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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 6 janvier 2016, n° 13/23878

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Electrolux Home Products France (SAS)

Défendeur :

Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fusaro

Avocats :

Mes Teytaud, Delaunay

TGI Bobigny, JLD, du 9 oct. 2013

9 octobre 2013

Le 9 octobre 2013, le juge des libertés et de la détention de Bobigny, a rendu, en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce une ordonnance de visite et de saisie dans les locaux des sociétés suivantes :

· Fagorbrandt

· Eberhardt Frères

· Samsung Electronics France

· Groupe Seb France et Groupe Seb Retailing

· Miele

· Smeg France

· Indesit Company France

· BSH Electromenager

· Electrolux Home Products France et Electrolux France

· LG Electronics France

· GPDIS France Sud Est (Enseigne SLD) et Pulsat Synthèse

· Gemdis Groupe Findis (Anciennement Cocelec Rhone-Alpes)

· Etablissements Darty et Fils

Cette ordonnance faisait suite à une requête présentée suite à l'enquête des services de l'Autorité de la concurrence aux fins d'établir si lesdites entreprises se livreraient à des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 1°, 2°,3° du Code de commerce et 101-1 a) et b) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

Cette requête était consécutive à une demande d'enquête du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence conformément aux dispositions de l'article L. 460-4 alinéa 1 du Code de commerce.

A l'appui de cette requête étaient joints une liste de 21 pièces ou documents en annexe.

Qu'il était allégué qu'une pratique prohibée consisterait à imposer des prix de revente dans le secteur de l'électroménager aux sites Internet qui distribuaient les produits dits " blancs " rassemblant le petit et gros électroménager notamment de lavage, de cuisine, de cuisson et de froid et les produits dits " bruns " regroupant les appareils électriques et électroniques de loisirs (annexe 21).

Il était indiqué d'une part que des distributeurs se seraient plaints de l'immixtion des fabricants et grossistes de produits " blancs " et " bruns " dans leur politique tarifaire, d'autre part que les fournisseurs encadreraient les annonces de réductions de prix proposées par les distributeurs sur Internet et enfin que les fournisseurs limiteraient le niveau de remise octroyé aux consommateurs.

Il était joint des procès-verbaux d'un distributeur et de revendeurs se plaignant de ces pratiques mettant en cause plusieurs marques de fournisseurs (Magimix , Liebherr, Miele, De Dietrich, Samsung).

Il était soutenu qu'au-delà de l'encadrement de la politique promotionnelle des distributeurs, des déclarations de revendeurs auraient fait état d'un véritable contrôle des prix de revente par les fournisseurs de produits blancs et bruns et plus particulièrement GPDIS, Fagorbrandt, Eberhardt Freres, Samsung, Seb, Smeg, Indesit, Electrolux et LG. Ainsi des consignes tarifaires seraient données par les fabricants tant à l'oral (pour la plupart), que par courriels. Le contrôle tarifaire exercé par les fabricants viserait à augmenter les prix de revente comme le confirmeraient les déclarations du 21 février 2011 d'un distributeur et les extraits de courriels d'un responsable commercial notamment.

Il apparaîtrait également que les courriels comminatoires des fabricants seraient le plus souvent " codés " le terme " stock " étant utilisé à la place du mot " prix ". Ainsi ce procédé consisterait dans le fait que les revendeurs auraient été fréquemment sollicités pour remonter leurs " stocks ", alors que le stock minimal des distributeurs aurait été fixé contractuellement à une ou deux unités seulement, plusieurs courriels annexés à la requête illustrant ce procédé. Il était par ailleurs indiqué que les directives tarifaires seraient relayées par des grossistes comme le confirmait notamment par procès-verbal du 14 janvier 2013 le gérant de la SARL Web Achat en déclarant " nous étions en litige avec GPDIS notre fournisseur car " elle " se faisait le relais des fabricants sur leur mainmise sur notre politique commerciale ", déclaration qui serait corroborée par divers autres courriels.

Il était fait état que les prix de revente imposés aux distributeurs seraient diffusés par les fabricants et les grossistes au moyen de " black list ", de noms de couleur ou de tableaux ; qu'à cet égard le gérant d'une SARL avait communiqué une liste de produits pour lesquels les prix sont dits " bloqués " c'est à dire dont le prix devait strictement correspondre au prix de vente conseillé par le fabricant ou le prix généralement constaté ainsi qu'une autre liste de produits dits " sensibles " correspondant aux références pour lesquelles " il se devait de maintenir des prix élevés pour ne pas casser le marché si nous voulions être livrés ".

Les distributeurs auraient été incités à respecter les consignes tarifaires en échange de service de mise en avant des produits par les fournisseurs, des courriels attesteraient de la soumission des distributeurs aux instructions tarifaires des fabricants et grossistes de produits " blancs " et " bruns " et qu'à défaut de remonter les prix de revente comme l'auraient exigé les fournisseurs, ceux-ci ordonneraient aux revendeurs de retirer les références concernées sur leur site Internet.

Enfin, les distributeurs récalcitrants auraient été victimes de blocages de leurs comptes, de refus ou d'arrêts de livraisons et les grossistes auraient été sollicités pour faire respecter la police des prix des fabricants.

Par ailleurs, une seconde pratique prohibée aurait consisté pour les fabricants de produits " blancs " et " bruns " à faire retirer de la vente sur Internet certaines de leurs références, les fabricants, comme pour la première pratique illicite présumée, auraient utilisé les mêmes supports de diffusion pour informer les distributeurs des produits interdits à la vente sur Internet à savoir codes de couleur et listes noires, un gérant de SARL le confirmant en déclarant que le Code couleur " bleu " était utilisé par un fabricant pour désigner les appareils exclus de la vente sur Internet, étant précisé que des courriels émanant de plusieurs autres fabricants auraient confirmé cette pratique et les grossistes de la même manière que précédemment évoquée, auraient fait pression sur les revendeurs pour qu'ils retirent certains produits de leurs sites Internet.

Une troisième pratique prohibée aurait consisté à refuser l'agrément à des distributeurs.

Il ressortirait des témoignages qu'à partir de 2009, la plupart des fabricants de produits " blancs " et " bruns " auraient mis en place un réseau de distribution sélective. Il en serait déduit de déclarations de plusieurs revendeurs que certains fournisseurs de produits " blancs " et " bruns " pourraient interdire à des distributeurs de commercialiser leurs produits au seul motif qu'ils les diffusent sur Internet, la déclaration du même gérant de SARL viendrait accréditer cette thèse dans sa relation commerciale avec le distributeur Boulanger; qu'il apparaîtrait que ces pratiques prohibées auraient comme finalité de circonscrire la concurrence sur Internet.

Qu'il pourrait également en être déduit que l'objectif des fabricants des produits " blancs " et " bruns " serait d'aligner les prix de la vente en ligne sur ceux pratiqués par les grandes enseignes spécialisées de détail et plus particulièrement Darty, cette allégation émanerait d'une déclaration d'un autre distributeur invoquant un projet de négociation commerciale présumé en cours entre la marque SMEG et le distributeur Darty, ainsi que d'un autre distributeur faisant état de pression du fabricant Fagorbrandt pour augmenter les prix pratiqués sur son site Internet jusqu'au niveau des prix pratiqués par leurs gros clients principaux à savoir Darty et Boulanger.

Le gérant d'une SARL a déclaré que plusieurs commerciaux lui avaient dit oralement que s'ils voulaient que leurs clients de la grande distribution spécialisée notamment Darty (leader du marché) continuent de mettre en avant leurs produits il était nécessaire que les fabricants remontent les prix de vente des produits [...] la politique d'alignement étant essentiellement liée à la politique de commerciale de Darty qui avait plus de 20 % du marché de la distribution.

Cela nous avait été précisé à l'oral par un autre commercial de Samsung notamment. Je ne peux cependant pas vous indiquer si les demandes de remontées de prix étaient uniquement liées à ce distributeur [...], l'objectif était qu'il existe le moins de différences possibles avec la grande distribution [...] que les gros sites de vente en ligne comme " rueducommerce.com " et " Cdiscount " subissaient les mêmes pressions que nous mais avaient l'avantage de la taille'. Il résulterait de ces éléments que l'uniformisation des prix à la hausse serait de nature à préserver le canal de distribution des grandes enseignes de détails qui dominent le marché des produits " blancs " et " bruns " et que la stratégie des fabricants permettait aux grandes enseignes spécialisées de détails de tirer profit de l'engouement pour la vente en ligne. Dans ce contexte, les grandes enseignes de détails miseraient sur leurs sites Internet pour dynamiser les ventes de leurs réseaux physiques et que ce développement multicanal aurait profité à plusieurs grandes enseignes spécialisées de détail. Il s'en déduirait de ces différentes pratiques présumées illicites qu'elles limiteraient les capacités des consommateurs à faire jouer la concurrence entre le canal de la vente par Internet et celui de la distribution traditionnelle et ce en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 101-1 du TFUE et que l'ensemble de ces agissements semblerait constituer les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'un système d'ententes horizontales et verticales à dimension nationale entre les fabricants de produits " blancs " et " bruns ", les grossistes et les grandes enseignes spécialisées de détail. Ces actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui auraient pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises et limiter ou contrôler l'entrée aux marchés seraient établis selon des modalités secrètes et qu'il serait nécessaire d'autoriser les agents de l'Autorité de la concurrence de rechercher la preuve desdites pratiques prohibées vraisemblablement détenues et conservées dans des lieux (en l'espèce les sociétés susmentionnées en début d'ordonnance) et sous des formes qui faciliteraient leurs dissimulation, leurs destruction ou altération en cas de vérification. Selon l'Autorité de la concurrence, le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du Code de commerce constitue le seul moyen d'atteindre l'objectif recherché et que les opérations de visite et de saisie n'apparaîtraient pas disproportionnées au regard de l'objectif à atteindre. Le juge des libertés et de la détention de Bobigny autorisait la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence à faire procéder, dans les locaux des entreprises susmentionnées et aux visites et aux saisies prévues par les dispositions des articles L. 450-4 du Code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements entrant dans le champ des pratiques prohibés par les articles L. 420-1,1°,2° et 3° du Code de commerce et 101-1 a et b du TFUE, relevées dans le secteur de la distribution des produits " blancs " et " bruns " ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée. Il laissait le soin de désigner les agents des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence [...] pour effectuer les visites et saisies autorisées [...] et désignait Jean-Michel Mimram, commissaire-divisionnaire et Philippe Tireloque commissaire-divisionnaire pour nommer les officiers de police judiciaire compétents. Il donnait commission rogatoire pour les autres lieux de visites domiciliaires et de saisies aux juges des libertés et de la détention des tribunaux de grande instance de Nanterre, Rouen, Senlis, Limoges, Lyon, Meaux et Strasbourg et indiquait que les occupants des lieux ou leurs représentants avaient la faculté de faire appel à un conseil de leur choix, sans que cette faculté n'entraîne la suspension des opérations de visite et de saisies ; [...] et en mentionnant que la présente ordonnance pouvait faire l'objet d'un appel devant le premier président de la Cour d'appel de Paris par déclaration au greffe dans un délai de dix jours, [...] que cet appel n'était pas suspensif et que l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Paris était susceptible de faire l'objet d'un pourvoi en cassation [...]. Les opérations de visite et de saisies se sont déroulées le 17 et 18 octobre 2013. Elles ont été retranscrites dans des procès-verbaux en date du 18 octobre 2013.

Le 25 octobre 2013, le Premier Président de la Cour d'appel de Paris a été saisi d'un appel contre cette ordonnance par la société Electrolux Home Products France et d'un recours à l'encontre du déroulement des opérations de visite et de saisie.

Par conclusions déposées le 31 octobre 2014 lors de l'audience, la société Electrolux Home Products France a déposé des conclusions tendant à l'annulation de l'ordonnance rendue le 9 octobre 2013 par le Juge des libertés et de la détention de Bobigny.

L'affaire a été appelée à l'audience du 21 janvier 2015 à 9 heures, mise en délibéré mais n'a pas été rendue. Une réouverture des débats a été fixée le 28 octobre 2015 et mise en délibéré pour être rendue le 6 janvier 2015. Par conclusions récapitulatives enregistrées au greffe en date du 31 octobre 2014, la société Electrolux Home Products France conteste la régularité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Bobigny ainsi que celle des opérations de visite et de saisie subséquentes, et en demande l'annulation.

I. L'exigence de proportionnalité des mesures de visite et de saisie impose au juge de délivrer une ordonnance ayant un objet précis et déterminé La société appelante soutient que les visites et saisies opérées sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce constituent par nature des mesures exceptionnelles et il appartient au juge de les autoriser dans le strict respect du principe de proportionnalité de la mesure ordonnée par rapport à l'objectif suivi; l'exigence de proportionnalité et l'article 8 de la CESDH consacrant le principe d'inviolabilité du domicile imposerait au Juge de délivrer une ordonnance et ayant un objet précis et déterminé.

Electrolux Home Products France soutient que le principe d'inviolabilité du domicile a été étendu aux personnes morales par la CEDH qui assimile le domicile des personnes privées, les locaux commerciaux des sociétés. Elle cite notamment deux jurisprudences et indique que l'objet de l'enquête doit être défini au regard des indices dont dispose le juge.

Cet objet doit être délimité aussi précisément que possible. Ainsi la Cour de cassation a limité la portée d'une ordonnance autorisant des mesures de visite et de saisie couvrant l'ensemble du secteur bancaire au motif que " le champ des opérations devant être proportionné au but poursuivi en l'espèce, il convient, par l'effet dévolutif de l'appel, d'apprécier l'étendue de l'autorisation à accorder en fonction de la preuve recherchée; qu'il s'ensuit que, dès lors que les indices relatifs à l'entente illicite présumée, relevés en l'espèce, ne concernent que les crédits immobiliers aux particuliers, il n'est pas justifié d'étendre la mesure à d'autres services bancaires comme le sollicite l'Administration. "

Il ressortirait de ce qui précède que l'ordonnance de visite et de saisie délivrée par le Juge des libertés et de la détention doit comporter, sous peine d'être annulée, un objet précis quant à la délimitation du marché concerné et déterminé ainsi qu'aux agissements visés par les mesures de visite et de saisie. Cet objet doit être délimité aussi précisément que possible, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce et conduirait à l'annulation de l'ordonnance querellée. En réponse, l'Autorité de la concurrence soutient que le juge de l'autorisation a bien précisé le secteur économique concerné à savoir celui de la distribution de produits " blancs " et " bruns " en prenant le soin de définir les vocables " blancs " et " bruns " comme suit :

- " attendu que les produits " blancs " rassemblent le petit et gros électroménager notamment de nettoyage ou lavage, de cuisine, de cuisine et de froid et que les produits " bruns " regroupent les appareils électriques et électroniques de loisir ". Elle ajoute que l'autorisation délivrée concernait des présomptions dans un " secteur " économique et non sur un ou des marchés pertinents dont la délimitation relèvera de l'Autorité de la concurrence et le cas échéant des juridictions qui seront amenées éventuellement à statuer ultérieurement.

A ce stade des investigations, la visite et saisie autorisée a pour but de vérifier si dans un secteur économique donné, les règles de la concurrence jouent pleinement et qu'à ce stade aucune accusation n'est portée à l'encontre de la société appelante concernant la mise en œuvre de comportements prohibés sur un marché pertinent.

En l'espèce, le Juge des libertés et de la détention de Bobigny a bien défini un secteur économique, celui relatif à la distribution de produits " blancs " et " bruns ". II. Le caractère général et indéterminé de l'ordonnance quant au canal de distribution visé et quant au type d'agissements visés Concernant le canal de distribution visé, la société Electrolux Home Products France indique que l'ordonnance viserait uniquement le secteur de la distribution de produits " blancs " et " bruns " sur Internet et non pas la distribution de tels produits sur tous les canaux de distribution comme tenterait de le faire croire l'Administration dans sa requête.

En effet, les présomptions listées dans l'ordonnance concernent trois pratiques prohibées : l'imposition de prix de reventes aux sites Internet qui distribuent les produits précités, l'interdiction de vente de certains produits par les fabricants de produits " blancs " et " bruns " et le refus d'agrément à des distributeurs au seul motif qu'ils les diffusent sur Internet. Dans le même ordre d'idée, les pièces annexées à l'ordonnance ne concerneraient que la vente sur Internet.

Ensuite, la société Electrolux Home Products France conteste l'indétermination de l'Ordonnance quant au canal de distribution visé. D'ailleurs, la jurisprudence citée par l'Administration serait inopérante car elle concernerait des ententes purement horizontales alors qu'il s'agirait en l'espèce de " relations verticales, entre d'une part les fournisseurs et des grossistes de produits " blancs " et " bruns ", et, d'autre part, des distributeurs en 6 ligne. "

La société Electrolux Home Products France fait valoir qu'aucun élément ne viendrait soutenir l'existence de présomptions d'ententes horizontales. Au surplus, l'Autorité ne pourrait pas soutenir, sans se contredire, que trois pratiques verticales sont caractérisées pour ensuite venir dire que l'utilisation du mot " stock " établit la présence de pratiques horizontales. Le second indice concernant la mise en place de contrats sélectifs était déjà connu de l'Autorité de la concurrence depuis plus de deux ans.

D'ailleurs, dans son avis, l'Administration indiquait que la mise en place de contrats sélectifs n'était pas, en soi, constitutif d'une pratique anticoncurrentielle.

Or, l'Autorité n'aurait apporté aucun élément nouveau laissant présumer une utilisation abusive desdits contrats.

Même si le Juge des libertés et de la détention aurait tenté de justifier l'indétermination de l'objet de l'ordonnance en recopiant une formule type, aucune circonstance ne permettait de laisser présumer de pratiques anticoncurrentielles.

Aussi, l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention de Bobigny en date du 9 octobre 2013 et celle subséquente du Juge des libertés et de la détention de Senlis en date du 15 octobre 2013 doivent être annulées.

Dès lors aucun indice ne permettait au Juge des libertés et de la détention d'autoriser la recherche de preuve au sein des locaux de la société Electrolux Home Products France de tous types de comportements anticoncurrentiels y compris horizontaux entrant dans le champ des articles L. 420-1, 1°, 2° et 3° du Code de commerce et 101-1 a) et b) du TFUE et concernant la distribution de produits " blancs " et " bruns " de manière générale.

En réponse, l'Autorité de la concurrence fait valoir que le juge des libertés et de la détention de Bobigny a bien identifié et analysé les comportements présumés anticoncurrentiels et a bien déterminé un secteur de l'économie, analysé des comportements au nombre de trois qui relèvent des pratiques prohibées prévues aux articles L. 420-1, 1°, 2° et 3° du Code de commerce et 101-1 a) et b) du TFUE entrant dans le secteur économique concerné et qui lui sont apparus suspects au regard des infractions aux règles de la concurrence.

Le juge a motivé sa décision et les différents agissements suspects ne sont que des illustrations de l'entente potentiellement organisée et réalisée par les fabricants de produits " blancs " et " bruns " avec leurs grossistes et les grandes enseignes spécialisées de détail, cette liste n'étant pas exhaustive comme le juge l'a mentionné à la page 13 de son autorisation judiciaire.

Ensuite, l'Administration soutient que la pratique des ordonnances pré-rédigées n'est pas irrégulière dans la mesure où elle s'accompagne toujours d'une version numérique qui permet au magistrat de la modifier, de substituer d'autres motifs et le cas échéant de refuser de donner son autorisation.

Il en découle qu'il est inexact d'affirmer que le juge n'a pas examiné le dossier, étant précisé que le dossier a été présenté au Juge des libertés et de la détention de Bobigny le 4 octobre 2013 et que l'autorisation a été délivrée le 9 octobre 2013 et qu'en 6 jours le juge a pu procéder aux vérifications qui s'imposaient et à un examen attentif des 21 pièces utiles annexées à la requête.

Les motifs et le dispositif de l'autorisation sont réputés être établis par le juge qui l'a rendu et signé lequel en endosse la responsabilité, la circonstance que l'ordonnance soit la reproduction de la requête de l'Administration est sans incidence sur la régularité de la décision.

De surcroît, le juge des libertés et de la détention de Bobigny a pris soin d'indiquer au moins deux agissements à caractère horizontal entre les fabricants de produits "bruns" et 'blancs', le premier indice 7 concernant les vocables " stocks " et " prix " utilisés par les fabricants comme subterfuge pour imposer des remontées de prix aux revendeurs. Le second indice relatant la mise en place par les fabricants à compter de 2009 d'un réseau de distribution sélective et qu'au stade de la demande d'autorisation de visite et saisies, le parallélisme de comportement des entreprises peut constituer une présomption de pratiques anticoncurrentielles.

Par ailleurs, le juge a clairement indiqué dans son ordonnance que les présomptions d'ententes anticoncurrentielles concernant l'imposition du prix de revente s'étendaient à tous les circuits de distribution en motivant de la façon suivante son ordonnance " attendu que dans sa requête la Rapporteure Générale de l'Autorité de la concurrence fait état d'informations selon lesquelles les fabricants de produits " blancs " et " bruns " auraient convenu avec les grossistes de grandes enseignes spécialisées de détails, de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leurs hausses par l'imposition de prix minimum aux consommateurs " et ce quel que soit le mode d'achat opéré par le consommateur en ligne ou en magasin.

Cette présomption s'appuyant sur une déclaration d'un grossiste effectuée par procès-verbal en date du 19 décembre 2011 dans lequel il indique " Il nous est arrivé que des fournisseurs nous demandent de ne plus livrer un article chez un client (Internet ou autre) pour non-respect du prix public imposé (PPI) ". De ce fait, le champ de l'ordonnance visait à bon droit l'ensemble des canaux de distribution des produits " blancs " et " bruns ".

La violation alléguée de l'article 8-1 de la CESDH est écartée lorsqu'elle est justifiée par l'article 8-2 qui nécessite la réunion de trois conditions : l'ingérence doit être prévue par la loi (article L. 450-4 du Code de commerce), être justifiée par un but légitime (la recherche de la preuve de pratiques anticoncurrentielle) et être nécessaire dans une société démocratique (le bien-être économique du pays).

Or, l'Etat français remplit ces trois conditions. Il est cité des arrêts de la chambre criminelle de la cour de cassation, des ordonnances de délégués de Présidents de cours d'appel et un arrêt de la CEDH qui confirmeraient cette position.

Il s'ensuivrait que les visites domiciliaires prévues à l'article L. 450-4 du Code de commerce seraient respectueuses des exigences fixées par l'article 8 de la CESDH.

L'Autorité demande à ce que les arguments de la société appelante soient rejetés. L'avocat général conclut que le Juge des libertés et de la détention de Bobigny a rempli sa mission et satisfait aux exigences de l'article L. 450-4 du Code de commerce en appréciant souverainement que l'ensemble des informations utiles communiquées par l'Autorité de la concurrence permettait de présumer l'existence d'agissements frauduleux justifiant la mesure autorisée. Elle estime que la lecture de l'ordonnance rendue le 9 octobre 2013 montre qu'au terme d'une analyse motivée le magistrat a estimé que les divers documents versés à l'appui de la requête de l'Autorité permettait de retenir des présomptions de pratiques concertées prohibées entre les fournisseurs de produits " blancs " et " bruns " mais également avec leur grossiste et grandes enseignes de détails et la possibilité que les documents se rapportant à ses pratiques prohibées se trouvaient dans les locaux des sociétés visées. En conséquence, Electrolux Home Products France demande l'annulation de l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention de Bobigny du 9 octobre 2013 ainsi que celle du Juge des libertés et de la détention de Senlis rendue sur commission rogatoire le 13 octobre 2013 ainsi que la condamnation de l'Autorité de la concurrence à hauteur de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. L'Autorité de la concurrence demande la confirmation de l'ordonnance rendue le 9 octobre 2013 par le Juge des libertés et de la détention de Bobigny et celle subséquente du Juge des libertés et de la détention de Senlis en date du 15 octobre 2013, ainsi que la condamnation à la somme de 10 000 euro de la société Electrolux Home Products France au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

SUR CE

I. L'exigence de proportionnalité des mesures de visite et de saisie impose au juge de délivrer une ordonnance ayant un objet précis et déterminé

Le juge qui autorise des opérations de visite et de saisie sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce est tenu de vérifier si la demande d'autorisation doit comporter tous les éléments d'informations utiles en possession du demandeur de nature à justifier la visite; que par suite le juge doit s'assurer que les éléments produits par l'Administration aient une apparence de licéité et sont suffisants pour justifier que la mesure intrusive de visite et de saisie soit justifiée; qu'à cette fin le juge des libertés et de la détention doit vérifier, en se référant aux éléments d'informations fournis par l'Autorité qu'il existait des indices laissant apparaître des faisceaux de présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies de documents s'y rapportant sans qu'il soit nécessaire que soit caractérisées des présomptions précises, graves et concordantes ou des indices particulièrement troublants des pratiques; que les présomptions sont appréciées par le juge en proportion de l'atteinte aux libertés individuelles que sont susceptibles de comporter la visite et les saisies envisagées.

En l'espèce, il ressort de l'ordonnance querellée que le juge des libertés et de la détention près du Tribunal de grande instance de Bobigny et celle subséquente du Juge des libertés et de la détention de Senlis, a sur requête de la Rapporteure Générale de l'Autorité de la concurrence rendu une ordonnance visant les produits " blancs " qui rassemblent le petit et le gros électroménager notamment de nettoyage, de lavage, de cuisine, de cuisson et de froid et les produits " bruns " qui regroupent les appareils électriques et électroniques de loisirs au motif que les distributeurs ou revendeurs se sont plaints de l'immixtion des fabricants et grossistes de produits " blancs " et " bruns " dans leur politique tarifaire; que cette immixtion s'effectue selon trois pratiques : la première, consistant à imposer des prix de reventes à des sites Internet qui distribuent les produits précités, la seconde pratique prohibée consisterait pour les fabricants de produits " blancs " et " bruns " de faire retirer de leur sites Internet certaines de leurs références et une troisième pratique prohibée, à refuser l'agrément à des distributeurs. Le juge des libertés et de la détention de Bobigny qui n'est pas le juge du fond mais le juge de l'apparence a relevé dans l'ordonnance des présomptions d'ententes horizontales entre les fabricants et verticales entre les fabricants, les grossistes et le cas échéant des sociétés de grande distribution de détail et après un examen " in concreto " des 21 annexes jointes à la requête selon la méthode dite " du faisceau d'indices " a estimé qu'il existait des indices laissant apparaître des faisceaux de présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies. Ainsi, il a examiné les 21 annexes jointes et a constaté que des grossistes étaient susceptibles de participer à une entente verticale notamment en comparant certaines annexes qui prises isolément n'établissent pas en elles-mêmes des indices mais par leurs comparaisons, leurs rattachements à d'autres annexes concernant les fabricants ou des revendeurs peuvent établir un faisceau d'indices.

Ainsi, dans les annexes présentées il pouvait être déduit que certains protagonistes de ces ententes échangeaient des courriels avec des mots codés, le vocable " stocks " remplaçant celui de " prix "; que des listes étaient établies concernant des produits à retirer si des revendeurs ne s'alignaient pas sur les Prix Publics Indiqués (PPI) des fabricants, que des produits étaient siglés par couleur (le bleu étant utilisé pour exclure certains produits), que des courriels comminatoires émanaient de représentants des fabricants, que des grossistes n'étaient pas exclus de ces schémas d'ententes; que leur rôle consistait à relayer les instructions des fabricants auprès des revendeurs. Il a en conséquence exercé un contrôle de proportionnalité entre l'autorisation rendue et l'atteinte aux libertés qu'elle était susceptible d'entraîner.

En l'espèce, l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention de Bobigny et celle subséquente de celui de Senlis a bien précisé le secteur économique concerné par son autorisation (celui de la distribution des produits " blancs " et " bruns ") en prenant soin de définir les vocables " blancs " et " bruns ".

A la lumière des annexes, certains documents étaient relevés notamment des procès-verbaux et des courriels joints à la requête.

A titre illustratif et sans que cela soit exhaustif, lors de son audition par procès-verbal en date du 14 janvier 2013 à 9h00 Monsieur Julien Herbin, gérant de la société Webachat faisait état de listes noires liées à la distribution sélective et des fournisseurs (par groupe) concernés par cette pratique et citait un certain nombre de fabricants notamment " Arthur Martin Electrolux " (tous les modèles les plus populaires et les plus vendus) (Annexe 5).

Par ailleurs, un courriel de Monsieur Kerguelen Erwann en date du 10 juin 2013 à 8h33 et dont l'objet est " Synthèse de notre rendez-vous du ... " indiquait " Notre quotidien, retirer des produits, remonter prix/stocks des produits pour être livrés. Les fabricants ont pris le pouvoir total sur notre distribution. " Ce courriel avait pour objet de transférer un mail émanant de [email protected], le destinataire étant cancellé mais ceux en copie étaient respectivement: [email protected], auré[email protected], [email protected] et dans lequel il est indiqué " Tu trouveras ci-joint un tableau comme expliqué de notre politique commerciale 1° Beaucoup de " stocks " (sic) sont plutôt respectés et c'est très bien merci pour ses efforts, 2° corriger stp au mieux les stocks sur les produits C et Y ou STAR dans la colonne jaune (stocks en rouge) Merci. 3° Utiliser stp les produits @ de plus en plus et notamment sur le site VIP en place de marché . 4° Utiliser stp des produits C/Y/STAR pour les magasins ces produits sont mieux spécifiés et garantissent un bon rendement de PVM (Plus Value Marchande - rajout), donc de marge. Par ailleurs, je souhaiterais que tu puisses remonter les stocks de ces produits pour mardi puisqu'à cette date dans l'environnement seront bons... D'autre part, j'ai bien noté ton problème de stocks avec la marque ELUX sur des produits équivalents, exemple la 8 kilos chez Boulanger à 399 quand la même bloc b599 en stock et qu'une 7 kg 1200 trs se trouve en stock 290 chez CDiscount[...] " (annexe 18).

A la lecture de ce courriel, le juge des libertés et de la détention a fait le lien entre l'ordonnance et les annexes, a compris que le vocable " stock " voulait dire le mot " prix " et que ce courriel était plus qu'une recommandation et que son rédacteur ainsi que les parties en copie comportait au sein de leur adresse électronique l'intitulé elecrolux.fr qui de façon logique peut signifier Electrolux Home Products France ou Electrolux France de la même façon que justice.fr signifie le rattachement d'un fonctionnaire ou d'un magistrat à une juridiction française.

Cette analyse in concreto signifie logiquement d'une part que la demande d'autorisation a été vérifiée par le juge, qu'elle était fondée, qu'il existait des indices laissant apparaître des présomptions simples à l'encontre d'Electrolux Home Products France et justifiaient qu'une autorisation de visite et de saisie soit opérée en l'espèce l'autorisation est précise et déterminée. Ces moyens seront écartés.

II. Le caractère général et indéterminé de l'ordonnance quant au canal de distribution visé et quant au type d'agissements visés

Il a déjà été répondu ci-dessus à ces moyens en précisant qu'un contrôle de proportionnalité a été effectué, notamment en examinant les éléments visant Electrolux Home Products France mentionnés ci-dessus. Mais également en examinant les autres éléments concernant les autres fabricants visés dans l'autorisation et en comparant le parallélisme de comportement qui ressort des annexes jointes à la requête.

En décidant de rendre une ordonnance de visite et de saisie, le Juge des libertés et de la détention a, de ce fait en examinant les documents qui lui étaient soumis, estimé que les autres moyens de recherche de preuve moins coercitifs dont dispose l'Administration étaient insuffisants et a exercé de fait un contrôle de proportionnalité entre l'atteinte portée aux libertés et les objectifs poursuivis par l'Administration.

Concernant l'atteinte à l'article 8 de la CESDH, celle-ci est tempérée par l'article 8-2 et notamment par la notion de bien-être économique. Les moyens seront rejetés. Considérant qu'aucune raison tirée de l'équité ne commande le prononcé de condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, Statuant contradictoirement et en dernier ressort ; Confirmons en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 9 octobre 2013 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bobigny et celle subséquente du Juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Senlis du 15 octobre 2013; Disons n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Disons que la charge des dépens sera supportée par l'appelante.