CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 18 décembre 2014, n° 13/08200
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Laine Delau (SAS)
Défendeur :
Accadix (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
MM. Douvreleur, Birolleau
Avocats :
Mes Dumet-Boissin, Maupas-Oudinot, Frasson-Gorret
Faits et procédure
La société Laine Delau, spécialisée dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, a fait appel aux services de la société Accadix, entreprise d'intérim intervenant dans le secteur du bâtiment.
Au cours du dernier semestre de l'année 2010, la société Accadix, s'estimant victime d'une rupture brutale des relations commerciales de la part de la société Laine Delau, a mis cette dernière en demeure de reprendre ces relations ou de l'indemniser du préjudice subi.
Cette mise en demeure étant restée sans effet, la société Accadix a, le 9 mai 2011, fait assigner devant le Tribunal de commerce de Paris la société Laine Delau pour rupture brutale des relations commerciales.
Par jugement du 18 janvier 2013, rectifié le 22 mars 2013, le Tribunal de commerce de Paris a :
- condamné la société Laine Delau à payer à la société Accadix les sommes de 103 267,00 euros à titre de dommages et intérêts et de 5 000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
La société Laine Delau a interjeté appel le 23 avril 2013 contre cette décision.
Par dernières conclusions signifiées le 20 juin 2013, elle demande à la cour de :
- à titre principal, infirmer le jugement rendu le 22 mars 2013 par le Tribunal de commerce de Paris rectifiant celui du 18 janvier 2013, en toutes ses dispositions ;
- à titre subsidiaire, réduire à des plus justes proportions le montant des dommages intérêts ;
- en tout état de cause, condamner la société Accadix à verser à la société Laine Delau la somme de 5 000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient qu'elle a respecté ses obligations vis-à-vis de la société Accadix en mettant en œuvre un préavis de 24 mois, préavis d'une durée suffisante au regard des relations commerciales entretenues entre les parties pendant neuf ans. Elle ajoute que la situation de dépendance économique ou le délai de reconversion ne doivent être pris en compte que pour apprécier l'étendue du préjudice éventuellement subi du fait de la rupture. D'ailleurs, la société Accadix fonde ses demandes sur la rupture brutale de la relation commerciale, et non sur un abus de dépendance économique. A compter de janvier 2008, la société Accadix n'a pas souscrit au nouveau contrat cadre national VCF et n'a pas suivi la procédure de référencement renforcé par le groupe Vinci ; ainsi, elle a mis en péril la pérennisation de ses relations commerciales avec la société Laine Delau.
La société Laine Delau fait valoir, à titre subsidiaire, que le montant des dommages intérêts pour rupture abusive devrait être réduit à de plus justes proportions. En effet, le préjudice invoqué par la société Accadix englobe la perte de marge brute bénéficiaire et le délai de reconversion. Or, en l'espèce, les critères d'un abus de dépendance économique ne sont pas réunis et la société Accadix n'apporte aucun élément permettant de démontrer un tel abus. La société Accadix n'indique pas quelle est la part que représentait la société Laine Delau dans son chiffre d'affaires annuel global, et elle n'indique pas davantage les possibilités de débouchés avec d'autres clients. Enfin, elle précise que la rupture n'était pas brutale puisque celle-ci s'est opérée progressivement, les salariés intérimaires ayant été maintenus jusqu'au terme de leur mission.
La société Accadix, appelante à titre incident, par ses dernières conclusions signifiées le 13 août 2013, demande à la cour de :
- confirmer la décision du tribunal de commerce en ce qu'il a été jugé qu'il y a eu rupture brutale des relations commerciales par la société Laine Delau ;
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé la durée de préavis à respecter à sept mois ;
- dire que, compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales et de la situation de dépendance économique, la société Laine Delau devait respecter un préavis de rupture de 24 mois ;
- constater que la société Laine Delau n'a donné aucun préavis ;
- la condamner à payer la somme de 858 068,00 euros à la société Accadix en réparation des préjudices subis du fait de l'inobservation d'un délai de préavis suffisant ;
- condamner la société Laine Delau à payer une somme de 10 000,00 euros à la société Accadix au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'intimée soutient que le délai de préavis prévu dans le contrat est indifférent pour déterminer celui qui aurait dû être observé, qu'il convient en effet, pour déterminer le délai raisonnable de préavis, d'apprécier l'ancienneté des relations commerciales, dix ans en l'espèce, ainsi que la situation de dépendance économique et le temps nécessaire au cocontractant pour se réorganiser et trouver de nouveaux débouchés. En l'espèce, le groupe Vinci, dont fait partie la société Laine Delau, représentait plus de 40 % de l'activité de la société Accadix jusqu'à ce que toutes les sociétés du groupe mettent un terme à leurs relations commerciales avec Accadix.
Elle fait valoir qu'elle est en droit d'obtenir réparation du préjudice résultant du caractère brutal de la rupture, préjudice correspondant à la perte de marge bénéficiaire brute qu'elle pouvait espérer si les relations commerciales s'étaient poursuivies. Elle précise que, par suite de cette rupture, elle va devoir procéder à des investissements importants pour trouver une solution de substitution, et que son préjudice s'étend à l'atteinte à sa réputation et à son image dont elle a été victime.
Elle indique qu'il n'y a jamais eu de contrat de référencement conclu entre elle et la société Laine Delau pour une durée déterminée. D'ailleurs, les relations commerciales de la société Laine Delau avec la société Accadix étaient plus anciennes que celles entretenues avec la société GTM Bâtiment, cette dernière n'avait donc pas à faire la promotion de la société Accadix auprès de la société Laine Delau. En outre, la société Laine Delau n'a, à aucun moment, formalisé par écrit sa décision de rompre les relations commerciales, et a continué à faire appel à elle au-delà de la date théorique après laquelle la société Accadix devait être référencée auprès du groupe Vinci. Il n'y a donc jamais eu de préavis de rupture.
MOTIFS
Considérant que l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce dispose qu'"engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte, notamment, de la durée de la relation commerciale." ;
Considérant qu'il est constant que le contrat de référencement conclu entre la société Accadix et la société GTM Construction, dont la société Laine Delau est la filiale, pour une durée de trois ans à compter du 1er janvier 2005 est parvenu à son terme le 31 décembre 2007 ; que les relations commerciales entre les sociétés Laine Delau et Accadix se sont néanmoins poursuivies jusqu'en juin 2010 ; que, si Laine Delau prétend avoir respecté un préavis de rupture des relations commerciales de 24 mois - soit des mois de juin 2008 à juin 2010 - il convient de constater que Laine Delau n'a adressé à Accadix aucune notification écrite de rupture de la relation ; que la volonté de Laine Delau de mettre un terme à la relation ne saurait se déduire :
- ni du non-renouvellement des missions d'intérim parvenues à échéance ;
- ni de la seule diminution des sollicitations de Laine Delau auprès d'Accadix à partir du début de l'année 2008 ;
Que la rupture par Laine Delau de la relation commerciale a, dans ces circonstances, présenté un caractère brutal ;
Considérant qu'il appartient à la cour de fixer la durée raisonnable du préavis de rupture que la société Laine Delau aurait dû respecter ; que cette durée doit être déterminée par référence à l'ancienneté de la relation commerciale, au délai de reconversion et à un éventuel état de dépendance ;
Considérant que seule étant recherchée l'indemnisation de la rupture brutale de la relation commerciale par Laine Delau, et non par d'autres sociétés du Groupe Vinci ; qu'Accadix ne rapporte pas la preuve d'un état de dépendance économique par rapport à Laine Delau, les éléments communiqués par Accadix selon lesquels la seule société Laine Delau représentait 4,3 % du chiffre d'affaires d'Accadix en 2008 et 11 % en 2009, ne démontrant pas la réalité d'un tel état ; que, compte tenu tant de l'ancienneté de la relation - 9 années de 2001 à 2010 - que de la capacité d'Accadix, eu égard à son secteur d'activité - l'intérim dans le BTP - à s'adapter et à trouver de nouveaux partenaires, la durée de préavis de 7 mois retenue par les premiers juges est adaptée ;
Considérant qu'Accadix justifie, par la production d'une attestation de son expert-comptable (pièce n° 2 communiquée par Accadix), de ce qu'elle a réalisé, en 2009, avec Laine Delau un chiffre d'affaires de 1 105 405,00 euros, soit, pour un taux de 20,50 % dont elle fait état dans ses écritures - inférieur à celui de 21,56 % attesté par l'expert-comptable - une marge brute annuelle de 226 608,20 euros ; qu'elle est en conséquence fondée à obtenir une indemnisation à hauteur de 132 188,01 euros au titre du préavis de 7 mois ; que le jugement sera réformé sur ce point ;
Considérant que l'équité commande de condamner Laine Delau à payer à Accadix la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;
Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris, sauf sur le montant des dommages et intérêts alloués à la SARL Accadix, Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la SAS Laine Delau à payer la somme de 132 188,01 euros, Condamne la SAS Laine Delau à payer à la SARL Accadix la somme de 2 000,00 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne la SAS Laine Delau aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.