CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 6 janvier 2016, n° 13-24473
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Miele (Sté)
Défendeur :
Président de l'Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fusaro
Avocats :
Mes Baechlin, Assemat
Avocat général :
Mme Guidoni
Le 9 octobre 2013, le juge des libertés et de la détention de Bobigny, a rendu, en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce une ordonnance de visite et de saisie dans les locaux des sociétés suivantes :
Fagorbrandt
Eberhardt Frères
Samsung Electronics France
Groupe Seb France et groupe Seb retailing
Miele
Smeg France
Indesit Company France
BSH Electromenager
Electrolux Home Products France et Electrolux France
LG Electronics France
GPDIS France Sud Est (enseigne SLD) et Pulsat Synthèse
Gemdis groupe Findis (anciennement Cocelec Rhone-Alpes)
Etablissements Darty et Fils
Cette ordonnance faisait suite à une requête présentée suite à l'enquête des services de l'Autorité de la concurrence aux fins d'établir si lesdites entreprises se livreraient à des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 1°, 2°, 3° du Code de commerce et 101-1 a) et b) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
Cette requête était consécutive à une demande d'enquête du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence conformément aux dispositions de l'article L. 460-4 alinéa 1 du Code de commerce.
A l'appui de cette requête étaient joints une liste de 21 pièces ou documents en annexe.
Qu'il était allégué qu'une pratique prohibée consisterait à imposer des prix de revente dans le secteur de l'électroménager aux sites Internet qui distribuaient les produits dits " blancs " rassemblant le petit et gros électroménager notamment de lavage, de cuisine, de cuisson et de froid et les produits dits " bruns " regroupant les appareils électriques et électroniques de loisirs (annexe 21).
Il était indiqué d'une part que des distributeurs se seraient plaints de l'immixtion des fabricants et grossistes de produits " blancs " et " bruns " dans leur politique tarifaire, d'autre part que les fournisseurs encadreraient les annonces de réductions de prix proposées par les distributeurs sur Internet et enfin que les fournisseurs limiteraient le niveau de remise octroyé aux consommateurs. Il était joint des procès-verbaux d'un distributeur et de revendeurs se plaignant de ces pratiques mettant en cause plusieurs marques de fournisseurs (Magimix, Liebherr, Miele, De Dietrich, Samsung).
Il était soutenu qu'au-delà de l'encadrement de la politique promotionnelle des distributeurs, des déclarations de revendeurs auraient fait état d'un véritable contrôle des prix de revente par les fournisseurs de produits blancs et bruns et plus particulièrement GPDIS, Fagorbrandt, Eberhardt Freres, Samsung, Seb, Smeg, Indesit, Electrolux et LG. Ainsi des consignes tarifaires seraient données par les fabricants tant à l'oral (pour la plupart), que par courriels. Le contrôle tarifaire exercé par les fabricants viserait à augmenter les prix de revente comme le confirmeraient les déclarations du 21 février 2011 d'un distributeur et les extraits de courriels d'un responsable commercial notamment.
Il apparaîtrait également que les courriels comminatoires des fabricants seraient le plus souvent " codés " le terme " stock " étant utilisé à la place du mot " prix ". Ainsi ce procédé consisterait dans le fait que les revendeurs auraient été fréquemment sollicités pour remonter leurs " stocks ", alors que le stock minimal des distributeurs aurait été fixé contractuellement à une ou deux unités seulement, plusieurs courriels annexés à la requête illustrant ce procédé.
Il était par ailleurs indiqué que les directives tarifaires seraient relayées par des grossistes comme le confirmait notamment par procès-verbal du 14 janvier 2013 le gérant de la SARL Web Achat en déclarant " nous étions en litige avec GPDIS notre fournisseur car " elle " se faisait le relais des fabricants sur leur mainmise sur notre politique commerciale ", déclaration qui serait corroborée par divers autres courriels.
Il était fait état que les prix de revente imposés aux distributeurs seraient diffusés par les fabricants et les grossistes au moyen de " black list ", de noms de couleur ou de tableaux ; qu'à cet égard le gérant d'une SARL avait communiqué une liste de produits pour lesquels les prix sont dits " bloqués " c'est à dire dont le prix devait strictement correspondre au prix de vente conseillé par le fabricant ou le prix généralement constaté ainsi qu'une autre liste de produits dits " sensibles " correspondant aux références pour lesquelles " il se devait de maintenir des prix élevés pour ne pas casser le marché si nous voulions être livrés ".
Les distributeurs auraient été incités à respecter les consignes tarifaires en échange de service de mise en avant des produits par les fournisseurs, des courriels attesteraient de la soumission des distributeurs aux instructions tarifaires des fabricants et grossistes de produits " blancs " et " bruns " et qu'à défaut de remonter les prix de revente comme l'auraient exigé les fournisseurs, ceux-ci ordonneraient aux revendeurs de retirer les références concernées sur leur site Internet.
Enfin, les distributeurs récalcitrants auraient été victimes de blocages de leurs comptes, de refus ou d'arrêts de livraisons et les grossistes auraient été sollicités pour faire respecter la police des prix des fabricants.
Par ailleurs, une seconde pratique prohibée aurait consisté pour les fabricants de produits " blancs " et " bruns " à faire retirer de la vente sur Internet certaines de leurs références, les fabricants, comme pour la première pratique illicite présumée, auraient utilisé les mêmes supports de diffusion pour informer les distributeurs des produits interdits à la vente sur Internet à savoir codes de couleur et listes noires, un gérant de SARL le confirmant en déclarant que le Code couleur " bleu " était utilisé par un fabricant pour désigner les appareils exclus de la vente sur Internet, étant précisé que des courriels émanant de plusieurs autres fabricants auraient confirmé cette pratique et les grossistes de la même manière que précédemment évoquée, auraient fait pression sur les revendeurs pour qu'ils retirent certains produits de leurs sites Internet.
Une troisième pratique prohibée aurait consisté à refuser l'agrément à des distributeurs. Il ressortirait des témoignages qu'à partir de 2009, la plupart des fabricants de produits " blancs " et " bruns " auraient mis en place un réseau de distribution sélective. Il en serait déduit de déclarations de plusieurs revendeurs que certains fournisseurs de produits " blancs " et " bruns " pourraient interdire à des distributeurs de commercialiser leurs produits au seul motif qu'ils les diffusent sur Internet, la déclaration du même gérant de SARL viendrait accréditer cette thèse dans sa relation commerciale avec le distributeur Boulanger; qu'il apparaîtrait que ces pratiques prohibées auraient comme finalité de circonscrire la concurrence sur Internet.
Qu'il pourrait également en être déduit que l'objectif des fabricants des produits " blancs " et " bruns " serait d'aligner les prix de la vente en ligne sur ceux pratiqués par les grandes enseignes spécialisées de détail et plus particulièrement Darty, cette allégation émanerait d'une déclaration d'un autre distributeur invoquant un projet de négociation commerciale présumé en cours entre la marque Smeg et le distributeur Darty, ainsi que d'un autre distributeur faisant état de pression du fabricant Fagorbrandt pour augmenter les prix pratiqués sur son site Internet jusqu'au niveau des prix pratiqués par leurs gros clients principaux à savoir Darty et Boulanger. Le gérant d'une SARL a déclaré que plusieurs commerciaux lui avaient dit oralement que s'ils voulaient que leurs clients de la grande distribution spécialisée notamment Darty (leader du marché) continuent de mettre en avant leurs produits il était nécessaire que les fabricants remontent les prix de vente des produits [...] la politique d'alignement étant essentiellement liée à la politique de commerciale de Darty qui avait plus de 20 % du marché de la distribution. Cela nous avait été précisé à l'oral par un autre commercial de Samsung notamment. Je ne peux cependant pas vous indiquer si les demandes de remontées de prix étaient uniquement liées à ce distributeur [...], l'objectif était qu'il existe le moins de différences possibles avec la grande distribution [...] que les gros sites de vente en ligne comme " rueducommerce.com " et " Cdiscount " subissaient les mêmes pressions que nous mais avaient l'avantage de la taille ".
Il résulterait de ces éléments que l'uniformisation des prix à la hausse serait de nature à préserver le canal de distribution des grandes enseignes de détails qui dominent le marché des produits " blancs " et " bruns " et que la stratégie des fabricants permettait aux grandes enseignes spécialisées de détails de tirer profit de l'engouement pour la vente en ligne. Dans ce contexte, les grandes enseignes de détails miseraient sur leurs sites Internet pour dynamiser les ventes de leurs réseaux physiques et que ce développement multi-canal aurait profité à plusieurs grandes enseignes spécialisées de détail.
Il s'en déduirait de ces différentes pratiques présumées illicites qu'elles limiteraient les capacités des consommateurs à faire jouer la concurrence entre le canal de la vente par Internet et celui de la distribution traditionnelle et ce en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 101-1 du TFUE et que l'ensemble de ces agissements semblerait constituer les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'un système d'ententes horizontales et verticales à dimension nationale entre les fabricants de produits " blancs " et " bruns ", les grossistes et les grandes enseignes spécialisées de détail. Ces actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui auraient pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises et limiter ou contrôler l'entrée aux marchés seraient établis selon des modalités secrètes et qu'il serait nécessaire d'autoriser les agents de l'Autorité de la concurrence de rechercher la preuve desdites pratiques prohibées vraisemblablement détenues et conservées dans des lieux (en l'espèce les sociétés sus-mentionnées en début d'ordonnance) et sous des formes qui faciliteraient leurs dissimulation, leurs destruction ou altération en cas de vérification.
Selon l'Autorité de la concurrence, le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du Code de commerce constitue le seul moyen d'atteindre l'objectif recherché et que les opérations de visite et de saisie n'apparaîtraient pas disproportionnées au regard de l'objectif à atteindre.
Le juge des libertés et de la détention de Bobigny autorisait la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence à faire procéder, dans les locaux des entreprises sus-mentionnées et aux visites et aux saisies prévues par les dispositions des articles L. 450-4 du Code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements entrant dans le champ des pratiques prohibés par les articles L. 420-1,1°,2° et 3° du Code de commerce et 101-1 a et b du TFUE, relevées dans le secteur de la distribution des produits " blancs " et " bruns " ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée.
Il laissait le soin de désigner les agents des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence [...] pour effectuer les visites et saisies autorisées [...] et désignait Jean-Michel Mimram, commissaire-divisionnaire et Philippe Tireloque commissaire-divisionnaire pour nommer les officiers de police judiciaire compétents.
Il donnait commission rogatoire pour les autres lieux de visites domiciliaires et de saisies aux juges des libertés et de la détention des Tribunaux de grande instance de Nanterre, Rouen, Senlis, Limoges, Lyon, Meaux et Strasbourg et indiquait que les occupants des lieux ou leurs représentants avaient la faculté de faire appel à un conseil de leur choix, sans que cette faculté n'entraîne la suspension des opérations de visite et de saisies ; [...] et en mentionnant que la présente ordonnance pouvait faire l'objet d'un appel devant le premier président de la Cour d'appel de Paris par déclaration au greffe dans un délai de dix jours, [...] que cet appel n'était pas suspensif et que l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Paris était susceptible de faire l'objet d'un pourvoi en cassation [...].
Les opérations de visite et de saisies se sont déroulées le 17 et 18 octobre 2013. Elles ont été retranscrites dans des procès-verbaux en date du 18 octobre 2013.
Le 29 octobre 2013, le Premier Président de la Cour d'appel de Paris a été saisi d'un appel contre cette ordonnance par la société Miele et d'un recours le même jour à l'encontre du déroulement des opérations de visite et de saisie.
Par conclusions récapitulatives déposées le 4 novembre 2014, la société Miele a transmis des écritures tendant à l'annulation de l'ordonnance rendu le 9 octobre 2013 par le Juge des libertés et de la détention de Bobigny.
L'affaire a été appelée à l'audience du 21 janvier 2015 à 9 heures, mise en délibéré mais n'a pas été rendue.
Une réouverture des débats a été fixée le 28 octobre 2015 et mise en délibéré pour être rendue le 6 janvier 2015.
La visite et saisie dans les locaux de la société Miele ont eu lieu les 17 et 18 octobre 2013.
Le 29 octobre 2013, la société Miele a en application des dispositions de l'alinéa 6 de l'article L. 450-4 du Code de commerce, formé un recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie.
Par conclusions récapitulatives enregistrées au greffe en date du 4 novembre 2014, la société Miele conteste la régularité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Bobigny ainsi que celle des opérations de visite et de saisie subséquentes, et en demande l'annulation.
Madame l'Avocat général estime dans son avis du 15 décembre 2014 qu'il ne pourra être que prononcé l'annulation de la saisie des deux courriels électroniques couverts par le secret professionnel.
La société Miele demande l'annulation des échanges entre la société Miele avec ses conseils du cabinet X, Maître X et Maître Y qui ont fait l'objet de saisies informatiques (cf. Pièces Miele n° 1 et 2) et la condamnation de l'Autorité de la concurrence à une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Dans ses écritures datées du 23 septembre 2014, l'Autorité de la concurrence a indiqué qu'elle ne s'opposait pas aux demandes de la société Miele concernant les pièces 1 et 2 et demandait la condamnation de la société Miele à une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
SUR CE,
S'agissant de pièces couvertes par le secret professionnel avocat/client, il est fait droit à la demande de la société Miele et l'annulation des échanges entre la société Miele avec ses conseils du cabinet X, Maître X et Maître Y qui ont fait l'objet de saisies informatiques (cf. Pièces Miele n° 1 et 2) sera prononcée.
Par ces motifs, Statuant contradictoirement et en dernier ressort, Annulons l'échange de courriels le dernier datant du 13 octobre 2010 envoyé par Mme Kuffer (objet: TR: Miele/Distribution sélective), figurant dans le DVD n° 2 du scellé n° 8, dans un document PDF intitulé " mail du 08-10-2010 " et l'échange de courriels le dernier datant du 12 août 2011 envoyé par M. Cadet (objet: TR: conditions grossistes), figurant dans le DVD n° 3 du scellé n° 8, dans un document PDF intitulé " TR conditions grossistes " (pièces 1 et 2 des conclusions de Miele), Disons qu'aucune raison tirée de l'équité ne commande le prononcé de condamnations au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et disons que chaque partie supportera ses entiers dépens.