable et bien fondée l'exception d'inexécution qu'elle invoque,

- d'infirmer en conséquence le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Avent Media la somme de 29 900 euro TTC avec les intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2011,

- d'infirmer le jugement pour le surplus et de débouter la société Avent Media de l'ensemble de ses demandes,

A titre reconventionnel :

- de condamner la société Avent Media à lui verser la somme de 30 000 euro en réparation du préjudice subi,

A titre subsidiaire :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la clause pénale lui était inopposable et rejeté la demande de la société Avent Media à ce titre,

En tout état de cause, de débouter la société Avent Media de sa demande en paiement de dommages et intérêts et de la condamner à lui verser 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par conclusions signifiées le 12 août 2013, la société Avent Media demande : le rejet de l'ensemble des demandes de la société ZV France et la confirmation du jugement en toutes ses dispositions à l'exception de celles relatives à la clause pénale,

La condamnation de la société ZV France à lui payer, sur les sommes dues, une pénalité de retard de 9 %, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date d'exigibilité du paiement,

La condamnation de la société ZV France à lui payer la somme de 18 000 euro au titre de

dommages-intérêts et la somme de 5 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

MOTIFS DE LA DECISION

Les parties s'opposent sur l'objet de l'obligation de la société Avent Media d'atteindre un nombre de clics au moins égal à 125 000 pour la période contractuellement fixée sur le bon de commande.

Ainsi, la société ZV France soutient que les clics devaient s'entendre d'un clic permettant à l'internaute d'être directement redirigé sur le site Internet de la société ZV France alors que la société

Avent Media réplique que ces derniers n'avaient pour objet de permettre qu'un accès indirect au site Internet de la société ZV France.

Si les modalités d'exécution des prestations de la société Avent Media ne sont pas définies dans le bon de commande, la lecture du compte-rendu remis par la société Avent Media à l'issue de la réunion du 5 septembre 2011 démontre le processus précis emprunté par l'internaute pour accéder au site Internet de la société ZV France selon les deux moyens suivants : un accès depuis une page Internet intitulée " soldes no limit " du site Internet de Glamour où une bannière publicitaire propre à la société ZV France permettait à l'internaute d'être redirigé sur différentes pages de ce site web en fonction de la zone de la bannière sur laquelle l'intéressé avait cliqué et matérialisant une catégorie de produit (chaussures, sacs, vestes...),

Un accès depuis 3 pages Internet situées sur " Glamour ", " Vogue " et " GQ " hébergés sur les sites Internet de Glamour, où une bannière publicitaire commune à ZV France et à une société concurrente permettait à l'internaute d'être redirigé sur la page Internet sus-évoquée où une bannière propre à chacune des sociétés permettait à l'intéressé d'être redirigé sur une série d'articles soldés en fonction de la marque choisie.

La société Avent Media précise que l'opération qu'elle proposait comprenait bien des bannières publicitaires qui redirigeaient vers la page promotionnelle mise en place par elle pour faire connaitre une sélection de produits en soldes des deux marques, et les clics sur cette page étaient ensuite redirigés vers les sites e-commerce des annonceurs.

Le décompte de clics sur lequel s'appuie la société Avent Media dans ce compte rendu vise les clics portant sur les pages permettant un accès à la page promotionnelle de la société ZV France divisé en autant de liens qu'il y avait de zones différentes à cliquer sur la bannière (lien B (Zone chaussures : 25 500) ; lien C (Zone sacs : 20 473)) ce qui a permis au dispositif mis en place, comme le corrobore la page 7 du compte-rendu du 5 septembre 2011, de draîner plus de 158 000 clics sur les liens Zadig et Voltaire alors que la commande portait sur 125 000 clics.

La société ZV France soutient que le fait pour la société Avent Media d'avoir installé un accès indirect au site Internet de ZV France par le biais de bannières communes à ZV France et à une société concurrente caractérise une violation de l'obligation contractuelle de loyauté à laquelle était soumise la société Avent Media. Cette dernière objecte à bon droit qu'elle était libre du choix des moyens permettant d'attirer les internautes sur les pages organisant un accès direct dès lors que le contrat ne précisait pas les modalités d'exécution.

La société ZV France conteste le nombre de clics dont se prévaut la société Avent Media. Pour ce faire, elle produit différentes attestations aux termes desquelles notamment l'un des intéressés déclare qu'il est impossible que ce nombre ait été atteint dans la mesure où son propre outil de suivi Google Analytics avait enregistré un nombre de visites sur le site ZV France en lien avec la campagne de publicités organisée par la société Avent media largement inférieur à ce qu'il aurait été si les 125 000 clics avaient effectivement été atteints, mettant ainsi en évidence un "taux de déperdition" des clics beaucoup trop important. A cet égard, la société ZV France allègue qu'une visite implique que le client ZV France consulte la page chargée pendant une durée minimale lui permettant de prendre connaissance de son contenu. Néanmoins, il résulte de la formule " nombre de clics : 125 000 " mentionnés sur le bon de commande que les parties ne s'étaient pas entendues sur la définition de clic comme garantissant une visite effective du site.

En outre, cette analyse de la société ZV France n'est pas de nature à démontrer que le nombre contractuel de clics n'a pas été atteint dès lors où d'une part, la société Avent Media s'appuie sur un décompte de clics effectué par son propre outil de suivi "TB Integral" qui avait été choisi d'un commun accord des parties comme cela ressort expressément du bon de commande et d'autre part, les attestations produites perdent de leur crédit en raison de l'existence d'un lien de subordination entre leurs auteurs et la société ZV France qui les rémunérait. La société Avent Media communique une attestation en date du 15 juin 2012 rédigée par un employé de la société Tradedoubler qui confirme l'exactitude des données de la campagne Zadig et Voltaire issues de leur technologie de suivi. Cette attestation émane d'une société tierce à la société Avent Media.

Il s'ensuit que le nombre de clics que la société Avent Media prouve avoir atteint correspond à son obligation contractuelle ; en conséquence, la demande en paiement de la facture émanant de la société Avent Media doit être accueillie ce qui conduit à rejeter la demande de dommages et intérêts de la société ZV France qui ne subit aucun préjudice du fait de l'attitude de la société Avent Media.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société ZV France à payer à la société Avent Media la somme de 29 900 euro TTC avec les intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2011, date de réception de la mise en demeure.

La société Avent Media sollicite l'application d'une pénalité de 9 % figurant sur la facture n° FA3044 à raison du retard pris par la société ZV France dans le paiement de cette dernière.

En l'espèce, la facture précise qu'elle est payable à réception le 5 juillet 2011 et qu'il est dû des pénalités de retard sur la base d'un taux annuel de 9 %.

Conformément aux dispositions de l'article L. 441-6 alinéa 5 du Code de commerce, dès lors que la facture mentionne de manière lisible les conditions d'application et le taux de pénalité de retard et que la société ZV France en a eu connaissance, il y a lieu de considérer que cette disposition est entrée dans le champ contractuel et que la société ZV France en est redevable sans qu'il y ait lieu de la soumettre à réduction.

En conséquence, conformément à la demande de la société Avent Media, le montant de la somme due sera augmenté d'une pénalité de 9 %.

Le présent litige résulte d'une interprétation divergente des modalités d'exécution de sa prestation par la société Avent Media ce qui a amené la société ZV France à contester le mode de calcul de son cocontractant ; celui-ci ne démontre pas le caractère insultant de l'attitude de l'appelante ni que celle-ci ait porté atteinte à son honorabilité et à son professionnalisme. La société Avent Media sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

L'équité commande d'allouer à la société Avent Media la somme de 3 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, Infirme le jugement déféré sur le montant des pénalités de retard, Le confirme pour le surplus. Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant, Condamne la société ZV France à payer à la société Avent Media une pénalité de 9 % sur la somme de 29 900 euro TTC, Condamne la société ZV France à payer à la société Avent Media la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs autres demandes, Condamne la société ZV France aux dépens de la procédure d'appel avec droit de recouvrement direct conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.