CA Pau, 1re ch., 18 octobre 2006, n° 03-03546
PAU
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Adler radiateurs (SAS)
Défendeur :
Dahan, Cetelem (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Parant
Conseillers :
Mme Rachou, M. Diximier
Avoués :
Me Vergèze, SCP de Ginestet Duale Ligney, SCP Marbot Crepin
Avocats :
SCP Alexandre Levy Kahn, Mes Soulem, Bordenave
FAITS ET PROCEDURE
Il convient de brièvement rappeler qu'après avoir été démarché à son domicile, Monsieur Maurice Dahan, alors âgé de 77 ans, a passé commande auprès de la SAS Adler radiateurs de huit radiateurs pour un prix de 73 000 F, soit 11 128,78 euro, dont le financement devait être assuré en totalité par un prêt souscrit le même jour auprès de la SA Cetelem.
Monsieur Maurice Dahan a usé de son droit de rétractation par lettre du 10 octobre 2001.
Refusant de la prendre en considération en raison de son caractère tardif, par acte d'huissier délivré le 31 mai 2002, la SAS Adler radiateurs a fait assigner Monsieur Maurice Dahan devant le Tribunal de grande instance de Dax aux fins d'obtention du paiement des sommes qui lui sont dues.
Par jugement en date du 3 septembre 2003, le Tribunal de grande instance de Dax a débouté la SAS Adler radiateurs de ses demandes au motif principal qu'elle n'était pas fondée à soutenir que Monsieur Dahan, en ne lui fournissant pas un justificatif de domicile, avait empêché l'accomplissement de la condition d'obtention du prêt, et donc à invoquer à son profit l'application des dispositions de l'article 1178 du Code civil.
Par déclaration en date du 21 novembre 2003, la SAS Adler radiateurs a relevé appel de ce jugement.
Par arrêt en date du 31 janvier 2005, auquel il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, la cour d'appel de ce siège a invité Monsieur Maurice Dahan à appeler en cause la SA Cetelem.
Monsieur Dahan a satisfait à cette injonction en assignant l'organisme de crédit par acte d'huissier du 11 avril 2005.
Une ordonnance de jonction des deux instances a été rendue le 7 juin 2005.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 4 avril 2006, la SAS Adler radiateurs expose :
- que la vente s'est déroulée dans des conditions parfaitement régulières pour Monsieur Dahan, qui n'établit pas que son consentement aurait été non éclairé ou vicié,
- qu'il appartient à l'intimé de dénier son écriture sur le bon de commande, ce qu'il n'établit nullement,
- l'absence de rétractation de la commande dans le délai légal de sept jours, et dans les formes prescrites par l'article L. 121-25 du Code de la consommation (LRAR),
- qu'il appartient également à l'intimé de dénier sa signature sur l'offre de crédit, ce dont il ne justifie pas, alors que la comparaison des signatures apposées sur le bon de commande et sur l'offre de crédit paraissent être les mêmes,
- que l'intimé ne saurait invoquer sa propre turpitude pour n'avoir pas adressé à l'appelante les pièces justificatives nécessaires à l'établissement de son dossier de crédit, et notamment un justificatif de domicile que le vendeur se devait de solliciter en raison de la convention d'agrément conclue entre Cetelem et l'appelante.
En conséquence, cette dernière demande à la cour de :
- déclarer son appel recevable et bien fondé,
- infirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Dax du 3 septembre 2003,
- condamner Monsieur Maurice Dahan à lui payer un montant de 11 128,78 euro, avec intérêts au taux légal à une fois et demi le taux légal à compter du 15 novembre 2000.
- condamner Monsieur Maurice Dahan aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction en ce qui concerne les dépens d'appel au profit de la SCP de Ginestet-Duale-Ligney, avoués, en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile,
- le condamner au paiement d'une somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, pour les deux instances,
- débouter Monsieur Dahan de ses fins et conclusions.
Dans ses dernières écritures déposées au greffe le 21 février 2006, Monsieur Maurice Dahan répond :
- que l'appelante ne peut valablement invoquer l'article 1178 du Code civil, dès lors que le concluant a été victime d'un véritable délit d'abus de faiblesse, tel que prévu et réprimé par les articles L. 122-8 et suivants du Code de la consommation,
- être une personne âgée, invalide, de santé précaire, bénéficiaire d'une carte d'invalidité au taux de 80 %, et de l'allocation personnalisée d'autonomie,
- avoir été abusé dans son consentement en raison des circonstances particulières dans lesquelles il a été engagé par l'agent commercial de la société Adler radiateurs à signer le bon de commande, qu'il n'a pas daté, et l'offre préalable de prêt,
- que le bon de commande ne satisfait pas aux exigences de l'article L. 114-1 du Code de la consommation qui impose la date limite de livraison,
- que le contrat de vente a été résolu de plein droit, sans indemnité, dès lors que le vendeur n'a pas reçu dans le délai de sept jours l'avis d'attribution du crédit de la part de Cetelem, en application des dispositions de l'article L. 311-25 du Code de la consommation,
- que non seulement l'offre de crédit de la SA Cetelem constitue en elle-même un endettement important au regard de ses revenus, mais encore et surtout qu'il n'a jamais signé cette offre, la signature qui y figure n'étant pas la sienne, de sorte que l'on est bien en présence d'une vente forcée, et d'un abus de faiblesse.
Il demande en conséquence à la cour de :
- confirmer purement et simplement le jugement rendu le 3 septembre 2003 par le Tribunal de grande instance de Dax,
- débouter en conséquence la société Adler radiateurs de son appel, et par là même de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- la condamner à lui verser une somme de 1 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée,
- la condamner à lui verser la somme de 1 000 euro hors taxe sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens, et autoriser Maître Vergez, avoué, à recouvrir les siens conformément aux règles régissant l'aide juridictionnelle.
Dans ses écritures déposées le 13 décembre 2005, la SA Cetelem demande à la cour sa mise hors de cause, et de condamner la partie succombante au paiement d'une indemnité de 900 euro, au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux dépens qui seront recouvrés par la SCP Marbot-Crepin, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, aux motifs qu'elle n'a pas participé au financement de l'opération litigieuse, qu'il n'y a eu aucun virement de fonds, et qu'elle n'entend pas participer au débat sur le fond qui oppose Monsieur Dahan à la SAS Adler radiateurs.
Une ordonnance de clôture a été rendue le 7 juin 2006.
DECISION DE LA COUR
Attendu que l'appelante doit, conformément aux règles relatives aux principes qui régissent la preuve, et aux dispositions de l'article 1315, alinéa 1er, du Code civil, établir :
1°) les faits ou les actes juridiques d'où procède l'obligation dont le paiement est réclamé
Que la créance dont la SAS Adler radiateurs fait état découle du contrat de vente conclu entre cette dernière et Monsieur Maurice Dahan ;
Qu'il est constant que la commande a été passée le 27 septembre 2001, et que Monsieur Dahan ne l'a pas rétractée dans le délai légal de sept jours prévu par l'article L. 121-25 du Code de la consommation, pour n'avoir adressé à la société Adler radiateurs qu'un courrier en date du 10 octobre 2001, reçu le 15 suivant, alors que le délai protecteur de rétractation expirait le 4 octobre à 24 heures (28/09 0 heure 4/10 minuit) ;
Qu'en aucun moment, Monsieur Dahan n'a fait connaître antérieurement et sous une autre forme, sa volonté d'annuler le contrat ;
Que cette volonté doit s'exprimer de manière expresse par l'envoi d'une LRAR, à laquelle ne saurait en quoi que ce soit se substituer un prétendu appel téléphonique sur le téléphone portable du vendeur aux fins de " surseoir " à cette vente.
Qu'il ne s'agit que d'arguments de pure fantaisie sans la moindre portée juridique, au même titre qu'une étude thermique ferait état du nom de l'épouse de l'intimée, alors que le dossier établit que Monsieur Dahan a simplement souhaité renoncer à son acquisition, au motif qu'une instance était pendante devant la juridiction administrative concernant une bretelle de l'autoroute A64 située à proximité de sa maison d'habitation.
2°) le caractère certain et liquide de l'obligation à une concurrence d'un montant de 11 128,78 euro
Qu'il ne saurait être sérieusement contesté que Monsieur Dahan a bien commandé huit radiateurs électriques auprès de la société Adler radiateurs, pour le prix de 73 960 F, arrondi à 73 000 F ou 11 128,78 euro, comme il est d'usage dans ce secteur d'activité ;
Attendu que l'exigibilité de la créance pour ce montant de 11 128,78 euro requiert :
d'une part, qu'il n'y ait pas eu de la part de Monsieur Dahan un paiement partiel, si ce n'est total, de la dette, puisque l'extinction du rapport d'obligation procède d'abord du paiement, en application des dispositions des articles 1235 et suivants du Code civil ;
Qu'en effet, le paiement est le mode d'extinction normal et désiré de l'obligation, alors que tous les autres modes d'extinction ont un caractère accidentel et imprévu ;
Attendu en la cause que l'intimé ne justifie d'aucun paiement total ou partiel de l'obligation ;
d'autre part, l'inexistence de faits ou d'événements extrinsèques au rapport d'obligation, qui soient une cause extinctive de la créance
Attendu, premièrement, que l'intimé soutient que son consentement a été vicié, au sens de l'article 1109 du Code civil ;
Que conformément au 2ème alinéa de l'article 1315 du même code, il lui appartient de prouver que le contrat de vente et que le contrat destiné au financement de celui-ci et soumis aux dispositions des articles L. 311-20 et suivants du Code de la consommation relatifs aux crédits affectés, souscrits le 27 septembre 2001, sont exempts d'une volonté qui ait été de sa part libre et éclairée ;
Que si la cour ne dénie pas le fait patent que le démarchage à domicile implique souvent des méthodes de vente que l'on peut qualifier " d'agressives ", et d'expéditives, pour autant rien ne l'autorise à dire et penser que Monsieur Dahan aurait été victime d'une vente forcée ;
Attendu que l'article 1116 du Code civil exige la preuve d'éléments susceptibles de caractériser une ruse, une tromperie, ou des manœuvres employées pour induire une personne en erreur et la déterminer à contracter ;
Qu'en l'espèce, Monsieur Dahan ne prouve pas que l'agent commercial auquel il a eu à faire, Monsieur Fabre, se soit rendu coupable intentionnellement à son endroit d'une machination ou d'une mise en scène matérialisant une véritable tromperie, et qui ait été la cause déterminante de la signature du contrat de vente et de l'offre de crédit accessoire à cette vente ;
Attendu, deuxièmement, que Monsieur Dahan soutient que le bon de commande serait irrégulier au motif qu'il n'y aurait pas lui-même porté la date, et plus encore, qu'il n'a pas signé l'offre de crédit ;
Que la cour constatera que :
- rien ne permet de penser que la date de livraison, 13 octobre 2001, des radiateurs, n'émane pas de Monsieur Dahan lui-même,
- ce dernier n'a pas engagé de procédure pour faux en écriture privée,
- la simple comparaison de la signature apposée sur le bon de commande, non déniée, et celle qui apparaît sur l'offre de crédit, paraît confirmer sans nul doute possible qu'il s'agit exactement des mêmes signatures ;
Attendu, troisièmement, que Monsieur Dahan prétend avoir été victime d'un abus de faiblesse tel que prévu et réprimé par les articles L. 122-8 et suivants du Code de la consommation ;
Que cet abus de faiblesse ne saurait en rien s'induire de l'âge de l'intimé au moment du démarchage (77 ans, ce qui n'est pas un grand âge de nos jours), ni de ce qu'il souffrirait d'une santé précaire, qu'il serait invalide à 80 %, et bénéficiaire de l'allocation personnalisée d'autonomie ;
Attendu que la cour relèvera que Monsieur Dahan, qui tape à la machine son courrier et dispose d'une adresse électronique, demeure en l'état de contracter aucune preuve notoire n'étant apportée d'une réelle diminution, et encore moins, d'une altération de ses facultés intellectuelles, et n'apporte pas la démonstration de circonstances particulières critiquables qui auraient entouré la vente ;
Attendu, enfin, que c'est parfaitement à bon droit que la société Adler radiateurs a sollicité auprès de l'intimé un justificatif de domicile en raison de la convention d'agrément conclue entre cette société et l'établissement de crédit, ce qui n'avait pas été porté à la connaissance du Premier Juge, d'autant que le simple fait, contrairement à ce qui a été jugé en première instance, d'informer d'un domicile ne vaut pas justificatif de domicile ;
Attendu que s'il est exact, comme le soutient l'intimé, que le fait que la société Cetelem n'ait pas informé la société Adler radiateurs de l'attribution du crédit dans les sept jours, entraîne la résolution de plein droit, sans indemnité, du contrat de vente, conformément aux dispositions des articles L. 311-5 à L. 311-7 et L. 301-25-1° du Code de la consommation, Monsieur Dahan ne saurait à bon droit opposer au vendeur la résolution de la convention, dès lors qu'il ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, pour avoir lui-même empêché l'examen de la demande de crédit en s'abstenant, et ce peu importe que ce soit volontairement, ou par simple négligence, d'envoyer au vendeur un justificatif de domicile qui lui avait été demandé à de multiples reprises les 15 novembre 2001, puis les 18 janvier, 8 février 2002 et par courrier e-mail de la société Adler radiateurs du 12 février 2002.
Que par son omission ou son abstention fautive, Monsieur Dahan a empêché l'examen de son dossier de crédit, et ce faisant, la réalisation de la condition suspensive de financement prévue par le bon de commande ;
Qu'il s'ensuit qu'ayant par son propre fait, empêché l'accomplissement de la condition, Monsieur Dahan a commis une faute, et conformément aux dispositions de l'article 1178 du Code civil, il y a lieu de considérer que la condition s'est accomplie à son endroit ;
Attendu qu'il convient en conséquence de réformer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Dax le 3 septembre 2003, et de condamner Monsieur Maurice Dahan à payer à la société Adler radiateurs une somme principale de 11 128,78 euro, outre les intérêts au taux légal à compter du prononcé par la présente décision, jusqu'à parfait règlement ;
Attendu, sur l'appel en intervention forcée de la SA Cetelem, que la cour, après avoir constaté que la condition suspensive de financement du contrat de vente était accomplie à l'égard de Monsieur Dahan, sur le fondement de l'article 1178 du Code civil, jugera en conséquence que l'offre de prêt d'un montant de 11 128,78 euro doit sortir son plein et entier effet vis-à-vis de Monsieur Maurice Dahan, avec toutes les conséquences de droit y afférentes ;
Attendu enfin :
Qu'il ne sera pas inéquitable de laisser à la charge de la SAS Adler radiateurs, et de la SA Cetelem, les frais irrépétibles non compris dans les dépens, qu'elles ont exposés pour faire valoir leurs droits, et assurer la défense de leurs intérêts ;
* Que l'intimé sera condamné aux dépens de la première instance et d'appel, qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle ;
Par ces motifs : LA COUR, Après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Infirme le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Dax le 3 septembre 2003 ; Et statuant à nouveau, Condamne Monsieur Maurice Dahan à payer à la SAS Adler radiateurs une somme principale de onze mille cent vingt-huit euros et soixante-dix-huit centimes (11 128,78 euro) outre les intérêts au taux légal à compter du prononcé de cette décision, et jusqu'à parfait achèvement ; Dit et juge que l'offre de crédit de la SA Cetelem accessoire à une vente ou à une prestation de services en date du 27 septembre 2001 doit sortir son plein et entier effet à l'égard de Monsieur Maurice Dahan ; Déboute la SAS Adler radiateurs et la SA Cetelem de leurs demandes d'indemnités fondées sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne Monsieur Maurice Dahan aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés par la SCP de Ginestet Duale Ligney et la SCP Marbot Crepin, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.