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Décisions

ADLC, 21 octobre 2015, n° 15-A-14

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

relatif à une demande d'avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel sur le fondement de l'article 41-4 de la loi du 30 septembre 1986 sur la demande de passage sur la plateforme de TNT gratuite des chaînes LCI, Paris Première et Planète +

ADLC n° 15-A-14

21 octobre 2015

L'Autorité de la concurrence (section IV),

Vu la lettre, enregistrée le 11 septembre 2015 sous le numéro 15/0077A par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis dans le cadre de sa propre saisine par le groupe Métropole Télévision d'une demande de passage sur la plateforme de TNT gratuite de la chaîne Paris Première,

Vu la lettre, enregistrée le 11 septembre 2015 sous le numéro 15/0078A par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis dans le cadre de sa propre saisine par le groupe TF1 d'une demande de passage sur la plateforme de TNT gratuite de la chaîne La Chaîne Info,

Vu la lettre, enregistrée le 11 septembre 2015 sous le numéro 15/0079A par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis dans le cadre de sa propre saisine par le groupe Canal+ d'une demande de passage sur la plateforme de TNT gratuite de la chaîne Planète+,

Vu la décision de jonction de l'instruction des affaires 15/0077A, 15/0078A et 15/0079A de la rapporteur générale adjointe en date du 14 septembre 2015,

Vu les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Vu le livre IV du code de commerce ;

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication,

Vu les autres pièces du dossier ;

La rapporteur, la rapporteur générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, les représentants du Conseil supérieur de l'audiovisuel et les représentants du groupe TF1 et du groupe NextRadioTV entendus lors de la séance du 8 octobre 2015 ;

Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :

1. Par lettres enregistrées le 11 septembre 2015 sous les numéros 15/0078A, 15/0077A et 15/0079A, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (ci-après CSA) a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis dans le cadre de l'instruction des demandes d'agrément déposées par les groupes TF1, Métropole Télévision (ci-après M6) et Canal+ pour obtenir l'autorisation de diffuser, sur la plateforme de télévision numérique terrestre gratuite, leurs chaînes payantes respectives La Chaîne Info (ci-après LCI), Paris Première et Planète+.

2. Le CSA avait été saisi début 2014 par les éditeurs des chaînes LCI, Paris Première et Planète+ sur le fondement de l'article 42-3 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa version modifiée par la loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013 sur l'indépendance de l'audiovisuel public. Cet article prévoit que le CSA peut donner son agrément à une demande de modification, par un éditeur de service de télévision, de ses modalités de financement. Un tel agrément ne peut être donné que sous réserve du respect des articles 1er et 3-1 de la loi précitée, relatifs notamment au pluralisme et à la diversité des opérateurs, et après avoir pris en compte les équilibres du marché publicitaire dans l'étude d'impact à laquelle le CSA doit procéder et qui doit être rendue publique. La loi dispose en outre que le CSA procède à l'audition publique du demandeur d'agrément et entend les tiers intéressés qui lui en feraient la demande.

3. Saisie par le CSA en avril 2014 pour avis sur le fondement du dernier alinéa de l'article 41-4 de la loi du 30 septembre 1986, l'Autorité a rendu son avis (n° 14-A-07) le 18 juin 2014 (1).

4. Le 29 juillet 2014, le CSA a rendu et publié simultanément trois décisions relatives aux trois demandes d'agrément, décisions (2) par lesquelles il s'opposait aux modifications des modalités de financement des trois éditeurs demandeurs, ainsi que les trois études d'impact réalisées dans le cadre de son instruction.

5. Le 17 juin 2015, sur requêtes des groupes TF1 et M6, le Conseil d'État a annulé les décisions du CSA relatives aux demandes d'agrément des chaînes LCI (3) et Paris Première (4) prises sur le fondement de l'article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986, au motif de l'irrégularité de la procédure suivie. Dans ses décisions, le Conseil d'État a relevé que le législateur ayant voulu, par la publication d'une étude d'impact, assurer la transparence de la procédure, l'étude d'impact devait être publiée par le CSA préalablement à sa décision et en temps utile pour que toutes les personnes intéressées puissent faire valoir leurs observations sur cette étude. Or, en l'espèce, les études d'impact n'ont été publiées que le 29 juillet 2014, en même temps que les décisions du CSA.

6. À la suite des décisions du Conseil d'État, le groupe TF1 a réitéré auprès du CSA, le 13 juillet 2015, sa demande de passage en TNT gratuite de la chaîne LCI et le groupe M6 a fait de même s'agissant de la chaîne Paris Première le 15 juillet 2015. Le groupe Canal+, de son côté, a également formulé, le 17 juillet 2015, une demande d'agrément

S'agissant de la chaîne Planète+. C'est dans le cadre de l'instruction de ces trois nouvelles demandes d'agrément que le CSA a à nouveau saisi l'Autorité de la concurrence pour avis, souhaitant " recueillir les observations de l'Autorité de la concurrence sur la nécessité, (…), de subordonner une telle autorisation à des obligations de nature concurrentielle et qu'elle lui précise, le cas échéant, lesquelles pourraient être envisagées ".

7. Ainsi qu'indiqué dans son avis n° 14-A-07 du 18 juin 2014, l'Autorité de la concurrence rappelle qu'il ne lui appartient pas, dans le cadre d'une saisine pour avis, de qualifier les comportements sur un marché au regard des articles 101 et 102 du traité européen et des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code du commerce, pas plus que de définir les marchés pertinents concernés, au-delà des rappels de la pratique décisionnelle et de la jurisprudence récentes. Seule la mise en œuvre d'une procédure pleinement contradictoire, telle qu'elle est organisée par l'article L. 463-1 du code du commerce, lui permettrait de porter de telles appréciations.

8. Cette précision est d'autant plus nécessaire que les services de l'Autorité instruisent actuellement des plaintes portant sur des pratiques ou des marchés décrits par le présent avis. L'Autorité ne pourra donc émettre qu'une analyse générale et prospective. Un tel examen ne saurait préjuger de l'appréciation que l'Autorité portera finalement à l'issue d'une instruction au fond des comportements mis en cause.

I. Le secteur de la TNT et le cadre des saisines

A. HISTORIQUE ET PANORAMA ACTUEL DE LA TNT

9. En France, la télévision numérique (qui a succédé à la télévision analogique) est accessible au consommateur par plusieurs plateformes de diffusion : la plateforme hertzienne terrestre (TNT), le satellite, le câble, l'ADSL, la fibre optique et les réseaux mobiles.

10. L'offre actuelle de chaînes de TNT, gratuite et payante, est le résultat de plus d'une décennie de structuration du secteur, qui s'est développé entre 2004 et 2011, date de disparition de la télévision analogique. Cette évolution a été présentée dans l'avis n° 14-A-07 précité, auquel il est renvoyé en tant que de besoin.

11. Ainsi qu'il a été précisé dans cet avis, les objectifs poursuivis par le lancement de la TNT étaient triples :

o mieux utiliser les " fréquences en or " attribuées à la télévision hertzienne terrestre, dont les propriétés de propagation sont très supérieures aux autres, en numérisant la diffusion, qui permet une économie de fréquences, et une amélioration sensible de la qualité visuelle et sonore de la retransmission ;

o mettre à disposition des téléspectateurs, grâce à cette économie, une offre de chaînes multipliée par cinq ou six, en diversifiant les formats éditoriaux ;

o favoriser l'entrée de nouveaux entrants dans le secteur afin d'animer un paysage télévisuel jusqu'alors très concentré au profit des acteurs historiques de la télévision analogique.

12. Ces deux derniers objectifs devaient cependant s'inscrire dans les possibilités de l'économie de la télévision hertzienne terrestre, le marché publicitaire télévisuel étant certes extensible, mais pas au point d'assurer la survie d'un nombre de chaînes multiplié par cinq. C'est pourquoi le projet de développement de la TNT porté par le CSA au début des années 2000 se fondait sur une répartition équilibrée entre le nombre de chaînes de la TNT payante et de la TNT gratuite, dans la perspective de construire un paysage télévisuel composé de deux modèles économiques complémentaires. Ce projet initial était supposé trouver son équilibre avec une quinzaine de chaînes de TNT payantes (5), au côté de huit chaînes gratuites privées (6 et six chaînes publiques (7).

13. La structuration initiale voulue par ) le CSA a cependant été totalement bouleversée ces dernières années, du fait d'un double mouvement de " re-concentration " et de disparition du modèle de la TNT payante. Le panorama actuel de la TNT, tel qu'il figure ci-dessous au paragraphe 28 est le résultat de ce double mouvement.

1. LA CONCENTRATION DES CHAÎNES DE LA TNT AU SEIN DES GROUPES AUDIOVISUELS

14. Si l'élargissement de l'offre de chaînes de TNT gratuites a permis l'entrée sur le marché de nouveaux acteurs indépendants des grands groupes historiques de l'audiovisuel, les mouvements de concentration successifs ont conduit ces grands groupes - TF1, M6 et Canal+ - à reprendre le contrôle de la majeure partie de l'offre indépendante.

15. C'est ainsi que, successivement, le groupe M6 a repris le capital de la chaîne Paris Première (2004), les groupes TF1 et AB Group ont racheté la chaîne TMC (2005) (8), intégralement reprise ensuite par TF1 simultanément à la chaîne NT1 (2010) (9). Enfin le groupe Canal+ a racheté les deux chaînes du groupe Bolloré Direct 8 et Direct Star (2012) (10), déjà rachetée au groupe Lagardère (2010).

16. Des sept éditeurs de télévision gratuite nouveaux entrants sélectionnés par le CSA en 2003 et 2004 ne subsistent donc aujourd'hui que les groupes NextRadioTV et NRJ Group, éditant chacun deux chaînes (respectivement BFM TV et RMC Découverte et NRJ 12 et Chérie 25). L'appel à candidature lancé par le CSA en 2011 a en outre permis l'entrée de deux nouveaux opérateurs en 2012, le groupe Amaury (éditeur de la chaîne L'Equipe 21) et la société Diversité TV France (éditrice de la chaîne Numéro 23).

17. De nouveaux mouvements dans le secteur, susceptibles de modifier encore les équilibres du paysage audiovisuel, sont attendus.

18. En particulier, les groupes NextRadioTV et Altice (11) ont annoncé en juillet dernier leur rapprochement, en conséquence duquel NextRadioTV sera détenu à 51 % par Alain Weill et 49 % par Altice, projet qui ne devrait voir le jour, après avoir été soumis aux autorités de contrôle des concentrations, que fin 2015. Cette opération conduirait à adosser le premier groupe français de contenus télévisuels indépendant à un groupe de télécommunications puissant, lui donnant une envergure industrielle et une certaine assise financière.

19. En outre, sous l'impulsion de son actionnaire principal, le groupe Bolloré (environ 15 %), Vivendi a lancé un processus d'intégration de sa filiale Canal+, dans la perspective de transformer la holding financière en groupe industriel intégré dans les contenus. Outre l'acquisition à 100 % de la société éditrice de la chaîne Canal+ (SECP), le groupe a annoncé début septembre 2015 une réorganisation interne qui confirme, après la cession notamment de SFR, un recentrage vers les médias et en particulier la télévision. Il en résulte que les chaînes du Groupe Canal+, et notamment la chaîne d'information en continu i>télé, pourraient faire l'objet de nouveaux investissements.

2. LA REMISE EN CAUSE DU MODÈLE ÉCONOMIQUE DE LA TNT PAYANTE

20. La possibilité d'un modèle d'affaires satisfaisant pour les chaînes de TNT payantes ne s'est jamais confirmée, à l'exception des chaînes composant le bouquet de Canal+, qui bénéficiait de son antériorité sur l'hertzien analogique et surtout de la puissance de son offre " premium " auprès des téléspectateurs.

21. Cette absence persistante de succès pour les chaînes payantes de la TNT autres que " premium " s'explique notamment par la nouveauté et l'attractivité de l'offre de TNT gratuite, qui a permis d'offrir à tous l'accès à des formats éditoriaux jusque-là réservés à l'offre payante (chaînes d'informations, jeunesse, musicales et mini-généralistes). L'offre de TNT payante souffrait quant à elle de faiblesses structurelles, du fait de son caractère limité en nombre (quinze chaînes face aux deux cents chaînes du câble et du satellite) et de son rapport qualité-prix défavorable, du fait de l'importance des coûts de la diffusion hertzienne comparés à ceux d'une diffusion par le câble ou le satellite.

22. L'absence d'attractivité de l'offre de TNT payante n'a en outre pas permis le développement d'une distribution crédible, en dehors de celle effectuée par le groupe Canal+. Des distributeurs alternatifs indépendants des éditeurs ont tenté de s'introduire sur le marché, mais la faiblesse du bouquet non premium ne leur a pas permis de devenir rentables. Le dernier distributeur indépendant a cessé toute activité en 2012.

23. Le groupe Canal+ pour sa part, seul distributeur à même de réellement promouvoir cette offre, était incité à privilégier d'abord son bouquet thématique Canalsat, plus complet et vendu plus cher, sur le satellite et l'ADSL, et ensuite à défaut son propre bouquet de TNT, composé exclusivement de ses chaînes. Après le regroupement des activités de télévision payante du Groupe Canal + et de TPS au bénéfice du Groupe Canal+ en 2006 (12), l'offre de TNT payante offerte par le groupe s'est présentée sous la forme d'un " mini pack " de huit, puis cinq chaînes, accessibles seulement comme option supplémentaire pour les abonnés de Canal+ souscrivant en premier lieu à l'offre du " mini bouquet " premium. Ce " mini pack " est depuis vendu au prix inchangé d'une douzaine d'euros par mois.

24. Faute de réelle promotion, l'offre de TNT payante n'a ainsi jamais connu de réel succès ; elle n'aurait atteint qu'un maximum de 542 000 abonnés et n'en comptabiliserait plus que 360 000 en 2014.

25. Dans ces conditions, l'offre de TNT payante s'est considérablement et rapidement appauvrie, les éditeurs concernés restituant leur autorisation d'utilisation des fréquences au CSA faute d'espérer récupérer notamment les frais de diffusion. Ainsi, des quinze chaînes de TNT payantes initialement autorisées par le CSA, outre le " mini-bouquet " de Canal+, cinq chaînes seulement étaient encore exploitées en 2012, sept années après le début des émissions (2005).

26. Cette attrition s'est poursuivie en 2015, avec la fermeture de la chaîne mini-généraliste TF6 détenue à parité par les groupes TF1 et M6 (janvier 2015) et l'arrêt de la diffusion en TNT payante de la chaîne Eurosport (janvier 2015), eu égard à la cession partielle (mars 2015) puis totale (juillet 2015) d'Eurosport France par le groupe TF1 au groupe Discovery Communications (13). Le " mini pack " ne comprend désormais plus que trois chaînes (celles-là même candidates au passage en gratuit, LCI, Paris première et Planète+).

27. Ainsi, l'agrément de passage en TNT gratuite des chaînes LCI, Paris Première et Planète+ signerait la fin de la TNT payante " non premium ", seule subsistant l'offre premium du mini-bouquet Canal+ composée des trois chaînes Canal+, Canal+ Cinéma, Canal+ Sport. La distribution de ces chaînes, auprès d'environ 360 000 abonnés, demeurerait rentable pour le groupe Canal+.

3. PANORAMA DE L'OFFRE DE TNT AU 30 SEPTEMBRE 2015

28. Ainsi, au 30 septembre 2015, l'offre de TNT est composée de trente chaînes nationales (14), vingt-quatre chaînes gratuites et six chaînes payantes, parmi lesquelles onze sont diffusées en haute définition (HD) :

Emplacement tableau 1

29. Sans compter le résultat non connu des trois demandes d'agrément en cours auprès du CSA, le panorama de la TNT n'est pas encore figé.

30. Le CSA a lancé, en juillet 2015, un nouvel appel à candidature (16) pour l'édition de chaînes de TNT (gratuite) en haute définition (HD). Bien que le transfert de la " bande 700 MHz " réduise le nombre de multiplex de TNT à six (en faisant disparaître deux), la généralisation de la norme de codage plus efficace MPEG4 et l'arrêt de la double diffusion en SD et HD de certaines chaînes vont en effet libérer de la ressource en fréquences de TNT. La ressource ainsi rendue disponible devra notamment et en priorité permettre de convertir des chaînes existantes d'un format SD à un format HD. Le CSA a présélectionné douze candidats (neuf chaînes gratuites BFM TV, D7, D18, i>télé, Gulli, NRJ 12, NT1, TMC et W9, ainsi que trois chaînes payantes : Canal+ Cinéma, Canal+ Sport et Planète+) le 8 octobre dernier, parmi lesquels ne figurent aucun nouvel acteur ni les chaînes LCI et Paris Première. Enfin, le gouvernement devrait préempter les fréquences nécessaires à la transition en HD des chaînes publiques.

31. Par ailleurs, les groupes France Télévisions et Radio France auraient pour projet de créer une chaîne publique nationale d'information en continu qui pourrait être diffusée en TNT.

B. LES DEMANDES D'AGRÉMENT PRÉSENTÉES POUR LE PASSAGE EN TNT GRATUITE

32. Le passage de la TNT payante à la TNT gratuite n'implique pas seulement un changement de modèle économique pour les chaînes, mais entraîne aussi des conséquences notables d'un point de vue réglementaire et technique. Les demandes d'agrément présentées émanent par ailleurs des trois principaux groupes audiovisuels privés et en particulier d'éditeurs de chaînes dotées de marques fortes.

1. LE CADRE LÉGAL TECHNIQUE DU PASSAGE EN TNT GRATUITE

a) Les avantages de nature technique

33. En premier lieu, les obligations législatives de couverture de la population (17) qui s'imposent aux opérateurs de multiplex regroupant plusieurs éditeurs de services de télévision diffèrent en fonction du caractère payant ou gratuit des chaînes qui les composent. Les chaînes qui seront autorisées à passer du payant au gratuit bénéficieront d'un accroissement significatif de leur taux de couverture, de 85 % à 97 % de la population, atteignant de ce fait l'ensemble des téléspectateurs de la TNT gratuite et augmentant à due proportion leur couverture publicitaire.

34. En second lieu, le passage en gratuit des chaînes candidates leur fera accéder au bloc de numéros dédié par le CSA à la TNT gratuite, entre les numéros d'accès 26 à 29. La loi du 30 septembre 1986 donne en effet compétence au CSA pour organiser la numérotation des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre (18). Dans l'intérêt du public et afin d'assurer l'égalité entre les chaînes de même catégorie, le CSA a retenu un principe de numérotation par bloc homogène, qui, pour les chaînes gratuites, s'impose également à l'ensemble des distributeurs sur toutes les autres plateformes de diffusion. Cette numérotation, plus avantageuse que celle dont elles bénéficient au titre de la TNT payante, conduira les chaînes à une meilleure exposition, qui est un important moteur d'audience.

b) Le cadre légal de l'autorisation du passage en TNT gratuite

35. La loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication confie au CSA la mission de procéder à l'autorisation d'usage des fréquences hertziennes par les éditeurs publics comme privés de la TNT et au contrôle de cet usage, notamment via le conventionnement des éditeurs de services de télévision privés (19). Aux termes de l'article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986, " l'autorisation peut être retirée, sans mise en demeure préalable, en cas de modification substantielle des données au vu desquelles l'autorisation avait été délivrée, notamment des changements intervenus dans la composition du capital social ou des organes de direction et dans les modalités de financement ".

36. Sur ce fondement, et notamment parce que la loi du 30 septembre 1986, dans sa rédaction alors en vigueur, ne lui donnait pas le pouvoir d'agréer un changement des modalités de financement des chaînes de la TNT, le CSA s'est opposé, en juillet 2011, à la première demande des éditeurs de chaînes LCI et Paris Première de passer en TNT gratuite. Dans son rapport annuel de 2011, le CSA a indiqué à cet égard qu'" après un examen tenant compte des conséquences économiques et techniques des modifications envisagées, que ces changements constituaient une modification substantielle des modalités au vu desquelles les autorisations ont été délivrées à ces services. Il a donc décidé de ne pas les [LCI et Paris Première] agréer ".

37. Par la suite, la loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public a modifié l'article 42-3 précité, en introduisant la possibilité pour le CSA d'agréer une modification des modalités de financement d'une chaîne de la TNT sans recourir à la procédure ouverte de l'appel à candidature.

38. Opposés à cette modification législative, les groupes NextRadioTV et NRJ Group ont déposé, de manière indépendante, une plainte en manquement auprès de la Commission européenne, estimant que la France manquerait à ses obligations issues du droit européen, dans la mesure où cet article de la loi, par l'absence de mise en concurrence des acteurs candidats au changement de fréquence, violerait les exigences de non-discrimination, de proportionnalité, d'objectivité et de transparence dans le processus d'attribution des fréquences hertziennes prévues par le cadre réglementaire européen (20).

39. Ce moyen, à nouveau présenté par le groupe NextRadioTV dans le cadre des recours déposés par les groupes TF1 et M6 contre les décisions du 29 juillet 2014 du CSA s'opposant au passage en gratuit de leur chaîne, a été rejeté par le Conseil d'État dans ses décisions du 17 juin 2015 précitées.

40. En effet, le Conseil d'État a précisé à cette occasion que la procédure d'agrément spécifique pour les opérateurs de TNT payante désirant passer en diffusion gratuite ne méconnaît pas le droit de l'Union européenne, qui prévoit une dérogation au recours à la procédure ouverte de l'appel à candidature, à titre exceptionnel, lorsque cela est nécessaire pour un objectif d'intérêt général : " Considérant, toutefois, que le second alinéa de l'article 5, paragraphe 2 de la directive du 7 mars 2002 permet en tout état de cause aux États membres, à titre exceptionnel, d'octroyer sans recourir à une procédure ouverte des droits d'utilisation de radiofréquences pour la diffusion de services de télévision lorsque cela est nécessaire pour atteindre un objectif d'intérêt général défini dans le respect du droit de l'Union ; qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 15 novembre 2013 qu'en permettant au CSA d'agréer la modification, en ce qui concerne le recours ou non à une rémunération de la part des usagers, de l'autorisation afférente à un service de communication audiovisuelle, le législateur a tenu compte de l'échec du modèle économique de distribution payante défini par l'autorité de régulation lors du lancement de la télévision numérique terrestre et de l'intérêt qui peut s'attacher, au regard de l'impératif fondamental de pluralisme et de l'intérêt du public, à la poursuite de la diffusion d'un service ayant opté pour ce modèle ; qu'il appartient au CSA, saisi d'une demande d'agrément, d'apprécier, en tenant compte du risque de disparition du service exploité par le demandeur, des risques qu'une modification de ses conditions de financement ferait peser sur la poursuite de l'exploitation d'autres services et des contributions respectives de ces services au pluralisme du secteur et à la qualité des programmes, si, en raison notamment de l'absence de fréquence disponible, l'impératif de pluralisme et l'intérêt du public justifient de ne pas recourir à une procédure ouverte ; que, lorsque cette condition est remplie, la modification de l'autorisation doit être regardée comme nécessaire à la réalisation d'un objectif d'intérêt général et entre ainsi dans le champ des dispositions du paragraphe 2 de l'article 5 de la directive du 7 mars 2002 qui permettent à titre exceptionnel de ne pas recourir à une procédure ouverte " (21).

2. LES CHAÎNES CANDIDATES AU PASSAGE EN TNT GRATUITE

41. Compte tenu de l'échec du modèle de la TNT payante, et des pertes sensibles et récurrentes qu'entraînait leur diffusion, seules les chaînes historiques bénéficiant d'une marque et d'une notoriété fortes et appartenant à des groupes capables d'absorber ces pertes ont pu se maintenir jusqu'à aujourd'hui.

a) LCI

42. Créée en 1994, LCI est la première chaîne d'information en continu en France. La chaîne appartient au groupe TF1, contrôlé par le groupe Bouygues, qui détient 43,5 % de son capital et des droits de vote au 31 décembre 2014. Sur l'exercice clôturé en décembre 2014, le groupe TF1 a réalisé un chiffre d'affaires consolidé de 2 091,8 millions d'euros (+0.8 % par rapport à 2013).

43. La chaîne LCI a été autorisée par le CSA en juin 2003 au titre du canal supplémentaire attribué aux chaînes privées historiques de l'analogique (22). Selon sa convention avec le CSA, LCI est un service de télévision consacré à l'information en continu (23). Ainsi, sur le plan éditorial (24), les principales concurrentes de la chaîne LCI sont les chaînes BFM TV, dont les audiences ont crû rapidement ces dernières années et qui attire aujourd'hui 2 % du public de la TNT gratuite, et i>Télé, dont les audiences s'élèvent à 0,9 %, plutôt stables ces dernières années (Médiamat Mensuel, août 2015).

44. Les espaces publicitaires de la chaîne LCI sont commercialisés par la régie publicitaire de TF1, TF1 Publicité. La régie TF1 Publicité (en amont du processus de rapprochement en cours avec l'autre régie publicitaire télévisuelle du groupe TF1, TMC Régie) commercialise les espaces publicitaires des chaînes du groupe TF1 (TF1, HD1, LCI, Eurosport, Eurosport 2, TV Breizh, Ushuaïa TV, Histoire), des groupes Turner (Cartoon Network, Boing, Boomerang) et Discovery (Discovery Channel, Discovery Science) ainsi que des chaînes beIN Sport et Numéro 23.

45. En 2014, le groupe TF1 avait motivé sa demande d'agrément par les difficultés économiques de la chaîne LCI qui perdurent depuis son origine. Le groupe soulignait notamment la diminution des revenus issus de la distribution depuis que la chaîne a fait le choix d'une distribution non exclusive et la chute brutale des recettes issues de la publicité, diminuées de moitié entre 2011 et 2013. Malgré les réductions du coût de grille réalisées par la chaîne, les perspectives économiques ne laissaient entrevoir qu'une aggravation constante de ses pertes. Selon le groupe TF1, le passage à un financement majoritairement publicitaire, qui implique le passage au gratuit, était la seule voie possible pour éviter la fermeture de la chaîne.

46. En 2015, le groupe TF1 fait le constat d'une confirmation, pour 2014, de la dégradation de la situation économique de LCI et d'une accélération, pour 2015, de la chute de ses recettes publicitaires. Quant aux recettes de distribution, les contrats signés avec les différentes plateformes de diffusion, qui devaient s'interrompre au 1er janvier 2014, ont été prolongés d'un an du fait des recours déposés contre la décision du 29 juillet 2014 du CSA et dans l'attente de la décision du Conseil d'État ; au-delà de cette période, les distributeurs auraient fait connaître au groupe TF1 leur refus de continuer à rémunérer la distribution d'une chaîne d'information en continu qui leur paraît désormais relever du champ de la télévision gratuite.

b) Paris Première

47. Créée en 1986 à l'initiative de la Mairie de Paris et de la Lyonnaise des eaux, la chaîne Paris Première appartient au groupe Métropole Télévision depuis 2004. Le groupe M6 affiche pour 2014 un chiffre d'affaires consolidé de 1257,9 millions d'euros (+0,4 % par rapport à 2013) (25).

48. La chaîne Paris Première a été autorisée par le CSA en juin 2003 à l'issue de l'appel à candidature du 24 juillet 2001. La convention de la chaîne Paris Première prévoit une programmation consacrée aux spectacles, à la vie culturelle, aux évènements parisiens ainsi qu'aux œuvres cinématographiques et de fiction (26).

49. Si l'on considère Paris Première comme une chaîne mini-généraliste (elle-même se positionnant comme plus haut de gamme), ses concurrentes sur le plan éditorial sont nombreuses sur la TNT, d'abord au sein du groupe : W9 (2,9 % d'audience en août 2015) et 6 ter (1,5 % d'audience) et, en dehors du groupe, D8 (groupe Canal+, 3,2 % d'audience), TMC, NT1 et HD1 (groupe TF1, respectivement 3,1 %, 2 % et 1,2 % d'audience), NRJ 12 et Chérie 25 (NRJ Group, respectivement 1,9 % et 0,8 % d'audience) et Numéro 23 (0,8% d'audience) (27).

50. Les espaces publicitaires de la chaîne Paris Première sont commercialisés par la régie publicitaire du groupe, M6 Publicité, qui assure également la vente des espaces publicitaires des trois chaînes de la TNT gratuites M6, W9, 6ter, et autres chaînes Téva, Sérieclub, M6 Music et Girondins TV.

51. En 2014, le groupe M6 justifiait sa demande d'agrément en gratuit par les impasses du modèle de la TNT payante, les distributeurs de chaînes payantes, toutes plateformes confondues, étant de moins en moins enclins à rémunérer les chaînes, notamment sur le format mini-généraliste, et la crise du marché publicitaire touchant davantage les chaînes payantes, qui ne couvrent pas l'ensemble de la population (voir paragraphe 33).

52. En 2015, le groupe M6 ajoute que, dans ces conditions qui perdurent, Paris Première, tout en ayant activé tous les leviers pour réduire ses postes de coûts, ne pourra se maintenir bénéficiaire en TNT payante au-delà de 2017.

c) Planète +

53. Créée en 1988, Planète+ est la première chaîne documentaire apparue en France. Elle est éditée par la société Planète Câble, détenue à 100 % par la société Multithématiques, elle-même détenue à 100 % par le groupe Canal+. Le groupe Canal+ a réalisé en 2014 un chiffre d'affaires de 5456 millions d'euros.

54. La chaîne Planète+ a été sélectionnée au cours de l'appel à candidature du 24 juillet 2001, et autorisée par le CSA en juin 2003. La convention de la chaîne Planète+ prévoit une programmation consacrée au genre documentaire (28). Ainsi, sur le plan éditorial, sa principale concurrente sur la plateforme de TNT est RMC Découverte (1,4 % d'audience), appartenant au groupe NextRadioTV et qui se définit comme une chaîne documentaire familiale.

55. Les espaces publicitaires de la chaîne Planète+ sont commercialisés par la régie du groupe, Canal+ Régie, qui commercialise également les espaces des chaînes de TNT du groupe (" mini-bouquet " Canal+, D17, D8, i>télé) ainsi que d'autres chaînes telles que Jimmy, Piwi+, Comédie+ ou encore Info Sport+.

56. En 2014, le groupe Canal+ justifiait la demande de passage en gratuit de sa chaîne Planète+ comme une conséquence directe des démarches de demande de passage en gratuit des chaînes Paris Première et LCI par les groupes M6 et TF1. En effet, la perspective d'un " mini-pack " de la TNT payante réduit à Planète+ (les chaînes TF6 et Eurosport devant également en sortir à l'époque) aurait remis en cause sa distribution et affecté l'équilibre économique de la chaîne.

57. En 2015, la demande d'agrément de Planète+ est motivée par ce même argument, d'autant plus que la chaîne a proposé au CSA un repositionnement éditorial d'une programmation très historique vers une programmation plus ouverte aux problématiques contemporaines, repositionnement qui se traduirait par une augmentation de ses coûts de grille de 50 % en 2016 et 100 % en 2017.

II. Les marchés pertinents

58. La jurisprudence et la pratique décisionnelle des autorités de concurrence nationale et européenne ont défini un certain nombre de marchés pertinents structurant les secteurs de la télévision payante et de la télévision gratuite.

59. Il est notamment de pratique décisionnelle constante de distinguer les chaînes de télévision gratuites et les chaînes de télévision payantes sur les marchés intermédiaires de l'édition et de la commercialisation de chaînes (29). En effet, il n'existe pas à proprement parler de marché de l'édition des chaînes gratuites dans la mesure où celles-ci ne sont ni rémunérées par des distributeurs de bouquets de télévision, ni commercialisées auprès des consommateurs finaux (30). Contrairement aux chaînes payantes qui ont un plan d'affaires très fortement dépendant des revenus de la distribution, les recettes de la publicité télévisuelle n'étant que marginales, les chaînes gratuites sont principalement rémunérées par ces dernières.

60. En amont, les éditeurs de chaînes (gratuites et payantes) réalisent des grilles de programmes conformément à leur ligne éditoriale en produisant des contenus et en s'approvisionnant sur les marchés de droits de diffusion des contenus audiovisuels.

61. Ainsi, le passage des chaînes LCI, Paris Première et Planète+ de la TNT payante à la TNT gratuite est susceptible, sous réserve de l'examen qui suit, d'emporter des effets sur l'équilibre concurrentiel du marché de la publicité télévisuelle et des marchés des droits de diffusion des contenus.

A. LES MARCHÉS RELATIFS AUX DROITS DE DIFFUSION

62. La pratique décisionnelle des autorités de concurrence a considéré plusieurs axes de segmentation des marchés relatifs aux droits de diffusion (31).

63. En premier lieu, elle distingue les droits relatifs à des services de télévision classiques, dits " linéaires ", et les droits relatifs à des services de télévision " non linéaires ".

64. En deuxième lieu, elle effectue une segmentation des marchés des droits de diffusion télévisuelle en fonction du type de contenus auxquels ces droits se rapportent. Ainsi sont traditionnellement distingués le marché des contenus cinématographiques, le marché des droits relatifs à la diffusion d'évènements sportifs et le marché des autres contenus audiovisuels.

65. Pour ce qui est des œuvres cinématographiques, la pratique décisionnelle effectue une double segmentation en fonction des supports et modes de diffusion (exploitation en salle, en vidéo, en vidéo à la demande, en paiement à la séance, en télévision payante, etc…) (32) et en fonction de l'origine de l'œuvre acquise (œuvres américaines et œuvres d'expression originale française) (33). En outre, parmi les œuvres américaines, a été isolé le marché des séries américaines récentes, animé à la fois par les acteurs de la télévision payante et de la télévision gratuite (34).

66. Dans sa décision n° 10-DCC-11 du 26 janvier 2010, l'Autorité de la concurrence n'a pas retenu de distinction des marchés des droits de diffusion des contenus en fonction de leur attractivité, mais elle a établi que le caractère plus ou moins attractif des contenus influe significativement sur le fonctionnement des marchés des droits de diffusion, et notamment ceux des droits de diffusion des films et des programmes de stock. En effet, sur ces marchés, bien que les volumes de programmes disponibles soient relativement importants, tous ne suscitent pas l'intérêt des acheteurs ou des téléspectateurs, soit parce qu'ils ne correspondent pas à la ligne éditoriale des éditeurs, soit parce qu'ils ne leur garantissent pas une audience suffisante pour générer les recettes publicitaires nécessaires pour couvrir l'achat de droits. Enfin, la grande hétérogénéité des prix des contenus d'un même marché reflète leur rareté et donc leur attractivité. En conséquence, au sein d'un même marché de droits de diffusion peuvent être observés différents segments de droits et différents contextes concurrentiels sur ces segments.

67. En troisième lieu, la pratique décisionnelle n'a pas estimé nécessaire de distinguer autant de marchés de droits de diffusion télévisuelle qu'il existe de plateformes de distribution (hertzien, satellite, câble, ADSL ou fibre) (35).

68. L'ensemble des marchés de droits de diffusion de contenus sont traditionnellement considérés comme de dimension nationale.

B. LE MARCHÉ DE LA PUBLICITÉ TÉLÉVISUELLE

69. Il est de pratique décisionnelle constante que le marché de la publicité télévisuelle constitue un marché distinct du marché de la publicité sur les autres médias (cinéma, presse, radio, affichage…), et notamment sur Internet (36). En effet, bien qu'il existe une convergence croissante entre la publicité télévisuelle et la publicité sur Internet, du fait notamment du développement de la publicité par " display " sur les vidéos diffusées sur Internet, la jurisprudence a estimé que les deux marchés demeurent distincts, au regard notamment de l'absence de substituabilité des deux médias et de la couverture Internet encore partielle du territoire national. Dans sa décision Google/DoubleClick, la Commission européenne a ainsi considéré que la publicité en ligne et la publicité hors ligne constituaient deux marchés distincts (37). Elle a notamment relevé la spécificité en termes de ciblage de la publicité en ligne et la différence en termes de tarification entre les deux marchés.

70. L'Autorité de la concurrence a également retenu cette distinction entre médias dans la décision n° 10-DCC-11, relative à la prise de contrôle des chaînes TMC et NT1 par le groupe TF1, considérant par ailleurs qu'il n'était pas pertinent de segmenter le marché de la publicité télévisuelle en fonction des " cibles " des campagnes publicitaires (ensemble de téléspectateurs présentant un profil prédéfini), des horaires de diffusion des écrans publicitaires (les " day parts " ou partition de la journée en quatre périodes : day, access, peak, night) ni de la puissance des écrans publicitaires (exprimée en nombre de Gross Rating Point (38)). L'Autorité a confirmé cette position dans sa décision n° 14-DCC-50 du 2 avril 2014.

71. En outre, il est de pratique décisionnelle constante de ne pas distinguer l'espace publicitaire de la télévision payante de l'espace publicitaire de la télévision gratuite, car les demandeurs, les offreurs, et l'objet de la transaction, c'est-à-dire les espaces publicitaires, sont très généralement les mêmes sur les deux types de chaînes.

72. Enfin, selon les autorités de concurrence européenne et nationale (39), la dimension géographique du marché de la publicité télévisuelle est nationale, du fait des barrières linguistiques et culturelles, sauf en matière de publicité télévisuelle locale, pour laquelle le marché pertinent serait d'une dimension correspondant à la zone de diffusion du service de télévision locale.

C. LES INTERDÉPENDANCES ENTRE LES MARCHÉS

73. Comme l'Autorité a déjà eu l'occasion de le rappeler, il existe de fortes interdépendances entre le marché de la publicité télévisuelle et les marchés des droits de diffusion de contenus : " la demande de publicité télévisuelle est fonction de l'audience des chaînes, elle-même fortement tributaire des contenus audiovisuels acquis par les éditeurs de chaînes de télévision. Inversement, la puissance d'achat des chaînes gratuites sur les marchés de droits est essentiellement fonction de leurs recettes sur le marché de la publicité télévisuelle " (40). Ces interdépendances sont déterminantes et doivent être prises en compte dans toute analyse concurrentielle menée dans le secteur.

III. Analyse concurrentielle

A. REMARQUES LIMINAIRES

74. Le passage des trois chaînes de la TNT payantes LCI, Paris Première et Planète + en TNT gratuite permettrait à l'ensemble des téléspectateurs de la télévision hertzienne gratuite d'accéder à des chaînes historiques, aux marques fortes et aux contenus reconnus, même s'il n'est pas exclu que ce passage entraîne une inflexion de la qualité des contenus diffusés par ces chaînes en réponse aux exigences du marché de la publicité télévisuelle. En tout état de cause, chacune des chaînes candidates fait la promesse, dans son projet de passage, d'un format éditorial qui correspond à une attente réelle de la part des téléspectateurs.

75. Le passage en gratuit des trois chaînes contribuerait en outre à augmenter le nombre d'acteurs sur les marchés de droits de diffusion des contenus (ceux-ci distinguant les droits à destination de la télévision payante des droits à destination de la télévision gratuite), à multiplier l'offre d'espaces publicitaires sur le marché de la publicité télévisuelle, à renforcer l'efficacité des régies publicitaires qui les accueillent (notamment eu égard aux effets de portefeuille), autant d'aspects considérés de prime abord comme pro-concurrentiels. Il contribuerait aussi, en faisant disparaître trois chaînes de l'offre de TNT payante, à limiter cette plateforme, déjà en très forte perte de vitesse, au seul " mini-bouquet " de chaînes premium de Canal+.

76. D'un point de vue économique, le passage du payant au gratuit, même s'il nécessite une autorisation administrative de la part du CSA, constitue un simple changement de modèle d'affaires d'une entreprise déjà existante, qui abandonne un modèle reposant sur un financement majoritaire auprès des distributeurs et minoritaire auprès du marché de la publicité télévisuelle, au bénéfice d'un modèle de financement quasi-exclusif auprès du marché de la publicité télévisuelle.

77. Ce changement de modèle d'affaires ne peut être qualifié " d'opération de concentration ", les lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des opérations de concentrations précisant que " si aucune des entreprises impliquées ne subit un changement en ce qui concerne l'identité des entreprises ou personnes qui la contrôle ou la qualité de ce contrôle (contrôle exclusif ou contrôle conjoint), l'opération n'est pas une concentration " (point 20). En conséquence, le passage des chaînes d'une plateforme de TNT à l'autre ne doit pas être soumis au contrôle de l'Autorité relatif aux opérations de concentration.

78. Les instruments du contrôle des concentrations peuvent néanmoins se révéler un guide d'analyse utile pour l'examen de l'impact concurrentiel de chacun des passages en TNT gratuite.

79. En effet, même s'il n'y a à l'évidence pas de prise de contrôle d'une entreprise existante, et donc pas d'objet de contrôle des concentrations, il y a bien, par l'arrivée de trois nouvelles chaînes de la TNT gratuite appartenant à des groupes importants, une modification des équilibres économiques et partant concurrentiels, sur les marchés structurant le secteur de la télévision gratuite, à savoir le marché de la publicité télévisuelle et les marchés des droits de diffusion de contenus. Si ces modifications conduisaient à créer ou renforcer une position dominante sur un de ces marchés, il pourrait se produire un effet d'éviction des concurrents.

80. Les effets d'éviction pourraient prendre au cas d'espèce une dimension particulière, dans la mesure où la disparition d'acteurs dans le secteur de la télévision emporte des conséquences en termes d'accès à la culture ou de pluralisme. Même si la mission de défense du pluralisme en ce domaine est confiée exclusivement au CSA, l'Autorité de la concurrence a déjà montré, à l'occasion des récentes décisions de concentration dans le secteur audiovisuel et notamment dans la décision n° 12-DCC-100 (41), que le droit de la concurrence se devait de prendre en compte, au titre de l'objectif général de la protection du consommateur, la diversité et le pluralisme des éditeurs, en ce qu'ils constituent une expression particulière de l'accès du consommateur à une offre de biens et services diversifiés et innovants.

81. Contrairement aux analyses et remèdes issus du contrôle des concentrations qui s'imposent au secteur qui lui est soumis, les analyses et orientations sur de possibles mesures d'engagement suggérées par l'Autorité de la concurrence dans le cadre du présent avis ne peuvent constituer que des pistes qu'il appartient au CSA d'approfondir et, le cas échéant, de mettre en œuvre au moyen des outils de la régulation sectorielle.

B. LES ÉVOLUTIONS RÉCENTES DU MARCHÉ DE LA PUBLICITÉ TÉLÉVISUELLE

82. Depuis l'analyse du secteur de la télévision gratuite menée par l'Autorité à l'occasion de la prise de contrôle, en 2010, par le groupe TF1 des chaînes de la TNT gratuite TMC et NT1, deux principaux facteurs d'évolution sont intervenus.

83. En premier lieu, le paysage de la TNT gratuite a été modifié à la suite de l'introduction des six nouvelles chaînes de TNT en haute définition en 2012 (HD1, L'Equipe 21, 6ter, Numéro 23, Chérie 25 et RMC Découverte), renforçant l'offre déjà composée de dix-huit chaînes, puis de la prise de contrôle par le groupe Canal+ des chaînes Direct 8 et Direct Star, devenues D8 et D17. L'entrée des six premières a contribué à multiplier l'offre d'écrans publicitaires sur le marché de la publicité télévisuelle et le rachat des secondes leur a donné un nouvel essor sur ce marché (42). En conséquence, la compétition s'est accrue car les chaînes présentant des formats éditoriaux et des structures d'audience (tranches d'âges, sexe, CSP,…) similaires attirent les mêmes annonceurs.

84. En second lieu, les acteurs font état, depuis plusieurs années, d'un marché de la publicité télévisuelle mature, atone, voire en rupture, en raison du contexte macroéconomique et de la pression accrue de la publicité diffusée sur les autres médias. Certains anticipent une stagnation durable du marché.

85. En effet, le contexte de croissance défavorable a participé à la baisse constante des dépenses de communication des annonceurs tous supports confondus (-1.6 % entre 2013 et 2014, -3,4 % entre 2012 et 2013) (43), qui se poursuit en 2015 (les prévisions affichent une nouvelle baisse de 0,6 %).

86. Les recettes publicitaires nettes de l'ensemble des éditeurs de télévision (44) atteignent un montant global de 3,22 milliards d'euros en 2014, chiffre en quasi-stagnation par rapport à 2013 (+0,1 %) après deux années consécutives de baisse (-3,5 % de 2012 à 2013 et -4,5% de 2011 à 2012), alors qu'elles avaient cru de 20 % sur la période 2000-2007.

87. Le graphe ci-dessous retrace l'évolution des recettes publicitaires nettes sur la période 2000-2014. Il souligne la saturation du marché de la publicité télévisuelle, sur lequel les recettes publicitaires nettes ont atteint ces dernières années un niveau similaire à celui observé il y a une dizaine d'années alors qu'il ne finançait à l'époque que sept chaînes gratuites.

Recettes publicitaires nettes de la télévision entre 1999 et 2014, Source CSA

88. La conjonction de la morosité du marché et de la multiplication de l'offre a conduit à une forte pression sur les prix des écrans publicitaires, bruts et nets, ou, en d'autres termes, à la réduction des coûts du GRP. C'est également dans ce contexte que le développement des ventes d'espaces publicitaires en coût GRP garanti, faisant peser davantage de risque sur les régies, a continué de croître. Cette pratique, initialement réservée aux chaînes de la TNT introduites en 2012, s'est désormais étendue à l'ensemble des chaînes.

89. Du point de vue de la demande, il apparaît que les annonceurs sont moins prévisibles sur le marché, en ce qu'ils ne l'anticiperaient pas au-delà de trois mois et qu'ils optimisent davantage leurs coûts. De plus, ils concentreraient leurs investissements sur peu de régies publicitaires, dans l'objectif d'augmenter les volumes et de tirer les prix des écrans publicitaires davantage à la baisse, mais également, en raison de moindres coûts de transaction, de facilitation de la gestion de leurs achats ou encore d'une meilleure coordination.

90. Dans le cadre de l'avis n° 14-A-07 du 18 juin 2014, il avait été indiqué que la proportion des annonceurs qui se concentrent sur une ou deux régies historiques avait augmenté de plus de 10 points en deux ans. Ainsi, au 1er semestre 2013, près de 44 % des annonceurs avaient eu recours aux services d'une unique régie historique, 24,5 % d'entre eux avaient eu recours à deux régies historiques. Cette concentration de la demande contribuerait au renforcement des régies des groupes historiques disposant d'un large portefeuille de chaînes, leur permettant d'offrir aux annonceurs des espaces publicitaires variés.

91. Dans ce contexte de crise, d'offre fragmentée et d'une demande optimisant ses coûts, les régies publicitaires ont développé de nouvelles stratégies de commercialisation, et en particulier des offres de couplage, qui consistent à commercialiser ensemble des espaces publicitaires de plusieurs chaînes (par exemple les offres " FLUO multi-chaînes " de TF1 Publicité, l'offre " Pack " de France Télévisions Publicité). Certaines de ces offres de couplage ont un caractère très innovant, comme dans le cas de l'offre " Puissance TNT " proposée par M6 Régie, qui prévoit la synchronisation de la diffusion du même spot publicitaire sur les deux chaînes W9 et 6ter.

C. L'IMPACT CONCURRENTIEL DU PASSAGE EN TNT GRATUITE DES CHAÎNES LCI, PLANÈTE+ ET PARIS PREMIÈRE

92. Chacune des chaînes candidates au passage sur la plateforme de TNT gratuite a, dans le cadre de sa demande d'agrément auprès du CSA, réalisé des estimations du développement de son audience sur cette plateforme et mis en regard des plans d'affaires prévisionnels, sur la crédibilité desquels l'Autorité n'est pas amenée à se prononcer.

93. Il reviendra au CSA d'évaluer précisément l'impact de l'entrée de chacune des trois chaînes candidates sur la plateforme de TNT gratuite en premier lieu sur les parts d'audience des chaînes rivales en termes éditoriaux et déjà présentes sur la plateforme, et en second lieu sur la répartition des revenus de la publicité entre ces chaînes, étant relevé qu'une variation de 0,1 % de part de marché publicitaire représente une variation d'environ 3 millions d'euros sur le chiffre d'affaires publicitaire d'une chaîne.

94. En revanche, il revient à l'Autorité de la concurrence d'évaluer si le passage des chaînes candidates en TNT gratuite peut être, au-delà de la pression concurrentielle générée par l'accroissement de l'offre d'espaces publicitaires sur le marché de la publicité ou par une compétition accrue pour les droits de diffusion destinés à la télévision gratuite, de nature à créer ou renforcer des barrières à l'entrée significatives sur ces marchés, ou à créer ou renforcer une position dominante sur ceux-ci.

1. PASSAGE EN TNT GRATUITE DE LA CHAÎNE LCI

95. Concernant ses perspectives de développement sur la plateforme de TNT gratuite, le groupe TF1 estime capter une audience de 0,6 % dès le lancement de la chaîne LCI sur la plateforme de TNT gratuite, au 1er janvier 2016, et projette d'atteindre une part d'audience de 1,3 % en 2020. Contrairement au projet présenté lors de la demande d'agrément de 2014, le projet de 2015 est fondé sur une évolution de la grille de programmes de LCI, à convention constante néanmoins. Cette nouvelle grille, consacrée à l'information en continu (25 % du temps), aux magazines d'information (20 %) et aux magasines thématiques (43 %), se différenciant des grilles proposées par BFMTV et i>télé, aura pour effet, selon le groupe TF1, de viser une audience complémentaire par rapport aux autres chaînes de la TNT (plus âgée et plus masculine).

96. C'est principalement au regard de la position du groupe TF1 sur le marché de la publicité télévisuelle, par l'intermédiaire de sa régie TF1 Publicité, que l'impact concurrentiel du passage en TNT gratuite de la chaîne LCI doit être considéré.

a) Impact sur le marché de la publicité télévisuelle

L'analyse conduite par l'Autorité en 2010 et les évolutions constatées en 2014

97. L'Autorité de la concurrence a eu l'occasion d'analyser le marché de la publicité télévisuelle dans le cadre de la prise de contrôle des chaînes NT1 et TMC par le groupe TF1, qui a donné lieu à la décision n° 10-DCC-11 du 26 janvier 2010 dans laquelle elle conclut à l'existence d'une position dominante, détenue par la régie publicitaire TF1 Publicité, à partir d'un certain nombre de critères, quantitatifs et qualitatifs, prévalant à l'époque de l'opération de concentration analysée.

98. En premier lieu, TF1 Publicité disposait d'une part de marché (nette) comprise entre 40% et 50 %, qui s'élevait à plus du double de sa principale concurrence, M6 Régie, et à un peu moins du triple de sa concurrente suivante, France Télévisions Publicité, dans le contexte réglementaire de la suppression des plages de publicité sur les chaînes publiques. La régie publicitaire du groupe Canal+ détenait moins de 5 % de parts de marché et une frange concurrentielle de petits acteurs en développement représentait 5 autres points de part de marché. En outre, l'Autorité avait relevé la stabilité de la part de marché de TF1 Publicité dans la période précédant l'année de l'opération.

99. En deuxième lieu, l'Autorité avait constaté des différences importantes entre la chaîne TF1 et sa concurrente la plus proche, M6, notamment en termes d'écart entre sa part de marché et son taux d'audience, qui reflète " la prime au leader ". L'Autorité avait en outre constaté : " l'offre de TF1 se démarque de celle de ses concurrents par sa capacité à rassembler de très larges audiences et, en conséquence, à proposer aux annonceurs des écrans puissants permettant d'atteindre rapidement une couverture élevée de la cible. TF1 proposait, en 2008, 82 % des écrans supérieurs à 8,2 GRP sur la cible FRDA de moins de 50 ans. Sur ce plan là, il est également très loin devant son seul concurrent le groupe M6, France Télévisions n'offrant quasiment plus d'écrans puissants depuis la disparition début 2009 de la publicité en soirée " (45).

100. En troisième lieu, l'Autorité avait relevé la capacité de TF1 Publicité à pratiquer des tarifs plus élevés que ceux de ses concurrents ainsi qu'un taux d'utilisation de ses capacités en espaces publicitaires supérieur à celui de ses concurrents.

101. En conséquence, nonobstant la baisse générale des prix sur le marché de la publicité télévisuelle et le recul de la part de marché de TF1 Publicité, qui pouvaient relever à l'époque de phénomènes d'ordre conjoncturel (contexte macroéconomique défavorable) et/ou d'ordre structurel (lancement de la TNT, modifications du cadre réglementaire de la diffusion de publicité), l'Autorité de la concurrence avait qualifié de dominante la position de TF1 Publicité sur le marché de la publicité télévisuelle.

102. Plus récemment, dans la décision n° 14-DCC-50 relative à la prise de contrôle des chaînes D8 et D17 par le groupe Canal+, l'Autorité a effectué un état des lieux, pour les dernières années, des parts de marché des différents groupes de télévision en termes d'investissements publicitaires bruts (§369) :

Emplacement tableau 2

103. Comme indiqué, il n'y a pas lieu dans le cadre du présent avis de se prononcer sur la position actuelle des acteurs sur le marché de la publicité télévisuelle. L'Autorité fondera son analyse prospective sur les évolutions de marché rappelées ci-dessus.

L'analyse concurrentielle prospective du passage en gratuit de LCI

La possibilité d'un effet de levier par des pratiques de couplage

104. La commercialisation des espaces publicitaires de la chaîne LCI en formule payante est déjà aujourd'hui gérée par la régie publicitaire du groupe, TF1 Publicité. Si le passage en gratuit de la chaîne LCI ne constitue pas un changement structurel du groupe, le changement de modèle d'affaires de la chaîne, en le faisant dépendre quasi intégralement des revenus de la publicité, pourrait modifier les incitations de TF1 Publicité à promouvoir les ventes d'espaces publicitaires de LCI. Ceci d'autant que le passage en gratuit de LCI, en ce qu'il permettrait à la chaîne d'atteindre le taux de couverture de 97 % de la population, lui permettrait de souscrire à la mesure d'audience " Médiamat ", réservée aux chaînes nationales de la TNT gratuite, et donc à TF1 Publicité de négocier ses espaces publicitaires auprès des annonceurs dans le même type de contrats-cadres que les autres chaînes de la TNT gratuite.

105. Dans le cas du passage en gratuit de la chaîne LCI, le groupe TF1 cumulerait sur la plateforme de TNT gratuite cinq chaînes lui appartenant (avec TF1, NT1, TMC, HD1). L'ensemble de ces chaînes représente une gamme très diversifiée en termes de variété de cibles et de puissance d'écrans, susceptible à elle seule de satisfaire, sur le marché de la publicité télévisuelle, les besoins des annonceurs.

106. Le groupe TF1 pourrait être incité à développer une offre globale d'espaces publicitaires, commercialisée par une régie unique détenant une forte part de marché sur le marché de la publicité télévisuelle. Cette offre pourrait comprendre notamment les espaces publicitaires de la chaîne phare du groupe, TF1, qui dispose, comme cela a été établi en 2010, de la quasi-totalité des écrans puissants disponibles sur le marché de la publicité et donc d'un quasi-monopole sur des écrans qui apparaissent incontournables pour les annonceurs.

107. Lorsque l'Autorité a rendu son avis n° 14-A-07 précité, la régie TF1 Publicité n'était pas en mesure de proposer une telle offre globale, les espaces publicitaires des chaînes TMC et NT1 devant être commercialisés de façon autonome (au cas d'espèce par TMC Régie) conformément aux engagements que le groupe TF1 avait pris dans le cadre de leur prise de contrôle. De plus, le groupe TF1 avait déclaré en séance que les espaces publicitaires de la chaîne TF1 étaient commercialisés, au sein même de la régie, indépendamment des autres chaînes, en d'autres termes de façon non couplée.

108. Les engagements du groupe TF1 pris en 2010 ont pris fin au 25 janvier 2015 et le rapprochement des régies TF1 Publicité et TMC Régie devrait être effectif au 1er janvier 2016. La première détient 36,8 % des parts de marché publicitaires brutes (46) en 2014 et la seconde 6,8 %, la régie unique en détenant en conséquence 43,6 %. En recettes publicitaires nettes, la première détient en 2014, à elle seule, 45,83 % des parts de marché au titre de la commercialisation des espaces publicitaires des chaînes gratuites (46,3 % en ajoutant les espaces des chaînes payantes) (47).

109. Dans le cas d'espèce, la régie unique pourrait commercialiser une offre globale, et exercer, à partir de la commercialisation des écrans puissants de la chaîne phare du groupe, TF1, un effet de levier pour développer la vente d'espaces publicitaires des autres chaînes présentes dans la régie, notamment ceux de la chaîne LCI. Cet effet de levier pourrait également être mis en œuvre à partir des chaînes mini-généralistes TMC (première audience de la TNT hors chaînes historiques, 3,2 % en août 2015) et NT1 (quatrième audience, 1,7 %), ou encore HD1 (première audience des chaînes HD).

110. Un tel effet de levier contribuerait à détourner les annonceurs des espaces publicitaires des chaînes à structure et profil d'audience similaires présentes sur la TNT gratuite, notamment, dans le cas de LCI, des autres chaînes d'information en continu (BFM TV et i>télé) ; en résulterait un avantage concurrentiel significatif pour LCI, qui bénéficierait en conséquence d'une audience supplémentaire et de perspectives de développement favorables.

111. D'un point de vue concurrentiel, la question se pose de savoir dans quelle mesure les régies qui commercialisent les chaînes desquelles se détourneraient les annonceurs, NextRégie pour BFM TV et Canal+ Régie pour i>télé, seraient en capacité de répliquer la stratégie d'offre globale et de couplage de la régie unique du groupe TF1. Si on exclut le cas d'un couplage des espaces publicitaires avec les écrans puissants de la chaîne TF1, non reproductible, cela pourrait être le cas pour Canal+ Régie, qui détient près de 15 % de part de marché publicitaire et commercialise les chaînes D8 et D17 (2,8 % et 1,3 % de part d'audiences), chaînes mini-généralistes qui ont acquis des positions assez fortes. Si tel n'était clairement pas le cas en 2014 pour NextRégie, qui représente un peu moins de 5% de part de marché publicitaire et commercialise uniquement les trois chaînes du groupe NextRadioTV (BFM TV, RMC Découverte et BFM BUSINESS TV), les perspectives d'adossement au groupe Altice pourrait changer marginalement la donne.

La possibilité d'un effet de levier par la pratique de promotion croisée

112. La promotion croisée consiste, au sein d'un même groupe, à promouvoir sur ses chaînes les autres chaînes du groupe, par l'annonce du titre d'un programme, de la chaîne sur laquelle il est diffusé, de la date et de l'heure de sa diffusion. Par une décision de juillet 2008, le CSA a autorisé les éditeurs privés à recourir, à l'instar des chaînes publiques, à la promotion croisée pour les chaînes gratuites et payantes qu'ils contrôlent. La promotion croisée n'est autorisée que si elle revêt un caractère purement informatif et non laudatif. Dans le cas contraire, il s'agit de publicité croisée.

113. Si cette possibilité existe entre chaînes payantes et chaînes gratuites d'un même groupe, elle est de fait plus efficace entre deux chaînes gratuites, le téléspectateur pouvant passer instantanément de l'une à l'autre sans devoir être abonné à la chaîne payante bénéficiant de la promotion de ses programmes.

114. En passant en TNT gratuite, la chaîne LCI pourrait profiter davantage de l'effet d'audience lié à une promotion ou une publicité croisée diffusée, possiblement à toute heure, sur la chaîne à forte audience TF1 et, partant, bénéficier d'une meilleure exposition de ses programmes.

b) Impact sur les marchés de droits de diffusion

115. Étant donnée sa ligne éditoriale d'information en continu, la chaîne LCI s'approvisionne principalement sur le marché des droits portant sur les images d'actualité.

116. Dans la décision n° 10-DCC-11 déjà citée, l'Autorité de la concurrence a précisé que les images d'actualité étant vendues sur une base essentiellement non exclusive, tant pour l'actualité internationale, nationale que locale, il n'existait pas sur ce marché de problématiques d'accès aux images, qui sont en outre les mêmes pour tous les acheteurs. L'ensemble des chaînes produisant de l'information, qu'elles appartiennent au secteur de la télévision payante ou au secteur de la télévision gratuite, qu'elles soient spécialisées ou généralistes, y a ainsi accès. En outre, le fonctionnement du marché semble exclure toute possibilité pour un acteur d'y détenir une position dominante.

117. A priori, la chaîne LCI ne devrait pas, en changeant de mode de financement et dans l'hypothèse d'une ligne éditoriale constante, modifier son comportement d'achat sur ce marché, dont l'équilibre concurrentiel ne devrait pas, en conséquence, être impacté.

2. PASSAGE EN TNT GRATUITE DE LA CHAÎNE PLANÈTE+

118. Concernant les perspectives de développement de la chaîne Planète+ en TNT gratuite, le groupe Canal+ estime, d'une part, qu'il existe un potentiel de création d'audience sur la thématique documentaire et, d'autre part, que les lignes éditoriales de RMC Découverte, unique autre chaîne documentaire de la TNT gratuite, et de Planète + sont complémentaires (la première attirant un public plus jeune, la seconde des CSP+). Ainsi, le groupe Canal+ estime que d'ici 2020, la part d'audience de l'ensemble de la thématique découverte serait de 3,8 %, dont 1,6 % pour la chaîne Planète+.

119. Si les parts de marché publicitaire du groupe Canal+, par l'intermédiaire de Canal+ Régie, évoquées ci-dessus, excluent toute possibilité d'effet de levier sur ce marché, la question de l'impact de l'arrivée de la chaîne Planète + en TNT gratuite pourrait se poser sur les marchés des droits de diffusion des contenus concernés.

120. L'approvisionnement en droits de diffusion de documentaires se réalise sur le marché des droits portant sur les programmes de stocks. L'offre sur ce marché est abondante, sur le plan international, et répond à des commandes des éditeurs sur le plan national.

121. Le comportement d'achats du groupe Canal+ sur le segment documentaire du marché des droits portant sur les programmes de stock n'est, a priori et à hypothèse de ligne éditoriale constante, pas voué à être modifié du fait de son passage en gratuit. De plus, il ressort de l'instruction qu'aucun acteur n'est susceptible de détenir une position prééminente sur le marché des droits portant sur les programmes de stocks, ni même sur le segment relatif aux programmes documentaires, en amont et en aval d'un éventuel passage en gratuit de la chaîne Planète +.

3. PASSAGE EN TNT GRATUITE DE LA CHAÎNE PARIS PREMIÈRE

122. Le groupe M6 mise sur la ligne éditoriale de Paris Première, différente des autres chaînes de la TNT gratuite, en termes de variété de genres (spectacles vivants, émissions culturelles, magazines inédits, documentaires d'art et de cinéma, films de patrimoine…) et de liberté de ton qui lui permettrait de se positionner plutôt sur le haut de gamme du marché, en complément de l'offre existante. Selon la chaîne, qui déclare viser 1,4 % de part d'audience en 2020 contre 0,4 % aujourd'hui, cette singularité lui permettrait de capter de façon homogène une part de l'audience des autres chaînes généralistes et mini-généralistes du secteur.

123. D'un point de vue concurrentiel, et compte tenu de la part du marché de la publicité télévisuelle détenue par M6 Régie, qui avoisine les 20 %, la question de l'impact de l'arrivée de la chaîne Paris Première sur la plateforme gratuite ne se poserait que sur les marchés des droits de diffusion des contenus.

124. Au regard des termes de sa convention, la chaîne Paris Première est une chaîne mini-généraliste. Partant, elle s'approvisionne sur les marchés de droits de diffusion des œuvres cinématographiques américaines, films et séries, et films d'expression originale française pour une diffusion sur la télévision payante et sur les marchés de droits de diffusion de programmes de stock. Son passage total en gratuit (48) la conduirait à s'approvisionner sur ces mêmes marchés de droits, mais à destination de la télévision gratuite.

125. Il ressort de l'instruction que, sur aucun de ces marchés de droits de diffusion, le groupe M6 n'est susceptible de détenir une position prééminente, ni en amont, ni en aval d'un éventuel passage en gratuit de sa chaîne Paris Première.

IV. Les mesures correctrices envisageables

126. Après avoir rappelé la position adoptée par l'Autorité dans son avis n° 14-A-07 du 18 juin 2014, il conviendra d'apprécier si les recommandations alors formulées au CSA sont toujours pertinentes au regard des évolutions du secteur.

A. LA POSITION DE L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE ADOPTÉE EN 2014

1. LA MÉTHODOLOGIE PROPOSÉE AU CSA

127. La pratique décisionnelle de l'Autorité en matière de concentration dans le secteur audiovisuel offre des exemples d'engagements ou d'injonctions de nature concurrentielle conditionnant une autorisation de concentration.

128. Parmi les décisions rendues dans le secteur, la décision n° 10-DCC-11 déjà citée constitue une référence utile. Dans cette décision, l'Autorité a analysé la position du groupe TF1 sur le marché de la publicité télévisuelle, identifié les risques anticoncurrentiels liés au renforcement de cette position et autorisé l'opération sous réserve du respect d'un certain nombre d'engagements.

129. Les engagements rendus obligatoires et répondant à ces risques étaient de deux ordres. En premier lieu, pour assurer l'indépendance des offres publicitaires de la chaîne TF1 et des chaînes acquises TMC et NT1, les engagements prévoyaient l'interdiction de toute forme de couplage entre les espaces publicitaires de la chaîne TF1 et ceux de la chaîne TMC et de la chaîne NT1. Afin d'assurer l'effectivité de cette interdiction, les engagements prévoyaient en outre que la commercialisation des espaces publicitaires des chaînes TMC et NT1 soit assurée de façon autonome par une autre société que celle qui gère la régie publicitaire de la chaîne TF1.

130. En second lieu, les engagements interdisaient de procéder à de la promotion ou de la publicité croisée des programmes des chaînes TMC et NT1 sur la chaîne TF1.

131. Au cas d'espèce, bien que le passage de la chaîne LCI ne constitue pas une opération de concentration, ses effets sur le marché de la publicité télévisuelle pourraient être similaires à ceux d'une prise de contrôle d'une chaîne indépendante déjà présente sur la plateforme de TNT gratuite.

2. LES RECOMMANDATIONS FORMULÉES AU CSA

a) L'obligation de ne pas pratiquer de promotion ou de publicité croisée

132. L'Autorité avait estimé qu'une telle interdiction apparaissait pertinente et proportionnée dans le cadre du passage en gratuit de la chaîne LCI, en ce qu'elle la conduirait à développer son audience sur la plateforme de TNT gratuite par ses seuls mérites. Il avait été souligné que cette interdiction pouvait être limitée dans le temps par le CSA, pour une durée adaptée aux perspectives de développement de la chaîne LCI en TNT gratuite.

b) L'obligation d'indépendance des offres d'espaces publicitaires de LCI et de TF1

133. L'Autorité avait, dans son avis n° 14-A-07 précité, rappelé que le couplage consiste à lier la fourniture de deux produits distincts relevant de deux marchés ou de deux segments distincts d'un même marché (49), par exemple sous la forme d'un avantage tarifaire octroyé en cas d'achat conjoint des deux produits (couplage mixte) ou sous la forme d'une obligation d'achat d'un produit A pour acheter le produit B (couplage pur). Il avait été rappelé que les pratiques de couplage mixte, même émanant d'une entreprise dominante, sont en principe moins nocives pour la concurrence que les pratiques de couplage pur (50).

134. Tout en soulignant que le passage en gratuit de la chaîne LCI se distinguait sur le fond de l'opération de concentration autorisée en 2010 entre TF1, TMC et NT1, notamment en ce que le profil éditorial de LCI (environ 1 % d'audience attendue) pèserait significativement moins sur le marché de la publicité télévisuelle que ceux à caractère généraliste des deux chaînes TMC et NT1, l'Autorité avait conclu qu'il serait pertinent, pour éviter que le passage en gratuit de LCI ne permette à TF1 de développer la vente d'espaces publicitaires de la chaîne en s'appuyant sur la puissance des écrans de sa chaîne phare TF1, d'interdire toute forme de couplage, pur ou mixte, entre les espaces publicitaires de la chaîne TF1 et ceux de la chaîne LCI dans la mesure notamment où les régies concurrentes de TF1 Publicité n'étaient pas en mesure de reproduire un couplage similaire.

135. S'agissant des autres chaînes prises en régie par TF1 Publicité, qu'elles appartiennent au groupe ou non, l'Autorité avait également considéré pertinent que le groupe TF1 renonce à tout couplage pur, c'est-à-dire qu'aucune offre d'accès aux écrans publicitaires des chaînes prises en régie par TF1 Publicité, autres que la chaîne TF1, ne puisse être conditionnée à un achat d'espace publicitaire sur la chaîne LCI. En revanche, elle avait estimé disproportionnée l'interdiction de pratiquer des offres de couplages mixtes, qui aurait eu pour effet d'isoler totalement la commercialisation des espaces publicitaires de la chaîne LCI, ainsi que l'imposition d'une régie publicitaire séparée pour la commercialisation des espaces publicitaires de la seule chaîne LCI.

B. LES MESURES ENVISAGEABLES AUJOURD'HUI

136. Ainsi qu'il est apparu ci-dessus, un nombre significatif d'évolutions se sont fait jour depuis la publication de l'avis n° 14-A-07 rendu au CSA en juin 2014. Il importe donc de rappeler ces évolutions, puis de vérifier si elles sont de nature à remettre en cause la pertinence de tout ou partie des remèdes alors proposés au CSA.

1. LES ÉVOLUTIONS SIGNIFICATIVES DU SECTEUR DEPUIS JUIN 2014

a) Le marché publicitaire

137. Le marché de la publicité télévisuelle ne marque guère d'évolution et demeure globalement stagnant. Si les chiffres du marché indiquent un léger frémissement à la hausse, avec une hausse de 0,1 % des recettes publicitaires nettes de la télévision en 2014, et si les résultats du premier semestre 2015 sont positifs, l'IREP annonçant une hausse de 2 % des recettes publicitaires nettes de la télévision par rapport aux résultats du premier semestre 2014 en réponse notamment à une évolution favorable de la croissance économique sur cette période, l'amélioration relative de l'environnement économique ne semble pas suffisante pour entraîner un retournement de tendance significatif sur le marché de la publicité télévisuelle (source : IREP (51)).

138. Cette faiblesse persistante du marché ne permet pas d'améliorer les perspectives économiques des chaînes impactées par le passage en gratuit des trois chaînes candidates, mais elle assombrit également significativement les perspectives de développement de LCI en TNT payante dans un contexte de probable quasi-disparition de ses recettes issues de la distribution.

139. En termes de structures de commercialisation, les engagements du groupe TF1 pris en 2010 à l'occasion de la prise de contrôle des chaînes TMC et NT1, en matière notamment de séparation des régies publicitaires TMC Régie et TF1 Publicité, ont pris fin en janvier 2015. Le rapprochement des deux régies conduit à renforcer la régie du groupe TF1 sur le marché de la publicité télévisuelle. Dans le cadre de l'instruction du présent avis, le groupe TF1 a décrit le processus en cours d'intégration de la Régie TMC dans la régie TF1 Publicité (qui s'achèvera au 1er janvier 2016).

b) L'évolution du paysage de la TNT

140. Contrairement au marché de la publicité, le paysage de la TNT a connu et va probablement encore connaître des évolutions sensibles, notamment en ce qui concerne les chaînes d'information en continu, qui apparaissaient en 2014 les plus susceptibles d'être vulnérabilisées par le passage en TNT gratuite de la chaîne LCI.

141. En premier lieu, l'acteur indépendant NextRadioTV, considéré comme fragile en 2014, s'est renforcé depuis lors du fait de la croissance sensiblement supérieure de ses audiences et de ses recettes publicitaires tant de sa chaîne d'information en continu que de sa chaîne documentaire. Par ailleurs, le groupe est en voie de s'adosser au groupe Altice, destiné à devenir un important groupe de médias intégré à la fois verticalement, via Numéricâble SFR , présent à la fois sur les infrastructures de réseaux fixe et mobile et la distribution télévisuelle, et horizontalement, le groupe à l'issue du processus de prise de contrôle devant être simultanément présent sur la presse quotidienne, les magazines, la radio et la télévision gratuite.

142. En second lieu, le groupe Vivendi a annoncé de nouveaux investissements dans la chaîne d'information en continu i>télé, qui a préservé sa part d'audience dans la période récente.

143. Enfin, en septembre 2015, la nouvelle présidence du groupe France Télévisions a annoncé, en partenariat avec Radio France et France 24, le lancement des travaux préparatoires à la création d'une chaîne publique d'information en continu. Ce projet, s'il devait se confirmer, impliquerait très probablement l'octroi d'une fréquence TNT, pour laquelle le groupe public pourrait disposer, à la demande du gouvernement et au titre de ses missions de service public, d'un droit d'accès prioritaire aux fréquences hertziennes (52).

2. LES RECOMMANDATIONS PROPOSÉES AUJOURD'HUI AU CSA

144. Les évolutions qui viennent d'être rappelées n'apparaissent pas de nature à remettre fondamentalement en cause l'analyse conduite par l'Autorité dans le cadre de l'avis n° 14-A-07.

145. S'agissant de la fin des engagements du groupe TF1, l'apparition d'une régie unique pour la commercialisation de l'ensemble des chaînes du groupe TF1 avait déjà été anticipée par l'Autorité dans le cadre de son avis de juin 2014. De plus, si la fin des engagements du groupe TF1 est de nature à renforcer sa position sur le marché de la publicité télévisuelle, plusieurs facteurs en atténuent la portée : d'une part, comme le groupe TF1 l'a confirmé au cours de la séance du 8 octobre 2015, la régie unique ne pratiquera aucune forme de couplage entre sa chaîne phare TF1 et les autres chaînes de la régie, y compris LCI. La nouvelle régie est organisée autour de deux pôles distincts, l'un dédié à la commercialisation des espaces publicitaires des seules chaînes TNT et thématiques et l'autre dédié à la commercialisation de ceux de la chaîne TF1, ce qui garantira selon le groupe l'absence d'offres couplées. Enfin, on peut observer que les parts de marché de la seule régie TF1 Publicité sur le marché de la publicité subissent une érosion, faible mais constante, depuis 2010.

146. Dans ces conditions, l'évolution du marché et des structures de commercialisation de la publicité ne rendent pas nécessaire un renforcement des mesures proposées par l'Autorité en 2014.

147. En ce qui concerne l'évolution en cours du paysage de la TNT, si le groupe indépendant NextRadioTV, potentiellement fragilisé par le passage en gratuit de la chaîne LCI, pourra bénéficier du fait de son rapprochement avec Altice d'une assise financière en cas de choc significatif sur les équilibres du marché de la publicité télévisuelle, il est trop tôt aujourd'hui pour se prononcer sur les conséquences des autres évolutions attendues ou potentielles.

148. Dans ces conditions, les mesures correctrices qui avaient été proposées au CSA en juin 2014 gardent leur pertinence, même si leur mise en œuvre peut appeler plus de flexibilité.

149. L'Autorité propose donc toujours de garantir l'indépendance, sur le marché de la publicité télévisuelle, de la commercialisation des espaces publicitaires des chaînes LCI et TF1 en interdisant à la régie TF1 Publicité de pratiquer des offres couplées, pures ou mixtes, entre les espaces publicitaires des chaînes TF1 et LCI. Même si le groupe TF1 s'est engagé de façon unilatérale à respecter une telle indépendance, il apparaîtrait pertinent pour le CSA de prévoir de telles mesures dans le cadre plus formel du passage en TNT gratuite de LCI.

150. Elle propose également de laisser la chaîne LCI développer son audience en TNT gratuite par ses seuls mérites en interdisant les pratiques de promotion croisée.

151. Cependant, si les changements structurels évoqués plus haut en ce qui concerne les chaînes d'information concurrentes, existantes et à venir, devaient se matérialiser, changeant de façon concrète les conditions de concurrence sur le marché de la publicité télévisuelle, les remèdes devraient être réexaminés, comme il est d'usage dans le domaine des engagements en cas de modification importante des conditions économiques ayant présidé à l'adoption des dits engagements.

152. Ainsi, si une nouvelle chaîne publique d'information devait apparaître sur la TNT, il pourrait apparaître peu justifié d'autoriser la promotion croisée en faveur des seules chaînes du service public, qui bénéficient des mêmes avantages que TF1 en termes d'audience de leurs journaux télévisés. De même, si les remèdes envisagés plus haut devaient apparaître comme menaçant la survie de la chaîne LCI, pour laquelle le passage en gratuit exigera un montant d'investissements particulièrement élevé, il incombera au CSA d'apprécier, comme l'y invite le Conseil d'État, l'opportunité de maintenir de telles mesures en tenant compte du risque de disparition de ce service ainsi que du risque de disparition des autres services d'information en continu.

153. C'est pourquoi l'Autorité propose que les mesures évoquées ci-dessus, si elles devaient être reprises par le CSA, fassent l'objet d'une clause de rendez-vous dans les dix-huit mois à deux ans, afin d'évaluer l'adéquation de ces mesures à l'évolution du paysage audiovisuel. A cette occasion, le CSA pourrait reconsidérer la pertinence et la proportionnalité des obligations qu'il aurait imposées au groupe TF1 dans le cadre du passage en gratuit de sa chaîne LCI.

V. Conclusion

154. Dans son avis n° 14-A-07, l'Autorité avait considéré que le principal enjeu concurrentiel lié aux demandes d'agrément des chaînes LCI, Paris Première et Planète+ se limitait à l'impact, sur le marché de la publicité télévisuelle, du passage en gratuit de la chaîne LCI, en raison notamment de la position historique du groupe TF1 sur ce marché. En conséquence, les recommandations de nature concurrentielle émises par l'Autorité, sans préjudice de l'analyse de la situation du point de vue du pluralisme, qui relève du CSA, se limitaient d'une part au marché de la publicité télévisuelle et d'autre part au groupe TF1.

155. L'Autorité estime au terme de son analyse que, si les modifications récentes ou à venir affectant le secteur ne sont pas de nature à modifier la substance des recommandations formulées dans son avis n° 14-A-07 du 18 juin 2014, elles convergent pour appeler une mise en œuvre plus flexible. Aussi propose-t-elle au CSA de prévoir une clause de rendez-vous dans les dix-huit mois à deux ans afin de permettre, le cas échéant, d'adapter les deux remèdes proposés (interdiction pour la régie TF1 Publicité de pratiquer des offres couplées, pures et mixtes, entre les espaces publicitaires des chaînes TF1 et LCI, interdiction de la promotion croisée entre les deux chaînes) à l'évolution des conditions économiques du marché de la publicité télévisuelle.

Délibéré sur le rapport oral de Mme Hélène Bonnet, rapporteur, et l'intervention de Mme Juliette Théry-Schultz, rapporteur générale adjointe, par Mme Élisabeth Flüry-Hérard, vice-présidente, présidente de séance, Mme Pierrette Pinot et M. Noël Diricq, membres.

Notes :

1 Avis n° 14-A-07 du 18 juin 2014 relatif à une demande d'avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel sur le fondement de l'article 41-4 de la loi du 30 septembre 1986 sur la demande de passage sur la plateforme de TNT gratuite des chaînes LCI, Paris Première et Planète +.

2 Décision n° 2014-357 du 29 juillet 2014 relative à la demande d'agrément de la modification des modalités de financement du service de télévision hertzienne terrestre La Chaîne Info (LCI), Décision n° 2014-358 du 29 juillet 2014 relative à la demande d'agrément de la modification des modalités de financement du service de télévision hertzienne terrestre Paris Première, Décision n° 2014-359 du 29 juillet 2014 relative à la demande d'agrément de la modification des modalités de financement du service de télévision hertzienne terrestre Planète +.

3 CE, 17 juin 2015, société en commandite simple La Chaîne Info (LCI).

4 CE, 17 juin 2015, société Métropole Télévision (M6) et société Paris Première.

5 Canal+, AB1, Canal J, Ciné Cinéma Premier, Comédie, Cuisine TV, Eurosport France, i-Télévision (i>télé), LCI, Match TV, Paris Première, Planète, Sport+, TF6 et TPS Star.

6 TF1, M6, M6 Music (aujourd'hui W9), Direct 8 (D8), iMCM, NRJ TV (NRJ 12), NT1 et TMC.

7 France 2, France 3, France 4, France 5, Arte et La Chaîne Parlementaire.

8 Lettre du ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, en date du 27 octobre 2004, au conseil de la société TF1 et AB, relative à une concentration dans le secteur de l'audiovisuel - BOCCRF 2005-01.

9 Décision n° 10-DCC-11 du 26 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe TF1 de la société NT1 et Monte-Carlo Participations (groupe AB).

10 Décision n° 14-DCC-50 du 2 avril 2014 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Direct8, Direct Star, Direct Productions, Direct Digital et Bolloré Intermédia par Vivendi SA et Groupe Canal Plus.

11 Groupe multinational rassemblant des câblo-opérateurs, des opérateurs de télécommunications et des entreprises de communications. Le groupe dispose également d'une filiale dédiée aux médias, Altice Media Group.

12 Lettre n° C2006-02 du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 30 août 2006 aux conseils de la société Vivendi Universal, relative à une concentration dans le secteur de la télévision payante, BOCCRF n° 7 bis du 15 septembre 2006.

13 La réglementation interdit à un actionnaire non européen de détenir plus de 20 % d'une chaîne diffusée sur la plateforme hertzienne terrestre.

14 L'offre de TNT locale comprend les programmes régionaux et locaux de France 3 et une cinquantaine de chaînes locales privées.

15 Le 14 octobre 2015, le CSA a décidé, à l'issue de la procédure de sanction ouverte à l'encontre de la société Diversité TV, d'abroger, au 30 juin 2016, l'autorisation de diffuser de sa chaîne Numéro 23, considérant que les conditions d'entrée de la société UTH au capital de la société Diversité TV relevaient de modifications substantielles des données au vu desquelles l'autorisation avait été accordée. En conséquence de cette décision, le projet de rapprochement de la Société Diversité TV avec le groupe NextRadioTV annoncé n'est plus d'actualité.

16 Décision n° 2015-294 du 29 juillet 2015 portant appel aux candidatures pour l'édition de services de télévision à vocation nationale diffusés par voie hertzienne terrestre en haute définition.

17 Loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication modifiée par la loi n° 2000-719 du 1er août 2000, loi n° 2007-309 du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, loi n° 2009-1572 du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique.

18 Voir notamment la délibération du CSA n° 2012-33 du 24 juillet 2012 relative à la numérotation logique des services de communication audiovisuelle diffusés par voie hertzienne terrestre en métropole et la décision n° 2012-755 du 24 juillet 2012 attribuant les numéros logiques aux six services de télévision nationale en clair autorisés à la suite de l'appel aux candidatures du 18 octobre 2011.

19 Articles 21 et 22 de la loi du 30 septembre 1986 précitée.

20 En particulier, le cadre défini par les directives du " paquet télécom " en vigueur, et en particulier la Directive " Concurrence " 2002/77/CE de la Commission du 16 septembre 2002 relative à la concurrence dans les marchés de réseaux et des services de communication et la Directive " Autorisation " 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l'autorisation de réseaux et de services de communications électroniques.

21 Soulignement ajouté par nous.

22 Article 30-1 la loi du 30 septembre 1986, dans sa version issue de la loi n° 2000-719 du 1er août 2000.

23 Convention entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel agissant au nom de l'État, d'une part, et la société La Chaîne Info, ci-après dénommée l'éditeur, d'autre part, concernant le service de télévision LCI, http://www.csa.fr/Espace-juridique/Conventions-des-editeurs/Les-conventions-des-editeurs-de-chaînes-de-television-privees-hertziennes/Convention-de-la-chaîne-LCI

24 Tel n'est pas le cas du point de vue des marchés pertinents définis par le droit de la concurrence.

25 http://www.groupem6.fr/finances/chiffres-cles.html

26 Convention entre le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, agissant au nom de l'État, d'une part, et la société Paris Première, ci-après dénommée l'éditeur d'autre part, concernant le service de télévision Paris Première : http://www.csa.fr/es/Espace-juridique/Conventions-des-editeurs/Les-conventions-des-editeurs-de-chaînes-de-television-privees-hertziennes/Convention-de-la-chaîne-Paris-Premiere

27 Source des audiences : Médiamat Mensuel, août 2015.

28 Convention entre le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel agissant au nom de l'État, d'une part, et la société Planète Câble, ci-après dénommée l'éditeur, d'autre part, concernant le service de télévision Planète+ : http://www.csa.fr/Espace-juridique/Conventions-des-editeurs/Les-conventions-des-editeurs-de-chaînes-de-television-privees-hertziennes/Convention-de-la-chaîne-Planete

29 Voir notamment les lettres C2006-02 / Lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 30 août 2006, aux conseils de la Société Vivendi Universal, relative à une concentration dans le secteur de la télévision payante, C2007-181 / Lettre du ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi du 15 avril 2008, aux conseils de la société française du Radiotéléphone SA, relative à une concentration dans le secteur des télécommunications, Décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-11 du 26 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe TF1 de la société NT1 et Monte-Carlo Participations, Décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-D-32 du 16 novembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la télévision payante.

30 Décision de la Commission Européenne n° COMP/M.4504 - SFR/Télé2 France, point 37 ; Décision n° 10-DCC-11 du 26 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe TF1de la société NT1 et Monte-Carlo Participations (groupe AB), §33 ; Décision de l'Autorité de la concurrence n° 12-DCC-100 du 23 juillet 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de TPS et CanalSatellite par Vivendi et Groupe Canal Plus ; Décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-DCC-15 du 10 février 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de Mediaserv, Martinique Numérique, Guyane Numérique et La Réunion Numérique par Canal Plus Overseas.

31 Décision n° 10-DCC-11 déjà citée.

32 C2006-02 / Lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 30 août 2006, aux conseils de la Société Vivendi Universal, relative à une concentration dans le secteur de la télévision payante.

33 Décision n° 12-DCC-101 du 23 juillet 2012, relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Direct 8, Direct Star, Direct Productions, Direct Digital et Bolloré Intermédia par Vivendi et Groupe Canal +, Décisions n° 10-DCC-11, n° 12-DCC-100 déjà citée.

34 La délimitation de ce marché a été discutée dans la décision n° 14-DCC-50 déjà citée, notamment au sujet de l'existence d'un segment des séries américaines " récentes " et d'un segment " sitcoms ", sans avoir pour autant été remise en cause (§83 et suivants).

35 Décision n° 12-DCC-101 du 23 juillet 2012 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Direct 8, Direct Star, Direct Productions, Direct Digital et Bolloré Intermédia par Vivendi et Groupe Canal Plus puis Décision n° 14-DCC-50 du 2 avril 2014 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Direct 8, Direct Star, Direct Productions, Direct Digital et Bolloré Intermédia par Vivendi SA et Groupe Canal Plus.

36 C2006-02 / Lettre du ministre de l'économie, Décision n° 10-DCC-11 déjà citées.

37 Décision de la Commission européenne du 11 mars 2008, n° COMP/M.4731, Google/ DoubleClick.

38 Le GRP correspond au nombre de contacts publicitaires obtenus sur 100 individus de la cible visée. En d'autres termes, le GRP d'un spot publicitaire correspond à l'audience du spot publicitaire sur la cible étudiée, exprimée en pourcentage. Le GRP d'un spot donné est mesuré sur chaque cible : si 8 % des hommes de 25 à 49 ans ayant la télévision ont regardé un spot, le GRP de ce spot est de 8 sur cette cible. Les annonceurs suivent également la couverture d'une campagne (tous les individus ayant vu le spot au moins une fois) et sa répétition (nombre moyen de fois où le spot a été vu par les individus l'ayant vu au moins une fois).

39 Voir décision n° 10-DCC-11 ; l'avis du Conseil de la concurrence n° 06-A-13 du 13 juillet 2006 relatif à l'acquisition des sociétés TPS et CanalSatellite par Vivendi Universal et Groupe Canal Plus ; lettres du ministre de l'économie C/2006-02 précitée et C/2004-127 du 27 octobre 2004, autorisant l'opération projetée par les sociétés TF1 et AB Groupe sous réserve de l'ensemble des engagements pris par ces sociétés ; Décision de la Commission du 20 septembre 1995 RTL/Veronica/Endemol.

40 Décision n° 10-DCC-11 déjà citée.

41 Décision n° 12-DCC-100 du 23 juillet 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de TPS et CanalSatellite par Vivendi et Groupe Canal Plus.

42 Décision n° 12-DCC-101, Décision n° 14-DCC-50 déjà citées.

43 Source IREP.

44 Les recettes publicitaires nettes correspondent aux chiffres d'affaires des chaînes sur le marché publicitaire.

45 Décision n° 10-DCC-11 déjà citée, §433.

46 Il s'agit des investissements publicitaires des annonceurs en télévision.

47 Chiffres IREP 2014 et résultats annuels du groupe TF1 2014, publiés.

48 Disposant d'une plage en clair théorique de 25 % de son temps de diffusion, mais n'en exploitant que 15 %, Paris Première a déjà recours à des contenus destinés à la télévision gratuite.

49 Voir, par exemple, les décisions n° 05-D-44 du 21 juillet 2005 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité dans la presse quotidienne régionale à Marseille, §36, et n° 08-D-10 du 7 mai 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la télévision de rattrapage, § 120.

50 Décision n° 05-D-13 du 18 mars 2005 relative aux pratiques mises en œuvre par le groupe Canal Plus dans le secteur de la télévision à péage.

51 http://www.irep.asso.fr/_files/marche_publicitaire/CP_MPF_1er_semestre_2015.pdf

52 Article 26 de la loi du 30 septembre 1986 précitée.