CA Colmar, 1re ch. civ. A, 14 octobre 2015, n° 14-01466
COLMAR
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Puma France (SAS)
Défendeur :
Mastar (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Panetta
Conseillers :
Mmes Roubertou, Alzeari
Avocats :
Mes Boucon, Pavolini, Heichelbech
FAITS, PROCEDURE PRETENTIONS DES PARTIES :
Un contrat d'agent commercial a été contracté le 19 décembre 2003, entre la société Mastar et la société Puma par lequel la société Mastar s'engageait à exploiter la gamme Puma dans un secteur géographique situé dans les Antilles.
L'objectif des parties était que l'agent commercial accroisse le chiffre d'affaires conformément aux règles d'objectifs quantitatifs et qualitatifs stipulés à l'article 5.2 al. 2 dudit contrat.
Soutenant que les résultats commerciaux de l'agent commercial Mastar se dégradaient constamment depuis 2003, et mécontent en 20015, des mauvais résultats commerciaux du mandataire et de son comportement inactif sur le plan de l'obligation contractuelle d'information, de suivi et de développement commercial, la société Puma a interrompu le paiement des commissions à l'égard du mandataire.
Puis la société Puma résiliait par courrier du 5 juin 2007, ledit contrat d'agent commercial pour faute grave du mandataire par application de l'article L. 134-11 du Code de commerce.
Par un acte introductif d'instance du 19 mars 2009, la société Mastar a saisi le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg, afin d'obtenir une indemnisation à la suite de la rupture du contrat d'agent commercial.
Par jugement du 24 janvier 2014, le TGI de Strasbourg a jugé que la faute grave du mandataire n'était pas caractérisée et a condamné la société Puma à payer à la société Mastar :
- 16 620 euro au titre de l'indemnité de préavis contractuel,
- 73 961,33 euro au titre de l'indemnité de clientèle,
- 5 000 euro au titre de l'article 700 CPC,
et rejeté les demandes de la société Mastar en paiement des rappels de commissions pour les achats passés par Decathlon et Go Sport auprès de Puma dans les Antilles.
La société Puma France SAS a interjeté appel dudit jugement par déclaration faite au greffe de la Cour d'appel de Colmar le 19 mars 2014.
La société Mastar s'est constituée intimée le 31 mars 2014.
Dans des dernières conclusions du 29 janvier 2015, la société Puma demande à la cour d'infirmer ledit jugement en jugeant notamment que les fautes graves du mandataire justifiaient la résiliation du contrat d'agent commercial sans préavis conformément à l'article L. 134-11 du Code de commerce, que la faute grave excluait la réparation prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce, et condamner la société Mastar à lui verser la somme de 320000 euro à titre de dommages et intérêts par application de l'article 1147 du Code civil.
Dans des dernières conclusions du 20 novembre 2014, la société Mastar a demandé à la cour de confirmer le jugement du 24 janvier 2014 rendu par le TGI de Strasbourg notamment sur la faute grave de la société Puma, la condamnation de cette société au paiement de l'indemnité de préavis et de l'indemnité de clientèle et d'infirmer ledit jugement quant aux demandes de rappels de commissions pour les ordres d'achats passés par Decathlon et Go Sport auprès de la société Puma en prétendue violation des stipulations de secteur exclusif en Guadeloupe.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 avril 2015.
L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 16 septembre 2015, à laquelle les parties ont développé leur argumentation.
Motifs de la décision :
La société Puma invoque au soutien de son appel :
- l'absence de lien de causalité entre les grèves des dockers de 2004 et des banques antillaises en 2005 avec les mauvais résultats commerciaux du mandataire,
- des manquements contractuels ont été commis,
- une absence de prospection de nouveaux clients potentiels,
- un abandon de clientèle,
- une défaillance dans l'argumentaire commercial et le rapport annuel,
- un non-respect des instructions données par le mandant,
- une inexécution de l'obligation de restitution du matériel et des fichiers informatiques.
La société Puma prétend que ces manquements, commis en violation des dispositions de l'article 1147 du Code civil sont établis notamment par des tableaux certifiés qu'elle produit aux débats, démontrant que les chiffres d'affaires des successeurs et prédécesseurs à la société Mastar étaient sensiblement supérieurs, ce qui démontre l'absence de diligence commerciale par la société Mastar.
La société Puma soutient que la société Mastar ne peut solliciter une quelconque indemnisation dès lors qu'une faute grave peut être retenue à son encontre et qu'elle a porté atteinte à l'intérêt commun des contractants, et ce, par application de l'article L. 134-12 du Code de commerce.
Pour s'opposer, à l'argumentation de la société Puma, la société Mastar invoque les dispositions de l'article L. 134-12 selon lesquelles en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
La société Mastar soutient que la société Puma ne procède que par allégation et n'établit pas la faute grave de la société Mastar, et qu'elle se constitue des preuves à elle-même comme les tableaux excel.
La société Mastar prétend que seuls des éléments extérieurs indépendants de la volonté du mandataire expliquent les mauvais résultats, à savoir :
- les grèves locales paralysant les approvisionnements et les prises de commandes,
- l'implantation de puissants concurrents nouveaux à partir de 2005,
- le développement d'un produit concurrentiel à fort succès dans les Antilles (Airness).
Elle fait valoir que seules la faute grave ou la force majeure sont susceptibles de priver l'agent commercial de son droit à indemnisation, que c'est au mandant d'apporter la preuve de la faute grave du mandataire et que cette preuve n'est pas apportée par la société Puma.
Comme l'a jugé la cour de cassation, la faute grave est celle qui empêche le maintien des relations contractuelles. La baisse du chiffre d'affaire n'est pas en elle-même constitutive d'une faute grave si elle ne résulte pas d'une carence du mandataire établie par le mandant.
La faute de l'agent provoquée par le comportement du mandant n'exclut pas son droit à indemnisation si le mandant ne met pas l'agent commercial en mesure d'exercer son mandat dans des conditions normales.
I) Sur la résiliation du contrat d'agent commercial :
La Cour de cassation a jugé que l'absence de prospection commerciale sérieuse constitue une faute grave de l'agent commercial.
En l'espèce, il est établi par les échanges de courriers électroniques (pièces 40 et 41 de l'appelant) que la société Puma a rappelé à l'ordre à plusieurs reprises le mandataire de son absence de prospection commerciale et qu'aucune réponse ne lui a été fournie.
L'article 5 alinéas 1 et 2 du contrat d'agent commercial prévoit que l'agent est tenu d'apporter tous les soins requis par la diligence professionnelle afin de promouvoir les ventes des produits faisant l'objet du contrat et pour entretenir des relations de confiance avec la clientèle de son secteur.
En l'espèce, la société Mastar n'a pas respecté son obligation contractuelle de développement commercial.
Par application de l'article L. 134-4 du Code de commerce cette inexécution constitue un manquement à l'intérêt commun du contrat et à la loyauté dans l'exécution du mandat en bon professionnel.
En outre, la société Mastar était tenue de communiquer à la société Puma son rapport d'activité et de l'informer de l'état du marché par application de l'article 6 alinéa 2 du contrat.
Cependant, aucune pièce n'établit que la société Mastar s'est conformée à cette obligation contractuelle.
La chute du chiffre d'affaires de la société Mastar n'a pas pu être causée directement par les circonstances étrangères à l'agent.
En effet, il résulte des tableaux de reporting d'activité certifiés sincères par la société Puma France SAS et produits en annexes 27 à 35, que le chiffre d'affaires réalisé par la société Mastar 2003 et 2007 était inférieure de 52 % à l'activité générée par l'ex-agent commercial de la société Puma sur le même secteur géographique.
Il résulte de la lecture de l'annexe 103, que le chiffre d'affaire s'est nettement amélioré et remonté au-dessus du million d'euros à compter de l'intervention du nouvel agent, postérieurement à la résiliation du contrat avec la société Mastar.
De nombreux impayés et retards de paiement ont été générés par le manque de suivi par la société Mastar des commandes et de la relance des clients.
La société Mastar est à l'origine d'un contentieux avec l'un des principaux clients de la société Puma sur le secteur contractuel.
Or, la société Mastar a attendu plusieurs mois avant d'en informer la société Puma, ce qui avait pour conséquence le blocage des marchandises en métropole pendant plusieurs mois.
La société Mastar a exercé des activités concurrentes en violation de l'exécution du mandat d'intérêt commun.
La Cour de cassation a confirmé que le fait pour un agent commercial de démarrer une activité concurrente au détriment de la bonne exécution de son mandat caractérise l'existence d'une faute grave privative de toute indemnité de rupture.
Il résulte de l'ensemble des éléments produits et débattus contradictoirement que la société Mastar s'est désintéressée de l'exécution de bonne foi du mandat qui lui avait été confié par la société Puma France SAS.
Par conséquent la résiliation du contrat par la société Puma France était justifiée par une faute grave et caractérisée de la société Mastar qui interdisait le maintien des relations contractuelles entre les parties.
II) Les effets juridiques de la résiliation du contrat d'agent commercial pour faute grave de l'agent commercial :
L'article L. 134-13 du Code de commerce dispose que la cessation du contrat provoquée par les fautes graves de l'agent commercial est privative de la réparation prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce.
Selon la cour de Cassation, l'agent commercial qui a manifesté un désintérêt manifeste et généralisé dans l'exécution du mandat s'étant traduit par une inertie totale dans le démarchage et la prospection, dans l'absence de réponse aux demandes de la société mandante ayant empêché celle-ci d'être informée de l'évolution du marché, et qui n'a fait preuve d'aucune coopération loyale avec sa mandante a manqué gravement à ses obligations contractuelles et rendu impossible le maintien de leurs relations.
La faute grave de la société Mastar ayant été établie, la société Mastar ne peut prétendre aux indemnités de clientèle et de préavis prévues par les dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce.
En conséquence, la société Mastar devra procéder à la restitution de l'avance à valoir sur l'indemnité de cessation, soit 60 131,25 euro, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision, qui ordonne cette restitution.
La société Puma peut solliciter l'application de l'article 9 alinéa 1 du contrat d'agent commercial, qui prévoit qu'à la cessation du contrat l'agent s'engage à restituer immédiatement et au plus tard dans les 15 jours à la société le matériel et les fichiers informatiques.
La société Mastar n'a pas exécuté son obligation de restitution du matériel et des fichiers informatiques fournis par le mandant en violation de la stipulation de l'article 9 alinéa 1 du contrat d'agent commercial.
Compte tenu de cette stipulation et de la commune intention des parties, cette obligation était portable et non quérable, le terme "restitution", très précis, n'étant pas sujet à interprétation.
Conformément à l'article 1134 alinéa 3 du Code civil, les conventions doivent être exécutées de bonne foi.
Les dispositions précitées du contrat s'analysent en une clause pénale dont le montant sera ramené à la somme de 10 000 euros, en raison de son caractère manifestement excessif.
La société Puma sollicite l'indemnisation de son préjudice en indiquant que la perte du chiffre d'affaires au cours des quatre années d'exécution du contrat représentait un montant supérieur à 2 400 000 euro proposant une indemnisation forfaitaire correspondant à 10 % au minimum, soit à la somme de 320 000 euro.
La société Puma sollicite une indemnisation forfaitaire.
Or, la cour ne peut indemniser que le préjudice réellement subi, dont le montant est étayé par les pièces versées et ne peut se satisfaire d'une indemnisation forfaitaire.
La société Puma sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts comme non fondée.
III) Sur l'appel incident concernant le rappel de commissions sur les clients réservés Puma :
L'article 3 § 2 du contrat stipule que "l'agent visitera l'ensemble de la clientèle potentielle et existante à l'exclusion des clients réservés. On entend par clients réservés à la Direction commerciale les confrères actuels et futurs de la société, avec lesquels des relations de partenariat et de réciprocité sont ou seront établies".
En l'espèce, City Sport, Décathlon et Go Sport répondaient à la définition d'un client réservé en ce qu'ils sont des grands comptes historiques passant leurs commandes directement à Puma France et étaient facturés par Puma France et livrés par les centrales d'achat de Puma France (Annexe 58, 59, 60 de l'appelante) et de surcroît, ces clients n'ont jamais été intégrés dans les calculs de commissions de la société Mastar (Annexe 68 à 78 de l'appelante).
Par application de l'article 1134 du Code civil, la société Mastar n'est pas fondée à réclamer le paiement de commissions pour des affaires qu'elle n'a pas réalisées et qui étaient exclues contractuellement de son secteur de prospection.
La société Mastar sera déboutée de son appel incident.
IV) Sur les autres demandes :
C'est par des motifs propres et pertinents que la cour approuve que le premier juge a débouté la société Puma de sa demande en paiement des factures d'échantillons pour un montant de 3 186,03 euro.
Succombant, la société Mastar doit supporter les entiers dépens.
L'équité commande l'application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société Puma.
L'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société Mastar.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement rendu le 24 Janvier 2014, en ce qu'il a débouté la société Mastar de ses demandes au titre des rappels de commissions sur les clients réservés Puma et en tant qu'il a dit et jugé que les clients Décathlon, GO Sport et City Sport sont des clients réservés à Puma, ne donnant pas lieu à commission ou commission indirecte au profit de la société Mastar, et en tant qu'il n'a pas retenu comme bien fondée la demande en paiement de la société Puma au titre des factures d'échantillons pour un montant de 3 186,03 euro, Infirme le jugement entrepris, pour le surplus, Statuant à nouveau, et y ajoutant, Vu les articles L. 134-4, L. 134-11, L. 134-12, L. 134-13 du Code de commerce, Vu les articles 1134 alinéa 3 et 1147 du Code civil, Vu le contrat d'agent commercial du 19/12/2003, Vu la lettre de résiliation du 05/06/2007, Dit que la faute grave établi à l'encontre de la société Mastar, agent commercial justifie la résiliation du contrat d'agent commercial sans préavis conformément aux dispositions de l'article L. 134-11 du Code de commerce, Dit que les fautes graves commises par la société Mastar sont privatives de la réparation prévue par l'article 134-12 du Code de commerce, Par conséquent, Déboute la société Mastar de ses demandes en indemnisation des conséquences de la rupture de son contrat d'agent commercial, Condamne la société Mastar à payer à la société Puma France SAS la somme de 60.131,25 euro outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision, Condamne la société Mastar à payer à la société Puma France SAS la somme de 10 000 euro outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision, en application des dispositions de l'article 9 alinéa 1 du contrat d'agent commercial, Déboute la SA Puma de sa demande en dommages et intérêts, Condamne la société Mastar aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel, Condamne la société Mastar à payer à la société Puma France SAS une indemnité de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à appliquer l'article 700 du Code de procédure civile, au profit de la société Mastar.