Livv
Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 12 novembre 2015, n° 14-06378

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Chichoux

Défendeur :

Bozonnet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Devalette

Conseillers :

Mme Homs, M. Bardoux

T. com. Bourg-en-Bresse, du 4 avr. 2014

4 avril 2014

EXPOSE DU LITIGE

Par acte du 13 janvier 2010, Valérie Chichoux a cédé à Floriane Bozonnet son fonds de commerce de salon d'esthétique moyennant le prix de 52 000 euro.

L'acte de cession comportait une interdiction de concurrence incombant à Madame Valérie Chichoux, stipulée pour une durée de 5 ans et dans un rayon de 10 kilomètres à vol d'oiseau, cette interdiction ne s'appliquant toutefois pas à l'activité " épilation durable sous toutes ses formes ".

En décembre 2011, Madame Bozonnet a procédé à la vente de son fonds de commerce pour la somme de 26 000 euro.

Considérant que le manque de chiffres d'affaires était imputable à la réinstallation en septembre 2010 de Madame Chichoux, à 100 mètres du fonds, en violation de la clause de non concurrence et estimant avoir subi un préjudice au titre d'une décote importante de ce fonds, Madame Bozonnet a assigné le 11 juillet 2013 Madame Chichoux devant le Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse aux fins d'être indemnisée de la perte de marge sur une année à hauteur de 19 000 euro et de la décote du prix de vente à hauteur de 26 000 euro.

Par jugement en date du 16 mai 2014, le Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a :

- constaté la violation de la clause de non concurrence par Madame Chichoux,

- constaté que les fautes de Madame Chichoux ont causé un préjudice à Madame Floriane Bozonnet,

- condamné Madame Chichoux à payer à Madame Bozonnet la somme de 10 900 euro,

- rejeté toutes les autres demandes,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné Madame Valérie Barbero épouse Chichoux à payer à Madame Floriane Bozonnet la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné Madame Valérie Barbero épouse Chichoux aux entiers dépens.

Par déclaration reçue le 28 juillet 2014, Valérie Chichoux a relevé appel de ce jugement.

Dans ses conclusions déposées le 23 octobre 2014, Valérie Chichoux demande à la cour de :

- constater que la clause de non concurrence souscrite par elle exclut l'activité d'épilation durable " sous toutes ses formes ",

- constater qu'elle a développé une activité d'épilation durable,

- dire et juger en conséquence qu'elle a parfaitement respecté les termes du contrat de cession de fonds de commerce régularisé Madame Bozonnet le 13 janvier 2010,

En outre,

- constater que les activités développées par elle et Madame Chichoux ne sont pas concurrentes,

- dire et juger en conséquence que Madame Valérie Chichoux n'a commis aucune faute en informant celles de ses anciennes clientes qui lui en avaient fait la demande préalable des techniques d'épilation durable qu'elle proposait dans son nouvel Institut,

- dire et juger que l'obligation de non concurrence qui pesait sur elle, a été exécutée de bonne foi,

En conséquence,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bourg en Bresse en date du 16 mai 2014,

- condamner Madame Floriane Bozonnet à lui payer la somme de 1 500 euro en réparation du préjudice moral qu'elle a subi,

- condamner Madame Floriane Bozonnet à lui payer à la somme de 3 000 euro au titre de 1'artic1e 700 du Code de procédure civile,

- condamner la même aux dépens.

Valérie Chichoux fait valoir que la clause de non concurrence exclut expressément l'activité d'épilation durable.

Elle affirme que l'activité de sa société est strictement limitée à l'épilation durable comme en témoignent l'extrait K-bis de la société et les documents de communication marketing.

Elle estime que les méthodes qu'elle utilise, à savoir celles intitulées " Epiloderm " et " Epiladerm ", sont des méthodes d'épilation durables puisqu'elles aboutissent toutes deux à une réduction de la repousse du poil sensiblement supérieure à une épilation classique ou traditionnelle.

Elle prétend que dans la mesure où son activité n'est pas concurrente de celle exercée par Madame Bozonnet, l'envoi du courrier qui lui est reproché ne peut être constitutif d'une concurrence déloyale, et ce d'autant plus que les envois n'ont concerné que les clientes qui étaient intéressées par l'épilation durable, soit une quarantaine de personnes sur un fichier clients de plus de 500 personnes.

Elle soutient avoir subi un préjudice moral du fait de son état d'angoisse et de dépression occasionné par les accusations et le procès engagé par Madame Bozonnet.

Dans ses conclusions déposées le 23 décembre 2014, Madame Bozonnet demande à la cour de

- débouter Madame Chichoux de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- constater la violation de la clause de non concurrence dont s'est rendue coupable Madame Chichoux au préjudice de Mademoiselle Bozonnet,

- confirmer le jugement querellé sur le principe de la responsabilité de Madame Chichoux,

- l'infirmer sur le montant de l'indemnisation,

Et statuant à nouveau,

- condamner Madame Chichoux à payer à Mademoiselle B. les sommes suivantes :

différence entre le prix d'achat du fonds de commerce et le prix de vente : 26 000 euro

une année de perte de marge : 19 000 euro

45 000 euro

- condamner Madame Chichoux au paiement de la somme de 2 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens de première instance et d'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Madame Bozonnet expose que la clause de non concurrence ne permettait pas l'usage des cires Epiloderm et Epiladerm qui ne sont pas des méthodes d'épilation durables, toutes deux impliquant une épilation traditionnelle à la cire.

Elle affirme que les seules méthodes d'épilation dites durables sont le laser, la lumière pulsée et l'épilation électrique.

Elle soutient que si la clause de non concurrence était jugée imprécise eu égard à la définition de la durabilité, cette imprécision devrait lui profiter en application de l'article 1602 du Code civil.

Elle estime que Madame Chichoux a procédé à un détournement de clientèle en contactant ses anciennes clientes pour les aviser de l'ouverture du centre d'épilation, engageant dès lors sa responsabilité contractuelle.

Elle prétend que dès l'ouverture du centre de Madame Chichoux, son chiffre d'affaires a baissé considérablement.

Elle affirme que concernant le quantum de l'indemnisation, l'appréciation ne peut être seulement limitée aux actes d'épilation concurrents, la captation de la clientèle ne pouvant être partielle et valant ensuite pour tous les actes de soins de l'institut de beauté, ni limitée à la période de septembre 2010 jusqu'à la revente, la captation de la clientèle ayant impliqué une baisse objective de la valeur du fonds vendu nécessitant une comparaison entre le prix de vente et le prix d'achat.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 24 février 2015.

MOTIFS DE LA DECISION

Dans l'acte authentique de cession du fonds de commerce de salon d'esthétique, en date du 13 janvier 2010, il est expressément stipulé à l'article b19 de l'acte, une interdiction de concurrence à la charge des vendeurs, libellée de la manière suivante : " le cédant s'interdit formellement pendant un délai de 5 ans à compter de ce jour et dans un rayon de 10 kilomètres à vol d'oiseau du fonds, objet des présentes:

- le droit de s'établir et d'exploiter ou de faire valoir un fonds similaire en tout ou partie à celui présentement vendu et de s'intéresser, directement ou indirectement, même à titre d'associé commanditaire ou de salarié dans l'exploitation d'un semblable fonds.

- le droit d'entrer, même à titre gracieux, au service d'une maison concurrente exploitant un fonds similaire en tout ou partie à celui présentement vendu,

- cette interdiction prévaut également pour les ayants droit du cédant.

Cette interdiction de concurrence ne s'applique pas à l'activité suivante " épilation durable sous toutes ses formes ".

De son côté le cessionnaire s'interdit d'exploiter dans les lieux objet des présentes, pendant un délai de 5 ans, l'activité d'épilation durable sous toutes ses formes ".

Madame Bozonnet reproche tout d'abord à Madame Chichoux d'avoir violé cette clause de non concurrence en s'installant en septembre 2010 à 100 mètres du fonds vendu, pour pratiquer une activité, selon les documents publicitaires distribués, d'épilation par " Epiladerm " et " Epiloderm ", techniques d'épilation traditionnelles mais non durables, selon elle, au sens de l'acte de cession et de la profession.

Indépendamment des mentions figurant sur l'extrait KBIS du fonds de commerce exploité par Madame Chichoux à l'intérieur du périmètre de protection, sous la dénomination 'Centre d'Epilation durable Soin de Soi', ou des documents publicitaires vantant les mérites des types d'épilation pratiqués dans cet institut, il reste à établir quel sens ont entendu donner les deux parties à ce terme 'épilation durable' que la cédante était autorisée à exercer, par exception aux autres activités du salon qui lui étaient interdites dans le périmètre de protection, et que la cessionnaire s'interdisait elle-même de pratiquer dans le fonds cédé, sachant qu'en tant que clause d'exception à une clause de non concurrence, qui est limitative de la liberté du commerce, elle doit s'interpréter dans un sens favorable à la cédante et conformément à l'article 1157 du Code civil, dans le sens où une telle clause, engageant réciproquement la cedante et la cessionnaire, peut avoir quelque effet.

Or par opposition à l'appellation " épilation définitive " qui est prohibée puisqu'elle est impossible, l'appellation 'épilation durable' pour des professionnelles de l'esthétique que sont Mesdames C. et B., fait références à des techniques d'épilation plus " durables " que les techniques d'épilation classiques ou à la cire, qu'il s'agisse de l'utilisation du laser, de l'électricité, de la lumière pulsée, comme l'évoque Madame Bozonnet, ou de la technique Epiladerm et Epiloderm utilisée par Madame Chichoux, et d'ailleurs non pratiquée par Madame Bozonnet, dans le fonds cédé, comme elle s'est elle-même interdit de le faire.

Même si ces deux dernières techniques d'épilation sont moins durables et moins coûteuses que les autres techniques au laser ou à l'électricité, dont la mise en œuvre en salon d'esthétique n'est pas, en principe, autorisée, Madame Chichoux n'a pas, en les pratiquant, violé la clause de non concurrence, lui interdisant d'exercer dans un certain périmètre, toutes les autres activités du salon d'esthétique, et notamment, les activités d'épilation traditionnelles (classiques ou naturelles) qui représentent environ 30 % de l'activité de ce salon , peu important que l'Epiladerm , implique une épilation préalable à la cire, avant l'apposition d'une crème spéciale, ou que l'Epiloderm consiste en l'application avec spatule d'une cire naturelle spéciale(cire à base de résine de pin), de durabilité et de coût moindre que la première, mais d'effet plus durable que la cire traditionnelle.

Par ailleurs, Madame Bozonnet reproche à Madame Chichoux d'avoir détourné sa clientèle, commettant ainsi un acte de concurrence déloyale engageant sa responsabilité pour manquement à l'exécution loyale du contrat. Madame Bozonnet prétend ainsi que Madame Chichoux a prospecté toutes les clientes de son institut, en utilisant le fichier clients et toutes les clientes potentielles du centre de Bourg en Bresse dans lequel se situent les deux fonds, par distribution de flyers, de réductions tarifaires ou de publicité dans un journal gratuit.

Elle justifie de ces actions publicitaires ou des contacts pris auprès de certaines clientes qui en attestent, mais non de l'ampleur de ce démarchage et, encore moins, de l'utilisation du fichier cédé.

Madame Chichoux reconnaît certes elle-même avoir adressé une quarantaine de lettres à d'anciennes clientes du salon cédé, mais dans la mesure où l'activité qu'elle exerçait n'était pas concurrente de celle,exercée par Madame Bozonnet dans le salon d'esthétique cédé, ni ces prises de contacts ni ces actions publicitaires ou tarifaires, ne peuvent être qualifiées de déloyales.

Le tribunal de commerce qui pour ce seul motif, a accueilli partiellement, la demande d'indemnisation de Madame Bozonnet, doit être infirmé, faute de caractérisation d'un tel comportement fautif, comme d'une violation de la clause de non concurrence.

Madame Bozonnet doit être déboutée de toutes ses demandes et condamnée à payer à Madame Chichoux une indemnité de procédure de 3 000 euro.

Cette dernière doit être en revanche déboutée de sa demande de dommages intérêts pour préjudice moral, faute de preuve du lien entre les troubles psychiques et physiques qu'elle invoque et dont elle justifie, et un comportement fautif de Madame Bozonnet à son égard, qui serait distinct du différend commercial qui les a opposées, notamment en termes de dénigrement dans le milieu professionnel qu'elle invoque, sans en justifier.

Par ces motifs LA COUR, statuant contradictoirement, Infirme le jugement entrepris, Et statuant à nouveau, Déboute Madame Floriane Bozonnet de ses demandes, Condamne Madame Floriane Bozonnet à payer à Madame Valérie Barbero épouse Chichoux 3 000 euro d'indemnité de procédure, Déboute Madame Chichoux du surplus de ses demandes, Condamne Madame Floriane Bozonnet aux dépens de première instance et d'appel, qui, pour ces derniers seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.