Cass. crim., 13 mai 2014, n° 13-83.036
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Avocats :
SCP Monod, Colin, Stoclet, Me Spinosi
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par Mme Nicole X, épouse Y, M. Alain X, M. Jean-Marc X, agissant en qualité d'héritiers de leur père Pierre X, parties civiles, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 3 avril 2013, qui a débouté Pierre X de ses demandes après relaxe de Mme Claire Z du chef d'abus de faiblesse ; - Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 111-4, 223-15-2, 591, 593 du Code de procédure pénale, violation de la loi, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a débouté Pierre X de ses demandes au titre de l'action civile ;
"aux motifs que les premiers juges ont, à juste raison, du fait de l'absence d'expertise de Pierre X concernant la période de temps concernée par la prévention, recherché les éléments constituant l'état de faiblesse de Pierre X et se sont appuyés sur l'expertise du 22 novembre 2007 diligentée dans le cadre de la procédure de placement sous tutelle, sur des écrits de Pierre X, laissant penser que celui-ci, courant 2006, écrivait une chose et son contraire et sur les affirmations de ses proches estimant que les troubles de leur père étaient manifestes dès 2004-2005 ; que cependant, les textes pénaux étant d'interprétation stricte et des certificats médicaux en date des 8 et 29 novembre 2006 ne faisant pas état " d'altération des fonctions intellectuelles pour ce qui concerne le jugement et les capacités de décision, mais seulement de troubles mnésiques importants mais sans altérations de ses facultés intellectuelles ", la cour ne peut, en l'état de la procédure, apprécier l'état physique et mental réel de Pierre X permettant d'affirmer que celui-ci était ou n'était pas en état d'ignorance ou de faiblesse tel que visé à la prévention ; qu'il convient donc, en conséquence, d'estimer non établie l'une des conditions légales de la prévention et de renvoyer Mme Z des fins de la poursuite ; que du fait même de la décision de relaxe prononcée, la cour reçoit la constitution de partie civile de Pierre X et l'en déboute ;
"1°) alors que la situation de faiblesse de la victime, dont l'abus frauduleux est pénalement incriminé par l'article 223-15-2 du Code pénal, doit résulter d'une particulière vulnérabilité due " à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse " ; que ce texte n'exige pas le cumul de la condition d'âge avec celui de déficience psychique, l'âge pouvant créer une situation de fait distincte de la déficience et caractérisant une particulière vulnérabilité ; qu'en retenant, pour relaxer Mme Z du délit d'abus de la situation de faiblesse de Pierre X et débouter ce dernier de son action civile, qu'il n'était pas établi qu'il ait été le sujet d'une altération des fonctions intellectuelles pour ce qui concerne le jugement et les capacités de décision, mais seulement de troubles mnésiques importants sans altération de ses facultés intellectuelles, la cour d'appel a exigé une condition supplémentaire de déficience psychique et ainsi violé l'article 223-15-2 du Code pénal ;
"2°) alors que les juges du fond doivent prononcer sur les moyens soulevés par les parties civiles ; qu'en l'espèce, Pierre X a soutenu qu'il se trouvait dans un état de particulière vulnérabilité résultant de son âge, de son état de santé physique et de son état de santé mental ; qu'en se bornant à relever qu'elle ne disposait pas de suffisamment d'éléments pour établir une déficience exclusivement mentale, sans se prononcer sur l'état de santé physique de Pierre X, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"3°) alors qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que Pierre X était âgé de 85 et 86 ans au moment des faits, qu'il souffrait déjà de deux maladies neurodégénératives, à savoir la maladie de Parkinson et la maladie d'Alzheimer et qu'il avait perdu son épouse le 26 octobre 2006 des suites de la maladie d'Alzheimer et qu'il écrivait, courant 2006, une chose et son contraire ; qu'elle a également constaté qu'il avait besoin d'une aide à domicile ; qu'en retenant néanmoins que Mme Z ne pouvait connaître l'état physique et mental réel de Pierre X, de courant septembre 2005 à courant novembre 2006, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et ainsi violé les textes susvisés ;
"4°) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en l'espèce, Pierre X versait aux débats le rapport d'expertise établi par le Dr B le 22 novembre 2007 dans l'instance ayant abouti à son placement sous tutelle ; que l'expert concluait à un affaiblissement intellectuel pathologique important qui évoluait depuis plusieurs années, que la détérioration intellectuelle a été précédée par un syndrome parkinsonien et qu'en 2007, la détérioration de l'état psychologique de Pierre X était parvenue à un stade pré-démentiel avec perte complète de l'autonomie résultant d'une maladie d'Alzheimer avec pathologies associées, rendant indispensable la mesure de protection ; qu'il en résultait que la particulière vulnérabilité de Pierre X en 2005 et 2006 était établie ; qu'en estimant ne pas pouvoir apprécier si l'état d'ignorance ou de faiblesse de Pierre X était caractérisé pendant la période de prévention allant de courant septembre 2005 à courant novembre 2006, sans rechercher, ainsi que l'y invitaient les conclusions de la partie civile et sans rechercher si les déficiences dénoncées ne caractérisaient pas un état de particulière vulnérabilité constitutif d'une situation de faiblesse de Pierre X , la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ; - Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour renvoyer Mme Z des fins de la poursuite du chef d'abus frauduleux de l'état de faiblesse de Pierre X, l'arrêt attaqué qui s'appuie notamment sur des certificats médicaux datant de fin 2006 énonce qu'il n'est pas possible, en l'état de la procédure, de connaître et apprécier l'état physique et mental réel de l'intéressé permettant d'affirmer que celui-ci était ou n'était pas en état d'ignorance ou de faiblesse tel que visé à la prévention visant une période allant de septembre 2005 à courant novembre 2006 ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'elle constate, en renvoyant expressément, pour la description de son état, aux éléments mis en exergue par les premiers juges ainsi qu'à diverses attestations, que Pierre X, âgé de 85 et 86 ans au moment des faits, et souffrant, déjà, de troubles neurodégénératifs, avait été confronté au décès de son épouse des suites d'une maladie similaire et qu'il écrivait, courant 2006, une chose et son contraire, ce qui nécessitait, compte tenu de son état de dépendance et en raison de ses troubles psychiques et physiques, la présence de la prévenue comme aide à domicile, pour l'accomplissement de l'ensemble des actes de la vie courante, la cour d'appel, qui a prononcé par des motifs empreints de contradiction et qui devait, si elle s'estimait mal renseignée, ordonner toute mesure d'instruction utile, n'a pas justifié sa décision ; d'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, casse et annule, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Montpellier, en date du 3 avril 2013, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Toulouse, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.