Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 2 ch. 2, 17 octobre 2014, n° 12-01555

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Boccara (Epoux)

Défendeur :

Abto (Sté), Colema (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vidal

Conseillers :

Mmes Richard, Chesnot

Avocats :

Mes Cheviller, Najberg Brami, Bettan, Kalayan Drillaud, Di Vetta

TGI Paris, du 28 juin 2011

28 juin 2011

Faits, procédure et prétentions des parties:

En mars 2007 M. et Mme Boccara ont fait appel à un architecte d'intérieur M. Decreton pour rénover leur appartement et celui-ci a passé commande par l'intermédiaire de la société ACH Décoration auprès de la société ABTO exerçant sous l'enseigne " Emois et Bois " d'un parquet " Sostra Wenge huilé " choisi par les époux Boccara dans le magasin d'exposition de la société ABTO pour un montant de 22 500 euro et posé et facturé par ACH Décoration.

Le parquet a été fabriqué par une société de droit italien la société Colemo.

Le parquet ne correspondant pas à la teinte souhaitée, une mesure d'expertise a été confiée à M. Barrant qui a déposé son rapport le 26 janvier 2009 et préconisé non pas le remplacement du parquet mais sa teinte sur toute la surface pour un montant de 8 874 euro.

M. et Mme Boccara ont assigné la société ACH Décoration en résolution de la vente et ont demandé sur le fondement des articles 1604 et 1382 du Code civil , L. 211-4 L. 211-5 et L. 211-10 du Code de la consommation la condamnation in solidum de la société ABTO et des sociétés ACH Décoration, Unikolegno et Colema, (ces deux dernières appelées en garantie par la société ABTO), au paiement de la somme de 22 500 euro au titre de la restitution du prix de vente, outre les sommes de 10 857,70 euro en réparation de leur préjudice matériel et de 5000 euro au titre de leur préjudice moral.

Par jugement en date du 28 juin 2011 le Tribunal de grande instance de Paris a débouté les époux Boccara de leurs prétentions fondées uniquement sur la non-conformité du parquet livré à celui commandé.

Les époux Boccara ont interjeté appel de cette décision et ont demandé à la cour d'infirmer le jugement, de prononcer la résolution de la vente au torts de la société ACH Décoration sur le fondement des articles 1604 et suivants du Code civil et L. 211-4, L. 3211-5 et L. 211-10 du Code de la consommation, de dire que leur créance au passif de cette société se décompose en 22 500 euro correspondant à la restitution du prix du parquet, 10 000 euro au titre de la réparation du préjudice esthétique et 5 000 euro au titre de leur préjudice moral et de leur donner acte qu'ils procéderont à la demande de fixation de leur créance au passif de la société ACH Décoration dès que le juge commissaire à la liquidation aura statué sur leur requête à fin de relevé de forclusion. Par ordonnance en date du le juge commissaire a rejeté cette demande. Les époux Boccara ont sollicité la disjonction de l'appel à l'encontre de la société ACH Décoration et une ordonnance de disjonction a été rendue le 22 novembre 2012 concernant l'appel à l'encontre de la société ACH Décoration qui se poursuit sous le n° RG 12-20431.

Les époux Boccara ont conclu le 31 janvier 2014 et demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de : dire et juger que le parquet livré n'est pas conforme à la commande, En conséquence, prononcer la résolution de la vente litigieuse, aux torts de la société ABTO sur le fondement des articles 1604 du Code civil, L. 211-10, L. 211-4, L. 211-5 et suivants du Code de la consommation, et de condamner la société ABTO à rembourser le prix du parquet soit la somme de 22 500 euro TTC outre 10 000 euro au titre du préjudice esthétique et 5 000 euro supplémentaires au titre du préjudice moral,

Subsidiairement, de dire et juger qu'en présentant des échantillons de couleur et d'aspect radicalement différents du produit livré, sans informer le client de ce qu'une différence telle que celle qui oppose en l'espèce l'échantillon au parquet livré pouvait intervenir, la société ABTO n'a pas rempli l'obligation de conseil et d'information qui pesait sur elle en vertu des articles L. 111-1 et suivants du Code de la consommation, En conséquence, condamner la société ABTO à leur payer une somme de 22 500 euro à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice matériel subi, outre 10 000 euro au titre du préjudice esthétique et 5 000 euro supplémentaires au titre du préjudice moral,

Plus subsidiairement dire et juger qu'en ne s'assurant pas de l'adéquation du parquet livré avec l'échantillon ayant servi de base au choix des époux Boccara dans sa boutique, alors même qu'elle a reçu la marchandise litigieuse dans ses entrepôts avant de la faire livrer chez les époux Boccara, la société ABTO est responsable, sur le fondement des articles L. 211-5, L. 211-9 et suivants du Code de la consommation de la fourniture aux époux Boccara du parquet ne correspondant pas à leur attente et des préjudices qui en ont résulté, En conséquence, condamner la société ABTO à payer aux époux Boccara une somme de 22 500 euro à titre de dommages et intérêts de ce chef réparant le préjudice matériel subi par les époux Boccara, outre 10 000 euro au titre du préjudice esthétique et 5 000 euro supplémentaires au titre du préjudice moral. Ils sollicitent en tout état de cause la capitalisation des intérêts par application de l'article 1154 du Code civil, à compter du 24 juillet 2010.

M. et Mme Boccara soutiennent que le tribunal aurait dû retenir la différence de couleur comme élément de non-conformité puisque l'expert a conclu que le parquet possédait dès sa livraison des différences importantes et non acceptables au regard des échantillons de référence, que la couleur anthracite présentée sur échantillon et retenue par eux constituait un élément substantiel du contrat dès la commande et que le défaut d'aspect était bien un défaut de conformité, les époux Boccara ayant choisi leurs meubles en fonction de la couleur grise du parquet ce dont était informée la société ABTO qui leur a vendu le parquet mis en place par son poseur et qui, subsidiairement, a commis une faute dans son obligation de conseil puisqu'elle n'a pas informé ses client de la possibilité de recevoir un parquet de couleur différente, la mention " présentation non contractuelle " figurant sur les échantillons étant insuffisante à matérialiser une telle mise en garde, plus subsidiairement, que la société ABTO a commis une faute en ne contrôlant pas la marchandise lors de sa réception dans ses entrepôts et en ne vérifiant pas l'adéquation du parquet livré avec les échantillons ayant servi de base au choix des époux Boccara.

Ils sollicitent outre le remboursement du parquet la réparation des préjudices esthétique et moral résultant de la pose dans tout leur appartement d'un parquet de couleur chocolat à la place du parquet gris anthracite commandé totalement inadapté à leur mobilier.

Dans ses conclusions signifiées le 13 mars 2014 la société ABTO demande à la cour de déclarer irrecevable la demande d'annulation de la vente sur le fondement de l'article 1604 du Code civil et des dispositions du Code de la consommation, de confirmer le jugement et subsidiairement de la recevoir en son appel provoqué à l'encontre de la seule société Colemo fabricant du parquet dont elle sollicite la garantie, de réduire le préjudice réclamé à 10 % des sommes demandées et de lui allouer la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient que la facture a été établie directement au nom de la société ACH Décoration et que le parquet a été vendu par ABTO à la société ACH Décoration qui l'a revendu à M. et Mme Boccara, que ceux -ci ne peuvent donc solliciter la résolution de la vente à laquelle ils ne sont pas partie, subsidiairement, que la couleur anthracite revendiquée ne peut être un élément de conformité car elle n'entre pas dans le champ contractuel qui concerne uniquement la référence " wengé huilé ", que sur ce point le parquet livré est conforme à celui commandé, que la présentation sur panneau n'a pas de valeur contractuelle comme il est indiqué sur chaque panneau d'exposition qui précise : " Nos présentations ont un caractère indicatif, des variations de couleur ou d'aspect ne pourront être considérées comme un défaut. Les caractéristiques techniques peuvent varier à tout moment. ", que le défaut d'information et de conseil n'est pas démontré d'autant qu'ABTO ne connaissait pas les exigences de couleur du client d'ACH Décoration, qu'il ne peut lui être reproché aucune faute dans le contrôle de la livraison du parquet car seul le fabricant puis le poseur pouvaient voir le parquet dans son entier, son contrôle à la livraison se limitant à quelques lames. Elle sollicite la garantie du fabricant la société Colema car la finition et le traitement du parquet relèvent de sa responsabilité. Elle conteste enfin les préjudices invoqués et leur évaluation.

Dans ses conclusions signifiées le 21 février 2013 la société italienne Colema sollicite la confirmation du jugement et fait valoir qu'en tout état de cause la société ABTO est mal fondée en sa demande en garantie.

Elle soutient que :

- les époux Boccara ne formulent aucune demande à son encontre et qu'aucun manquement à ses obligations contractuelles n'est démontré, le produit n'étant pas défectueux et correspondant exactement à la référence du parquet commandé par ABTO, que l'éventuel manquement à une obligation de conseil ou d'information incombe à ABTO, professionnel du parquet qui devait conseiller une autre finition plus pérenne de type vernis avec UV, elle-même n'étant pas informée des exigences de M. et Mme Boccara dont le préjudice invoqué à l'encontre d'ABTO est au demeurant très subjectif.

MOTIFS DE LA DECISION:

Considérant qu'aucune demande n'étant plus formée en cause d'appel à l'encontre de la société Unikolegno, il convient de prononcer sa mise hors de cause ;

Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats et notamment du rapport d'expertise et de la facture d'acquisition du parquet litigieux que M. et Mme Boccara se sont déplacés au magasin d'exposition de la société ABTO exerçant sous l'enseigne " Emois et Bois " pour choisir le parquet qu'ils désiraient voir poser dans l'ensemble de leur appartement dont la décoration avait été confiée à un architecte d'intérieur, M. Decreton, et que c'est la société ACH Décoration qui a réglé la facture d'acquisition de ce parquet de sorte que les époux Boccara n'ont pas acquis le parquet litigieux auprès de la société ABTO ;

que l'expertise a révélé que:

- le parquet comporte des différences de teintes importantes au regard des échantillons de référence, différences qui résultent de l'essence même du bois posé, le bois de wengé, qui a pour particularité une importante variabilité de couleur,

- le bois de wengé posé chez les époux Boccara possède un excellent classement d'aspect et ne présente aucun défaut rédhibitoire de structure ni une mauvaise protection lors des travaux de finition, les règles de l'art ayant été respectées lors de la pose,

- le parquet livré ne correspond pas au niveau couleur et homogénéité à l'échantillon de référence et possédait dès sa livraison des différences de teintes importantes et non acceptables au regard des échantillons de référence ;

qu'il a conclu également que la très grande hétérogénéité de couleur constatée était liée à l'utilisation de bois de différentes couleurs sans tri sélectif en usine, ni contrôle qualité en fin de fabrication qui auraient permis d'écarter les lames anormalement contrastées ;

que l'expert indique enfin que le catalogue de vente de la société Colema présente un parquet de couleur relativement sombre et uniforme proche des échantillons mais éloignée des contrastes observés sur le parquet litigieux et que la société ABTO qui est un professionnel du parquet ne pouvait méconnaître les caractéristiques particulières du wengé huilé qu'elle vend ;

Considérant que les époux Boccara qui ont acheté le parquet litigieux à la société ACH Décoration et non à la société ABTO qui n'en est ni le producteur, ni le fabricant, ni l'importateur au sens de l'article L. 211-3 du Code de la consommation, sont irrecevables à solliciter à titre principal la résolution de la vente sur le fondement des dispositions de la garantie légale de conformité à l'encontre de la société ABTO ; qu'ils ne peuvent davantage invoquer les dispositions de l'article 1604 du Code civil même si l'action fondée sur ces dispositions se transmet au sous-acquéreur dès lors qu'il n'est pas soutenu que la société ACH Décoration aurait émis des réserves lors de la réception du parquet qu'elle a posé tel quel chez les époux Boccara ;

Considérant que M. et Mme Boccara invoquent à titre subsidiaire les dispositions de l'article L. 111-1 du Code de la consommation selon lesquelles il appartient au professionnel vendeur de biens, avant la conclusion du contrat, de mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien ;

Considérant que la société ABTO, professionnel du parquet, qui ne pouvait ignorer les différences importantes de couleur inhérentes à l'essence du bois de wengé, lequel a pour particularité une grande variabilité de couleur, était tenue, dans le cadre de son obligation de conseil et d'information, d'avertir les époux Boccara, simples consommateurs profanes en la matière, de la caractéristique essentielle que représente la variabilité de couleur du bois de wengé ;

qu'en omettant de porter cette information à la connaissance des époux Boccara lorsqu'ils se sont présentés dans son magasin d'exposition et ont consulté des échantillons qui ne reflétaient pas cette hétérogénéité, la société ABTO a failli à son obligation de conseil et d'information ;

Considérant que cette faute est à l'origine de l'entier préjudice subi par les époux Boccara résultant de l'hétérogénéité du parquet dont la réparation, limitée par l'expert à la seule réfection de surface par pose d'une teinte, peut être évaluée à 8 874,82 euro TTC ;

que les époux Boccara sont bien fondés à réclamer également l'indemnisation du préjudice résultant pour eux du temps et de l'énergie dépensés sans compter la déception de recevoir un parquet ne s'harmonisant pas avec leur intérieur ;

que ce préjudice sera valablement indemnisé par l'octroi de la somme de 5 000 euro ;

Considérant que si la société Colema a livré à la société ABTO un parquet d'excellente qualité et conforme à la référence commandée comme l'a constaté l'expert, ce dernier a également relevé

que le parquet litigieux possédait dès sa livraison des différences de teintes très importantes et que la grande hétérogénéité de couleur constatée était liée à l'utilisation de bois de différentes couleurs sans tri sélectif en usine, ni contrôle qualité en fin de fabrication qui auraient permis d'écarter les lames anormalement contrastées ;

qu'il en résulte que le fabricant la société Colema qui a livré à la société ABTO un parquet anormalement contrasté au regard de la présentation qu'elle en fait dans son catalogue de vente et alors qu'il lui appartenait, connaissant la particularité du bois de wengé, de procéder à un tri sélectif en usine avant la livraison, a commis une faute dans l'exécution de ses obligations contractuelles et doit garantir la société ABTO du montant des condamnations mises à sa charge;

Vu l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu l'article 696 du Code de procédure civile;

Par ces motifs, Statuant publiquement, par décision contradictoire, Met hors de cause la société Unikolegno, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau, Condamne la société ABTO à payer à M. Philippe Boccara et à Mme Claudine Boccara la somme de 13 874,82 euro à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision, Condamne la société Colema à garantir la société ABTO du montant des condamnations mises à sa charge, Condamne la société ABTO à payer à M. Philippe Boccara et à Mme Claudine Boccara la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Colema à payer à la société ABTO la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne la société ABTO aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.