CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 20 novembre 2015, n° 13-15417
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Rentchler, Levasud (SARL)
Défendeur :
Mare Nostrum Commercial (SARL), Gauthier (ès qual.), Société de Travaux (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Aimar
Conseillers :
Mmes Nerot, Renard
Avocats :
Mes Teytaud, Bouvier-Ravon, Arapian
Vu les articles 455 et 954 du Code de procédure civile,
Vu le jugement réputé contradictoire du 12 juillet 2013 rendu par le Tribunal de grande instance de
Paris (3ème chambre 3ème section),
Vu l'appel interjeté le 25 juillet 2013 par monsieur Patrick Rentchler et la société Levasud,
Vu l'ordonnance constatant le désistement partiel et l'extinction de l'instance à l'égard de Maître
Huertas es qualités de commissaire à l'exécution du plan et es qualités d'administrateur judiciaire de la société de Travaux d'Accès Difficiles,
Vu les dernières conclusions de monsieur Rentchler et la société Levasud, appelants, en date du 4 septembre 2015, signifiées à la SELARL Gauthier Sohm, es qualités de liquidateur judiciaire de la Société de travaux d'accès difficile, intimée défaillante, le 9 septembre 2015,
Vu les dernières conclusions de la SARL Nostrum Commercial, intimée et incidemment appelante, en date du 24 juillet 2015,
Vu l'ordonnance de clôture en date du 10 septembre 2015,
SUR CE, LA COUR,
Il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures des parties,
Il sera simplement rappelé que :
Monsieur Patrick Rentchler est titulaire du brevet français déposé le 12 avril 2002 enregistré sous le n° 0204576, publié le 17 octobre 2003, sous le numéro FR B 2 838 462 ayant pour titre une " barrière de protection dynamique contre les chutes de rochers dont le filet est formé de mailles entrelacées ".
Ce brevet est maintenu en vigueur par le paiement des annuités.
Par un contrat du 8 janvier 2003, publié au registre national des brevets le 16 avril 2004, Monsieur Rentchler a concédé une licence exclusive d'exploitation de ce brevet à la société Levasud, dont il est le gérant, qui exerce une activité dans le domaine de la fabrication, vente, achat, importation, exportation de câbles en acier et accessoires, matériel de levage et la commercialisation de matériel industriel et de produits pour le bâtiment.
Autorisé par ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Grasse du 14janvier 2004, Monsieur Rentchler a fait pratiquer une saisie contrefaçon le 2 février 2004 dans les locaux de la société de travaux d'accès difficile (STAD) ayant comme nom commercial Sisyphe qui commercialisait selon lui une contrefaçon de son brevet. Les opérations ont établi que le filet litigieux était fourni par la société Mare Nostrum Commercial.
Autorisée par ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Nice du 23 janvier 2004, une saisie contrefaçon a été diligentée le 4 février 2004 au siège de la société Mare Nostrum
Commercial. Il a été indiqué à l'huissier de justice que les filets étaient fabriqués en Chine.
C'est dans ces conditions que Monsieur Patrick Rentchler a, le 16 février 2004, fait assigner devant le Tribunal de grande instance de Marseille la société Sisyphe et la société Mare Nostrum en contrefaçon du brevet dont il est titulaire.
La société Levasud est intervenue volontairement à l'instance le 12 avril 2006.
Par ordonnance du 16 décembre 2008, à la demande des sociétés Sisyphe et Mare Nostrum, le juge de la mise en état a ordonné le sursis à statuer dans l'attente de la décision de l'Office Européen des Brevets statuant sur la délivrance du brevet européen EP 02 767 527ne désignant pas la France.
Monsieur Rentchler et la société Levasud ont interjeté appel de cette décision.
La Cour d'appel d'Aix en Provence a ordonné la radiation de l'affaire par arrêt du 23 mars 2011, l'Office Européen des Brevets ayant notifié le 28 janvier 2011 un avis favorable à la délivrance du brevet qui a été publié le 4 mai 2011.
Le 2 août 2011, les demandeurs ont sollicité le rétablissement de l'affaire devant le Tribunal de grande instance de Marseille et le dossier a été réinscrit au rôle le 5 novembre 2011.
Le 7 août 2011, un procès-verbal de constat sur internet sur le site de la société Sisyphe.
En vertu d'une autorisation présidentielle du 8 août 2011 monsieur Rentchler a fait procéder à une mesure de saisie-contrefaçon qui a été exécutée du 11 au 16 août 2011.
La société Sisyphe avait fait 1'objet d'une procédure de redressement judiciaire par jugement du 10 juin 2009 du tribunal de commerce de Grasse qui a désigné comme administrateur judiciaire Maître Huertas. Par courrier du 24 juillet 2009, la société Levasud a déclaré une créance de 460 000 euro entre les mains de Maître Huertas, en sa qualité d'administrateur judiciaire, Monsieur
Rentchler a également déclaré sa créance.
Par jugement du 7 juin 2010, cette société a fait l'objet d'un plan de continuation et Maître Huertas a été désigné en qualité de commissaire au plan.
Par acte d'huissier en date du 9 septembre 201 1, les demandeurs ont fait réassigner devant le Tribunal de grande instance de Marseille la société STAD Sisyphe, Maître Huertas en qualité de commissaire au plan et la société Mare Nostrum Commercial en contrefaçon du brevet français n° 0204576 de Monsieur Rentchler, et de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la société Levasud, sur le fondement d'un procès-verbal de constat en date du 7 août 2011.
Autorisés par ordonnance du 8 août 2011, ils ont fait procéder à une saisie contrefaçon dans les locaux de la société Sisyphe le 16 août 2011.
Le 1er février 2012 la société Sisyphe formait opposition au brevet EP B1 495 190 issu de la demande internationale WO-03-091502 déposée par monsieur Rentchler et revendiquant la priorité de la demande de brevet français FR 2 838 462.
Par ordonnance du 15 mai 2012, le juge de la mise en état a prononcé la jonction des deux procédures, a fait droit à l'exception l'incompétence soulevée par la société Sisyphe et Maître Huertas et a déclaré le tribunal de grande instance de Marseille incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Paris.
L'affaire a été enrôlée devant le Tribunal de grande instance de Paris le 24 septembre 2012.
Le tribunal de commerce de Grasse a, par jugement du 5 octobre 2012, prononcé la résolution du plan et la liquidation judiciaire de la société Sisyphe avec cessation immédiate d'activité et la
SELARL Gauthier Sohm a été désignée liquidateur judiciaire.
Monsieur Rentchler et la société Levasud ont déclaré une créance de 510 000 euro entre les mains du liquidateur judiciaire par courrier du 18 octobre 2012, dont accusé de réception leur a été délivré le 3 décembre 2012.
Par acte d'huissier en date du 6 mars 2013, Monsieur Rentchler et la société Levasud ont assigné en intervention forcée la Selarl Gauthier-Sohm en qualité de liquidateur de la société Sisyphe.
Les deux instances ont été jointes le 9 avril 2013.
Suivant jugement dont appel, du 12 juillet 2013, le tribunal a essentiellement :
- rejeté la demande de réouverture des débats présentée par la société Mare Nostrum Commercial,
- annulé les revendications 1 à 8 du brevet français enregistré sous le numéro 02 04576 dont est titulaire Monsieur Patrick Rentchler,
En conséquence,
- déclaré les demandes en contrefaçon formées par Monsieur Patrick Rentchler et la société
Levasud irrecevables,
- rejeté les demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,
- dit que la présente décision sera transmise à l'INPI, une fois devenue définitive, par la partie la plus diligente, aux fins de son inscription sur le registre national des brevets,
- condamné in solidum Monsieur Patrick Rentchler et la société Levasud aux dépens,
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du jugement,
Dans le cadre de la procédure d'opposition formée à l'encontre du brevet européen EP B1 1 495 190 de monsieur Rentchler, la Division d'Opposition de l'Office Européen des Brevets a conclu à la révocation du brevet européen par décision du 24 avril 2015. Monsieur Rentchler a formé un recours contre cette décision, le 30 juin 2015.
En cause d'appel monsieur Patrick Rentchler et la société Levasud appelants, demandent essentiellement dans leurs dernières écritures du 4 septembre 2015 de :
- réformer le jugement,
- dire et juger que les revendications 1, 2, 3, 4, 5 et 6 et, à titre subsidiaire, les revendications 1 à 8 du brevet français n° 02 04 576 sont valables,
- débouter la société Mare Nostrum de l'intégralité de ses demandes,
- dire que les sociétés STAD-Sisyphe et Mare Nostrum Commercial ont commis des actes de contrefaçon des revendications 1, 2, 3, 4, 5 et 8 du brevet français n°0204576 de monsieur Rentchler et de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la société Levasud,
- ordonner des mesures d'interdiction sous astreinte,
- ordonner des mesures de destruction des produits contrefaisants,
- ordonner une mesure de publication judiciaire,
- condamner la société Mare Nostrum Commercial à payer aux sociétés Levasud et à monsieur Rentchler une provision de 400 000 euro en réparation des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale et parasitaire et une somme de 50 000 euro au titre de leur préjudice moral,
- fixer leur créance à l'encontre de la société STAD Sisyphe et de la SELARL Gauthier & Sohm es qualités, à la somme de 450 000 euro à ce titre,
- instaurer une mesure d'expertise à l'effet de donner des éléments pour établir la masse contrefaisante,
- condamner in solidum les sociétés STAD-Sisyphe, la SELARL Gauthier et Sohm es qualités et la société Mare Nostrum Commercial à payer à monsieur Rentchler et à la société Levasud une somme de 50 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile avec droit de distraction au profit de leur conseil et condamner in solidum ces mêmes parties à leur rembourser les frais des saisies-contrefaçon opérées dans le cadre du présent litige.
La société Mare Nostrum Commercial intimée s'oppose aux prétentions des appelants et pour l'essentiel, demande dans ses dernières écritures du 24 juillet 2015 de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- en conséquence,
- débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes,
- condamner solidairement les appelants à lui payer la somme de 20 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner les appelants en tous les dépens.
Sur la portée du brevet
Le brevet déposé le 12 avril 2004 porte sur une barrière de protection contre les chutes de rochers sur les flancs des montagnes qui est composée par un filet formé de mailles entrelacées.
Cette barrière est constituée :
- d'un filet,
- tenu par des poteaux,
- haubanés en travers de la trajectoire prévisible des rochers sur des terrains en pente.
Selon la description, lors de la chute d'un bloc de rocher, au moment de l'impact avec le filet, une partie de 1énergie du bloc est absorbée par déformation du filet, si bien que le filet doit être déformable pour absorber l'énergie cinétique. En effet, une grosse part de l'énergie est dissipée grâce à la souplesse du filet quand les mailles perdent leur forme circulaire et prennent celle d'une ellipse, sous l'effet du choc.
L'art antérieur est décrit comme le brevet EP 370 945 Fatzer qui porte sur des mailles circulaires entrelacées, chaque maille étant entrelacée avec quatre mailles adjacentes. La maille est constituée d'un câble en acier dont le point de jonction est constitué par une bague ou manchon en aluminium.
Ce point de contact constitue un inconvénient car la force exercée lors de la chute d'un bloc s'exerce en entier sur la bague qui subit une force de tractation importante qui peut faire sortir les extrémités du câble de la bague de liaison, le bloc de rocher pouvant aussi écraser la bague lors de l'impact.
Afin de remédier à ces inconvénients, l'invention porte, d'après la description, sur un filet ne comportant aucun point de jonction successible d'être affaibli ou de se rompre. Chaque maille est constituée d'un câble composé de n brins torsadés dans lequel un seul toron est rebouclé de façon hélicoïdale n fois sur lui-même et les mailles circulaires sont entrelacées les unes avec les autres pour que chacune soit entrelacée avec au moins quatre mailles adjacentes.
L'idéal selon la description est que la déformation du filet permettant l'absorption de l'énergie cinétique lors de l'impact, soit principalement due à la déformation des mailles elles-mêmes.
Grâce à la continuité du câble le long de la maille, la force qu'elle subit lors de la chute d'un rocher est équilibrée tout le long du câble par la friction qu'exerce le toron sur lui-même.
Les forces exercées sur les mailles étant plus importantes sur le bord du filet, le diamètre du câble constituant la maille doit croître du centre vers le bord du filet permettant une dissipation de l'énergie plus importante.
La revendication 1 est ainsi rédigée :
" Barrière de protection dynamique contre les chutes de rochers comportant un filet (12) composé de mailles (30 à 44) circulaires entrelacées les unes avec les autres, de telle sorte que chaque maille est entrelacée avec au moins quatre autres mailles adjacentes, chacune desdites mailles étant constituée d'un câble (50) composé d'un seul toron rebouclé de façon hélicoïdale n fois sur lui-même, caractérisée en ce que le diamètre dudit câble a une valeur croissante selon l'emplacement des mailles, les mailles les plus proches dudit câble de bordure étant constituées d'un câble dont le diamètre est plus important que celui du câble constituant les mailles se trouvant près du centre du filet ".
La revendication 2 porte sur une " barrière de protection dynamique selon la revendication 1, dans laquelle le câble (50) constituant chaque maille comprend un nombre de brins n formés à partir d'un seul toron compris entre 3 et 8 ".
La revendication 3 est rédigée comme suit : " Barrière de protection dynamique selon la revendication 2, dans laquelle le nombre de n de brins formant ledit câble (50) est égal à 6 ".
Selon la revendication 4, la " Barrière de protection dynamique selon la revendication 1, 2 ou 3, dans laquelle ledit filet (12) est entouré d'un câble de bordure (46) solidaire de poteaux d'ancrage au sol
(14, 16), les mailles se trouvant au bord du filet étant entrelacées avec ledit câble de bordure ".
La revendication 5 divulgue une " Barrière de protection dynamique selon la revendication 4, dans laquelle le diamètre des mailles (30 à 44) est compris entre 200 mm et 600 mm ".
Selon la revendication 6, la " Barrière de protection dynamique selon la revendication 5, dans laquelle le diamètre des mailles est variable selon leur proximité par rapport au câble de bordure, les mailles d'une rangée de mailles plus éloignée dudit câble de bordure ayant un diamètre plus grand que les mailles d'une rangée moins éloignée ".
La revendication 7 est ainsi rédigée : " Barrière de protection dynamique selon la revendication 4, 5 ou 6, dans laquelle le diamètre du câble constituant les mailles est compris entre 5 mm et 20 mm ".
La revendication 8 porte sur une " Barrière de protection dynamique selon une quelconque des revendications précédentes, dans laquelle le matériau constituant les mailles du filet est choisi parmi les métaux et notamment l'acier galvanisé ou inoxydable et les fibres polymères synthétiques telles que du polyester ou du polyamide ".
Le problème que tend à résoudre le brevet est d'accentuer la solidité des barrières de protection contre les rochers par la dissipation d'énergie résultant de la souplesse du filet.
Au regard de ce problème, l'homme du métier doit être défini comme l'ingénieur spécialisé en physique appliquée dans le domaine des barrières de protection contre la chute de rochers.
Sur la validité du brevet
Sur l'activité inventive
Selon l'article L. 611-10 du Code de la propriété intellectuelle, sont brevetables, dans tous les domaines technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle.
En vertu de l'article L. 611-14 du même Code, une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique. Si l'état de la technique comprend des documents mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 611-11, ils ne sont pas pris en considération pour l'appréciation de l'activité inventive.
En vertu de l'article L. 613-25-a) du même Code, le brevet est déclaré nul par décision de justice si son objet n'est pas brevetable aux termes des articles L. 611-10, L. 611-11 et L. 611-13 à L. 611-19.
Pour apprécier l'activité inventive, l'état de la technique pris en considération ne comprend pas seulement les antériorités de toutes pièces, mais rassemble toutes les antériorités que l'homme du métier peut prendre en compte pour parvenir à l'invention, en les combinant ou en les agençant différemment.
La société Mare Nostrum Commercial qui après avoir relaté l'historique de la procédure de la délivrance du brevet au cours de laquelle a été émis un rapport de recherche préliminaire en date du 12 décembre 2002, publié le 17 octobre 2003, qui cite cinq documents antérieurs pertinents, sur la base duquel la revendication 1 a été réécrite, maintient que le brevet est dépourvu d'activité inventive.
Elle précise qu'un toron est défini dans l'industrie des cordes ou des câbles, ce qui est également repris par les appelants, comme étant un ensemble de fils qui sont retordus ensemble en général enroulé en hélices, et qu'un câble s'il est généralement constitué de plusieurs torons, peut aussi être composé d'un seul toron appelé alors câble monotoron ou câble hélicoïdal.
Monsieur Patrick Rentchler et la société Levasud soulignent que le problème technique que
vise à résoudre le brevet consiste à obtenir une barrière de protection dynamique comportant un filet possédant des propriétés et caractéristiques améliorées en termes de dissipation d'énergie.
Revendication 1 : Barrière de protection dynamique contre les chutes de rochers comportant un filet (12) composé de mailles (30 à 44) circulaires entrelacées les unes avec les autres, de telle sorte que chaque maille est entrelacée avec au moins quatre autres mailles adjacentes, chacune desdites mailles étant constituée d'un câble (50) composé d'un seul toron rebouclé de façon hélicoïdale n fois sur lui-même, caractérisée en ce que le diamètre dudit câble a une valeur croissante selon l'emplacement des mailles, les mailles les plus proches dudit câble de bordure étant constituées d'un câble dont le diamètre est plus important que celui du câble constituant les mailles se trouvant près du centre du filet ".
La société Mare Nostrum Commercial oppose notamment la demande internationale WO A 01-60547 publiée le 23 août 2001 et le brevet européen n° 1255623 Milano déposé le 15 février
2000, délivré le 21 janvier 2004,
Elle fait valoir que ces documents enseignent des mailles sans technique de fermeture et fait valoir que l'augmentation de la résistance de ces mailles à la traction, résulte, des forces de friction intervenant entre les brins.
Ces documents concernent une machine à toronner destinée à fabriquer des mailles ainsi qu'un procédé de formation d'un filet comportant de telles mailles. Le préambule de la traduction rappelle qu'il est connu d'utiliser des filets de protection pour réaliser une barrière ou retenue efficace contre les chutes de pierres/rocher et qu'il y a une grande demande pour des filets métalliques solides comportant des mailles reliées les unes aux autres qui soient capables de supporter des efforts importants. (Page 1 ligne 16, page 2 ligne 7).
Le brevet rappelle (page 2 ligne 8 à la page 3 ligne 21) qu'il est absolument indispensable que les extrémités d'une maille ou boucle d'un tel filet soient fermées sans utiliser de techniques de fermeture (soudage, pinces de serrage) car ces solutions provoquent un point de jonction constituant un point faible dans la structure du filet. De telles mailles sont représentées sur les figures 5 et 6 de ce document qui précise en page 17 lignes 25 à 29 que la maille est constituée de plusieurs tours de fil qui sont toronnnés ensemble et qui ne requièrent pas de moyens tels qu'un manchon ou analogue pour les maintenir ensemble de sorte que la maille ne comporte pas de sertissage.
Les appelants reconnaissent que ces documents enseignent pour obtenir un filet résistant, un filet constitué de mailles ne nécessitant aucune bague, ou autre élément pour tenir les fils formant ensemble la maille. Ils font valoir en revanche que ces documents ne donnent aucune indication sur la façon d'enrouler le fil ou le toron, le nombre de fils ou de toron utilisés pour améliorer la dissipation de l'énergie par la souplesse des mailles, ni une augmentation du diamètre du câble selon une valeur croissante.
Ils précisent que ces documents portent sur l'enroulement d'un fil et non d'un toron qui constitue un ensemble de fils entrelacés et indiquent que les mailles du filet ne sont pas souples ce qui ne permet pas de dissiper l'énergie générée par le choc.
Cependant, ces documents concernent le même domaine technique et enseignent que le filet est destiné à des applications identiques à celles visées au brevet Rentchler et il indique dans la description (page 14 ligne 25) qu'à la place d'un fil il est possible d'utiliser un toron et la figure 5 divulgue plusieurs brins torsadés de sorte que comme dans le brevet Rentchler la souplesse des mailles résulte de l'enroulement des brins.
Ce brevet décrit un filet (35) destiné à être utilisé pour réaliser une barrière de protection dynamique et composé de mailles circulaires (33, 34), entrelacées les unes avec les autres de sorte que chaque maille est entrelacée avec au moins quatre autres mailles adjacentes, dans lequel chaque maille (33, 34) du filet (35) est constituée d'un câble composé d'un seul toron rebouclé de façon hélicoïdale n fois sur lui-même, ce qui correspond en conséquence au préambule de la revendication 1 précitée.
L'invention Rentchler opposée porte sur les caractéristiques " le diamètre dudit câble à une valeur croissante selon l'emplacement des mailles, les mailles les plus proches dudit câble de bordure étant constituées d'un câble dont le diamètre est plus important que celui du câble constituant les mailles se trouvant près du centre du filet " en liaison avec ce préambule.
La description du brevet précise en page 5 lignes 10 à 18 " on constate en effet que les forces exercées sur les mailles sont plus importantes sur les bords du filet... que celles qui s'exercent au centre du filet. Il est donc judicieux de faire croître le diamètre du câble constituant la maille lorsqu'on va du centre du filet vers ses bords. "
Il en résulte que le problème technique recherché dans l'invention est donc que la déformation du filet permettant l'absorption renforcée de l'énergie, résulte du renforcement de certaines mailles en périphérie ou en proximité du câble bordure et améliore ainsi la dissipation d'énergie.
Ce renforcement des mailles est enseigné par le brevet US 3 539 135 Blasting Mat publié le 15 avril 1968 concernant un filet permettant d'arrêter des chutes de rocher ; il s'agit d'une couverture conçue pour être placée dans une zone dans laquelle aura lieu une explosion afin d'empêcher que des éclats et particules de matériau explosif n'endommagent l'espace environnant, qui indique (colonne 1 ligne 74, colonne 2 ligne 2) que ce sont les mailles qui se trouvent à la périphérie du filet qui se cassent le plus vite et que ce sont celles-ci qui doivent être renforcées (colonne 2, ligne 2 à 6) et propose de renforcer les mailles en dédoublant les anneaux. Il est exact comme le soulignent les appelants qu'il porte sur des mailles dont les deux extrémités sont rigidement reliées par un manchon de raccordement, ce qui fragilise ces mailles et ne répond pas comme ils le soutiennent, au problème technique exclusif, selon eux, de ce brevet, d'une résistance accrue du filet.
La nécessité de renforcer les mailles en périphérie pouvant être produit selon ce brevet par d'autres dispositifs et n'exclut pas l'augmentation du diamètre du câble.
Le document EP A 0 370 945 Fatzer publié le 30 mai 1990 cité dans la description du brevet Rentchler concerne un filet en câbles d'acier comme protection contre les chutes de pierres ou les avalanches qui comporte des anneaux ou mailles (1,3). Il décrit que (colonne 2 lignes 28 à 31) les anneaux 1, 3 du filet fermé par un manchon (4) sont réalisés en câble toronné en spirale, comportant avantageusement 7 fils, d'un câble de diamètre de 4 à 20 mm et que le diamètre des mailles est compris entre 100 et 500 mm, avantageusement d'environ 250 mm, alors que la revendication 3 précise que les anneaux de périphérie (3) ont par comparaison aux anneaux intérieurs (1) une plus grande résistance.
Il ressort de l'ensemble de ces documents que le renfort des mailles en périphérie, comme dans le brevet US 3 539 135 peut être obtenu en augmentant le diamètre du câble en augmentant par exemple le nombre de fils comme enseigné dans le document EP A 0 370 945.
Le brevet Fatzer publié le 17 octobre 1989 qui porte sur un filet en fils d'acier pour la protection contre les chutes de pierre ou les avalanches, comporte des anneaux réalisés en câble toronné en spirale, comme dans la revendication 1.
Le brevet US Blasting MAT publié le 15 avril 1968 porte sur un fil de protection constitué d'une pluralité d'anneaux reliés par un manchon de raccordement mais l'absence de point de contact est divulguée par le document Milano et ce document US enseigne que les anneaux au centre du filet se cassent rarement alors que ceux en périphérie ont vocation à se rompre.
Il s'en évince qu'il était connu de l'homme du métier défini ci-dessus que pour répondre à l'effet technique recherché qui est de renforcer la résistance du filet par la dissipation de l'énergie par la résistance des mailles elles-mêmes, ce renfort des mailles devant se porter favorablement sur les anneaux de bordure renforcés, au diamètre plus important, et que celles-ci ne devaient pas comporter de sertissage.
Aussi l'homme du métier tel que défini ci-dessus, en regard de ces enseignements, de ses propres connaissances pouvait de façon évidente par de simples actes d'exécution technique réaliser un filet de protection tel que décrit par l'invention.
C'est donc à bon droit que le tribunal a annulé cette revendication dépourvue d'activité inventive. Revendication 2 porte sur une " barrière de protection dynamique selon la revendication 1, dans laquelle le câble (50) constituant chaque maille comprend un nombre de brins n formés à partir d'un seul toron compris entre 3 et 8 ".
Or, le document EP A 1 255 623 précité décrit en page 14 lignes 24 à 27 une boucle fermée formée par deux fils ou plus toronnnés ensemble ou... d'utiliser un toron ou plusieurs torons simultanément.
Cette caractéristique était déjà connue et combinée avec la première dépourvue d'activité inventive est également dépourvue d'activité inventive.
Revendication 3 : " Barrière de protection dynamique selon la revendication 2, dans laquelle lenombre de n de brins formant ledit câble (50) est égal à 6 ".
Cette caractéristique combinée à la revendication 2 était déjà connue et ne fait préciser le nombre de brins, d'ailleurs le document CH 677 376 MECANROC publié le 15 mai 1991 qui décrit une barrière contre les blocs de pierre comportant un filet de type anti-sous-marin présentant une armature à grosses mailles en boucles fermées circulaires entrelacées illustrée en figure 4 est constitué de 7 brins de 6 mm de diamètres, est également dépourvue d'activité inventive.
Revendication 4, la " Barrière de protection dynamique selon la revendication 1, 2 ou 3, dans laquelle ledit filet (12) est entouré d'un câble de bordure (46) solidaire de poteaux d'ancrage au sol (14, 16), les mailles se trouvant au bord du filet étant entrelacées avec ledit câble de bordure ".
Ces caractéristiques étaient déjà enseignées par le document précité CH 677 376 (figures 1 et 4) qui présente une barrière pour blocs de pierre comportant une nappe de filet (10) pendue lâche à un câble de rive supérieur (11) soutenu par un ensemble de poteaux (2, 24, 2) et par le brevet Fatzer AG, qui combinées aux revendications précédentes dépourvues d'activité inventive est elle-même dépourvue d'activité inventive.
Revendication 5 divulgue une " Barrière de protection dynamique selon la revendication 4, dans laquelle le diamètre des mailles (30 à 44) est compris entre 200 mm et 600 mm ".
Cette caractéristique est enseignée dans le document EP A 1 255 623 (page 5 lignes 26 à 27) " les diamètres intérieurs des boucles toronnées par exemple 0,43 m " soit un diamètre de 430mm compris entre 200 et 600 mm ou dans le document CH 677 376 qui prévoit un diamètre de 420 mm.
Cette caractéristique combinée à la revendication 4 est en conséquence dépourvue de toute activité inventive.
Les revendications 6 et 7 n'étant pas invoquées au soutien de l'action en contrefaçon, la société intimée n'a pas d'intérêt à agir du chef de ces revendications.
Revendication 8 porte sur une " Barrière de protection dynamique selon une quelconque des revendications précédentes, dans laquelle le matériau constituant les mailles du filet est choisi parmi les métaux et notamment l'acier galvanisé ou inoxydable et les fibres polymères synthétiques telles que du polyester ou du polyamide ".
Le document EP A 1 255 623 enseigne (page 16 lignes 19 à 20) que les boucles toronnées peuvent être également formées d'un fil métallique ou fil textile dans un matériau différent de l'acier tel que par exemple du nylon, et le document Milano mentionne l'acier, de sorte que cette caractéristique combinées à l'un quelconque des revendications précédentes dépourvues d'activité inventive est également dépourvue d'activité inventive.
C'est en conséquence à bon droit que le tribunal a annulé l'ensemble des revendications du brevet français n° 0204576 dont est titulaire monsieur Rentchler.
Il n'y a pas lieu dès lors d'examiner si, comme le soutient la société Mare Nostrum
Commercial l'objet du brevet a été étendu au-delà du contenu de la demande telle que déposée.
Sur l'action en contrefaçon
A défaut d'être titulaire de droits de propriété industrielle opposables, monsieur Patrick Rentchler est infondé en ses demandes formées au titre de la contrefaçon et il convient de confirmer le tribunal de ce chef de dispositif.
Sur l'action en concurrence déloyale et parasitisme
La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce ce qui implique qu'un signe ou un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.
L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété de la prestation copiée.
Ainsi le principe est la liberté du commerce ce qui implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle peut être librement reproduit, sous réserve de l'absence de faute préjudiciable à un exercice paisible et loyal de la concurrence.
Pour que la vente d'un produit identique constitue un acte de concurrence déloyale il convient de démonter que cette reproduction est fautive.
Le parasitisme économique est caractérisé par la circonstance selon laquelle une personne, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire ou copie la valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements.
Les appelants font valoir que les sociétés Levasud et Sisyphe étaient en relation d'affaires depuis longtemps et que dans ce contexte la société Levasud a présenté son projet de filet au PDG de la société Sisyphe dès 2002 alors que le brevet était déposé et non publié de sorte qu'après avoir eu connaissance de cette invention elle a évincé la société Sisyphe pour copier cette invention.
Ils ajoutent que la mise au point du filet a demandé à monsieur Rentchler beaucoup de temps et d'investissements et que le filet litigieux est la copie servile de ce filet, de sorte que la société
Sisyphe a profité de ces investissements.
Ces faits sont constitutifs selon eux, d'actes déloyaux et de parasitisme.
Cependant, aucuns faits distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon et en particulier la mise en connaissance de l'invention par la société Levasud n'étant établis, les demandes formées à ce titre, doivent être rejetées.
Il s'en suit que c'est à bon droit que le tribunal a débouté monsieur Rentchler et la société Levasud, de ces chefs.
Sur les autres demandes
L'équité commande d'allouer à la société Mare Nostrum Commerciale la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et de rejeter la demande formée à ce titre par les appelants.
Les dépens resteront à la charge in solidum des appelants qui succombent.
Par ces motifs, Rejette l'ensemble des demandes des appelants, Reforme le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité des revendications 6 et 7 du brevet français n° 02 04 576, Confirme le jugement pour le surplus, Y ajoutant, Condamne in solidum les appelants à payer à la société Mare Nostrum Commerciale la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne in solidum les appelants aux entiers dépens.