CA Orléans, ch. com., économique et financière, 19 novembre 2015, n° 15-00313
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Domaine Huet (SAS), L'Echansonne Huet Distribution (SARL)
Défendeur :
Oenotria (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Raffejeaud
Conseillers :
Mme Hours, M. Monge
Avocats :
Mes Lueger, Lepage, Dubois, Marconi, Meyer
La société Domaine Huet exploite une propriété viticole à Vouvray (Indre-et-Loire).
Elle a confié la commercialisation de ses vins à la société L'Echansonne.
La société Oenotria est devenue l'agent commercial pour l'Allemagne de ces deux sociétés à partir du 3 mars 1998.
À la suite de la cession des titres des sociétés Domaine Huet et L'Echansonne à la famille Hwang, les consorts Huet, cédants, ont conservé la propriété et la commercialisation des vins produits avant 1975 et de ceux du millésime 1989.
À cet effet, ils ont constitué en 2002 la société Gaston Huet, dont la société Oenotria est également devenue l'agent commercial.
En outre, la société Gaston Huet a confié la distribution de ses vins à la société L'Echansonne.
Ce dernier contrat de distribution a été résilié le 31 août 2012 par la société Gaston Huet et la société Domaine Huet s'est alors plainte de ce que la société Oenotria proposait à ses clients, notamment la société Vinaturel, les vins de la société Gaston Huet.
C'est dans ces conditions que, le 12 février 2013, la société Domaine Huet a notifié à la société Oenotria la résiliation du contrat d'agence commerciale qui les liait, tandis que la société L'Echansonne, sans procéder de même, cessait toute relation commerciale avec cette dernière.
La société Oenotria a alors assigné la société Domaine Huet le 3 mai 2013, et la société L'Echansonne le 1er août 2013 devant le Tribunal de commerce de Tours aux fins de paiement de ses indemnités compensatrices.
Par jugement en date du 21 novembre 2014, le tribunal a condamné solidairement les sociétés Domaine Huet et L'Echansonne à payer à la société Oenotria la somme de 19 818 euro au titre de l'indemnité compensatrice de cessation de contrat, celle de 2 474,22 euro au titre de l'indemnité de préavis et celle de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, les premiers juges ont retenu qu'il existait deux contrats distincts d'agence commerciale ; que la société Oenotria n'avait pas commis de faute grave ; qu'au contraire, la société L'Echansonne, en rendant impossible la commercialisation de ses produits par son agent sans pour autant résilier son contrat, avait manqué de loyauté à son égard, de sorte qu'il convenait de constater la rupture unilatérale du contrat ; que les indemnités de rupture devaient correspondre aux deux dernières années de commissions ; qu'un préavis de trois mois était dû à la société Oenotria que ni l'un ni l'autre de ses mandants n'avaient respecté.
Pour justifier enfin le prononcé de condamnations solidaires, les premiers juges ont retenu que les sociétés Domaine Huet et L'Echansonne avaient une activité identique et des dirigeants communs, tandis que la concomitance de la volonté de rupture du contrat par la première et le manque de loyauté de la seconde étaient significatifs d'une solidarité commune dans l'éviction de leur agent.
Les sociétés Domaine Huet et L'Echansonne ont régulièrement interjeté appel de cette décision le 20 janvier 2015.
Elles ont approuvé les premiers juges d'avoir retenu l'existence de deux contrats distincts, mais leur ont reproché de ne pas en avoir tiré les conséquences en prononçant des condamnations solidaires qui n'avaient pas lieu d'être.
La société Domaine Huet a justifié la résiliation du contrat d'agence commerciale par le manque de loyauté de la société Oenotria, pour avoir proposé à ses clients les vins de la société Gaston Huet après que celle-ci eut rompu ses relations contractuelles avec la société L'Echansonne.
Estimant que la société Oenotria avait commis une faute grave, elle s'est alors opposée au versement d'une indemnité de rupture.
À titre subsidiaire, elle a estimé que la société Oenotria ne pourrait prétendre qu'à une somme de 889,49 euro au titre du préavis et à une somme de 7 115,94 euro au titre de l'indemnité compensatrice de cessation du contrat.
Quant à la société L'Echansonne, elle s'est opposée aux prétentions de la société Oenotria, en faisant valoir que le contrat d'agence commerciale n'était pas rompu et que c'était la société Oenotria qui avait pris l'initiative de cesser de commercialiser des vins par son intermédiaire, y compris les vins autres que ceux de la société Domaine Huet.
À titre subsidiaire, elle a fait valoir que la société Oenotria ne pourrait prétendre à une indemnité supérieure à 7 899,48 euro.
Les deux appelantes ont enfin sollicité chacune une somme de 3 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Oenotria s'est attachée à réfuter l'argumentation des appelantes, pour conclure à la confirmation de la décision entreprise et solliciter deux indemnités de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
À titre subsidiaire, si la solidarité n'était pas maintenue, elle a réclamé, d'une part, à la société Domaine Huet une indemnité de cessation de contrat d'un montant de 8 314,41 euro et une indemnité de préavis d'un montant de 1 039,27 euro et, d'autre part, à la société L'Echansonne des indemnités respectives de 11 503,59 euro et de 1 434,95 euro pour les mêmes causes.
SUR CE,
Attendu que c'est par des motifs inopérants que les premiers juges ont prononcé une condamnation solidaire des sociétés Domaine Huet et L'Echansonne, alors que la société Oenotria était liée à chacune d'entre elles par des contrats distincts ainsi qu'ils l'avaient exactement relevé ;
Sur la résiliation du contrat d'agence commerciale par la société Domaine Huet :
Attendu que, selon l'article L. 134-11 du Code de commerce, l'agent commercial a droit à un préavis de trois mois lorsque le contrat a duré plus de trois ans ;
Qu'en outre, selon les articles L. 134-12 et L. 134-13, il a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, à moins que la cessation du contrat n'ait été provoquée par une faute grave de sa part ;
Attendu qu'en l'espèce, la société Domaine Huet a résilié le contrat d'agence commerciale, le 12 février 2013, sans préavis et au motif que la société Oenotria continuait à proposer à leurs clients communs les vins de la société Gaston Huet après que celle-ci eut dénoncé ses relations commerciales avec la société L'Echansonne à effet du 31 août 2012 ;
Mais attendu que la société Oenotria était depuis 2002 l'agent à la fois de la société Gaston Huet et de la société Domaine Huet sans que cette dernière n'ait jamais rien trouvé à y redire ainsi qu'elle le reconnaît elle-même ;
Que la rupture des relations commerciales entre les sociétés Gaston Huet et L'Echansonne n'est pas le fait de la société Oenotria et que celle-ci n'avait aucune raison de renoncer aux clients communs des sociétés Gaston Huet et Domaine Huet ;
Que la société Oenotria n'a ainsi commis aucune faute, et encore moins une faute grave, en continuant à distribuer les vins de la société Gaston Huet, alors qu'il n'est même pas établi qu'elle aurait cherché à favoriser celle-ci au détriment de la société Domaine Huet ;
Qu'elle a, en conséquence, droit à une indemnité compensatrice que les premiers juges ont exactement appréciée au montant des deux dernières années de commissions brutes ;
Qu'ainsi, lui est due une indemnité compensatrice d'un montant de 8 314,41 euro, outre une indemnité de préavis de trois mois d'un montant de 1 039,27 euro ;
Sur la cessation des relations entre la société Oenotria et la société L'Echansonne :
Attendu qu'il est de fait qu'après la dénonciation par la société Gaston Huet du contrat de distribution qui la liait à la société L'Echansonne, cette dernière, sans résilier, comme la société Domaine Huet, le contrat d'agence commerciale qui la liait à la société Oenotria, a cessé toutes relations avec celle-ci ;
Que les premiers juges ont exactement déduit de l'absence de réponse de la société L'Echansonne aux deux sommations qui lui avaient été adressées les 29 novembre et 18 décembre 2013 d'avoir à justifier notamment de l'envoi des tarifs et des échantillons à la société Oenotria, que c'était elle et non cette dernière qui avait pris l'initiative de la cessation des relations commerciales ;
Que les premiers juges en ont alors à bon droit conclu que l'attitude de la société L'Echansonne équivalait à une résiliation du contrat d'agence commerciale à son initiative, sans faute de l'agent et sans préavis ;
Que les indemnités auxquelles la société Oenotria a droit, sur les mêmes bases que pour le contrat la liant à la société Domaine Huet, sont ainsi fixées à 11 503,59 euro pour l'indemnité de rupture et à 1 434,95 euro pour l'indemnité de préavis ;
Sur l'article 700 et les dépens :
Attendu que les appelantes qui succombent, paieront chacune à l'intimée une somme de 2000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et supporteront les dépens ;
Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé des condamnations solidaires des sociétés Domaine Huet et L'Echansonne, Statuant à nouveau, Condamne la société Domaine Huet à payer à la société Oenotria, la somme de huit mille trois cent quatorze euro quarante et un centimes (8 314,41 euro) à titre d'indemnité compensatrice, la somme de mille trente-neuf euro vingt-sept centimes (1 039,27 euro) à titre d'indemnité de préavis, la somme de deux mille (2 000) euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société L'Echansonne à payer à la société Oenotria, la somme de onze mille cinq cent trois euro cinquante-neuf centimes (11 503,59 euro) à titre d'indemnité compensatrice, la somme de mille quatre cent trente-quatre euro quatre-vingt-quinze centimes (1 434,95 euro) à titre d'indemnité de préavis, la somme de deux mille (2 000) euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne les sociétés Domaine Huet et L'Echansonne aux entiers dépens.