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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 15 décembre 2015, n° 14-05754

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Autocars R Suzanne (SA)

Défendeur :

Le Gal, Menard, Neotravel (SAS), Google France (Sté), Google Ireland Ltd (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Palau

Conseillers :

MM. Ardisson, Leplat

Avocats :

Mes Thibault, Jullien, Debray, Lafon, Testaud, Netter Adler, Panchot, Proust, Thomas-Sertillanges

T. com. Nanterre, du 26 juin 2014

26 juin 2014

La SA Autocars R Suzanne est spécialisée dans le transport routier de voyageurs.

Elle a créé un site Internet intitulé " www.autocars-suzanne.com. " Chaque internaute peut, par l'intermédiaire du moteur de recherches Google accéder au site en tapant, dans la barre de recherches, les mots-clés : "Autocars Suzanne " ou " Autocar Suzanne ".

La société Neotravel exerce la même activité que la société Autocars Suzanne. Elle a été créée récemment. Messieurs Menard et Le Gal en sont le président et le directeur général.

Elle exploite un site Internet " www.autocar-location.com " précédemment exploité par la société VTR Voyages.

La société Google Inc. a développé un service de référencement payant dénommé AdWords qui permet à tout souscripteur de faire afficher des annonces publicitaires sur les pages de résultats du moteur de recherche Google dans les espaces dédiés à cette fin pour promouvoir son site Internet.

Les liens commerciaux se présentent sous la bannière " annonces " et un " clic " sur l'un de ces liens renvoie l'internaute vers le site concerné.

Ce service est commercialisé en Europe par la société Google Ireland Ltd.

La société Neotravel utilise le système AdWords proposé par la société Google.

Maître Claise, huissier de justice, est intervenu le 28 juillet 2011 à la requête de la société Autocars Suzanne et a tapé la requête " Autocars Suzanne " dans le moteur de recherche Google.

Il est apparu une page présentant, notamment, en partie supérieure, dans un encadrement de couleur jaune, et comportant dans la partie supérieure droite la mention : " Annonces " une annonce ayant pour titre " Autocars Suzanne I Autocars Location.com " avec la phrase annonce : " Faites jouer la concurrence : devis gratuit d'autocar avec chauffeur '" suivie de l'adresse du site www.autocar-location.com.

Sont apparus ensuite les résultats " naturels " de la recherche du moteur, le premier résultat étant : " Autocars Suzanne " avec l'adresse de la société et de son site Internet.

En cliquant sur le lien www.autocar-location.com, l'huissier est parvenu au site de la société Neotravel.

Par actes des 30 mai et 6 et 8 juin 2012 et 21 février 2013, la société Autocars R Suzanne a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Nanterre la société Neotravel, Messieurs Menard et Le Gal, la société Google France et la société Google Ireland.

Par jugement du 26 juin 2014, le tribunal a mis hors de cause la société Google France et Messieurs Menard et Le Gal et rejeté les demandes de la société.

Il a condamné celle-ci à payer, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, à Monsieur Menard et à Monsieur le Gal la somme de 1 000 euro et à la société Google France celle de 2 000 euro.

Par déclaration du 25 juillet 2014, la société Autocars R Suzanne a interjeté appel.

Dans ses dernières conclusions portant le numéro 2 en date du 15 décembre 2014, la société Autocars R Suzanne sollicite l'infirmation du jugement.

Elle demande que la société Neotravel, Messieurs Menard et Le Gal, la société Google France et la société Google Ireland soient condamnés solidairement à lui payer les sommes de 200.000 euro à titre de dommages et intérêts et de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société expose qu'elle a été créée en 1964, qu'elle dispose de 100 véhicules et de 150 chauffeurs et qu'elle réalise un chiffre d'affaires de plus de 10 000 000 euro.

Elle rappelle le constat dressé par Maître Claise.

Elle déclare que l'internaute tapant son nom arrive ainsi chez son concurrent et estime que celui-ci se rend coupable d'un détournement de clientèle et d'une forme déloyale de concurrence créée par un bandeau publicitaire dont le contenu relève de la responsabilité des sociétés Neotravel et Google.

Elle rappelle l'intérêt commercial pour une personne de voir s'afficher un bandeau publicitaire lorsqu'un mot clé est tapé par un internaute.

Elle souligne que le site Internet Autocar-Location.com a été délibérément associé au nom Autocars Suzanne, ainsi qu'il résulte de la chaîne de caractères " Autocars Suzanne I Autocar location.com ", alors qu'il n'a rien à voir avec lui. Elle estime qu'il s'agit précisément de l'objet de l'accord entre le bénéficiaire de la concurrence déloyale et Google soit faire apparaître un bandeau publicitaire qui orientera au final l'internaute vers le concurrent.

Elle fait état d'un acte de concurrence déloyale malveillant et indique que le même huissier a constaté que trois autres sociétés étaient victimes du même concurrent indélicat.

Elle déclare que peu importerait si en tapant les mots-clés Autocars Suzanne apparaissait un bandeau publicitaire comportant exclusivement " neotravel " mais souligne que tel n'est pas le cas, la chaine de caractères " Autocars Suzanne " du bandeau publicitaire renvoyant au site concurrent.

Elle soutient que la responsabilité juridique de la société Neotravel, qui propose le même type de prestations sur une même zone géographique, est engagée en raison d'une confusion par imitation et en raison d'un parasitisme publicitaire.

Elle affirme que l'imitation provoque la confusion dès lors qu'à chaque fois qu'un internaute effectue une recherche avec le mot-clé " Autocars Suzanne ", il accède automatiquement et sans manipulation technique de sa part à une page de résultats diffusant une annonce publicitaire renvoyant sur le site de la société Neotravel. Elle considère que la déloyauté résulte d'une manœuvre destinée à créer une confusion entre les entreprises concurrentes et invoque un jugement du tribunal de grande instance de Paris. Elle fait valoir que la faute consiste en l'usurpation de la dénomination sociale " Autocars Suzanne " qui, seule, permet d'induire l'internaute en erreur sur la destination du lien auquel il accède soit en faisant croire à l'existence d'un lien entre les deux sociétés soit en lui faisant croire qu'il accède à un lien appartenant à Autocars Suzanne.

Elle invoque un parasitisme publicitaire. Elle rappelle que le parasitisme économique s'entend comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer partie, sans dépenser, de son savoir-faire et de ses efforts. Elle estime que tel est le cas de la société Neotravel qui n'a pas voulu prendre le temps de se faire sa propre réputation et a préféré associer de manière déloyale sa société à celle de la société Autocars Suzanne en créant la confusion entre ces mots clés et son site.

Elle affirme que le fait que l'annonce se situe dans les liens commerciaux ne permet pas de déduire que le lien proposé est une offre concurrente dès lors que l'annonce apparaît au premier regard et avant tout lien permettant d'accéder au site d'Autocars Suzanne. Elle estime qu'elle provoque un doute sur l'existence d'un lien commercial entre les sociétés voire sur l'existence d'une offre promotionnelle lui permettant de contracter à moindre coût mais toujours avec Autocars Suzanne. Elle estime que la position des publicités et leur typographie ne permet pas à l'internaute de les distinguer des recherches naturelles. Elle se prévaut de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, peu important que la dénomination sociale n'ait pas été déposée comme marque dans la mesure où la confusion par imitation n'est pas réservée aux seules marques. Elle excipe également de l'article 20 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

Elle conclut que cette utilisation déloyale de la dénomination " Autocars Suzanne " permet à la société Neotravel de s'attirer la renommée de la société sans fournir d'effort ou démontrer son savoir-faire.

Elle invoque une publicité trompeuse, l'internaute ne pouvant qu'être porté à croire à l'existence d'un lien commercial particulier entre les sites des deux sociétés au travers notamment d'une possible identité des prestations proposées. Elle affirme que cette manœuvre a détourné des clients potentiels, l'huissier ayant constaté que la société Neotravel faisait référence à des clients prestigieux.

Elle conclut que l'ensemble de ce comportement est constitutif d'une pratique de concurrence déloyale.

L'appelante expose que les clients utilisant le service publicitaire " AdWords " de Google contractent juridiquement avec la société Google Ireland qui agit comme prestataire de service, le service consistant à afficher le bandeau publicitaire de la société commanditaire qui s'affichera pour certains mots clés tapés. Elle expose également que la société Google France intervient sur le territoire français pour gérer le service sur le plan marketing et publicitaire étant précisé que la société Google Ireland facture et encaisse le coût de la prestation.

En ce qui concerne la société Google Ireland, elle déclare que la société Google INC (Etats Unis) est propriétaire du service publicitaire AdWords et en a confié la commercialisation en Europe à la société Google Ireland. Elle fait valoir que celle-ci a contribué à la confusion précitée, le contenu du bandeau publicitaire étant inséré par elle qui participe donc techniquement à la confusion. Elle excipe d'un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 11 mars 2011 et estime sans incidence qu'il ait été cassé, pour un motif tiré de l'inapplication de la loi au stockage de données-étranger à la présente espèce. Elle souligne qu'il existe en l'espèce un affichage d'une publicité dont l'afficheur n'ignore rien du contenu qui lui a été contractuellement indiqué par le bénéficiaire de la publicité. Elle ajoute l'absence de droit acquis à une jurisprudence immuable.

Elle invoque un manquement de la société Google Ireland à sa propre politique d'utilisation. Elle conteste que la société puisse bénéficier de la tolérance prévue à l'article 6 de la loi du 21 juin 2004. Elle relève que, dans son processus d'approbation, la société Google déclare que " ni les annonces ni les sites ne doivent contenir de propos susceptibles de prêter à confusion au sujet d'une association entre vos services et ceux d'une autre entreprise " et cite un exemple donné par la société selon lequel l'autorisation ne serait pas donnée en cas d'utilisation des termes " Les chaussures de Paul " dans une annonce qui ne serait pas utilisée pour une entreprise affiliée à " Les chaussures de Paul ".

Elle soutient donc que, malgré son statut d'hébergeur en ce qui concerne le service Ad Words, la société s'est engagée unilatéralement à opérer des vérifications et y a manqué.

Elle ajoute qu'au jour des constats d'huissier, elle ne bénéficiait pas du statut d'hébergeur.

Enfin, elle relève que le document imprimé le 6 mars 2012 produit par elle était en vigueur lors des faits en l'absence de toute modification depuis septembre 2010 et en conclut que son engagement unilatéral était applicable.

Elle invoque un manquement de la société Google France qui n'est pas totalement étrangère au service AdWords. Elle souligne que celle-ci envoie régulièrement des publicités aux professionnels afin qu'ils contractent ce service. Elle conteste que la société Google France soit une " coquille vide ", étant immatriculée au RCS depuis 2002, constituée sous forme de SARL, avec un siège social, un objet social, ayant ses propres salariés et un chiffre d'affaires en hausse. Elle considère qu'elle est responsable du comportement déloyal de la société Neotravel et se prévaut d'un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 9 avril 2014 rejetant sa demande de mise hors de cause.

Elle soutient que Messieurs Menard et Le Gal en tant que dirigeants de droit et de fait de la société Neotravel sont directement à l'origine de la concurrence déloyale.

La société indique que l'essentiel de son chiffre d'affaires provient des demandes d'information et de devis formées sur son site. Elle fait état de son chiffre d'affaires de 2008 à 2011.

Elle précise que le préjudice subi résulte davantage de la qualité des clients que de leur nombre. Elle relève que les graphiques produits ne portent que sur les résultats par l'intermédiaire de deux mots clés alors que d'autres auraient pu être utilisés et considère que le préjudice ne s'évalue pas selon le nombre exact d'internautes détournés mais en fonction de leur qualité, un client capté par la société intimée ayant été susceptible de conclure un contrat important avec elle ce qui justifie sa demande indemnitaire.

Dans ses dernières écritures en date du 18 décembre 2014, la SAS Neotravel conclut au rejet des demandes et à la confirmation du jugement.

Elle demande que soient écartées des débats les pièces 2 à 4 produites par l'appelante.

Elle réclame le paiement par elle d'une somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société expose que la société Autocars Suzanne a attiré, le 28 juillet 2011, son attention sur le fait qu'un lien apparaissait vers le site www.autocar-location.com lorsque le mot " Autocars Suzanne " était introduit dans le moteur de recherche Google et qu'elle a immédiatement procédé aux corrections nécessaires. Elle relève qu'elle a été assignée le 6 juin 2012 pour des faits constatés le 28 juillet 2011.

Elle déclare que le constat démontre que le résultat de la recherche proposait de cliquer sur un lien pointant vers le site Internet de la société Autocars Suzanne, qu'une publicité pour le site " autocar-location.com " apparaissait mais dans un cadre jaune distinct dénommé " annonces " et que sa publicité n'apparaissait pas sur d'autres moteurs de recherche.

Elle conteste tout acte de concurrence déloyale et parasitaire.

Elle affirme que sa démarche s'inscrit dans le cadre de la liberté de concurrence et ce, d'autant plus, que la marque " Autocars Suzanne " n'est pas enregistrée et qu'il est impossible de se constituer un monopole par le biais d'une action en concurrence déloyale.

Elle considère qu'en ne protégeant pas sa dénomination par le droit des marques, l'appelante s'est soumise de son plein gré à une concurrence accrue ainsi que l'a relevé le tribunal.

Elle dément tout risque de confusion entre les mots clés Autocars Suzanne et son site. Elle rappelle que ce risque s'apprécie chez un public " moyennement attentif ".

Elle estime que le risque de confusion n'est pas démontré.

Elle conteste que l'internaute entrant les termes " Autocars Suzanne " puisse être capté par elle. Elle déclare qu'il sait qu'il trouvera le site recherché et estime que ce n'est pas une publicité, dans la rubrique " annonces ", pour son site qui le conduira à contracter avec elle.

Elle ajoute que, dès lors que l'internaute arrive sur son site par le biais de la publicité annoncée comme telle, aucune mention n'est faite à Autocars Suzanne. Elle observe que le site de l'appelante est le premier référencé lorsque les mots " Autocars Suzanne " sont tapés.

Elle affirme enfin que certaines des grandes sociétés mentionnées par la société Autocars Suzanne avaient eu un premier contact en 2010 avec son site lorsqu'il était exploité par la société VTR Voyages.

Elle invoque également la liberté de concurrencer dans le cadre du système AdWords. Elle fait valoir, excipant d'arrêts, que l'annonceur utilisant ce système pour promouvoir ses services par le biais d'un lien vers son site Internet ne fait pas l'objet de condamnation. Elle rappelle que l'arrêt du 11 mai 2011 a été cassé et excipe d'arrêts postérieurs.

A titre subsidiaire, elle excipe de sa bonne foi au motif qu'avisée le 28 juillet 2011, elle a fait en sorte que le lien publicitaire vers son site n'apparaisse plus.

Elle qualifie le trafic généré par ces liens commerciaux de négligeable. Elle fait état de 78 visites sur son site à partir des mots clés " autocars Suzanne " et " autocar Suzanne " du 1 er janvier au 31 juillet 2011 dont 68 du 1er juillet au 31 juillet. Elle affirme que le nombre important constaté en juillet est le fruit notamment du nombre de clics nécessités par le travail préparatoire au constat d'huissier.

Elle conteste être le seul auteur du choix des termes " autocar Suzanne " et " autocars Suzanne ", elle-même ayant seulement sélectionné les mots-clés que la société Google lui avait suggérés en premier lieu.

Elle estime recevables ses pièces 11-1 et 11-2 - qui constituent des copies d'écran - dont le rejet est demandé par l'appelante.

A titre très subsidiaire, elle conteste tout préjudice et observe que la demande indemnitaire est passée de 100 000 à 200 000 euro.

Dans ses dernières écritures en date du 20 février 2015, la société Google Ireland Ltd conclut à la confirmation du jugement et réclame le paiement d'une somme de 40 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société présente le système AdWords et son fonctionnement.

Elle précise que ce système est placé en Europe sous le contrôle et la responsabilité de la seule société Google Ireland et qu'elle met à la disposition des annonceurs une interface en ligne " self-service " et un logiciel de création mais souligne que le choix final, la validation et le contrôle des mots clés est exclusivement le fait des annonceurs souhaitant voir leur site référencé.

Elle expose que la société Neotravel a souscrit au programme AdWords en janvier 2011, qu'elle a sélectionné les mots clés " autocars suzanne " et " autocar suzanne " et qu'à la suite d'une recherche à partir du mot " autocars suzanne " (et non " autocar suzanne ") serait apparue l'annonce " Autocars Suzanne I Autocar-location.com faites jouer la concurrence : devis gratuit d'autocar avec chauffeur ".

Elle relève que 78 visites supplémentaires du site de l'intimée ont été entraînées par cette annonce du 1 er janvier au 31 juillet 2011 et que la société Neotravel déclare, sans être contestée, avoir procédé aux corrections nécessaires dès qu'elle a été informée par la société appelante.

La société demande que soit confirmé le jugement en ce qu'il a jugé malfondées les demandes faites à son encontre en l'absence de faute de la société Neotravel.

Elle reprend les termes du jugement.

Elle soutient qu'en tout état de cause, elle n'a pas engagé sa responsabilité.

Elle fait valoir qu'elle est simple hébergeur des annonces, ne faisant que suivre les instructions de la société Neotravel en stockant les données de cette annonce sur ses serveurs informatiques en vue d'une communication à la demande de la société Neotravel.

Elle affirme avoir ainsi rendu un service consistant à assurer " pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services " au sens de l'article 6 de la loi du 21 juin 2004 relatif à la responsabilité des hébergeurs. Elle déclare qu'il est désormais acquis que les prestataires de référencement payant tels Google ont la qualité d'hébergeurs.

La société soutient qu'elle est, dans le cadre de la prestation AdWords, un hébergeur. Elle déclare, visant un arrêt de la CJUE du 23 mars 2010 se prononçant sur la responsabilité de la société Google Inc du fait de l'hébergement d'annonces dans le cadre du service Ad Words, que les prestataires de référencement payant bénéficient de ce régime sauf hypothèse d'un rôle actif leur confiant la connaissance ou le contrôle des données stockées. Elle indique que la CJUE a précisé les circonstances permettant au juge national de considérer qu'elle a joué ce rôle actif soit en cas d'implication active de Google dans la phase intellectuelle de sélection des mots-clés et de rédaction des annonces qui caractériserait un éventuel " contrôle " c'est à dire une participation de type " éditorial " à l'élaboration des annonces.

Elle relate également qu'en conséquence de cet arrêt, la cour de cassation a, le 13 juillet 2010, cassé des arrêts ayant refusé de lui appliquer le statut d'hébergeur sans constater son rôle actif " de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données stockées " et en se fondant sur des caractéristiques inopérantes du service AdWords qu'elle cite. Elle excipe d'un arrêt du 29 janvier 2013 ayant cassé l'arrêt invoqué par l'appelante.

Elle soutient qu'en l'espèce, elle n'exerce aucun rôle actif dans la rédaction des annonces de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données stockées.

Elle déclare ne pas être intervenue dans la rédaction de l'annonce dont le contenu est entièrement imputable à la société Neotravel qui ne le nie pas et qui déclare avoir procédé aux corrections nécessaires après la réclamation de la société appelante. Elle en infère qu'elle s'est contentée de stocker l'information à la demande de l'annonceur.

Elle déclare ne pas être intervenue dans le choix des mots-clés relatifs à l'annonce, ce choix étant entièrement imputable à la société Neotravel. Elle indique que les mots-clés litigieux ont été ajoutés pour la première fois par celle-ci le 3 octobre 2009 et que d'autres mots-clés correspondant à des dénominations de sociétés d'autocars ont été ajoutés les 21 et 30 juin 2011 dans le cadre de nouvelles campagnes. Elle fait donc état d'une volonté autonome et délibérée de celle-ci alors même qu'elle appelle les annonceurs à la plus grande vigilance lors de la saisie de ceux-ci.

Elle déclare que l'existence d'un processus sommaire et automatisé de validation des annonces n'implique pas le moindre rôle actif de sa part. Elle admet avoir mis en place à l'époque des faits des outils permettant de détecter certaines formes de contenus illicites mis estime paradoxal que ce progrès lui fasse perdre le bénéfice du régime des hébergeurs.

Elle indique que ces processus de détection sont automatisés et aléatoires, sans vérification humaine, systématique et exhaustive, et qu'ils ne permettaient pas de détecter la reproduction du nom commercial " Autocars Suzanne " en l'absence de réclamation antérieure. Elle souligne qu'un contrôle automatisé ne peut être exhaustif et s'étendre à des questions juridiques telles qu'une usurpation de nom commercial. Elle ajoute que ce processus de contrôle a postériori, après que les annonceurs ont fait leur propre choix, ne lui confère pas le rôle actif lui faisant perdre le statut d'hébergeur.

Elle déclare que des règles interdisant des pratiques déloyales ne lui confèrent pas un rôle actif.

Elle estime que la mise en garde incluse dans ses " règles AdWords " visée par l'appelante a précisément pour objet de renvoyer l'annonceur à ses responsabilités et ne peut caractériser un engagement de sa part à mener une analyse juridique. Elle se prévaut de jugements ayant considéré qu'une telle clause, constituant une précaution contractuelle, était compatible avec son statut d'hébergeur.

Elle ajoute qu'il ne résulte pas de cette clause qu'elle a effectivement eu connaissance en l'espèce ou s'est effectivement impliquée dans la réservation du mot-clé et/ou dans la rédaction du lien commercial litigieux. Elle se prévaut de jugements et d'arrêts aux termes desquels ce rôle actif ne peut que se déduire du comportement concret de sa part et non du simple énoncé d'une clause.

Elle estime que le fait qu'elle fournisse des outils permettant aux annonceurs d'obtenir des idées de mots-clés ne caractérise pas davantage un rôle actif de sa part.

Elle affirme que le fait que les mots-clés litigieux aient été affichés par un outil de génération d'idées de mots-clés n'est pas rapporté, la nouvelle architecture correspondant à l'espace de sélection de mots-clés tel qu'il est apparu en octobre 2013 selon la société Neotravel ayant été mise en place en 2013.

Elle ajoute que les pièces 11-1 et 11-2 produites par la société Neotravel, des captures d'écran, doivent être rejetées car dépourvues de force probante, ces captures n'ayant pas été réalisées en présence d'un huissier attestant de l'authenticité et de l'exactitude des données enregistrées.

Elle affirme qu'en tout état de cause, une telle génération automatique n'implique aucun rôle actif lui conférant la connaissance et le contrôle des choix effectifs de l'annonceur. Elle fait état de listes générées de façon totalement automatisées sans intervention humaine et de l'absence de tout conseil ou suggestion. Surtout, elle souligne que ces propositions n'impliquent nullement qu'elle ait la connaissance ou le contrôle de la consultation par l'annonceur de ces listes et a fortiori de sa sélection effective. Elle se prévaut d'arrêts de la cour de cassation ayant écarté l'existence du fait de ces outils de génération de mots-clés d'un rôle actif susceptible de la priver de son statut d'hébergeur.

La société soutient que sa responsabilité ne peut donc être engagée en sa qualité d'hébergeur alors que l'annonce ne lui a pas été notifiée et que celle-ci ne pouvait pas lui apparaître comme présentant un caractère d'illicéité manifeste.

Elle rappelle que l'article 6-1-2 de la loi dispose que la responsabilité des personnes assurant des services en qualité d'hébergeurs ne peut être engagée lorsqu' " elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible ". Elle rappelle également que le conseil constitutionnel a précisé que l'information devait présenter " manifestement " un caractère illicite.

Elle souligne que la société appelante ne lui a pas signalé l'existence de cette annonce et affirme qu'elle ne présente pas un caractère manifestement illicite. Elle ajoute que la dénomination " Autocars Suznne " ne fait pas l'objet d'un dépôt à titre de marque, qu'elle ne peut connaître l'ensemble des noms commerciaux exploités et leur domaine de spécialité et que l'usage parasitaire d'un tel nom suppose qu'il ait une notoriété suffisante ce qu'elle ne peut déterminer. Elle considère enfin que la publicité par le biais de son service Ad Words s'inscrit en principe dans le cadre de la libre concurrence.

Subsidiairement, elle soutient qu'en tant que prestataire de référencement, elle ne peut se voir imputer un usage illicite de la dénomination sociale ou du nom commercial de la société Autocars Suzanne.

Elle fait valoir qu'elle n'a fait personnellement aucun usage des signes distinctifs de la société et qu'elle n'a fait elle-même aucun usage trompeur du contenu des liens commerciaux ce dont il résulte que l'article L. 121-1 du Code de la consommation ne peut lui être opposé.

Enfin, elle estime non démontré le préjudice.

Elle relève que la société a augmenté son chiffre d'affaires en 2011, que ses résultats ont stagné après plusieurs années de ralentissement substantiel, la perte enregistrée - 8 000 euro - étant la conséquence de celle-ci. Elle conclut qu'il n'est nullement établi que cette baisse soit imputable à la campagne AdWords et rappelle le nombre limité de visites.

Dans ses dernières écritures en date du 22 décembre 2014, la société Google France conclut à la confirmation du jugement et réclame le paiement par la société Autocars Suzanne d'une somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société présente le système AdWords et son fonctionnement.

Elle précise que ce système est placé en Europe sous le contrôle et la responsabilité de la seule société Google Ireland et qu'elle n'est chargée, en tant que sous-traitant de celle-ci, que d'une mission limitée d'animation commerciale.

Elle conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il l'a mise hors de cause.

Elle fait valoir qu'elle n'est pas l'entité Google en charge du service AdWords.

Elle indique que les annonceurs européens utilisant ce service contractent exclusivement avec la société Google Ireland ltd qui les facture, que les conditions d'utilisation du service font référence à la seule société Google Ireland ltd ce que l'appelante reconnaît en déclarant que cette dernière est en charge de la commercialisation du service.

Elle affirme qu'elle n'intervient qu'en qualité de sous-traitant de la société Google Ireland chargée uniquement d'une mission d'animation commerciale auprès des prospects et de la clientèle de Google Ireland France. Elle déclare qu'elle est un simple point de contact, un relais pour les clients et prospects domiciliés en France, ayant une simple mission de conseil et d'assistance auprès de la clientèle française ayant souscrit au produit.

Elle indique qu'elle ne fait personnellement aucune exploitation commerciale du service. Elle souligne que, techniquement, elle n'a pas la maîtrise de l'architecture technique et logistique du service et qu'elle n'est pas l'hébergeur du site www.google.fr qui est hébergé par la société Google inc hors de France. Elle souligne également que, juridiquement, elle n'est pas le mandataire de la société Google ireland et qu'elle en peut donc prendre aucun engagement pour elle comme l'indique le contrat de service conclu entre elles. Elle ajoute qu'elle n'a aucun droit sur la technologie utilisée pour l'exploitation du service AdWords.

Elle fait également valoir que la société Neotravel n'a signé aucun contrat avec elle. Elle rappelle que les personnes morales au sein d'un groupe sont indépendantes.

En réponse à l'appelante, elle soutient que son existence en France ne suffit pas à établir qu'elle ait la maîtrise du système AdWords et qu'elle puisse être considérée comme responsable du fonctionnement de ce service. Elle affirme, excipant d'arrêts, qu'il convient de prendre en compte non le libellé des statuts mais l'objet réel de l'activité et rappelle sa mission de conseil et de marketing. Elle soutient que le fait de cibler des prospects ou de promouvoir un service pour le compte d'un tiers ne signifie pas qu'on exploite ce service de ce tiers. Elle soutient enfin, s'agissant des réponses aux mises en demeure, qu'elle n'a agi que comme relais de l'information entre le plaignant et la société Google Ireland comme elle l'a systématiquement rappelé.

Dans leurs dernières écritures en date du 19 décembre 2014, Messieurs le Gal et Menard concluent à la confirmation du jugement et réclament le paiement à chacun d'eux d'une somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Ils rappellent leur qualité de dirigeant de la société et contestent avoir commis une faute séparable de leurs fonctions, condition pour retenir leur responsabilité personnelle.

Ils ajoutent que le lien litigieux a été supprimé dès que la société en a eu connaissance

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 septembre 2015.

Sur les mises hors de cause

Considérant que la société Google France ne dispose d'aucun pouvoir d'administration du système AdWords et n'intervient qu'en qualité de régie publicitaire aux fins de vendre ce système sur le territoire français ; que, compte tenu de son rôle, sa responsabilité ne peut être engagée dans le présent litige; qu'elle sera donc mise hors de cause ;

Considérant que Messieurs Menard et Le Gal ont agi en tant que dirigeants sociaux ; qu'aucune faute personnelle ne leur est imputée ; qu'ils seront donc mis hors de cause ;

Considérant que le jugement sera confirmé de ces chefs ;

Sur les pièces

Considérant que les pièces numéros 2 à 4 produites par la société Autocars Suzanne portent sur des constats également effectués le 28 juillet 2011 par Maître Claise à la demande d'autres sociétés d'autocars ; que la société Neotravel n'invoque pas de motif à l'appui de sa demande ; que celle-ci sera rejetée ;

Sur la demande formée contre la société Neotravel

Considérant que les sociétés Autocars Suzanne et Neotravel exercent la même activité et proposent le même type de prestations sur une même zone géographique ; qu'elles sont concurrentes ;

Considérant qu'il appartient à la société Autocars Suzanne de rapporter la preuve d'une faute de la société Neotravel lui ayant causé un préjudice ;

Considérant que, comme l'ont jugé les premiers juges, la publicité sur Internet à partir de mots-clés correspondant à des noms commerciaux constitue une pratique inhérente au jeu de la concurrence lorsqu'elle a pour simple but de proposer aux internautes des alternatives par rapport aux produits ou aux services des titulaires desdits noms commerciaux ; que l'utilisation du système de référencement AdWords qui permet à son souscripteur de faire afficher des annonces publicitaires, clairement identifiées comme telles, sur les pages de résultat du moteur de recherche pour promouvoir son site Internet ne caractérise pas une faute ;

Considérant qu'ainsi, l'apparition dans la publicité du seul nom Neotravel ou du site " autocar-location.com " ne revêtirait aucun caractère fautif;

Mais considérant qu'en l'espèce, apparaît, dans la publicité, la chaîne de caractères " Autocars Suzanne I Autocar-location.com " ;

Considérant que la publicité pour le site de la société Neotravel est donc associée aux termes " Autocars Suzanne I Autocar-location.com " ;

Considérant que le site Internet de la société Neotravel est ainsi délibérément associé au nom " Autocars Suzanne " ;

Considérant que l'internaute normalement attentif peut inférer de cette association qu'il existe un lien entre les deux sociétés ou qu'il accède à un lien renvoyant à un site de la société Autocars Suzanne ;

Considérant qu'en accolant au nom de son site la dénomination sociale de son concurrent, la société Neotravel a ainsi volontairement créé une confusion induisant en erreur l'internaute sur la destination du lien auquel il accède ;

Considérant que l'absence de dépôt de la marque Autocar Suzanne est sans incidence dès lors que la société Neotravel a créé sciemment cette confusion avec le nom commercial de son concurrent;

Considérant que la société Neotravel a donc commis une faute et enfreint l'article L. 121-1 du Code de la consommation qui prohibe toute pratique commerciale créant une " confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d'un concurrent " ;

Considérant que la circonstance que la société ait procédé immédiatement aux " corrections nécessaires " lorsqu'elle a été avisée des constatations de Maître Claise ne retire pas à son comportement son caractère fautif ;

Considérant qu'il appartient à la société Autocars Suzanne de rapporter la preuve d'un préjudice causé par cette faute ;

Considérant, d'une part, qu'il résulte d'un tableau du trafic généré par les liens commerciaux que 78 visites sur le site de la société Neotravel ont été engendrées du 1er janvier 2011 au 31 juillet 2011 à partir des mots clés précités dont 68 du 1 er juillet au 31 juillet, cet afflux soudain s'expliquant notamment par les " clics " nécessités par le constat d'huissier ; que ce nombre est dérisoire ;

Considérant, d'autre part, que le chiffre d'affaires réalisé par la société Autocars Suzanne en 2011 a crû sensiblement, passant de 11 255 689 euro à 12 417 135 euro ;

Considérant, enfin, que la société Autocars Suzanne ne verse aux débats aucune pièce d'où il résulterait que des clients potentiels ont contracté in fine avec la société Neotravel après avoir été détournés par la publicité litigieuse ;

Considérant que la société ne rapporte donc pas la preuve d'un préjudice ;

Considérant que sa demande sera dès lors rejetée ;

Considérant que le jugement sera confirmé ;

Sur les demandes formées contre la société Google Ireland

Considérant qu'en l'absence de préjudice causé par la faute de la société Neotravel, la demande formée à l'encontre de la société sera rejetée ;

Sur les conséquences

Considérant que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant qu'en équité, les demandes formées en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en appel seront rejetées ;

Par ces motifs, contradictoirement : Rejette la demande de la société Neotravel tendant à écarter des pièces, Confirme le jugement prononcé le 26 juin 2014 par le Tribunal de commerce de Nanterre en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Rejette les demandes formées en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais exposés en appel, Condamne la SA Autocars R Suzanne aux dépens, Autorise Maîtres Debray et Lafon et l'AARPI JRF Avocats, Maître Jullien, à recouvrer directement à son encontre les dépens qu'ils ont exposés sans avoir eu provision, Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.