ADLC, 9 décembre 2014, n° 14-A-17
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Avis
Concernant un projet de décret relatif au transport public particulier de personnes
L'Autorité de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre, enregistrée le 13 novembre 2014 sous le numéro 14/0089A par laquelle le ministre chargé de l'économie, de l'industrie et du numérique a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis concernant un projet de décret relatif au transport public particulier de personnes en application de l'article L. 462-2 du Code commerce ;
Vu le livre IV du Code de commerce ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Les rapporteurs, le rapporteur général adjoint et le commissaire du gouvernement entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 27 novembre 2014 ;
Les représentants de la Fédération nationale des voitures de transport avec chauffeur, de la société Uber, de l'Union nationale des taxis (UNT) et de l'Union nationale des industries du taxi (UNIT), entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 alinéa 2 du Code de commerce ;
Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :
I. Constatations
1. Le projet de décret soumis à l'avis de l'Autorité de la concurrence vise à modifier les règles applicables au transport particulier de personnes, qu'il s'agisse des taxis, des voitures de transport avec chauffeur (VTC) ou des motos-taxis. Dans son avis n° 13-A-23 du 16 décembre 2013 concernant un projet de décret relatif à la réservation préalable des voitures de tourisme avec chauffeur, l'Autorité avait présenté de manière détaillée le marché français du transport particulier de personnes, tant du point de vue de l'offre que de la demande, marché récemment bouleversé dans les grandes villes par le développement rapide des VTC. Seules les principales constatations de cet avis seront ici rappelées, complétées le cas échéant par les évolutions juridiques et économiques intervenues au cours de l'année 2014.
A. LE DÉVELOPPEMENT DES VTC PERMET DE MIEUX SATISFAIRE LA DEMANDE DE TRANSPORT PARTICULIER DE PERSONNES
1. LES TAXIS NE SATISFONT PAS LA TOTALITÉ DE LA DEMANDE DE TRANSPORT, EN PARTICULIER À PARIS
a) Le contingentement de l'offre des taxis comme les modalités de tarification nuisent à la satisfaction de la demande
2. L'activité de chauffeur de taxi fait l'objet d'une stricte réglementation, que ce soit de l'accès à la profession, de son exercice ou des prix pratiqués (fixés par les préfets). En particulier, dès lors que cette activité s'exerce sur la voie publique, les chauffeurs de taxi doivent disposer d'une autorisation de stationnement (ADS), communément appelée " licence " (1). Celle-ci, délivrée initialement gratuitement par le maire ou le préfet de police (à Paris) est cessible à titre onéreux pour des montants élevés, qui peuvent atteindre en 2014, 200 000 euros à Paris et même 350 000 euros à Nice. Forts de cette autorisation, les taxis sont les seuls véhicules légalement autorisés à stationner sur la voie publique et à y charger des clients, sans réservation préalable, pour un transport particulier de personnes à titre onéreux.
3. Or, tant le contingentement de l'offre de taxis que les modalités de tarification des courses sont de nature à limiter la satisfaction de la demande. Comme l'a relevé le Conseil de la concurrence (2) l'évolution du prix de la licence constitue " un bon indicateur du degré de tension pouvant exister entre l'offre et la demande sur le marché du taxi ". En effet, le prix élevé de la licence, même s'il a affiché à Paris une baisse de 25 % depuis janvier 2013 où il culminait à 240 000 euros, révèle que " les acteurs reconnaissent une rentabilité élevée à l'activité de taxi dans la zone considérée. Cette appréciation de rentabilité peut se fonder sur plusieurs motifs : la demande excède globalement l'offre, la rareté de l'offre permet une relative sélection des courses les plus rentables, le niveau des prix obtenus par, application du tarif réglementé se révèle trop favorable pour ces courses privilégiées ( ). Dans plusieurs zones fortement urbanisées, notamment sur la Côte d'Azur et à Paris, le prix de revente des autorisations très supérieur à la moyenne nationale montre que le numerus clausus est trop bas et qu'une partie de la demande de taxis n'est pas correctement servie ".
4. Cette situation, qui n'est pas nouvelle, a fait l'objet de nombreux rapports. Ainsi, le rapport Rueff-Armand constatait dès 1959, à propos des taxis parisiens, que " la limitation réglementaire du nombre des taxis nuit à la satisfaction de la demande et entraîne la création de situations acquises, dont le transfert payant des autorisations de circulation est la manifestation la plus critiquable ". Plus récemment, en 2008, le rapport Chassigneux notait lui aussi que " la rareté de l'offre crée des rentes de situation sans rapport avec la valeur économique réelle de la licence ". Parallèlement à ce rapport, la Commission Attali a préconisé, une nouvelle fois, l'ouverture de la profession et la fin de la restriction du nombre de taxis. Elle se fondait en particulier sur une étude de l'OCDE sur la suppression des licences de taxis en Nouvelle-Zélande en 1988, montrant que le nombre de taxis avait augmenté de deux tiers dans les cinq années qui avaient suivi, preuve que la demande était largement insatisfaite.
5. Par ailleurs, les modalités de tarification des taxis sont de nature à accentuer le déséquilibre entre l'offre et la demande à certaines heures et en certains lieux, comme l'ont souligné le Conseil puis l'Autorité (3). La tarification des taxis parisiens combine en effet un tarif kilométrique avec un tarif horaire, les deux étant variables selon l'heure et le jour. De fait, le chauffeur de taxi est d'autant mieux rémunéré à l'heure de conduite que son taxi roule plus vite. La rémunération au temps écoulé (en dessous de la vitesse de conjonction (4) permet cependant d'assurer au chauffeur une rémunération " plancher " lorsque son véhicule roule en dessous de cette vitesse. Cette méthode de tarification incite donc le chauffeur à sélectionner les tranches horaires où la circulation est fluide et où le parcours à une vitesse élevée est probable. A contrario, le chauffeur a parfois intérêt à ne pas rouler et à attendre pendant les heures d'embouteillage qui rendent la circulation particulièrement lente, alors qu'il s'agit précisément des heures de forte demande.
6. En outre, les courses longues vers ou depuis les aéroports s'avèrent plus rémunératrices que les autres trajets, de sorte que les taxis sont incités à rester positionnés aux sorties d'aéroports. Ainsi, selon un barème approximatif des prix des courses de taxi de la préfecture de police de Paris (5), le prix d'une course à Paris intra-muros est de 10 à 45 euros en moyenne, là où une course entre Paris et les aéroports se situe plutôt entre 25 et 50 euros (pour Orly) et entre 40 et 80 euros (pour Roissy) en moyenne :
<emplacement tableau>
7. De même, selon les statistiques du Comité de développement économique durable de la Ville de Paris (CODEV) en 2005, à 8 heures du matin, près de 30 % des taxis en attente se trouvent dans un aéroport, alors que c'est l'heure où la demande exprimée mais non servie à Paris serait la plus forte (plus de 16 %).
8. Ce constat, fait en 2005, a entraîné un changement de tarification, qui distingue désormais les heures creuses des heures de pointe et vise ainsi à modifier les incitations des chauffeurs. Si le Conseil s'est déclaré favorable à une telle modification dans son avis n° 05-A-02 précité, il indiquait toutefois que " cette réforme de la tarification ne suffira pas à régler le problème de la pénurie de taxis sur Paris et sa proche banlieue. Il insiste sur la nécessité d'agir sur l'ensemble des éléments d'équilibrage de l'offre et de la demande, au premier rang desquels se trouve le numerus clausus ". Cette crainte s'est révélée fondée, comme l'Autorité l'a constaté dans son avis n° 09-A-51 précité.
9. D'une manière générale, l'Autorité ne peut que renouveler, dans le présent avis, les regrets exprimés dans les avis susmentionnés de ne pas disposer d'informations précises et récentes sur l'activité des taxis parisiens (notamment : localisation de l'offre, profil des courses les plus fréquentes et rémunération). Depuis 2005, le Conseil puis l'Autorité recommandent ainsi que soit mis en place un outil statistique de suivi de l'activité des taxis - souvent annoncé mais toujours pas opérationnel - destiné à évaluer l'offre et la demande de taxis, notamment à Paris, afin de mieux documenter les études d'impact que justifie tout changement apporté aux règles de cette profession. En 2005, le Conseil s'exprimait dans les termes suivants, toujours d'actualité dix ans après : " Cette demande est aujourd'hui une nécessité impérieuse et urgente avec la mise en œuvre de la présente réforme, afin d'en mesurer exactement l'impact économique ainsi que l'indice de satisfaction des consommateurs. De fait, il n'est pas possible de vérifier la meilleure adaptation de l'offre et de la demande, objectif poursuivi par la réforme, sans disposer d'une meilleure connaissance de l'activité réelle des taxis parisiens en termes tant quantitatifs que qualitatifs. Le Conseil observe, de manière générale, qu'il est vain de réglementer un secteur économique sans les moyens techniques pour mesurer les effets de la réglementation. En conséquence, le Conseil demande aux pouvoirs publics de mettre en place rapidement cet outil statistique en concertation avec la profession et dans le respect des règles de la déontologie statistique, en particulier la confidentialité des informations recueillies vis-à-vis de l'autorité de police ou de contrôle. À défaut, le Conseil recommande de diligenter des enquêtes directes auprès de toutes les centrales de réservation des taxis ".
10. L'Autorité relève toutefois la volonté du gouvernement, rappelée lors de l'instruction et durant la séance devant le Collège, d'instituer prochainement par décret un observatoire des transports particuliers de personnes.
11. Le constat général reste, à ce stade, inchangé : le nombre limité de taxis en région parisienne et les modalités de tarification des courses conduisent à un décalage marqué entre l'offre et la demande, auquel les réformes successives intervenues depuis 2005 n'ont pas permis de remédier.
b) Le développement rapide des VTC depuis 2010
12. Ce décalage persistant entre l'offre et la demande de transport particulier à titre onéreux, en particulier en région parisienne, constitue une forte incitation à l'augmentation de l'offre dans ce secteur, qui serait cependant restée sans effet (compte tenu du contingentement des licences) sans une évolution législative et la diffusion des nouvelles technologies de l'information.
13. En premier lieu, la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 a en effet considérablement assoupli le régime des ex-voitures de grande remise devenues les VTC. Contrairement à la profession de chauffeur de taxi qui fait l'objet de très fortes barrières à l'entrée, il est très facile et peu coûteux de créer en France une entreprise de VTC.
14. En deuxième lieu, cet assouplissement est intervenu dans un contexte de généralisation de l'utilisation des Smartphones à partir desquels les consommateurs peuvent accéder à Internet via des applications. En pratique, les clients téléchargent l'application d'une société de VTC et peuvent, sur leur téléphone ou leur tablette, s'assurer de la disponibilité d'une voiture et la réserver.
15. Ces deux mutations ont radicalement transformé la configuration du secteur des ex-voitures de grande remise. Auparavant cantonnées à une clientèle haut de gamme qui les réservait par l'intermédiaire des hôtels de luxe, des salons professionnels ou encore des festivals, les nouvelles VTC constituent désormais une offre de transport particulier accessible à une clientèle beaucoup plus large, allant bien au-delà des seuls touristes fortunés et des hommes d'affaires.
16. Parmi les grandes sociétés de VTC, deux modèles économiques différents coexistent :
- celui de l'intermédiation, c'est-à-dire de la mise en relation entre des chauffeurs indépendants affiliés et des clients, via une application mobile, moyennant une commission de 20 à 30 % prélevée sur le prix de la course. C'est le modèle dominant, adopté par le leader Uber. D'autres sociétés, bien qu'elles fonctionnent sur ce modèle, proposent également aux chauffeurs de leur louer des véhicules, à l'instar de la société LeCab.
- celui de l'exploitation directe, qui implique que la société de VTC transporte ses clients avec ses propres véhicules et emploie des chauffeurs salariés. Ce dernier modèle ne se retrouve plus, aujourd'hui, que sur le segment des ex-voitures de grande remise, dont le leader est l'entreprise Chabé Limousine.
17. Hormis ce dernier segment et depuis la faillite de la société Voitures Jaunes, le modèle de l'intermédiation entre des sociétés éditrices d'applications pour terminaux mobiles, qui ne se considèrent d'ailleurs pas comme des sociétés de transport, est aujourd'hui le seul existant. Il est d'ailleurs régulièrement dénoncé par les représentants des taxis qui le considèrent comme du salariat déguisé et donc, par la différence de traitement social et fiscal qui en résulte, comme une forme de concurrence déloyale.
18. En outre, au sein des VTC, deux activités assez différentes peuvent être distinguées :
- les exploitants de VTC traditionnelles, ex-véhicules de grande remise, proposant des véhicules très haut de gamme, à un prix très élevé, à des donneurs d'ordres comme les hôtels de luxe, les organisateurs de salons ou de festivals ou encore les compagnies aériennes et les ambassades, qui les mettent à disposition de leurs clients ou de personnalités ;
- les VTC travaillant avec des applications et visant une clientèle identique à celle des taxis sur le marché de la réservation préalable.
19. La demande pour les services de transport particulier à titre onéreux, non totalement satisfaite par les taxis, étant forte et le coût d'entrée sur le marché faible, il n'est pas étonnant que le nombre d'entreprises de VTC immatriculées ait considérablement augmenté depuis 2011. Au 21 novembre 2014, selon les chiffres communiqués par ATOUT France, on dénombrait 10 315 exploitants de VTC en France, dont 4 150 ont été enregistrés en 2014. En 2011, on ne comptait, en France, que 102 exploitants de VTC. Parmi ces 10 315 exploitants, seuls 3 502 sont enregistrés en tant que personne morale (pour près de 80 % des EURL et des SARL), les autres représentant la part des auto-entrepreneurs. Enfin, 63,2 % des exploitants de VTC sont situés en région Île-de-France.
20. Il convient de relever que VTC et taxis présentent des différences significatives :
- en ce qui concerne le véhicule, l'article D. 231-1 du Code du tourisme définit très précisément les normes de confort applicables aux VTC : " les voitures de tourisme avec chauffeur doivent être âgées de moins de six ans, sauf s'il s'agit de véhicules de collection, et offrir aux passagers les conditions de confort et les aménagements intérieurs correspondant aux besoins de la clientèle ". Elles doivent également " être munies d'au moins quatre portes et avoir une longueur hors tout minimale de 4,50 mètres et une largeur hors tout minimale de 1,70 mètre ". Enfin, " Leur moteur doit avoir une puissance nette supérieure à 88 kilowatts ". Ces caractéristiques sont plus contraignantes que celles des taxis. D'une manière générale, les nouvelles sociétés de VTC se positionnent sur un créneau plus haut de gamme que celui des taxis en maraude, en matière de qualité et souvent de prix, compte tenu notamment de l'intégration dans le forfait de la course d'approche ;
- en ce qui concerne l'activité, en application de l'article L. 231-3 du Code du tourisme, " les voitures de tourisme avec chauffeur ne peuvent pas stationner sur la voie publique si elles n'ont pas fait l'objet d'une location préalable ". Seuls les taxis ont cette possibilité puisqu'ils disposent de l'autorisation administrative nécessaire. Par conséquent, les VTC ne peuvent pas, légalement, charger un client sans réservation préalable, ni marauder sur la voie publique en quête de clients ;
- enfin, contrairement aux taxis dont les prix font l'objet d'un strict encadrement, le prix des services d'une VTC est librement fixé par l'exploitant.
21. Il résulte de ce qui précède qu'en raison du contingentement de l'offre de taxis, en particulier en région parisienne, le développement d'une offre supplémentaire de transport particulier à titre onéreux via les VTC permet, en dépit des différences entre taxis et VTC, un certain rééquilibrage entre la demande et l'offre et une différenciation de cette dernière au bénéfice des consommateurs.
2. LE CONFLIT ENTRE LES TAXIS ET LES VTC
a) Les termes du conflit et les réponses du gouvernement
22. Le développement très rapide des VTC et le fait que celles-ci ne soient pas soumises aux mêmes contraintes que les taxis, en particulier l'obligation de payer un prix élevé pour la " licence ", a suscité des protestations de la part des taxis qui s'estiment victimes de " concurrence déloyale ". Il est vrai que certaines VTC ont pu prendre des clients sans réservation préalable à la sortie des discothèques, des aéroports et des gares en infraction avec les règles qui leur étaient applicables. À la suite d'un mouvement de grève le 10 janvier 2013, deux réunions ont été organisées les 29 et 30 janvier 2013 entre l'ensemble des parties prenantes sur les évolutions réglementaires nécessaires, pour assurer les conditions d'une " concurrence loyale " entre les VTC et les taxis. Le gouvernement a présenté les orientations retenues le 26 février 2013. Parmi les principales mesures annoncées et mises en œuvre :
- le décret n° 2013-690 du 30 juillet 2013 fait obligation aux exploitants de VTC de justifier d'une réservation préalable par la production d'un support papier ou électronique ;
- le décret n° 2013-691 du 30 juillet 2013 fait obligation aux chauffeurs de VTC, pour obtenir la carte professionnelle, de justifier de la réalisation d'un stage de formation professionnelle effectué auprès d'un centre de formation agréé.
23. Toutefois, malgré ces mesures, une nouvelle journée de grève des chauffeurs de taxi a été organisée le 27 juin 2013. Ceux-ci exigeaient qu'un délai minimal entre la réservation et la prise en charge d'un client soit imposé aux VTC afin de lutter contre les éventuels faits de racolage de ces dernières sur la voie publique. Cette revendication a été satisfaite par le décret n° 2013-1251 du 27 décembre 2013 qui a fixé ce délai à 15 minutes. Outre la protection du monopole des taxis en matière de maraude (prise en charge immédiate de clients sur la voie publique, sans réservation préalable), ce décret poursuivait également un objectif de fluidité de la circulation. En effet, le gouvernement entendait lutter, par cette mesure, contre les phénomènes de concentration des VTC près des zones à forte chalandise congestionnées que sont, par exemple, les gares ou les aéroports.
b) L'avis de l'Autorité du 16 décembre 2013 et ses suites
24. Saisie du projet de décret, l'Autorité, dans son avis n° 13-A-23 du 16 décembre 2013, l'Autorité a distingué, s'agissant du secteur du transport public particulier de personnes à titre onéreux, les deux marchés suivants :
- le marché de la maraude, c'est-à-dire la prise en charge immédiate de clients sur la voie publique. Les taxis jouissent, sur ce marché, d'un monopole légal.
- le marché de la réservation préalable. Sur ce marché, les taxis sont en concurrence avec les VTC (ainsi qu'avec les motos-taxis ou encore les ambulances sur le segment du transport de malades).
25. Il faut relever que cette distinction des marchés qui découle d'un raisonnement concurrentiel ne doit pas être confondue avec une distinction des modes d'activité du point de vue de la réglementation qui distingue les VTC et les taxis, ces derniers étant précisément actifs sur les deux marchés.
26. La séparation des deux marchés, bien qu'asymétrique, est totale du côté de l'offre pour les raisons réglementaires qui ont été rappelées, les VTC ne pouvant accéder au marché de la maraude, mais elle ne l'est pas vis-à-vis de la demande puisque le besoin à satisfaire est en grande partie le même. Il existe donc un recouvrement partiel de deux marchés pertinents, sans que cela ne remette en cause la nécessité de les distinguer du point de vue du régime de concurrence qui s'y exerce.
27. Dès lors que la maraude est un monopole légal des taxis, tout VTC qui, sans réservation préalable, chargerait immédiatement un client sur la voie publique serait dans l'illégalité. Par conséquent, les comportements des VTC dénoncés par les chauffeurs de taxi, s'ils étaient avérés, ne relèveraient pas de la concurrence mais de la fraude. Il appartiendrait dès lors à l'État et, en particulier, à la préfecture de police, de les rechercher et de les sanctionner (6). En revanche, les VTC sont directement en concurrence avec les radio-taxis qui, via les centrales de réservation, fonctionnent eux aussi sur réservation préalable. Sur ce marché, les taxis n'ont en effet jamais disposé d'un monopole légal. Cependant, comme les consommateurs ne réservent généralement un taxi que pour des courses longues, par exemple vers un aéroport ou à des horaires décalés, ou par l'intermédiaire de leur entreprise qui peut avoir un abonnement auprès d'une centrale de réservation, la concurrence entre taxis et VTC s'exerce sur le segment le plus rémunérateur du marché.
28. Or, l'Autorité a estimé que ce délai de 15 minutes entre la réservation et la prise en charge n'était non seulement pas nécessaire pour atteindre l'objectif de protection du monopole des taxis sur le marché de la maraude mais potentiellement contraire à l'objectif d'ordre public de fluidité de la circulation qu'il disait également poursuivre.
29. En outre, ce délai - justifié par la protection du monopole des taxis sur le marché de la maraude - avait des effets collatéraux très négatifs pour les VTC sur le marché du transport particulier de personnes à titre onéreux sur réservation préalable, pour lequel la réglementation ne garantit pas aux taxis un monopole et où les VTC exercent la même activité qu'eux auprès des mêmes clientèles, en particulier la clientèle des entreprises. Dès lors, en imposant aux seules VTC l'obligation d'un délai de 15 minutes entre la réservation et la prise en charge d'un client, le projet de décret introduisait une distorsion de concurrence au bénéfice de leurs concurrents qui n'était justifiée ni par le respect de la réglementation ni par un autre objectif d'intérêt général.
30. Malgré cet avis négatif, le projet de décret a été publié inchangé par le gouvernement. Toutefois, la société AlloCab a saisi le juge des référés du Conseil d'État afin qu'il en suspende l'exécution. Par ordonnance en date du 5 février 2014, celui-ci a considéré qu'un doute sérieux existait sur la légalité de ce décret, les motifs avancés par l'administration n'apparaissant pas suffisants pour justifier une telle mesure au regard du principe de liberté du commerce et de l'industrie. Par ailleurs, considérant que le délai de prise en charge d'un client constitue pour l'activité de VTC un élément décisif d'attractivité commerciale, le décret créait un risque important de perte de clientèle et constituait ainsi un obstacle sérieux au développement de ces sociétés sur un marché émergent. Les deux conditions posées par l'article L. 521-1 du Code de justice administrative étant remplies, l'exécution du décret du 27 décembre 2013 a été suspendue.
31. Prenant acte de cette suspension, le gouvernement a confié une mission de médiation au député, M. Thomas Thévenoud. Ses propositions, rendues publiques le 24 avril 2014, ont été reprises dans une proposition de loi devenue la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur.
B. LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DE LA LOI N° 2014-1104 DU 1ER OCTOBRE 2014 RELATIVE AUX TAXIS ET AUX VOITURES DE TRANSPORT AVEC CHAUFFEUR
1. LES DISPOSITIONS RELATIVES AUX TAXIS
a) Le registre national des taxis
32. La loi crée un registre national regroupant les informations relatives à l'identification, à la disponibilité et à la géolocalisation des taxis. Cette base de données sera alimentée :
- obligatoirement par les autorités administratives qui délivrent les autorisations de stationnement (" licences "), qui devront transmettre au gestionnaire du registre les informations correspondantes ;
- de manière facultative, ensuite, par les exploitants de taxi, qui pourront choisir d'intégrer dans l'interface les informations " en temps réel " sur la disponibilité et la géolocalisation de leurs véhicules.
33. Les données collectées dans le registre seront publiques et gratuites : y auront accès les éditeurs d'applications, qui pourront ainsi mettre en relation clients et chauffeurs.
34. De plus, les centrales de réservation auxquelles les taxis sont liés par contrat ne pourront pas leur interdire d'alimenter le registre et d'utiliser les applications tierces susmentionnées éventuellement créées.
b) L'incessibilité des nouvelles " licences "
35. Les nouvelles " licences " ont toujours été délivrées de manière gratuite, et unilatéralement par l'administration, selon une liste d'attente. Toutefois, en application des dispositions de la loi de 1995, une fois délivrée et après 15 ans d'exploitation par son titulaire (cinq ans si ce n'est pas le premier), celle-ci pouvait être vendue. En effet, son titulaire pouvait " présenter à titre onéreux un successeur " à l'administration, de même que ses ayants droit, en cas de décès du titulaire, peuvent vendre la licence dans l'année qui suit le décès. Les listes d'attente sont ainsi largement privées de portée et les " licences " font l'objet de prix de vente parfois très élevés (voir supra).
36. La nouvelle loi distingue désormais entre les licences délivrées antérieurement à sa promulgation, qui resteront cessibles à titre onéreux, et celles délivrées postérieurement qui seront incessibles. À la fin de l'activité professionnelle d'un exploitant, sa licence sera reprise par l'autorité administrative, qui la donnera - gratuitement - au demandeur le plus ancien sur la liste d'attente.
37. Cette disposition est utile pour permettre, à terme, une tendance à l'égalisation des conditions de concurrence entre taxis et VTC sur le marché du transport particulier de personnes avec réservation, le coût de la licence venant perturber les conditions économiques d'activité. Néanmoins, cette disposition ne permettra de dégonfler cette bulle d'actifs que sur le long terme, et laisse ainsi perdurer sur le moyen terme une situation asymétrique sur le marché de la réservation préalable. En effet, les VTC peuvent exercer sur ce marché avec un coût d'entrée sans comparaison avec celui des taxis, en raison du coût élevé de la licence qu'ils ont dû acquérir. En outre, sur les deux marchés, celui de la maraude et celui de la réservation préalable, apparaît une seconde distorsion de concurrence, entre les taxis ayant acquis une licence gratuite et ceux ayant payé une licence au prix de marché.
2. LES DISPOSITIONS RELATIVES AUX VOITURES DE TRANSPORT AVEC CHAUFFEUR
a) L'enregistrement des exploitants de VTC et des intermédiaires
38. Depuis la loi du 22 juillet 2009, Atout France était notamment chargée d'immatriculer les exploitants de VTC. La loi institue une nouvelle procédure d'enregistrement confiée au ministère des Transports dans les conditions fixées par le projet de décret (voir infra). En outre, les intermédiaires (c'est-à-dire les entreprises mettant à disposition des chauffeurs une application de mise en relation avec des clients, par exemple Uber, LeCab et Chauffeur privé) devront eux aussi être enregistrés.
b) La tarification des VTC devra être en principe forfaitaire
39. Jusqu'à présent, les tarifs pratiqués par les VTC étaient libres (contrairement à ceux des taxis) et, selon les sociétés, forfaitaires ou kilométriques. Désormais, le tarif d'une prestation est obligatoirement forfaitaire, déterminée lors de la réservation préalable, à l'exclusion donc de toute tarification selon la distance. Toutefois, par exception, " s'il est calculé uniquement en fonction de la durée de la prestation, le prix peut être, en tout ou partie, déterminé après la réalisation de cette prestation ".
c) L'interdiction de la maraude électronique
40. Jusqu'à la loi, les consommateurs bénéficiaient d'applications qui géolocalisaient, en temps réel, les VTC disponibles, leur permettant ainsi de réserver une voiture à proximité avec un temps d'attente très réduit.
41. Considérant que les VTC, via ces applications, pratiquaient une " maraude électronique " déloyale vis-à-vis des taxis qui bénéficient, s'agissant de la maraude, d'un monopole légal, la loi interdit aux VTC comme aux intermédiaires d'informer un client, avant la réservation, quel que soit le moyen utilisé, à la fois de la localisation et de la disponibilité d'un véhicule quand il est situé sur la voie ouverte à la circulation publique.
d) L'obligation de retourner à la base (ou dans un lieu hors de la chaussée) après l'achèvement de la prestation
42. Sur amendement adopté par l'Assemblée nationale, il était fait obligation aux VTC, une fois la prestation achevée, de retourner au lieu d'établissement de leur exploitant ou dans un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé. L'objectif de cet amendement était, comme l'interdiction de la " maraude électronique ", d'empêcher les VTC de tourner près des lieux à forte influence comme les gares ou les aéroports après y avoir déposé un client, dans l'attente d'une nouvelle réservation. Toutefois, à la suite d'un nouvel amendement du Sénat, une exception à cette obligation a été introduite pour le cas où les VTC peuvent justifier " d'une réservation préalable ou d'un contrat avec le client final ".
II. Les enjeux concurrentiels du projet de décret
43. Toutes les dispositions du projet de décret transmis pour avis à l'Autorité ne présentent pas d'enjeux concurrentiels. Nombre d'entre elles sont par ailleurs d'ores et déjà en vigueur. Elles sont simplement reprises dans le projet de décret afin d'être rassemblées et codifiées dans le même titre de la partie réglementaire du Code des transports relatif au transport public particulier de personnes.
44. C'est pourquoi l'Autorité a fait le choix, dans le présent avis, de concentrer son analyse sur les trois enjeux suivants :
- l'obligation faite aux chauffeurs de VTC de retourner à leur base (dans un lieu hors de la chaussée où le stationnement est autorisé) après l'achèvement de leur prestation, sauf dans le cas où ils peuvent justifier d'une réservation préalable ou d'un contrat avec le client final (A) ;
- le renforcement des conditions nécessaires à l'enregistrement des exploitants de VTC sur le registre désormais géré par le ministère des Transports (B) ;
- l'obligation faite aux chauffeurs de VTC, pour obtenir la carte professionnelle nécessaire à leur activité, à compter du 1er janvier 2016, de réussir un examen (C).
A. L'OBLIGATION DE RETOUR À LA BASE POUR LES VTC, UNE FOIS LA PRESTATION ACHEVÉE, ET L'INTERPRÉTATION RESTRICTIVE DES EXCEPTIONS
1. UNE OBLIGATION CENSÉE PERMETTRE DE MIEUX LUTTER CONTRE LA MARAUDE
45. Aux termes de l'article L. 3120-2 du Code des transports, les VTC n'ont pas le droit de " s'arrêter, stationner ou circuler sur la voie ouverte à la circulation en quête de clients ". Or, malgré les contrôles des services de police et les sanctions pénales applicables, les comportements de maraude persisteraient, concentrés principalement, selon les déclarations en séance de l'Union Nationale des Taxis, aux abords des gares et des aéroports. Cette organisation estime qu'à Paris ces pratiques seraient le fait, pour moitié, de taxis clandestins (c'est-à-dire de personnes n'étant ni chauffeur de taxi, ni de VTC), et pour l'autre, de chauffeurs de VTC.
46. Lors de la séance, tant les représentants des taxis que ceux du gouvernement ont souligné qu'il était très difficile de sanctionner ces comportements de maraude avec les outils existants, lesquels nécessitent un constat de flagrant délit. En effet, le faible nombre de fonctionnaires, appelés Boers (7) (60 équivalents temps plein) non seulement limite l'occurrence des contrôles mais a également pour conséquence de faciliter leur identification. Les taxis clandestins et leurs rabatteurs peuvent ainsi disparaître aussitôt que les Boers approchent d'eux dans les gares et les aérogares.
47. En dépit de ces handicaps, l'efficacité de la répression pourrait être améliorée et les représentants du Ministère de l'Intérieur ont indiqué en séance que les infractions signifiées à des chauffeurs de VTC (non clandestins, c'est-à-dire dûment enregistrés comme VTC) ont d'ailleurs fortement augmenté entre 2013 et 2014, passant de 338 constats d'infraction à 562, pour l'essentiel aux abords des aéroports et gares.
48. Le représentant de la Fédération nationale des voitures de transport avec chauffeur a déclaré en séance que les sociétés d'intermédiation entre les chauffeurs de VTC et les clients soutenaient le gouvernement dans sa lutte contre la maraude illégale. Néanmoins, les pratiques de maraude seraient, selon lui, majoritairement le fait de taxis clandestins : les chauffeurs de VTC qui enchaînent les réservations à travers les applications n'auraient aucun intérêt à prendre des courses illégales.
49. Bien que le représentant de la Fédération nationale des voitures de transport avec chauffeur ait pris l'engagement de ne plus employer dans sa société (Le Cab), les chauffeurs sanctionnés pour racolage, il a estimé n'avoir connaissance que de peu de cas de sanctions pour maraude. En effet, dans la mesure où les sanctions pécuniaires pour maraude illégale ne figurent pas dans le casier judiciaire, il est très difficile pour un intermédiaire de savoir si un de ses chauffeurs a été verbalisé. Ainsi, il reviendrait sans doute davantage à l'État de réfléchir à de nouvelles sanctions, évoquées en séance par certaines des personnes entendues, prenant par exemple la forme d'un retrait temporaire de la carte professionnelle ou d'une radiation temporaire du véhicule du registre des VTC en cas de constat avéré de maraude ou de racolage.
50. Face aux plaintes répétées des représentants de taxis, un amendement a été introduit à l'Assemblée Nationale le 10 juillet 2014 afin de disposer d'un nouveau moyen juridique permettant de sanctionner les comportements de maraude. Ainsi, l'article L. 3122-9 du Code des transports oblige les VTC (mais également les motos-taxis et les taxis hors de leur zone de rattachement), " dès l'achèvement de la prestation commandée au moyen d'une réservation préalable [à] retourner au lieu d'établissement de l'exploitant de cette voiture ou dans un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé ". Même si la loi interdit déjà aux VTC, sauf lorsqu'elles justifient d'une réservation préalable, de s'arrêter, stationner et circuler sur une voie ouverte à la circulation publique en quête de clients, le législateur a estimé qu'il était nécessaire de préciser qu'une fois leur prestation achevée, les chauffeurs n'auraient d'autres choix que de retourner à leur base ou de stationner hors de la chaussée.
51. Ainsi rédigée, cette disposition pouvait être particulièrement lourde de conséquences pour les sociétés de VTC puisqu'elle semblait leur interdire d'enchaîner les courses. Une telle disposition signait en pratique leur " arrêt de mort " et a été dénoncée comme telle par leurs représentants. Obligeant leurs véhicules à retourner à une base (potentiellement distante de plusieurs dizaines de kilomètres) ou à payer un parking souterrain (8) après chaque course, il était impossible aux exploitants de VTC de demeurer viables économiquement dans ces conditions. De même, le non-sens écologique d'une telle mesure a suscité de fortes réserves. Enfin, contrairement à ce qui a été avancé, cette obligation n'a jamais été vigueur à Londres, ni nulle part ailleurs.
52. À la suite d'un amendement du Sénat le 23 juillet 2014, deux exceptions ont été prévues à cette obligation dans les cas où les VTC peuvent justifier " d'une réservation préalable ou d'un contrat avec le client final ". Selon les débats parlementaires, cet amendement vise " à permettre aux VTC d'exercer leur activité, en ne les empêchant pas de prendre deux courses successives si elles ont été réservées préalablement, et donc en ne leur imposant pas de retourner à leur base ". Quant à l'exception en cas de contrat avec le client final, selon le rapporteur de la loi au Sénat, elle vise spécifiquement le secteur de la grande remise, c'est-à-dire les VTC traditionnelles ne travaillant qu'avec la clientèle des salons, des festivals et des hôtels de luxe.
2. UNE DISPOSITION COMPLEXE À CONTRÔLER ET DONT L'OBJECTIF PEUT ÊTRE ATTEINT PAR D'AUTRES MOYENS
53. Saisie du projet de décret, lequel précise les conditions pour déroger à l'obligation, pour les VTC, de retourner à leur base, l'Autorité s'interroge, au préalable, sur l'obligation elle-même qui apparaît comme un aveu d'échec des pouvoirs publics dans l'application des mesures existantes pour lutter contre la maraude et qui, au travers de la régulation concurrentielle, vise à nouveau à régler un problème de police.
54. Ce point apparaît particulièrement préoccupant, dans la mesure où la lutte légitime contre la maraude ne doit pas avoir pour conséquence de fausser la concurrence sur le marché des courses avec réservation, qui doit rester un marché ouvert.
55. En outre, cette nouvelle obligation présente elle-même de nombreuses difficultés d'application susceptibles de perturber de manière disproportionnée l'activité des VTC, sans pour autant atteindre l'objectif de lutte contre la maraude. En effet, les chauffeurs de VTC ont, selon le Code de la route qui est d'application générale, le droit de s'arrêter et de stationner sur des emplacements gratuits ou payants réservés à cet effet ou de circuler sur la chaussée, pour autant qu'ils ne soient pas en quête de clients. C'est uniquement " à l'achèvement " d'une prestation, donc lorsqu'ils viennent de déposer un client, que l'obligation de retourner à la base (ou de stationner hors de la chaussée) s'imposera à eux. Cette disposition ne manque pas de soulever des doutes quant à son effectivité, d'autant que les VTC ne sont pas, comme les taxis, immédiatement reconnaissables grâce à une signalétique commune.
56. En premier lieu, il apparaît difficile en pratique pour les services de police de prouver qu'une VTC en stationnement autorisé vient de déposer un client ou qu'une autre, en circulation, n'a pas l'intention de retourner à sa base. Il suffira aux chauffeurs de dire, par exemple, qu'ils font une pause ou qu'ils retournent effectivement à leur base, même par un chemin détourné, pour échapper à toute sanction.
57. En deuxième lieu, la preuve d'une réservation préalable suffit à dispenser le chauffeur de VTC du retour à la base sans que ni la loi ni le projet de décret ne précisent l'heure de prise en charge. Par conséquent, un chauffeur ayant achevé sa prestation à 8h et disposant d'une réservation pour 10h n'aurait pas d'obligation de retourner à sa base, la condition de disposer d'une réservation préalable étant satisfaite. Le contraire serait d'ailleurs anti-économique et anti-écologique et on voit mal l'intérêt d'obliger un véhicule à rouler pour finalement revenir à son point de départ plutôt que d'attendre sur place.
58. En troisième lieu, les parkings étant nombreux à Paris comme autour des aéroports, il suffira, au pire des cas, pour le chauffeur qui vient de déposer un client, de faire un très court séjour dans un de ces parkings pour justifier du respect de l'article L. 3122-9.
59. En quatrième lieu, les représentants des taxis comme le gouvernement ont souligné en séance que les VTC, en règle ou non (taxis clandestins), maraudent essentiellement autour des gares et des aérogares. Or l'article L. 3120-2 du même Code interdit aux VTC de " stationner sur la voie ouverte à la circulation publique, à l'abord des gares et des aérogares ou, le cas échéant, dans l'enceinte de celles-ci, au-delà d'une durée, fixée par décret, précédant la prise en charge de clients, sauf s'il justifie d'une réservation préalable ou d'un contrat avec le client final ".
60. À cet égard, on peut s'interroger sur la portée effective de la restriction introduite par la loi et précisée par le projet de décret qui fixe à une heure la durée maximale de stationnement précédent l'heure de prise en charge souhaitée par le client. En effet, tel que l'article de loi est rédigé, cette précision est sans portée puisque la durée maximale d'une heure n'est pas applicable au chauffeur qui dispose d'un contrat avec le client final ou d'une réservation préalable. Par conséquent, à l'inverse de l'objectif poursuivi par la loi, le chauffeur de VTC, quelle que soit l'heure de prise en charge souhaitée par le client, peut stationner dans les aéroports et les gares aussi longtemps qu'il le souhaite avant l'heure de sa prochaine réservation.
61. Conscient de ces difficultés, le gouvernement, dans le projet de loi pour la croissance et l'activité, a l'intention de modifier l'article en question en supprimant la possibilité pour les VTC disposant d'une réservation préalable de rester stationnées, autant que souhaité, aux abords des gares et des aérogares. Si l'Autorité estime que l'article pourrait être rédigé plus clairement et regrette en particulier que ne soit pas plus explicitement posée l'interdiction de stationner aux abords des gares et des aérogares sans réservation préalable dans cet article, elle estime néanmoins que cette nouvelle rédaction, qui limite le temps d'attente " précédant la prise en charge de clients ", permettra d'effectuer des contrôles plus objectifs et donc plus aisés, car uniquement fondés sur l'exigence de réservation préalable et du temps d'attente.
62. En cinquième lieu, il faut relever que le modèle économique des VTC affiliés à une centrale de réservation repose sur l'enchaînement des courses, ce qui rend très improbable une pratique effective de maraude en dehors des gares et des aérogares (racolage du client à travers des rabatteurs), puisque celle-ci implique d'être repéré par le client comme véhicule potentiellement disponible pour une course.
63. Enfin et à titre accessoire, s'il est avéré que les comportements de maraude sont également le fait de taxis clandestins, et ce dans une proportion non négligeable, les nouvelles dispositions relatives au retour à la base échoueront par principe à lutter contre ces pratiques illégales.
64. Au vu de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que l'obligation pour les VTC de retourner à leur base (ou de stationner hors de la chaussée) sera très difficilement contrôlable et, de ce fait, ne renforcera pas l'efficacité de la lutte contre la maraude illégale qui s'exerce principalement aux abords des gares et des aérogares où les VTC, en infraction, savent qu'il existe une clientèle potentielle plus facile à démarcher pour eux que la clientèle diffuse qui attend sur la voie publique. Il est donc probable que, comme actuellement, seules les pratiques de racolage dans ces lieux stratégiques, qui ne semblent pas, au demeurant, être le seul fait des VTC, mais également de taxis clandestins, pourront être éventuellement verbalisés, avec toutes les difficultés rappelées supra.
65. Si l'objectif prioritaire est bien de lutter contre les pratiques illégales de racolage dans les gares et les aérogares, il apparaît que d'autres mesures seraient potentiellement plus efficaces, et notamment : la généralisation de la surveillance vidéo et l'accès sécurisé aux zones de prise en charge dans les gares et les aérogares, à travers, par exemple, l'attribution de badges électroniques aux VTC ou la mise en place de voies dédiées avec portiques permettant de vérifier à distance les temps d'attente.
66. Néanmoins, ces solutions ne pourront fonctionner qu'à condition que la loi interdise l'accès aux gares et aux aérogares aux VTC qui ne disposent pas de réservation préalable, et que soit fixée une durée d'attente par décret. Il deviendrait ainsi possible pour les services de police de vérifier ces conditions, soit ex ante, en demandant en temps réel aux VTC stationnées de justifier d'une réservation préalable, soit ex post (grâce au système de badges et de portiques permettant de vérifier le temps d'attente), en exigeant transmission de la réservation préalable à même de justifier du stationnement et du temps d'attente. Tel sera le cas si l'article introduit sur ce point dans la loi pour la croissance et l'activité est conservé.
67. Des mesures de ce type permettraient de caractériser une infraction objective, plus facile à verbaliser et à démontrer devant les tribunaux que le stationnement sur la voie publique sans réservation préalable après la prestation réalisée ou le stationnement et la circulation " en quête de clients ".
68. En outre, ces infractions objectives (présence illégale dans une zone d'attente sans réservation préalable, temps d'attente dépassé) pourraient être plus efficacement réprimées par des sanctions non pécuniaires. En effet, en séance, les représentants des taxis, et le gouvernement ont souligné que les sanctions pécuniaires n'étaient souvent pas appliquées par les tribunaux au regard de la situation financière, particulièrement précaire, des chauffeurs en infraction. Ainsi, en lieu et place de sanctions financières, une réflexion pourrait être menée sur la pertinence de sanctions telles que la saisie temporaire du véhicule ou la confiscation temporaire du permis de conduire.
3. UNE INTERPRÉTATION RESTRICTIVE DE LA NOTION DE " CONTRAT AVEC LE CLIENT FINAL ", ASSIMILÉE À LA RÉSERVATION PRÉALABLE
69. Aux termes de l'article L. 3122-9 du Code des transports, les VTC n'auront pas, une fois leur prestation achevée, à retourner à la base ni à stationner dans un parking dès lors qu'elles peuvent justifier, soit d'une réservation préalable, soit d'un contrat avec le client final.
70. Or, cette notion de " contrat avec le client final " est ambigüe. En effet, comme s'en est félicité publiquement le président de l'application de VTC Chauffeur privé, " cette modification nous permet de travailler comme avant [ ]. Tout client lié avec notre plate-forme signe un contrat général d'utilisation. Chaque chauffeur est donc directement en contrat avec tous nos clients, à n'importe quel moment ". Une telle interprétation, qui assimile le contrat aux conditions générales de vente et le client final au passager, serait donc de nature à priver cette mesure de toute portée en la détournant de son objectif premier qui, selon les travaux parlementaires, était de dispenser du retour à la base les VTC traditionnelles que sont les ex-véhicules de grande remise. Elle rendrait par ailleurs l'exception liée à la réservation préalable inutile.
71. Afin de contrecarrer une telle interprétation, le présent projet de décret précise la notion de " contrat " et de " client final " dans un sens restrictif. Aux termes de l'article R. 3120-2 du Code des transports, ce contrat se justifiera ainsi " au moyen d'un support papier ou électronique qui précise les clauses particulières définissant un horaire, une destination, l'état civil de la ou des personnes transportées et le caractère répété de la prestation " sans jamais définir clairement qui est le client final. Dans ces conditions, le " contrat général d'utilisation " susmentionné ne suffira pas à justifier qu'un chauffeur de VTC ne retourne pas à sa base (ou dans un lieu hors de la chaussée), une fois sa prestation achevée.
72. Ce faisant, cette rédaction rapproche considérablement la notion de contrat avec le client final de la réservation préalable, mais en lui ajoutant deux conditions supplémentaires :
- la précision de l'état civil de la ou des personnes transportées et non plus seulement de la personne qui a effectué la réservation préalable ;
- le caractère répété de la prestation.
73. S'agissant de cette dernière condition, le gouvernement, interrogé lors de l'instruction de l'avis, considère qu'elle vise le cas, spécifique aux VTC ex-véhicules de grande remise, où une VTC est réservée par un client pendant plusieurs jours d'affilés.
4. UNE INTERPRÉTATION RESTRICTIVE SANS EFFET POUR LES CHAUFFEURS DE VTC, SAUF POUR LES CHAUFFEURS DE VTC EX-VÉHICULES DE GRANDE REMISE
a) Une restriction sans effet sur l'activité des chauffeurs de VTC affiliés
74. Le présent projet de décret, assimilant le contrat avec le client final à la réservation préalable tout en lui ajoutant deux conditions supplémentaires (l'état civil de toutes les personnes transportées ainsi que le caractère répété de la prestation), apparaît en contradiction avec la loi -qui offre à l'article L. 3122-9 une alternative-, car totalement dénué de portée, dès lors qu'il sera plus simple, pour un chauffeur de VTC, de faire valoir une réservation préalable qu'un contrat avec le client final ainsi défini.
75. En effet, les représentants des VTC ont expliqué que les réservations préalables s'enchainent généralement tout au long de la journée, au moins dans les grandes villes, la rentabilité du modèle économique étant fortement liée à la multiplication des courses sur une journée (entre 10 à 15 courses par jour selon les déclarations en séance du représentant de la Fédération nationale des voitures de transport avec chauffeur). Aussitôt qu'une prestation est achevée, le chauffeur d'une VTC est destinataire, via les applications qu'il utilise, d'une nouvelle demande de transport. En effet, les chauffeurs de VTC ne sont pas liés juridiquement à une application en particulier qui leur imposerait une clause d'exclusivité (9). La condition d'une réservation préalable étant satisfaite dans les faits, les VTC ne seront pas obligées de retourner à leur base ou de stationner hors de la chaussée et pourront enchaîner directement avec une nouvelle prestation.
76. Le seul effet prévisible de cette mesure sera de contraindre le modèle économique des VTC. Ainsi qu'il a été dit supra, celles-ci sont, pour l'essentiel exploitées par des auto-entrepreneurs. Ainsi, les chauffeurs de VTC indépendants, non affiliés à une ou plusieurs applications, plus fréquents en province, pourraient être particulièrement pénalisés par cette obligation de retour à la base, pour autant qu'ils n'aient pas une clientèle personnelle très développée.
b) Une restriction inadaptée à l'activité des VTC ex-véhicules de grande remise et susceptible de leur nuire
77. L'obligation de justifier d'une réservation préalable, première exception à l'obligation de retourner à la base (ou à stationner hors de la chaussée), ne s'applique en pratique qu'aux VTC travaillant avec une application. En effet, les sociétés de VTC traditionnelles, ex-grande remise ne fonctionnent pas sur le modèle de l'enchaînement des réservations préalables. Dans les faits, les donneurs d'ordre susmentionnés, avec lesquels ces sociétés de VTC ont des contrats, les mettent à disposition de leurs clients ou de personnalités, gratuitement ou non, parfois pour plusieurs jours.
78. Or, la notion de " contrat avec le client final ", deuxième exception à l'obligation de retourner à la base (ou à stationner dans un lieu hors de la chaussée), parce qu'elle est assimilée dans le décret à une réservation préalable assortie de deux conditions supplémentaires, se révèle inadaptée à l'activité des sociétés de VTC traditionnelles, comme l'a expliqué la Chambre syndicale nationale des entreprises de remise et de tourisme (CSNERT) :
- ayant généralement un contrat avec un donneur d'ordres et non avec le passager, elles ne connaissent pas forcément l'identité de la personne qu'elle transporte pour son compte et encore moins l'état civil de l'ensemble des personnes qui peuvent l'accompagner, en particulier lorsque le véhicule est réservé pour plusieurs jours ;
- dans ce même cas, celui d'un véhicule réservé sur une durée de plusieurs jours, même dans le cas d'un contrat avec un ou de(s) passager(s) bien identifié(s), celui-ci sera transporté à de nombreuses destinations sans qu'il soit possible pour le chauffeur de connaître préalablement l'ensemble de celles-ci, le passager ne les connaissant peut être pas lui-même ou pouvant changer d'avis à tout moment.
79. C'est pourquoi la CSNERT estime nécessaire que le projet de décret précise que " le contrat avec le client final permette d'attendre un passager à tout moment et en tous lieux, sans nécessité d'un retour à une " base ", et que ce contrat puisse être démontré par tout moyen sur un support écrit ou électronique faisant référence au contrat avec le client final (hôtel, compagnie aérienne, agence de voyages, administration, société privée, ) qui n'est pas le passager ". Par conséquent, pour les sociétés de grande remise, la notion de " contrat avec le client final " tel qu'interprétée par le projet de décret est inadaptée à leur activité et susceptible de leur nuire considérablement, les exposant à des sanctions répétées des Boers si leurs chauffeurs venaient à être contrôlés (10). Afin d'atteindre l'objectif qui est le sien, cette notion ne doit, selon elles, pas viser la ou les personnes transportées mais le donneur d'ordres avec lequel s'établit, généralement, leur relation contractuelle.
80. En conclusion, afin de contrecarrer une interprétation de la loi susceptible de la priver de toute portée, le projet de décret interprète de manière restrictive la notion de " contrat avec le client final ". Toutefois, une telle interprétation :
- en assimilant le " contrat avec le client final " à la réservation préalable, aggravée de deux conditions supplémentaires, réduit en pratique les deux branches de l'alternative prévue par la loi pour déroger au retour à la base (ou à stationner hors de la chaussée), à une seule, celle de la réservation préalable, la moins contraignante des deux ;
- est contraire à l'objectif poursuivi par l'exception en faveur du " contrat avec le client final " puisqu'elle conduit, en pratique, à nuire à la catégorie de VTC - les ex-véhicules de grande remise - à qui elle devrait pourtant bénéficier.
81. Par conséquent, bien qu'elle soit consciente de la difficulté d'élaborer une rédaction satisfaisant l'ensemble des objectifs poursuivis par l'article L. 3122-9 du Code des transports, l'Autorité recommande au gouvernement de modifier la rédaction du deuxième alinéa de l'article R. 3120-2 du même Code tel qu'issu du présent projet de décret afin que l'exception à l'obligation de retourner à la base (ou de stationner dans un lieu hors de la chaussée) prenne en compte les spécificités de l'activité de grande remise :
- en visant le contrat avec le donneur d'ordres, qui est le payeur, lorsque celui-ci n'est pas le passager ;
- en supprimant la condition relative à la fourniture de l'état civil du passager, de l'ensemble des personnes qui l'accompagnent ainsi que de la ou les destinations et en excluant explicitement que les conditions générales de vente des éditeurs d'application puissent être considérées comme un contrat avec le client final.
B. LES NOUVELLES MODALITÉS D'INSCRIPTION AU REGISTRE DES VTC CRÉENT DES CONTRAINTES NON JUSTIFIÉES POUR LES VTC ET RISQUENT DE FAVORISER ARTIFICIELLEMENT LE MODÈLE ÉCONOMIQUE DE L'INTERMÉDIATION.
82. Le projet de décret renforce les conditions de l'inscription des exploitants de VTC dans le registre national des voitures de transport avec chauffeur - qui sera désormais géré par le ministère des Transports et non plus par ATOUT France, à la fois par l'exigence de garanties bancaires d'un montant au moins égal à 1500 euros par véhicule (1) et par un alourdissement des charges administratives (2).
1. L'EXIGENCE DE GARANTIES BANCAIRES AU MOINS ÉGALES À 1500 EUROS PAR VÉHICULE CRÉE UNE DIFFÉRENCE DE TRAITEMENT INJUSTIFIÉE AVEC LES TAXIS
83. L'article L. 3122-4 du Code des transports dispose que les exploitants qui possèdent " une ou plusieurs voitures de transport avec chauffeur et emploient un ou plusieurs conducteurs doivent justifier de capacités financières ".
84. Selon le projet de décret (R. 3122-9 du même Code), la capacité financière devra prendre la " forme de garanties bancaires d'un montant au moins égal à 1500 euros pour chaque véhicule affecté à l'exécution du service. Il précise également que " les véhicules concernés sont ceux qui sont utilisés de façon régulière par l'exploitant ".
85. La justification de capacités financières est habituelle dans le cadre de marchés publics ainsi que pour les véhicules de transport collectif de personnes au sens de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs (dite LOTI). Toutefois, s'agissant des exploitants de VTC, la transposition d'une telle exigence n'apparaît ni nécessaire, ni justifiée, tout en posant des difficultés pratiques de mise en œuvre.
86. En préalable, il convient de souligner qu'en application de l'article 5 du décret n° 85-891 du 16 août 1985 relatif aux transports urbains de personnes et aux transports routiers non urbains de personnes sont dispensés " des exigences de capacité financière et professionnelle les entreprises de taxis lorsqu'elles effectuent une activité de transport public routier de personne au moyen d'un seul véhicule ". Par conséquent, l'exigence d'une capacité financière pour les seuls exploitants de VTC constitue, en tant que telle, une différence de traitement avec les taxis alors même qu'ils exercent la même activité sur le marché de la réservation préalable de transport particulier de personnes.
87. Or, les arguments présentés par le gouvernement pour justifier cette différence de traitement n'apparaissent pas pertinents. L'exigence de garanties bancaires serait ainsi justifiée par la nécessité de lutter contre les " enregistrements fantômes " d'exploitants de VTC et contre la pratique occasionnelle de l'activité d'exploitant de VTC. Toutefois :
- les radiations et les non-renouvellements d'inscription sur le registre des VTC ne représentent que 10% du total selon les chiffres d'ATOUT France ;
- ces enregistrements fantômes étaient, pour la plupart, le fait de chauffeurs de taxi de province, souhaitant exercer simultanément les professions de chauffeur de taxi et de VTC. Or, l'article L. 3122-8 du Code des transports interdit désormais le cumul entre l'activité de conducteur de VTC et celle de chauffeur de taxi ;
- dès lors que l'exigence de garanties bancaires ne concernera que les véhicules utilisés de façon régulière par l'exploitant, elle échoue par principe à lutter contre l'activité occasionnelle de chauffeur de VTC.
88. Sur ce dernier point, l'Autorité rappelle que la professionnalisation des chauffeurs de VTC doit reposer sur d'autres mesures mieux adaptées à cet objectif ainsi qu'à celui d'amélioration de la sécurité des clients :
- les exploitants de VTC et les intermédiaires, qui mettent en relation les exploitants avec le client, sont tenus de justifier de l'existence d'un contrat d'assurance couvrant leur responsabilité civile professionnelle ;
- les conducteurs de VTC doivent aujourd'hui, pour obtenir et conserver leur carte professionnelle, suivre une formation professionnelle de 250 heures dans un centre agréé, une formation continue et devront, à compter du 1er janvier 2016, se soumettre à un examen qui sanctionnera ses compétences.
89. De plus, alors que la loi exige la justification de " capacités financières ", le projet de décret transforme celles-ci en " garanties bancaires ". Toutefois, les banques n'accepteront de s'engager sur de telles garanties qu'à la condition de connaître les évènements précis susceptibles de les déclencher.
90. Quant aux conséquences réelles de cette exigence, outre le coût que la garantie bancaire représentera pour les exploitants, elle entraîne une différence de traitement entre entreprises de VTC, selon leur modèle économique, respectivement l'intermédiation ou le salariat. En effet, l'exigence de garanties bancaires pesant sur l'exploitant, les sociétés de VTC auront intérêt à ne pas salarier leur chauffeur ni à posséder de véhicules, et à développer, comme actuellement, le modèle de l'intermédiation, via une application mobile, entre des auto-entrepreneurs et des clients. À titre d'exemple, une entreprise comme Chauffeur privé, qui a annoncé vouloir affilier 2 000 chauffeurs supplémentaires, si elle était elle-même exploitant, devrait ainsi faire face au coût de garanties bancaires d'un total de 3 millions d'euros.
91. Sur ce point, l'Autorité relève que la contrainte de garanties bancaires créée par le décret pèsera essentiellement sur les sociétés de VTC traditionnelles (ex-grande remise) qui sont les seules, aujourd'hui, à salarier leurs chauffeurs et à exploiter en direct leurs véhicules sur le marché de la réservation préalable.
92. En conclusion, la disposition introduit une double différence de traitement, non justifiée, entre taxis et VTC d'une part et entre VTC selon leur modèle économique, d'autre part. Dès lors, l'Autorité recommande de supprimer l'exigence de garanties bancaires à hauteur de 1500 euros telle qu'elle figure dans le projet de décret et de considérer que l'objectif poursuivi par le législateur est satisfait par les autres dispositions législatives et réglementaires précitées.
2. L'ALOURDISSEMENT DES CHARGES ADMINISTRATIVES
93. Aux termes du III du nouvel article R. 3122-1 du Code des transports, les exploitants inscrits au registre des VTC seront tenus de porter à la connaissance du gestionnaire, par téléprocédure et dans un délai de 15 jours, tout changement relatif aux informations transmises lors de l'inscription, en particulier :
- le justificatif de la capacité financière ;
- pour chaque véhicule, la copie du certificat d'immatriculation ;
- pour chaque conducteur, la copie de la carte professionnelle.
94. À nouveau, la charge administrative que représentera cette disposition ne pèsera en pratique que sur les seules sociétés de VTC traditionnelles qui emploient elles-mêmes des chauffeurs et utilisent leurs propres véhicules. Leur activité s'avère en effet très saisonnière et, comme l'a indiqué le CSNERT lors de l'instruction de l'avis, il arrive fréquemment que dans l'exécution d'un contrat avec un salon ou un festival, elles utilisent plusieurs dizaines de véhicules et de chauffeurs supplémentaires. Par conséquent, ces sociétés devront, dans les 15 jours, transmettre au ministère des Transports - qui devra être mesure de les traiter - l'ensemble des documents susmentionnés. De même, une fois le salon ou le festival terminé, elles devront également, dans les 15 jours, informer le ministère des Transports qu'elles n'utilisent plus ces véhicules et ces chauffeurs.
95. En revanche, les intermédiaires qui ne travaillent qu'avec des exploitants, dès lors qu'ils sont actifs sur ce segment haut de gamme du marché de la réservation préalable, ne seront pas soumis aux mêmes contraintes administratives.
96. Si le gestionnaire du registre des VTC doit être informé des changements touchant aux conditions d'inscription de l'exploitant, imposer que toute modification, même temporaire, lui soit transmise dans un délai très court apparaît comme une charge administrative disproportionnée affectant particulièrement une seule catégorie de VTC. L'Autorité recommande donc que le III de l'article R. 3122-1 précité soit modifié afin que l'obligation d'information du gestionnaire s'applique selon une périodicité trimestrielle, celle-ci apparaissant suffisante pour atteindre l'objectif recherché.
C. LA MISE EN PLACE D'UN EXAMEN DE CAPACITÉ PROFESSIONNELLE POUR LES CHAUFFEURS DE VTC
97. L'article D. 231-7 du Code du tourisme exige, pour l'exercice de la profession de chauffeur de VTC, un stage de formation dont le contenu a été fixé par l'arrêté du 23 décembre 2009 (11). Ce stage, d'une durée qui ne peut être inférieure à 250 heures, doit être effectué dans un centre de formation agréé. Selon les informations recueillies lors de l'instruction du présent avis, le coût de cette formation s'établirait à environ 3 000 euros.
98. En revanche, une telle formation n'est pas exigée des chauffeurs de taxi. Le décret n° 2009-72 du 20 janvier 2009 relatif à la formation et à l'examen professionnel des conducteurs de taxis, ne leur impose pas de formation initiale obligatoire mais la réussite à un examen professionnel qu'ils peuvent préparer par eux-mêmes. Il leur est toutefois possible, afin de maximiser les chances de réussite, de suivre les modules de formation qu'ils jugent nécessaires à l'acquisition des compétences visées par l'examen.
99. À compter du 1er janvier 2016, aux termes du nouvel article D. 3122-13 du Code des transports, la délivrance de la carte professionnelle de chauffeur de VTC sera subordonnée à une condition d'aptitude constatée, notamment, par la réussite à un examen. En revanche, sans attendre cette date, dès la publication du décret, l'obligation de formation initiale sera supprimée par abrogation de l'article D. 231-7 précité.
100. L'Autorité se félicite de la suppression d'une formation initiale obligatoire pour les chauffeurs de VTC, dont le coût, très élevé, pouvait constituer une barrière à l'entrée et son remplacement par un examen similaire à celui que les taxis doivent passer. Elle invite d'ailleurs le gouvernement à instituer cet examen dès que possible, sans attendre le 1er janvier 2016. Il serait néanmoins souhaitable que le projet de décret soit modifié afin que, d'ici la création de l'examen, l'obligation de formation initiale soit maintenue afin de s'assurer de l'aptitude professionnelle des chauffeurs de VTC.
Conclusion
101. Comme en 2013, le texte soumis à l'avis de l'Autorité de la concurrence vise à apporter une protection supplémentaire au marché de la maraude par rapport aux règles de police déjà existantes mais crée ce faisant un risque de perturbation sur le marché de la réservation préalable. De manière plus générale, et comme l'Autorité le constate depuis au moins 2005, les pouvoirs publics réforment des aspects de la réglementation des marchés concernés sans pour autant traiter l'ensemble des problématiques, qui se sont encore complexifiées avec l'arrivée des VTC, alors que serait nécessaire une action portant conjointement sur tous les paramètres d'ajustement de l'offre et de la demande.
102. En particulier, la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 a mis en place un certain nombre de règles clarifiant effectivement le fonctionnement du marché de la maraude et son articulation avec le marché de la réservation préalable. Elle n'est cependant pas parvenue à empêcher que cette articulation se fasse sans risque de distorsion de concurrence sur le marché de la réservation préalable, ni à traiter les problèmes de fond qui continuent d'empêcher le marché de la maraude de s'équilibrer, au premier rang desquels le numerus clausus et l'existence de licences dont le coût vient perturber les conditions économiques d'activité.
103. Dans ce contexte, bien qu'elle reste très critique au regard de l'obligation de retour à la base introduite par la loi, conduisant à entraver l'activité de VTC sans pour autant permettre de répondre à l'objectif visé de lutter contre la maraude, l'Autorité émet un avis favorable au projet de décret relatif au transport public particulier de personnes, sous réserve que :
- soit modifié le deuxième alinéa de l'article R. 3120-2 du Code des transports, afin que l'exception à l'obligation pour les VTC de retourner à la base (ou de stationner dans un lieu hors de la chaussée) prenne en compte les spécificités de l'activité d'ex-voitures de grande remise ;
- soit supprimé l'article R. 3122-9 du même Code relatif à la capacité financière des exploitants de VTC (et les autres dispositions y faisant référence) dès lors que les objectifs qu'il poursuit sont satisfaits par d'autres mesures législatives ou réglementaires ;
- soit modifié le III de l'article R. 3122-1 du même Code afin que le gestionnaire du registre des VTC soit informé des changements relatifs aux informations transmises lors de l'inscription selon une périodicité trimestrielle ;
- soit avancée autant que possible la création de l'examen d'aptitude professionnelle des chauffeurs de VTC et conservée la formation obligatoire dans l'attente de la mise en place de l'examen.
104. En outre, l'Autorité renouvelle, dans le présent avis, sa recommandation de disposer d'informations précises sur l'activité des taxis et des VTC. Elle appelle donc le gouvernement à instituer sans attendre, comme il l'a annoncé, un observatoire des transports particuliers de personnes.
Délibéré sur le rapport oral de M. Julien Barbot et Mme Laure Meyssonnier, rapporteurs et l'intervention de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint, par M. Emmanuel Combe, président de séance, M. Thierry Dahan, vice-président et Mme Chantal Chomel membre. La secrétaire de séance, Caroline Chéron
Le président de séance, Emmanuel Combe
Notes
1 Selon le rapport Thévenoud, le nombre de " licences " s'établit à 57 371en France, dont 17 636 à Paris.
2 Avis n° 04-A-04 du 29 janvier 2004 relatif à une demande de la fédération nationale des taxis indépendants concernant la réglementation de l'activité des taxis.
3 Avis n° 05-A-02 du 24 janvier 2005 et 09-A-51 du 21 octobre 2009 relatifs au projet de décret modifiant le décret n° 87-238 du 6 avril 1987 réglementant les tarifs des courses de taxi.
4 C'est la vitesse à partir de laquelle le compteur passe d'un fonctionnement au temps passé à un fonctionnement au kilomètre parcouru et inversement.
5 http://www.prefecturedepolice.interieur.gouv.fr/content/download/3299/15486/file/taxis_reglementation_tarifs_2014.pdf.
6 Les sanctions applicables sont 15 000 euros d'amende et un an de prison.
7 Service de la préfecture de police de Paris chargé de faire respecter la réglementation du transport de personnes dans la capitale.
8 En effet, il n'est pas possible aux VTC de stationner sur la chaussée, y compris dans les lieux où le stationnement est autorisé.
9 Même si les intermédiaires ont pu, dans leurs contrats, chercher à les fidéliser par des clauses particulières comme une rémunération supérieure ou une tarification dégressive de la location du véhicule, toutes deux dépendantes du nombre de courses effectuées pour leur compte.
10 Dans les faits toutefois, les ex-véhicules de grande remise, bien connus de Boers, actives sur un segment spécifique du marché de la réservation préalable, sont moins susceptibles d'être contrôlés et sanctionnés que les VTC travaillant avec des applications.
11 En sont toutefois exemptés les chauffeurs qui ont acquis une expérience professionnelle d'une durée minimale d'un an dans les fonctions de chauffeur professionnel de personnes au cours des dix années précédant la demande de carte professionnelle.