Livv
Décisions

Cass. crim., 20 juin 2000, n° 99-85.946

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

M. Mistral

Avocat général :

M. Launay

Avocat :

Me Bouthors

Lyon, 7e ch., du 7 mai 1999

7 mai 1999

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par X contre l'arrêt de la Cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 7 mai 1999, qui, pour abus de faiblesse, l'a condamné à 10 mois d'emprisonnement avec sursis, 15 000 francs d'amende, a prononcé une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu les mémoires ampliatif et rectificatif produits et les observations complémentaires ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 111-4, 112-1, 121-1 du Code pénal, L. 122-8 et L. 122-9 du Code de la consommation, 2, 388, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a pénalement condamné le prévenu du chef d'abus de faiblesse ou de l'ignorance d'un consommateur et a alloué divers dommages et intérêt au plaignant ;

"aux motifs que X a vendu à M. Alain Bouquet : 1°) le 10 octobre 1994, au nom de la société Y, une armoire style Louis-Philippe, quatre chaises et un ensemble de chambre satin rose pour un prix de 34 000 francs financé par un crédit financé sur la société Cetelem payable en 48 mensualités de 915,90 francs ; 2°) le 18 octobre 1994, au nom de la même société, un lit style Louis-Philippe, un chevet assorti, une table de cuisine, un meuble de télévision et de la vaisselle pour un montant de 33 000 francs financé par un crédit de 48 mensualités d'un montant de 934,90 francs consenti par la société Sofinco ; 3°) le 15 décembre 1995, au nom de la société Usifrancse un peignoir, une robe de chambre, douze serviettes éponge, douze gants de toilette et un ensemble de coutellerie de 26 pièces pour un montant de 6 000 francs financé par un crédit de 12 mensualités de 583,22 francs consenti par la société venderesse ; qu'il est établi par les pièces de la procédure que c'est M. Alain Bouquet lui-même qui a contacté X après avoir vu les meubles acquis par la famille Benavente, voisine de la victime, et qui lui ont fait envie bien que vivant seul dans un logement exigu ; que X s'est rendu au domicile de M. Alain Bouquet et que la condition exigée par l'article L. 122-8 du Code de la consommation est ainsi satisfaite ; qu'en rencontrant M. Alain Bouquet chez lui, X ne pouvait pas ne pas se rendre compte du caractère influençable et ignorant de celui-ci ; que le caractère totalement superflu et inutile de ces achats démontre l'état d'ignorance de M. Alain Bouquet et son faible niveau intellectuel ; que le fait d'être détenteur et conducteur d'une voiture achetée à crédit ainsi que d'être fonctionnaire public ne démontre pas comme l'a prétendu X, que la victime avait conscience des conséquences liées au crédit à la consommation ; que, malgré cet état d'ignorance apparent de la victime, X n'a pas hésité à lui faire souscrire trois engagements de crédit auprès de trois banques différentes qui portaient les remboursements pour l'année 1996 à près de 2 500 francs par mois sans se préoccuper des autres crédits en cours alors que le traitement de M. Alain Bouquet n'était que de 7 500 francs par mois ; que ces crédits ont été obtenus sans difficulté auprès des organismes de prêt grâce à la présentation incomplète de la situation de l'intéressé faite par X ; qu'il est ainsi établi que pour les trois ventes à domicile effectuées par X, M. Alain Bouquet n'était pas capable d'apprécier la portée des engagements qu'il prenait et que le délit reproché à X est ainsi caractérisé à son encontre ; que le jugement déféré sera réformé sur ce point (...) ; que l'infraction commise par X justifie que lui soit infligée une peine de 10 mois d'emprisonnement assortie du sursis et de 15 000 francs d'amende, et que soit prononcée la publication de la décision dans le journal "Le Progrès" sans mention du nom de M. Alain Bouquet (...) ; que sur l'action civile, il y a lieu de condamner X à payer à M. Alain Bouquet la somme de 73 000 francs en réparation du préjudice résultant de l'infraction dont il est reconnu coupable (arrêt, pages 7 à 9) ;

"1°) alors que, d'une part, n'est pas caractéristique d'un démarchage entrant dans les prévisions strictes de la loi pénale le fait pour un agent commercial de se rendre au domicile d'un client qui l'a directement contacté en l'absence de sollicitation préalable du vendeur ;

"2°) alors que, d'autre part, à défaut d'être somptuaires ou hors de proportion avec les moyens de l'acheteur, les achats utilitaires dont s'agit n'ont pu être déclarés "superflus" par l'arrêt qui n'a pas autrement circonstancié l'infirmation de la relaxe prononcée en première instance ;

"3°) alors que, de troisième part, pour affirmer le caractère disproportionné des crédits mis en place à la faveur, selon elle, d'une présentation incomplète de la situation de l'acheteur, la Cour s'est fondée d'office sur un élément étranger à la prévention et s'est, en tout état de cause, déterminée par des motifs inopérants liés à la situation ultérieure de l'acheteur pourtant imputable au fait de tiers étrangers à la personne du prévenu ;

"4°) alors, de quatrième part, qu'en l'absence d'incapacité frappant l'acheteur, fonctionnaire titulaire en exercice au moment des faits, la cour n'a pu rétrospectivement affirmer que le vendeur "ne pouvait pas se rendre compte du caractère influençable et ignorant de celui-ci" en considération de l'évolution ultérieure de l'intéressé sans inverser la charge de la preuve ;

"5°) alors, enfin, qu'aucun texte ne permettait à la cour d'appel, statuant sur l'action publique, d'assortir les sanctions prononcées à l'endroit du prévenu de la peine complémentaire de l'affichage de sa décision par extraits dans la presse locale" ;

Sur le moyen, pris en ses quatre premières branches : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que X, agent commercial, est poursuivi pour avoir abusé de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne, pour lui faire souscrire par le moyen de visites à son domicile, des engagements au comptant ou à crédit, infraction prévue par l'article L. 122-8 du Code de la consommation ;

Attendu que, pour le déclarer coupable de cette infraction, les juges du second degré énoncent qu'à trois reprises, il s'est rendu au domicile de l'acheteur pour lui faire signer des bons de commande de meubles ou de lingerie pour un montant total de 73 000 francs et lui faire souscrire trois contrats de crédit auprès d'organismes différents ; que les juges ajoutent que l'acheteur, invalide à 80 % pour déficience mentale depuis 1964, et presque analphabète, n'était pas capable de comprendre le contenu de ce qu'il signait, ni d'apprécier la portée de ses engagements ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs qui caractérisent la démarche à domicile et l'état de faiblesse ou d'ignorance que présentait la personne sollicitée, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Mais sur le moyen, pris en sa cinquième branche : - Vu l'article 111-3 du Code pénal ; - Attendu que, selon ce texte, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ;

Attendu qu'après avoir déclaré le prévenu coupable d'abus de faiblesse, l'arrêt le condamne notamment à une mesure de publication ;

Attendu qu'en ordonnant la publication de la décision à titre de peine complémentaire, alors qu'aucune disposition n'autorise une telle peine en répression du délit retenu, la cour d'appel a méconnu les textes et principe ci-dessus rappelés ; d'où il suit que la cassation est encourue ;

Et attendu que l'intérêt de l'ordre public et d'une bonne administration de la justice commande que la cassation soit étendue à A et B ;

Par ces motifs : casse et annule l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Lyon, en date du 7 mai 1999, par voie de retranchement, mais en ses seules dispositions relatives à la mesure de publication, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, Dit que la cassation ainsi prononcée aura effet à l'égard de A et B qui ne se sont pas pourvus, Dit n'y avoir lieu à renvoi.