CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 6 janvier 2016, n° 13-24345
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Samsung Electronics France (Sté)
Défendeur :
Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fusaro
Avocat :
Me Thibault
Avocat général :
Mme Guidoni
Le 9 octobre 2013, le juge des libertés et de la détention de Bobigny, a rendu, en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce une ordonnance de visite et de saisie dans les locaux des sociétés suivantes :
· Fagorbrandt
· Eberhardt Frères
· Samsung Electronics France
· Groupe Seb France et Groupe Seb Retailing
· Miele
· Smeg France
· Indesit Company France
· BSH Electromenager
· Electrolux Home Products France et Electrolux France
· LG Electronics France
· GPDIS France Sud Est (Enseigne SLD) et Pulsat Synthèse
· Gemdis Groupe Findis (Anciennement Cocelec Rhone-Alpes)
· Etablissements Darty et Fils
Cette ordonnance faisait suite à une requête présentée suite à l'enquête des services de l'Autorité de la concurrence aux fins d'établir si lesdites entreprises se livreraient à des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 1°, 2°, 3° du Code de commerce et 101-1 a) et b) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
Cette requête était consécutive à une demande d'enquête du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence conformément aux dispositions de l'article L. 460-4 alinéa 1 du Code de commerce.
A l'appui de cette requête étaient joints une liste de 21 pièces ou documents en annexe.
Qu'il était allégué qu'une pratique prohibée consisterait à imposer des prix de revente dans le secteur de l'électroménager aux sites Internet qui distribuaient les produits dits " blancs " rassemblant le petit et gros électroménager notamment de lavage, de cuisine, de cuisson et de froid et les produits dits " bruns " regroupant les appareils électriques et électroniques de loisirs (annexe 21).
Il était indiqué d'une part que des distributeurs se seraient plaints de l'immixtion des fabricants et grossistes de produits " blancs " et " bruns " dans leur politique tarifaire, d'autre part que les fournisseurs encadreraient les annonces de réductions de prix proposées par les distributeurs sur Internet et enfin que les fournisseurs limiteraient le niveau de remise octroyé aux consommateurs. Il était joint des procès-verbaux d'un distributeur et de revendeurs se plaignant de ces pratiques mettant en cause plusieurs marques de fournisseurs (Magimix, Liebherr, Miele, De Dietrich, Samsung).
Il était soutenu qu'au-delà de l'encadrement de la politique promotionnelle des distributeurs, des déclarations de revendeurs auraient fait état d'un véritable contrôle des prix de revente par les fournisseurs de produits blancs et bruns et plus particulièrement GPDIS, Fagorbrandt, Eberhardt Freres, Samsung, Seb, Smeg, Indesit, Electrolux et LG. Ainsi des consignes tarifaires seraient données par les fabricants tant à l'oral (pour la plupart), que par courriels. Le contrôle tarifaire exercé par les fabricants viserait à augmenter les prix de revente comme le confirmeraient les déclarations du 21 février 2011 d'un distributeur et les extraits de courriels d'un responsable commercial notamment.
Il apparaîtrait également que les courriels comminatoires des fabricants seraient le plus souvent " codés " le terme " stock " étant utilisé à la place du mot " prix ". Ainsi ce procédé consisterait dans le fait que les revendeurs auraient été fréquemment sollicités pour remonter leurs " stocks ", alors que le stock minimal des distributeurs aurait été fixé contractuellement à une ou deux unités seulement, plusieurs courriels annexés à la requête illustrant ce procédé.
Il était par ailleurs indiqué que les directives tarifaires seraient relayées par des grossistes comme le confirmait notamment par procès-verbal du 14 janvier 2013 le gérant de la SARL Web Achat en déclarant " nous étions en litige avec GPDIS notre fournisseur car " elle " se faisait le relais des fabricants sur leur mainmise sur notre politique commerciale ", déclaration qui serait corroborée par divers autres courriels.
Il était fait état que les prix de revente imposés aux distributeurs seraient diffusés par les fabricants et les grossistes au moyen de " black list ", de noms de couleur ou de tableaux ; qu'à cet égard le gérant d'une SARL avait communiqué une liste de produits pour lesquels les prix sont dits " bloqués " c'est à dire dont le prix devait strictement correspondre au prix de vente conseillé par le fabricant ou le prix généralement constaté ainsi qu'une autre liste de produits dits " sensibles " correspondant aux références pour lesquelles " il se devait de maintenir des prix élevés pour ne pas casser le marché si nous voulions être livrés ".
Les distributeurs auraient été incités à respecter les consignes tarifaires en échange de service de mise en avant des produits par les fournisseurs, des courriels attesteraient de la soumission des distributeurs aux instructions tarifaires des fabricants et grossistes de produits " blancs " et " bruns " et qu'à défaut de remonter les prix de revente comme l'auraient exigé les fournisseurs, ceux-ci ordonneraient aux revendeurs de retirer les références concernées sur leur site Internet.
Enfin, les distributeurs récalcitrants auraient été victimes de blocages de leurs comptes, de refus ou d'arrêts de livraisons et les grossistes auraient été sollicités pour faire respecter la police des prix des fabricants.
Par ailleurs, une seconde pratique prohibée aurait consisté pour les fabricants de produits " blancs " et " bruns " à faire retirer de la vente sur Internet certaines de leurs références, les fabricants, comme pour la première pratique illicite présumée, auraient utilisé les mêmes supports de diffusion pour informer les distributeurs des produits interdits à la vente sur Internet à savoir codes de couleur et listes noires, un gérant de SARL le confirmant en déclarant que le Code couleur " bleu " était utilisé par un fabricant pour désigner les appareils exclus de la vente sur Internet, étant précisé que des courriels émanant de plusieurs autres fabricants auraient confirmé cette pratique et les grossistes de la même manière que précédemment évoquée, auraient fait pression sur les revendeurs pour qu'ils retirent certains produits de leurs sites Internet.
Une troisième pratique prohibée aurait consisté à refuser l'agrément à des distributeurs. Il ressortirait des témoignages qu'à partir de 2009, la plupart des fabricants de produits " blancs " et " bruns " auraient mis en place un réseau de distribution sélective. Il en serait déduit de déclarations de plusieurs revendeurs que certains fournisseurs de produits " blancs " et " bruns " pourraient interdire à des distributeurs de commercialiser leurs produits au seul motif qu'ils les diffusent sur Internet, la déclaration du même gérant de SARL viendrait accréditer cette thèse dans sa relation commerciale avec le distributeur Boulanger ; qu'il apparaîtrait que ces pratiques prohibées auraient comme finalité de circonscrire la concurrence sur Internet.
Qu'il pourrait également en être déduit que l'objectif des fabricants des produits " blancs " et " bruns " serait d'aligner les prix de la vente en ligne sur ceux pratiqués par les grandes enseignes spécialisées de détail et plus particulièrement Darty, cette allégation émanerait d'une déclaration d'un autre distributeur invoquant un projet de négociation commerciale présumé en cours entre la marque Smeg et le distributeur Darty, ainsi que d'un autre distributeur faisant état de pression du fabricant Fagorbrandt pour augmenter les prix pratiqués sur son site Internet jusqu'au niveau des prix pratiqués par leurs gros clients principaux à savoir Darty et Boulanger. Le gérant
d'une SARL a déclaré que plusieurs commerciaux lui avaient dit oralement que s'ils voulaient que leurs clients de la grande distribution spécialisée notamment Darty (leader du marché) continuent de mettre en avant leurs produits il était nécessaire que les fabricants remontent les prix de vente des produits [...] la politique d'alignement étant essentiellement liée à la politique de commerciale de Darty qui avait plus de 20 % du marché de la distribution. Cela nous avait été précisé à l'oral par un autre commercial de Samsung notamment. Je ne peux cependant pas vous indiquer si les demandes de remontées de prix étaient uniquement liées à ce distributeur [...], l'objectif était qu'il existe le moins de différences possibles avec la grande distribution [...] que les gros sites de vente en ligne comme " rueducommerce.com " et " Cdiscount " subissaient les mêmes pressions que nous mais avaient l'avantage de la taille.
Il résulterait de ces éléments que l'uniformisation des prix à la hausse serait de nature à préserver le canal de distribution des grandes enseignes de détails qui dominent le marché des produits 'blancs' et " bruns " et que la stratégie des fabricants permettait aux grandes enseignes spécialisées de détails de tirer profit de l'engouement pour la vente en ligne. Dans ce contexte, les grandes enseignes de détails miseraient sur leurs sites Internet pour dynamiser les ventes de leurs réseaux physiques et que ce développement multi-canal aurait profité à plusieurs grandes enseignes spécialisées de détail.
Il s'en déduirait de ces différentes pratiques présumées illicites qu'elles limiteraient les capacités des consommateurs à faire jouer la concurrence entre le canal de la vente par Internet et celui de la distribution traditionnelle et ce en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 101-1 du TFUE et que l'ensemble de ces agissements semblerait constituer les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'un système d'ententes horizontales et verticales à dimension nationale entre les fabricants de produits 'blancs' et "bruns", les grossistes et les grandes enseignes spécialisées de détail. Ces actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui auraient pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises et limiter ou contrôler l'entrée aux marchés seraient établis selon des modalités secrètes et qu'il serait nécessaire d'autoriser les agents de l'Autorité de la concurrence de rechercher la preuve desdites pratiques prohibées vraisemblablement détenues et conservées dans des lieux (en l'espèce les sociétés sus-mentionnées en début d'ordonnance) et sous des formes qui faciliteraient leurs dissimulation, leurs destruction ou altération en cas de vérification.
Selon l'Autorité de la concurrence, le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du Code de commerce constitue le seul moyen d'atteindre l'objectif recherché et que les opérations de visite et de saisie n'apparaîtraient pas disproportionnées au regard de l'objectif à atteindre.
Le juge des libertés et de la détention de Bobigny autorisait la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence à faire procéder, dans les locaux des entreprises sus-mentionnées et aux visites et aux saisies prévues par les dispositions des articles L. 450-4 du Code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements entrant dans le champ des pratiques prohibés par les articles L. 420-1,1°,2° et 3° du Code de commerce et 101-1 a et b du TFUE, relevées dans le secteur de la distribution des produits " blancs " et " bruns " ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée.
Il laissait le soin de désigner les agents des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence [...] pour effectuer les visites et saisies autorisées [...] et désignait Jean-Michel Mimram, commissaire-divisionnaire et Philippe Tireloque, commissaire-divisionnaire, pour nommer les officiers de police judiciaire compétents.
Il donnait commission rogatoire pour les autres lieux de visites domiciliaires et de saisies aux juges des libertés et de la détention des Tribunaux de grande instance de Nanterre, Rouen, Senlis, Limoges, Lyon, Meaux et Strasbourg et indiquait que les occupants des lieux ou leurs représentants avaient la faculté de faire appel à un conseil de leur choix, sans que cette faculté n'entraîne la suspension des opérations de visite et de saisies ; [...] et en mentionnant que la présente ordonnance pouvait faire l'objet d'un appel devant le premier président de la Cour d'appel de Paris par déclaration au greffe dans un délai de dix jours, [...] que cet appel n'était pas suspensif et que l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Paris était susceptible de faire l'objet d'un pourvoi en cassation [...].
Les opérations de visite et de saisies se sont déroulées le 17 octobre 2013. Elles ont été retranscrites dans des procès-verbaux en date du 17 octobre 2013 auquel ont été annexées les observations des avocats présents.
Le 25 octobre 2013, le Premier Président de la Cour d'appel de Paris a été saisi d'un appel contre cette ordonnance par la société Samsung Electronics France et d'un recours à l'encontre du déroulement des opérations de visite et de saisie.
Par conclusions récapitulatives déposées le 24 octobre 2014 lors de l'audience, la société Samsung
Electronics France a transmis des conclusions tendant à l'annulation de l'ordonnance rendu le 9 octobre 2013 par le Juge des libertés et de la détention de Bobigny.
L'affaire a été appelée à l'audience du 21 janvier 2015 à 9 heures, mise en délibéré mais n'a pas été rendue.
Une réouverture des débats a été fixée le 28 octobre 2015 et mise en délibéré pour être rendue le 6 janvier 2015.
Par conclusions récapitulatives enregistrées au greffe en date du 24 octobre 2014, la société Samsung Electronics France conteste la régularité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Bobigny ainsi que celle des opérations de visite et de saisie subséquentes, et en demande l'annulation.
1) Sur les fabricants ciblés par la requête, les définitions du secteur économique, les témoignages recueillis par les agents de la concurrence et les autres éléments factuels présentés en annexes à la requête
La société appelante fait valoir que le juge des libertés et de la détention n'aurait pas procédé aux vérifications qui lui incombaient ne s'étant pas rendu compte que la requête qui lui était présentée ne concernait qu'un secteur particulier, le secteur de la distribution des produits " blancs ". Il aurait repris à la lettre les termes de la requête qui lui était soumise et n'aurait pas vérifié que la demande d'autorisation était fondée.
A l'appui de ses allégations, la société Samsung Electronics France faisait valoir que tous les fabricants ou importateurs ciblés dans la requête ou l'ordonnance seraient des fabricants ou des importateurs de produits " blancs " et qu'aucun fabricant de produits " bruns " n'aurait été directement ciblé dans la requête et par l'ordonnance, en ajoutant que d'autres fabricants significatifs de produits " bruns " n'y figureraient pas.
Par ailleurs, la requête et l'ordonnance retiendrait une appréciation très large du terme secteur pour amalgamer la distribution de produits " blancs " et la distribution de produits " bruns " en un seul secteur, la fusion de ces deux secteurs serait donc un assemblage artificiel dont on pourrait comprendre qu'il n'aurait d'intérêt que pour élargir le champ des saisies et serait absolument injustifié par les documents sur lesquels l'ordonnance se fonde.
Les témoignages recueillis par l'Autorité de la concurrence, l'ordonnance se fonderait sur diverses déclarations de distributeurs recueillies par les agents de la concurrence ; que ces déclarations ne concerneraient que des produits électroménagers à l'exception de Monsieur Herbin dont le site Web Achat est spécialisée dans la distribution de produits blancs qui déclare une activité de produits " bruns " métier qui est très accessoire car ne représentant que 15 % de son activité et au surplus, il n'évoque pas du tout les marques et les fabricants de produits " bruns " Samsung et LG pourtant ciblés dans l'ordonnance.
Les annexes présentées à l'appui de la requête ne donneraient en outre aucun indice permettant de présumer de pratiques à investiger dans le secteur des produits " bruns ", deux seuls courriels en annexe 4 concernent deux modèles de téléviseur. Par ailleurs, l'annexe 7 contenant le listing " Disteo " que GPDIS aurait établi ne saurait être un indice pertinent. Monsieur Julien Herbin et Monsieur Erwann Kerguelen, rapporteur, ne sont pas d'accord sur la lecture et la signification de cette liste ce qui mettrait en doute la valeur probante de ce tableau ; que près de 97 % des références concerneraient le secteur des produits " blancs ". Il y a lieu de mettre en perspective le vide à l'égard du secteur des produits " bruns " avec les 33 courriels produits et les 8 témoignages concernant le secteur des produits " blancs ".
L'Autorité de la concurrence en réponse indique que le Juge des libertés et de la détention de Bobigny aurait rempli sa mission en constatant que le dossier était complet et en appréciant souverainement conformément aux exigences de l'article L. 450-4 du Code de commerce que l'ensemble des pièces utiles communiquées par l'Autorité de la concurrence permettait de présumer de l'existence d'agissements prohibés justifiant la mesure autorisée, que son rôle est de vérifier de manière concrète par l'appréciation des éléments d'information qui lui sont fournis que la demande d'autorisation est fondée sur une ou plusieurs présomptions de fraude, qu'il existait au dossier annexé à la requête une demande d'enquête de la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence.
Pour l'Administration, il y a bien eu un examen attentif des 21 pièces utiles annexées (dont trois feraient état de produits bruns) à la requête afin de s'assurer de l'adéquation des pièces produites et des énonciations de l'ordonnance ainsi que de la pertinence de ces pièces au regard de l'appréciation qu'il doit opérer quant à l'existence d'une présomption d'entente qui aurait pour objet ou effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, de limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises et de limiter ou contrôler des débouchés de l'ensemble des sociétés visées, y compris l'appelante. Selon elle, une telle critique ne peut être admise.
2) Sur le raisonnement tenu par la requête et l'ordonnance
La société appelante affirme que la requête et l'ordonnance n'exposeraient aucun indice qui stigmatise et puisse permettre de présumer l'existence de l'une ou l'autre des pratiques alléguées par dans le secteur des produits " bruns ". En effet, les exemples et références soulignés en bleu ne concernent que les produits " blancs " et qu'il est impossible d'identifier dans la motivation de la requête la moindre citation ou référence visant expressément les produits " bruns " et les pratiques alléguées mises en œuvre dans ce secteur.
L'Administration fait valoir que la contestation du champ de l'ordonnance d'autorisation qui selon Samsung aurait dû être cantonné à la seule distribution de produits exclusivement blancs ne saurait prospérer, le juge ayant bien précisé le secteur économique concerné par l'autorisation à savoir les produits " blancs " rassemblant le petit et le gros électroménager notamment de nettoyage, de lavage, de cuisine, de cuisson et de froid et les produits " bruns " regroupant les appareils électriques et électroniques de loisirs.
L'Administration précise que l'autorisation délivrée concerne les présomptions dans un " secteur " économique et non sur un ou des marchés pertinents (plus restreints que le précédent) dont la délimitation relèvera de l'Autorité de la concurrence et des juridictions amenées à statuer ultérieurement sur les résultats de la mesure autorisée, c'est à dire les pratiques illicites qui pourraient être relevées et qu'à ce stade des investigations la visite et saisie autorisée a pour but de vérifier si dans un secteur économique donné, en l'espèce celui de la distribution des produits blancs et bruns, les règles de la concurrence jouent pleinement et qu'à ce stade, aucune accusation n'est portée à l'encontre de l'appelante, c'est uniquement dans un second temps lors de l'examen des pièces saisies que les griefs circonscrits à un marché pertinent pourraient être, le cas échéant, formulés par les rapporteurs en charge du dossier.
3) Sur la requête et l'ordonnance subséquente à celle dont il est fait appel et sur le principe de proportionnalité
La société Samsung indique qu'une deuxième ordonnance autorisant les opérations de visite et de saisie aurait été rendue et qu'elle aurait autorisée deux fabricants supplémentaires de produits " blancs " et ce dans les locaux du GIFAM qui se trouve être le syndicat des fabricants des produits " blancs ". Il en ressortirait que c'est le secteur de la distribution des produits " blancs " qui aurait été visé et que deux secteurs économiques distincts auraient dû être identifiés, le secteur de la distribution des produits " bruns " et celui de la distribution des produits " blancs ".
Cette erreur d'appréciation serait due à la pratique de la reprise de l'ordonnance pré-rédigée par les services de l'Autorité par le Juge des libertés et de la détention lequel n'aurait pas vérifié le fondement de la requête et n'aurait pas respecté le principe de proportionnalité des opérations au but poursuivi.
L'Administration en réponse fait état des mêmes arguments susmentionnés concernant la seconde ordonnance et concernant le principe de proportionnalité et le droit à un recours effectif et à un procès équitable invoqué par Samsung, elle indique que la violation alléguée de l'article 8-1 de la CESDH est écartée lorsqu'elle justifiée par l'article 8-2.
Elle expose qu'il est de jurisprudence constante de la chambre criminelle de la Cour de cassation que les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce ne contreviennent pas à celles des articles 6, 8 et 18 de la CESDH dès lors qu'elles assurent la conciliation des principes de liberté individuelle et de la nécessité de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et que le droit à un procès équitable et à un recours effectif sont garantis tant par l'intervention du Juge des libertés et de la détention qui vérifie le bien-fondé de la requête de l'Administration que par le contrôle exercé par la Cour de cassation.
Il importerait également de préciser que l'allégation du défaut de proportionnalité de la mesure judiciaire non autorisée par rapport au but poursuivi doit être évaluée par rapport à l'importance des enjeux économiques lors de cette enquête visant à rechercher la preuve de la pratique anticoncurrentielle d'entente illicite nécessaire au bien-être économique du pays dans le secteur de la distribution des produits blancs et bruns. En l'espèce, l'ordonnance querellée fait état de présomption d'entente anticoncurrentielle et de l'éventualité que des éléments incriminants puissent se trouver dans les locaux de Samsung. Elle demande de rejeter le moyen tiré d'une violation des articles L. 450-4 du Code de commerce et 6, 8 et 13 de la CESDH.
Madame l'Avocat Général faisait valoir que le juge des libertés et de la détention de Bobigny avait rempli sa mission et satisfait aux exigences de l'article L. 450-4 du Code de commerce en appréciant souverainement que l'ensemble des informations utiles communiquées par l'Autorité de la concurrence permettait de présumer l'existence d'agissements frauduleux justifiant la mesure autorisée [...], la lecture de l'ordonnance rendue le 9 Octobre 2013 montre qu'au terme d'une analyse motivée le magistrat a estimé que les divers documents versés à l'appui de la requête de l'Autorité permettaient de retenir des présomptions de pratiques prohibées entre les fournisseurs de produits " blancs " et " bruns " mais également avec leurs grossistes et grandes enseignes de détail et la possibilité que les documents se rapportant à ces pratiques prohibées se trouvaient dans les locaux des sociétés visées. Elle concluait à la confirmation de l'ordonnance querellée.
En conséquence, la société Samsung demande l'annulation de l'ordonnance du 9 octobre 2013 et des opérations de visite et de saisie intervenus le 17 et 18 octobre 2013 ainsi que la restitution des pièces saisies.
A titre subsidiaire, il est demandé l'infirmation de cette ordonnance en ce qu'elle autorisé les opérations de visite et de saisie dans le secteur des produits " bruns ".
L'Autorité de la concurrence en réponse demande la confirmation de l'ordonnance querellée.
SUR CE
1) Sur les fabricants ciblés par la requête, les définitions du secteur économique, les témoignages recueillis par les agents de la concurrence et les autres éléments factuels présentés en annexes à la requête
Le juge qui autorise des opérations de visite et de saisie sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce est tenu de vérifier si la demande d'autorisation doit comporter tous les éléments d'informations utiles en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; que par suite le juge doit s'assurer que les éléments produits par l'Administration aient une apparence de licéité et sont suffisants pour justifier que la mesure intrusive de visite et de saisie soit justifiée ; qu'à cette fin le juge des libertés et de la détention doit vérifier, en se référant aux éléments d'informations fournis par l'Autorité qu'il existait des indices laissant apparaître des faisceaux de présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies de documents s'y rapportant sans qu'il soit nécessaire que soit caractérisées des présomptions précises, graves et concordantes ou des indices particulièrement troublants des pratiques ; que les présomptions sont appréciées par le juge en proportion de l'atteinte aux libertés individuelles que sont susceptibles de comporter la visite et les saisies envisagées.
En l'espèce, il ressort de l'ordonnance querellée que le juge des libertés et de la détention près du Tribunal de grande instance de Bobigny, a sur requête de la Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence rendu une ordonnance visant les produits " blancs " qui rassemblent le petit et le gros électroménager notamment de nettoyage, de lavage, de cuisine, de cuisson et de froid et les produits " bruns " qui regroupent les appareils électriques et électroniques de loisirs au motif que les distributeurs ou revendeurs se sont plaints de l'immixtion des fabricants et grossistes de produits " blancs " et " bruns " dans leur politique tarifaire ; que cette immixtion s'effectue selon trois pratiques : la première, consistant à imposer des prix de reventes à des sites Internet qui distribuent les produits précités, la seconde pratique prohibée consisterait pour les fabricants de produits " blancs " et " bruns " de faire retirer de leur sites Internet certaines de leurs références et une troisième pratique prohibée, à refuser l'agrément à des distributeurs.
Le juge des libertés et de la détention de Bobigny qui n'est pas le juge du fond mais le juge de l'apparence a relevé dans l'ordonnance des présomptions d'ententes horizontales entre les fabricants et verticales entre les fabricants, les grossistes et le cas échéant des sociétés de grande distribution de détail et après un examen " in concreto " des 21 annexes jointes à la requête selon la méthode dite " du faisceau d'indices " a estimé qu'il existait des indices laissant apparaître des faisceaux de présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies.
Ainsi, il a examiné les 21 annexes jointes et a constaté que des fabricants étaient susceptibles de participer à une entente horizontale et/ou verticale notamment en comparant certaines annexes qui prises isolément n'établissent pas en elles-mêmes des indices mais par leurs comparaisons, leurs combinaisons, leurs rattachements à d'autres annexes concernant les fabricants entre eux ou avec des revendeurs peuvent établir un faisceau d'indices. Ainsi, dans les annexes présentées il pouvait être déduit que certains protagonistes de ces ententes échangeaient des courriels avec des mots codés, le vocable " stocks " remplaçant celui de " prix " ; que des listes étaient établies concernant des produits à retirer si des revendeurs ne s'alignaient pas sur les Prix Publics Indiqués (PPI) des fabricants, que des produits étaient siglés par couleur (le bleu étant utilisé pour exclure certains produits), que des courriels comminatoires émanaient de représentants des fabricants, et que d'autres protagonistes notamment des grossistes n'étaient pas exclus de ces schémas d'ententes, leur rôle consistant à relayer les instructions des fabricants auprès des revendeurs.
Concernant le champ de l'ordonnance, celle-ci visait le secteur des produits " blancs " qui rassemblent le petit et le gros électroménager notamment de nettoyage, de lavage, de cuisine, de cuisson et de froid et des produits " bruns " qui regroupent les appareils électriques et électroniques de loisirs. Il convient de ne pas confondre un secteur économique avec une branche ou un marché déterminé : en effet, selon la définition de l'INSEE, un secteur regroupe des entreprises de fabrication, de commerce ou de service qui ont la même activité principale (au regard de la nomenclature d'activité économique considérée). L'activité d'un secteur n'est donc pas tout à fait homogène et comprend des productions ou services secondaires qui relèveraient d'autres items de la nomenclature que celui du secteur considéré. Au contraire, une branche regroupe des unités de production homogènes.
Ce moyen sera rejeté.
2) Sur le raisonnement tenu par la requête et l'ordonnance
Ainsi qu'il a été exposé précédemment, le champ d'application de l'ordonnance querellée visait les produits " blancs " qui rassemblent le petit et le gros électroménager notamment de nettoyage, de lavage, de cuisine, de cuisson et de froid et les produits " bruns " qui regroupent les appareils électriques et électroniques de loisirs au motif que les distributeurs ou revendeurs se sont plaints de l'immixtion des fabricants et grossistes de produits " blancs " et " bruns " dans leur politique tarifaire.
Cette ordonnance s'étendait donc au secteur de la distribution des produits " blancs " et " bruns " et au stade des investigations la visite autorisée a pour finalité de vérifier si dans un secteur économique donné, en l'espèce, celui de la distribution de produits " blancs " et " bruns " les règles de la concurrence jouaient pleinement, étant rappelé qu'à ce stade aucune accusation n'est portée à l'encontre de l'ensemble des sociétés visées par l'ordonnance.
Ce moyen sera rejeté.
3) Sur la requête et l'ordonnance subséquente à celle dont il est fait appel et sur le principe de proportionnalité
S'agissant de la seconde requête visant uniquement des produits blancs, le même raisonnement que précédemment peut être retenu, à savoir qu'elle correspond à un secteur et non pas à un marché ou à une branche déterminé.
Concernant le non-respect du contrôle de proportionnalité et l'atteinte portée à la société Samsung, celle-ci ne peut prospérer dès lors que dans son principe la visite domiciliaire ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit fondamental que constitue la vie privée dès lors que prévue par la loi et placée sous le contrôle d'un juge, elle a pour finalité d'assurer le bien-être économique du pays. En l'espèce, il s'agissait de s'assurer s'il existait des indices laissant présumer des présomptions simples de pratiques prohibées d'ententes d'acteurs d'un secteur économique pour favoriser la hausse des prix d'un ou de plusieurs produits.
C'est donc par des motifs pertinents qui doivent être approuvés que le juge des libertés et de la détention, qui a procédé à l'analyse de l'ensemble des documents présentés par l'Administration, a considéré que ces pièces constituaient un faisceau d'indices établissant des présomptions de pratiques commerciales trompeuses ; que l'autorisation qu'il a donné aux enquêteurs ne constitue pas une atteinte disproportionnée aux droits des entreprises.
Par ailleurs, le juge des libertés et de la détention signataire de l'ordonnance, se l'approprie en y apportant le cas échéant des rectifications (celui-ci étant en possession d'une copie numérique de l'ordonnance qu'il peut modifier à sa guise et peut refuser de l'accorder), son rôle ne se limitant pas à une simple mission de chambre d'enregistrement.
Il est précisé que la requête a été présentée le 4 octobre 2013 et signée le 9 octobre 2013 ce qui a laissé amplement le temps au juge des libertés et de la détention d'examiner la pertinence de la requête, d'étudier les pièces jointes à celle-ci, de vérifier les habilitations et le jour de la signature, de demander aux agents de l'Autorité de la concurrence toute information pertinente préalablement à la signature de son ordonnance.
Ce moyen sera écarté.
Par ces motifs, Statuant contradictoirement et en dernier ressort, Confirmons en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 9 octobre 2013 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bobigny, Disons que la charge des dépens sera supportée par la société appelante.