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Décisions

Cass. com., 10 novembre 2015, n° 14-16.737

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Concurrence (SARL)

Défendeur :

Samsung Electronics France (SAS), Amazon services Europe (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Tréard

Avocat général :

M. Mollard

Avocats :

SCP Richard, SCP Bénabent, Jéhannin, Me Ricard

Paris, pôle 1 ch. 2, du 6 févr. 2014

6 février 2014

LA COUR : - Sur le troisième moyen : - Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu en matière de référé, que la société Concurrence, qui exerce une activité de vente au détail de produits électroniques grand public par le biais d'un magasin situé à Paris (France) et de son site de vente en ligne sous le nom de domaine " concurrence.fr ", a conclu avec la société Samsung Electronics France (la société Samsung) un contrat de distribution sélective portant sur des produits haut de gamme de la marque Samsung ; que la société Samsung ayant reproché à la société Concurrence, en commercialisant des produits via une place de marché, de violer la clause du contrat qui le lui interdisait et lui ayant notifié la fin de leur relation commerciale, la société Concurrence l'a assignée afin d'obtenir la livraison de ces produits sans être tenue de respecter cette clause, qu'elle estimait appliquée de manière discriminatoire ; qu'après rejet de ses demandes par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 25 octobre 2012, rendu en matière de référé, la société Concurrence, invoquant de nouvelles transgressions de la clause au sein du réseau, a assigné devant les juridictions françaises la société Samsung, aux mêmes fins, ainsi que la société Amazon services Europe, établie au Luxembourg, pour obtenir de celle-ci le retrait de toute offre en place de marché portant sur des produits Samsung sur ses sites Amazon.fr, Amazon.de, Amazon.co.uk, Amazon.es et Amazon.it ; que le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris et la Cour d'appel de Paris, par l'arrêt attaqué, ont, en application de l'article 5, point 3, du règlement (CE) du Conseil n° 44-2001 du 22 décembre 2000, retenu l'incompétence des juridictions françaises pour connaître de l'action relative aux sites d'Amazon à l'étranger, aux motifs que le juge français n'est compétent pour connaître des litiges liés à la vente sur internet que si le site sur lequel la distribution est assurée vise le public de France ;

Attendu que l'article 5, point 3, du règlement (CE) du Conseil n° 44-2001 du 22 décembre 2000 (Bruxelles I), concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dispose qu'en matière délictuelle ou quasi délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite, dans un autre Etat membre, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ;

Attendu que la Cour de justice de l'Union européenne, saisie d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation de cet article (Wintersteiger, 19 avril 2012, C-523-10), a rappelé que dans le contexte d'internet, et en cas d'atteintes alléguées aux droits de la personnalité, la personne qui s'estime lésée par des contenus mis en ligne sur un site internet a la faculté de saisir d'une action en responsabilité, au titre de l'intégralité du dommage causé, les juridictions de l'Etat membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts, le critère du centre des intérêts de la personne lésée étant conforme à l'objectif de prévisibilité de la compétence judiciaire (point 22) ; qu'elle a précisé que cette appréciation, faite dans le contexte particulier des atteintes aux droits de la personnalité, ne saurait valoir pour la détermination de la compétence judiciaire en ce qui concerne les atteintes aux droits de la propriété intellectuelle et dit pour droit que " l'article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44-2001 du Conseil du 22 décembre 2000 doit être interprété en ce sens qu'un litige relatif à l'atteinte à une marque enregistrée dans un État membre du fait de l'utilisation, par un annonceur, d'un mot clé identique à ladite marque sur le site internet d'un moteur de recherche opérant sous un domaine national de premier niveau d'un autre État membre peut être porté soit devant les juridictions de l'État membre dans lequel la marque est enregistrée, soit devant celles de l'État membre du lieu d'établissement de l'annonceur " ;

Attendu que saisie d'une nouvelle question préjudicielle portant sur le même texte, elle a encore précisé (Pinckney, 3 octobre 2013, C-170-12), que le lieu de la matérialisation du dommage au sens de cette disposition peut varier en fonction de la nature du droit prétendument violé (point 32) et que contrairement à l'article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement, qui a été interprété dans l'arrêt du 7 décembre 2010, Pammer et Hotel Alpenhof (C-585-08 et C-144-09, Rec. p. I-12527), l'article 5, point 3, dudit règlement n'exige notamment pas que l'activité en cause soit " dirigée vers " l'État membre de la juridiction saisie (point 42) ; qu'elle a enfin dit pour droit que " l'article 5, point 3, (...) doit être interprété en ce sens que, en cas d'atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d'auteur garantis par l'Etat membre de la juridiction saisie, celle-ci est compétente pour connaître d'une action en responsabilité introduite par l'auteur d'une œuvre à l'encontre d'une société établie dans un autre Etat membre et ayant, dans celui-ci, reproduit ladite œuvre sur un support matériel qui est ensuite vendu par des sociétés établies dans un troisième Etat membre, par l'intermédiaire d'un site Internet accessible également dans le ressort de la juridiction saisie, cette juridiction saisie n'est compétente que pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l'Etat membre dont elle relève " ;

Attendu que le présent litige présente la particularité de ne correspondre à aucune de ces hypothèses, dans la mesure où l'action engagée vise à mettre fin aux préjudices allégués par un distributeur agréé, établi en France et exploitant un site de vente en ligne, résultant de la violation de l'interdiction de revente de produits hors du réseau de distribution sélective auquel il appartient, et du recours à des offres de vente mises en ligne via une place de marché sur différents sites internet exploités en France et dans d'autres Etats membres, interdites par le contrat de distribution sélective ;

Attendu que le présent litige pose, dès lors, des questions d'interprétation du règlement (CE) n° 44-2001 du 22 décembre 2000, qui exigent de saisir la Cour de justice de l'Union européenne ;

Par ces motifs, Renvoie à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre à la question suivante, l'article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44-2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution de décisions en matière civile et commerciale, doit-il être interprété en ce sens qu'en cas de violation alléguée d'interdictions de revente hors d'un réseau de distribution sélective et via une place de marché, au moyen d'offres de vente mises en ligne sur plusieurs sites exploités dans différents Etats membres, le distributeur agréé s'estimant lésé a la faculté d'introduire une action en cessation du trouble illicite qui en résulte devant la juridiction sur le territoire duquel les contenus mis en ligne sont accessibles ou l'ont été, ou faut-il qu'un autre lien de rattachement soit caractérisé, Sursoit à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne.