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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 29 octobre 2015, n° 14-04429

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

AEC Informatique (SARL)

Défendeur :

Autodesk France (SAS), Projet Commun (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Charlon

Conseillers :

Mmes Louys, de Gromard

Avocats :

Me Pelit-Jumel, Denis Peraldi, Bernabe, Mariez, Fayat, Erb

T. com. Paris, prés., du 14 févr. 2014

14 février 2014

La SAS Autodesk est une société spécialisée dans l'édition de logiciels de conception, animation et visualisation pour des applications professionnelles dans les secteurs de l'architecture (AEC), du génie civil et de la construction, de l'industrie (MFG) et de l'image de synthèse (M&E).

L'activité de la société AEC Informatique porte essentiellement sur la revente de logiciels de la gamme Autodesk ainsi que sur des prestations de service de formation sur les logiciels informatiques dans les régions des Alpes Maritimes et des Bouches du Rhône.

La société AEC Informatique revend les produits Autodesk depuis plus de 20 ans.

A partir du 1er février 2013, la société Autodesk a proposé un nouveau contrat à ses revendeurs le 23 décembre 2012 qui devait être renvoyé signé le 24 janvier 2013 au plus tard, le contrat en cours expirant le 31 janvier 2013.

A la suite de l'absence de signature du contrat FY2014 par la société AEC, la société Autodesk a suspendu les commandes d'AEC à compter du 23 février 2013 et a retiré cette dernière de son outil de localisation, la société AEC ne pouvant plus se prévaloir de la qualité de revendeur de produits Autodesk. Il a été mis fin à la situation de blocage dès réception par la société Autodesk du contrat signé par la société AEC le 28 février 2013.

La société Projet Commun a été créée à Nice par trois anciens collaborateurs de la société AEC au cours du mois d'août 2012. Elle a pour activité principale la fourniture de prestations de formation d'utilisation des logiciels informatiques et de distribution de matériel informatique.

En décembre 2012, les sociétés Autodesk et Projet Commun ont conclu un contrat VAR de la gamme Silver et cette dernière a obtenu l'agrément lui permettant de commercialiser les logiciels de la gamme Silver dès le mois de novembre 2012.

Critiquant un système de référencement géographique discriminatoire mis en œuvre par la société Autodesk et dénonçant l'installation d'une société concurrente, la société Projet Commun qui aurait accédé au réseau au niveau Silver, le même que le sien par dérogation aux règles contractuelles du réseau de distribution sélective, la société AEC informatique a, par acte du 17 octobre 2013, assigné la société Autodesk et la société Projet Commun devant le président du Tribunal de commerce de Paris aux fins de voir notamment - condamner la société Autodesk, sous astreinte de 10 000 euro par jour, à lui restituer dans la présentation de son site, sous la rubrique de recherche des revendeurs des produits Autodesk, sa zone de chalandise contractuelle (soit la France entière), ainsi que 50 000 euro à valoir sur la réparation du préjudice commercial subi - et désigner un expert judiciaire sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile avec pour mission de se faire remettre par la société Projet Commun les documents énumérés dans ses écritures et déterminer si ladite société réunissait les conditions requises à l'obtention de l'agrément.

Par ordonnance en date du 14 février 2014, le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris a :

- dit n'y avoir lieu à référé,

- condamné la SARL AEC Informatique à payer à la SAS Autodesk France la somme de 3 000 euro et à la SAS Projet Commun la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus,

- condamné la SARL AEC Informatique aux entiers dépens,

La SARL AEC Informatique a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions signifiées en date du 14 août 2015, auxquelles il convient de se reporter, elle demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 13 décembre 2013 par Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Paris,

Statuant à nouveau sur les demandes,

Vu l'article 809 du Code de procédure civile,

Vu les dispositions de l'article 1134 du Code civil,

Vu les pièces présentées,

- condamner la société Autodesk sous astreinte de 1 000 euro par jour, à compter de la première demande, à supprimer dans la présentation de son site, sous la rubrique de recherche des revendeurs des produits Autodesk, un référencement par ville,

- condamner à titre de provision la société Autodesk à lui payer la somme de 50 000 euro à valoir sur la réparation du préjudice commercial subi du fait des dysfonctionnements constatés et démontrés, qui ont eu pour effet de la faire disparaître des recherches des internautes durant près de 24 mois,

Sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, par arrêt avant dire droit, désigner un expert avec pour mission :

- se faire remettre par les parties l'ensemble des documents contractuels fixant, depuis 2012, les modalités de classification des revendeurs agréés (VAR), et tout particulièrement la classification de niveau Silver,

- fournir tous éléments objectifs à l'attention de la cour ou du juge du fond qui sera ultérieurement saisi, permettant de déterminer dans quelle mesure la société Projet Commun a réuni les conditions requises pour l'agrément silver, à la date du constat du 26 septembre 2012, dans le strict respect du cahier des charges imposé par la société Autodesk à l'ensemble de ses revendeurs agréés,

- déterminer, toujours par la stricte application du contrat, si les conditions d'accès au statut Silver ont été atteintes par la société Projet Commun, et, dans l'affirmative, à compter de quelle date contractuelle,

- déterminer au vu des documents comptables et commerciaux le montant des ventes réalisé par la société Projet Commun sur les produits et services dont la commercialisation est réservée aux niveaux Silver et supérieurs, à compter de son début d'activité, et jusqu'à l'obtention régulière du niveau Silver, conformément aux critères contractuels,

- débouter les sociétés Autodesk et Projet Commun de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner in solidum les sociétés Autodesk et Projet Commun au paiement d'une indemnité de 20 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens de l'instance.

Par conclusions signifiées en date du 8 septembre 2015, auxquelles il convient de se reporter, la société Autodesk France demande à la cour de :

- dire et juger que les quatre procès-verbaux de constat versés au débat par la société AEC Informatique ont été établis de façon irrégulière,

- dire et juger qu'aucun trouble manifestement illicite ou dommage imminent ne saurait être qualifié

En toute hypothèse,

- dire et juger qu'elle n'a commis aucune violation de ses obligations contractuelles,

En conséquence :

- confirmer l'ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions,

- écarter des débats les quatre procès-verbaux de constat produits par la société AEC,

- débouter la société AEC Informatique de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société AEC Informatique à l'amende civile de 3 000 euro prévues par l'article 559 du Code de procédure civile,

- condamner la société AEC Informatique à lui verser la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts pour appel abusif,

- condamner la société AEC Informatique à lui payer la somme de 30 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société AEC Informatique aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions signifiées en date du 12 février 2015, auxquelles il convient de se reporter, la société Projet Commun demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Paris statuant en référé en date du 14 février 2014 en l'ensemble de ses dispositions,

Par conséquent,

- débouter la société AEC Informatique de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société AEC Informatique à lui payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 9 septembre 2015.

Sur ce, LA COUR,

Considérant que la société AEC Informatique fait grief à la société Autodesk d'avoir modifié unilatéralement et sans support contractuel sa visibilité sur le site Autodesk en tant que revendeur agréé de telle sorte qu'elle disparaît de sa zone de chalandise ; que l'établissement de Nice n'est pas référencé dans un rayon de 10 km de Nice alors qu'elle se situe dans ce périmètre ; qu'il en est de même de son siège social d'Aix-en-Provence qui n'est référencé que dans un rayon de 25 km ; qu'elle n'est toujours pas référencée sur la Principauté de Monaco ; que l'intention de nuire de la société Autodesk est évidente ; que seule apparaît la société SAS Projet Commun, avec d'emblée un agrément Silver, clairement usurpé, qui lui confère la possibilité de commercialiser les mêmes produits ; que cette admission résulte d'un avantage discriminatoire ; que son préjudice commercial est incontestable et justifie une indemnisation provisionnelle de 50 000 euro ;

Considérant que la société Autodesk réplique qu'il n'existe ni trouble manifestement illicite ni dommage imminent ; qu'il suffit de consulter le site Autodesk pour constater que la société AEC bénéficie d'un affichage équivalent à celui des autres revendeurs actifs dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ; que toute personne qui consulte aujourd'hui le site Autodesk afin de localiser les revendeurs présents dans les zones géographiques de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, Nice, Cannes, Aix-en-Provence et Marseille voit s'afficher une liste de revendeurs informatiques parmi lesquels la société AEC apparaît systématiquement ; que les demandes d'AEC sont donc sans objet ; qu'enfin, elle observe qu'elle n'a aucune maîtrise ni contrôle sur le service Google Maps, toute erreur éventuellement constatée par le passé quant à ses différents calculs et données cartographiques ne saurait lui être imputée ;

Considérant que l'article 873 alinéa 1 du Code de procédure civile dispose : " Le président peut dans les mêmes limites et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite " ;

Considérant qu'en cause d'appel, la société appelante a modifié ses demandes : qu'elle sollicite devant la cour la condamnation de la société Autodesk, sous astreinte de 1 000 euro par jour à compter de la première demande, à supprimer dans la présentation de son site, sous la rubrique de recherche des revendeurs de produits Autodesk, un référencement par ville ;

Considérant que la société AEC Informatique s'appuie sur quatre procès-verbaux d'huissier dressés à sa demande les 5 avril, 20 avril, 11 septembre 2013 et 14 janvier 2014 pour soutenir que le référencement géographique défaillant mis en place par la société Autodesk est constitutif d'un manquement contractuel qui lui est dommageable et s'analyse en un trouble manifestement illicite ;

Mais considérant d'une part, qu'il importe d'observer que les procès-verbaux d'huissier susvisés ne respectent pas les formes fixées en matière de constat effectué sur internet en ce sens notamment qu'il n'est pas procédé à la description du matériel, ni mentionné l'adresse IP de la machine depuis laquelle est effectué le constat, ni même la date et l'heure affichées sur l'ordinateur de sorte qu'ils ont dépourvus de toute force probante et seront écartés des débats ;

Que d'autre part, il n'est pas démontré en quoi le fait de proposer la ville d'implantation du revendeur comme critère optionnel de recherche dans l'outil de localisation porterait atteinte aux droits de la société AEC Informatique comme elle le prétend dès lors qu'il n'existe aucune différence de traitement entre les revendeurs et que la preuve d'une inexécution par la société Autodesk de ses obligations contractuelles n'est pas rapportée ; que la société AEC Informatique bénéficie manifestement d'un affichage équivalent à celui des autres revendeurs actifs dans les zones géographiques de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ou des villes de Nice, Aix-en-Provence, Marseille et Cannes ; que la société AEC Informatique n'est pas plus fondée à alléguer l'existence d'un dysfonctionnement de l'outil de localisation mis en place par la société Autodesk alors qu'au surplus, les erreurs de référencement géographique que dénonce l'appelante, à les supposer établis, ne peuvent être imputés à la société Autodesk mais à Google Maps qui assure, en dépit des dénégations de la société AEC Informatique, la géolocalisation des revendeurs, l'affichage de la localisation et le calcul de la distance qui sépare un revendeur du centre d'une ville déterminée, dernier élément particulièrement critiqué par la société AEC Informatique ;

Considérant qu'il suit de ce qui précède, qu'il n'existe, en l'espèce, aucun trouble manifestement illicite de sorte que c'est à bon droit que le premier juge a dit n'y avoir lieu à référé ;

Considérant que la société AEC Informatique sollicite également l'instauration d'une mesure d'expertise au visa de l'article 145 du Code de procédure civile en dénonçant un traitement discriminatoire au profit de la société Projet Commun, créée par d'anciens salariés démissionnaires, qui a accédé au réseau Silver par dérogation aux règles contractuelles du réseau de distribution sélective ce qui lui a permis de commercialiser, dès son ouverture, des produits de la gamme Silver lui occasionnant un préjudice à la mesure du chiffre d'affaire réalisé par cette dernière, ce au moyen d'un agrément usurpé en collusion avec la société Autodesk ;

Considérant que la société Autodesk réplique que la société Projet Commun respecte les critères de classification du statut Silver qui lui a été attribué sur la base d'un chiffre d'affaire prévisionnel, règle appliquée à l'ensemble des revendeurs ; que la société Projet Commun compte parmi ses membres exerçant les fonctions de direction des personnes ayant suivi les formations qu'elle dispense dans le cadre de la certification et qui ont passé avec succès les évaluations correspondantes ;

Considérant que la société Projet Commun conclut qu'elle a communiqué le guide du programme autodesk Partner Advantage (EMEA) sur les conditions pour obtenir l'agrément ; qu'elle n'a obtenu celui-ci qu'en novembre 2012 et non le 26 septembre 2012 ; que les conditions d'obtention de l'agrément ont été respectées et qu'en l'absence de motif légitime à l'expertise sollicitée, la demande ne peut qu'être rejetée ;

Considérant que force est de constater que les documents dont la remise est sollicitée dans le cadre de l'expertise, tout particulièrement la classification Silver a d'ores et déjà été produite ; que la question de savoir si les conditions requises pour l'agrément Silver étaient réunies à la date du constat du 26 septembre 2012 alors que l'agrément n'a été attribué à la société Projet Commun par la société Autodesk que le 20 novembre 2012 selon les documents versés aux débats, n'est pas pertinente ; que la recherche sur les conditions d'accès de la société Projet Commun au statut Silver et à la date à laquelle elles ont été atteintes, est inutile dans la mesure où la société Autodesk déclare expressément que l'attribution du statut Silver se fait sur la base d'un chiffre d'affaires prévisionnel, règle appliquée à l'ensemble des revendeurs ; qu'enfin, la contestation portant sur les conditions de certification du personnel de la société Projet Commun qui selon la société AEC Informatique ne seraient pas remplies, n'est pas de nature à justifier le recours à un technicien ;

Considérant qu'il s'ensuit que la société AEC Informatique ne dispose pas d'un motif légitime à l'instauration d'une mesure d'expertise au sens de l'article 145 du Code de procédure civile ; que la demande de la société AEC Informatique doit être rejetée ;

Considérant que la société Autodesk dénonce un abus de la société AEC Informatique dans l'exercice de son droit d'agir qui doit être sanctionné par le paiement d'une amende civile de 3 000 euro et l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de 5 000 euro au visa de l'article 559 du Code de procédure civile ;

Mais considérant que la preuve n'est pas rapportée d'une légèreté blâmable ou d'une faute de la société AEC Informatique faisant dégénérer en abus son droit à exercer une voie de recours ; que la demande de la société Autodesk sera rejetée ;

Par ces motifs, Confirme l'ordonnance entreprise, Y ajoutant, Ecarte des débats les procès-verbaux de constats d'huissier produits par la société AECInformatique, Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande visant à supprimer dans la présentation de son site, sous la rubrique de recherche des revendeurs des produits Autodesk, le référencement par ville, Rejette la demande d'expertise présentée par la société AEC Informatique, Déboute la société Autodesk de sa demande d'amende civile et de dommages et intérêts fondée sur l'article 559 du Code de procédure civile, Condamne la société AEC Informatique à payer à la société Autodesk la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure et celle de 2 500 euro à la société Projet Commun aux mêmes fins, Condamne la société AEC Informatique aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du même Code.