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Décisions

Cass. soc., 4 novembre 2015, n° 14-14.523

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Total marketing services (SA)

Défendeur :

Auboeuf, Liprandi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Goasguen

Rapporteur :

Mme Aubert-Monpeyssen

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Boré, Salve de Bruneton

Versailles, 19e ch., du 6 févr. 2014

6 février 2014

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Soc. 5 décembre 2012, pourvoi n° 11-22.168), qu'un contrat de location-gérance a été conclu le 28 décembre 1998 entre la société Elf Antar France, aux droits de laquelle est venue la société Total France, elle-même devenue société Total raffinage marketing (Total), et la société ANC, relatif au fonds de commerce de la station-service de Colomars (06), pour une durée de trois ans à compter du 4 janvier 1999 ; que ce contrat a été prorogé, puis renouvelé jusqu'au 30 juin 2005 ; que le 18 septembre 2006, Mmes Nicolle et Cécile Auboeuf, cogérantes de la société ANC, ont saisi la juridiction prud'homale ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal de la société Total pris en ses première, deuxième, troisième et sixième branches : - Attendu que le moyen, qui invite la Cour de cassation à revenir sur la doctrine de son précédent arrêt alors que la juridiction de renvoi s'y est conformée, est irrecevable ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal de la société Total pris en ses quatrième et cinquième branches : - Attendu que la société fait grief à l'arrêt de dire que les relations de travail la liant à Mmes Nicolle Auboeuf et Cécile Auboeuf sont des relations de travail à durée indéterminée, que leur rupture à l'initiative de la société s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de la condamner à payer à chacune d'elles diverses sommes à ce titre, alors, selon le moyen : 1°) que le courrier adressé le 21 janvier 2005 à la société Total par la société ANC, exposait : " par la présente, je vous confirme que je prendrais ma retraite au terme du contrat en vigueur le 30 juin 2005. Par conséquent, je vous informe que nous ne souhaitons pas négocier un nouveau contrat. Nous vous remercions de bien vouloir prendre les dispositions nécessaires à notre fin de gérance " ; qu'en énonçant que les gérantes n'étaient pas à l'origine de la rupture, quand le courrier précité utilisait un pronom personnel au pluriel pour exclure toute négociation d'un nouveau contrat et la nécessité, pour la société, de prendre les dispositions nécessaires à la fin de leur gérance, la cour d'appel a méconnu l'interdiction qui lui est faite de dénaturer les documents de la cause et violé l'article 1134 du Code civil ; 2°) que subsidiairement, la mise en œuvre des règles gouvernant la rupture du contrat de travail au bénéfice des gérants de succursales impose un examen des circonstances de la rupture des relations qui ont existé entre ce dernier et l'entreprise lui fournissant les marchandises, abstraction faite des modalités pratiques de la notification de cette rupture, tenant notamment à l'utilisation d'un papier à en-tête du représentant de la société à l'origine co-contractante, mais dont le ou les représentants ont été reconnus bénéficiaires du statut de gérant de succursale ; que la rupture des relations ne peut être imputée au fournisseur de carburants dès lors que les gérants n'ont pas entendu poursuivre l'exploitation de la station-service, la démission du ou des gérants de la société, co-contractante d'origine, valant démission à titre personnel, dudit ou desdits gérants, reconnus gérants de succursale ; qu'en opposant une absence de démission personnelle de Mmes Auboeuf, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article L. 7321-2 du Code du travail ;

Mais attendu que les règles qui gouvernent la rupture du contrat de travail sont applicables à la rupture de la relation de travail entre un gérant de succursale de l'entreprise fournissant les marchandises distribuées ;

Et attendu que c'est par une interprétation nécessaire, exclusive de dénaturation de la lettre du 21 janvier 2005 que la cour d'appel a retenu que les gérantes n'avaient pas manifesté une volonté claire et non équivoque de démissionner ; qu'elle a pu décider que la rupture du contrat de travail était imputable à la société Total ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident des gérantes : - Vu l'article 2244 du Code civil dans sa rédaction applicable au litige ; - Attendu que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions, au cours d'une même instance, concernent l'exécution de la même relation contractuelle ;

Attendu que pour débouter les gérantes de leurs demandes tendant à la condamnation de la société à leur verser des dommages-intérêts, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, pour manquement à ses obligations au titre des formalités d'embauche, de leur affiliation à un régime d'assurance chômage et à un service de santé au travail, de la réalisation d'un examen médical d'embauche, de la délivrance de bulletins de salaire et du paiement de cotisations sociales, l'arrêt retient qu'il ressort des dispositions combinées des articles 2270-1 du Code civil et des dispositions transitoires fixées par la loi du 17 juin 2008 que, pour les prescriptions extinctives en cours, auxquelles, comme en l'espèce, il reste plus de cinq ans à courir au 18 juin 2008, les actions se prescriront à l'issue d'un délai de 5 ans, soit au plus tard, le 18 juin 2013 ; que les premières demandes ayant été formulées le 1er août 2013, elles ne sont pas recevables ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que les gérantes avaient, le 18 septembre 2006, saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives aux mêmes relations contractuelles, d'où il résultait l'existence d'un acte interruptif de prescription, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il déboute Mmes Auboeuf de leurs demandes tendant à la condamnation de la société à leur verser des dommages-intérêts, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, pour manquement à ses obligations au titre des formalités d'embauche, de leur affiliation à un régime d'assurance chômage et à un service de santé au travail, de la réalisation d'un examen médical d'embauche, de la délivrance de bulletins de salaire et du paiement de cotisations sociales, l'arrêt rendu le 6 février 2014, entre les parties, par la Cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris.