CE, sect. du contentieux, 29 janvier 1982, n° 13660
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Heumann
Rapporteur :
M. Théry
Commissaire du gouvernement :
Mlle Laroque
LE CONSEIL : - Vu l'ordonnance du 30 juin 1945 ; la loi du 19 juillet 1977 ; la loi du 4 août 1981 ; l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ; la loi du 30 décembre 1977 ;
Sur les griefs retenus à la charge de la société requérante : - Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 3 du règlement intérieur de la société coopérative de distribution d'articles manufacturés, qui regroupe des grossistes d'articles dits " pipiers " " l'adhérent reste libre, avec l'accord du groupement, de passer des ordres à d'autres fournisseurs que ceux choisis à un moment donné par le groupement, si des circonstances particulières d'ordre personnel l'y incitent ; il doit cependant ne pas perdre de vue que l'action commune dans le domaine des achats est le meilleur garant de ses véritables intérêts " ; qu'eu égard aux caractéristiques du marché de gros des briquets jetables sur lequel 80 % au moins des transactions sont le fait d'une société et de deux groupements de grossistes menant des politiques concertées ou parallèles, la commission de la concurrence et, à sa suite, le ministre de l'économie ont pu, à bon droit, estimer, que cette stipulation, qui demeurait applicable après l'entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 1977, pouvait, au sens de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945, avoir pour effet de restreindre le jeu de la concurrence, sans apporter au progrès économique la contribution qui, en vertu de l'article 51, eût été nécessaire pour justifier son adoption ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort notamment du procès-verbal de la réunion qui s'est tenue le 10 mai 1974 que la société requérante, si ses statuts et son règlement intérieur ne prévoient pas l'institution de zones d'activités exclusives au profit de ses adhérents et à supposer qu'elle n'ait pas pris l'initiative d'instituer de telles zones, en a approuvé et appuyé la création qu'elle estimait conforme aux objectifs et au bon fonctionnement du groupement ; qu'elle n'a pas modifié son attitude après l'entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 1977 ; que, par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le ministre de l'économie a notamment retenu, au soutien de sa décision, ce grief qui tombait sous le coup de la prohibition de l'article 50 sans répondre aux exigences de l'article 51 ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction que les assemblées générales des deux plus importants groupements de grossistes, la société coopérative pipière et la société requérante, ont en 1974 approuvé les termes d'un accord de coopération qui, par le " reférencement " commun des fournisseurs et par l'institution d'un tarif de vente, comme par l'institution à cette double fin d'une commission des achats et d'une commission de discipline, était de nature à restreindre la concurrence sur le marché des briquets jetables, et que les deux commissions prévues par cet accord se sont effectivement réunies ; que si, postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 1977, il n'est ni établi que l'application de cet accord se soit poursuivie ni constaté l'existence de pratiques concertées d'effet équivalent entre les groupements précités comme il en avait été relevé notamment en 1974 et en 1976 lors de tentatives d'introduction de nouveaux produits sur le marché, il reste que la société requérante n'a pas dénoncé cet accord qui demeurait applicable, qui présentait, au sens de l'article 50 nouveau de l'ordonnance du 30 juin 1945, le caractère d'une convention " ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence " et qui autorisait donc le ministre à user des pouvoirs nouveaux que lui confère ladite loi ;
Considérant, en quatrième lieu, que les pouvoirs nouveaux conférés au ministre chargé de l'économie par la loi du 19 juillet 1977 et l'habilitant à infliger des " sanctions pécuniaires " et à adresser des injonctions, ne peuvent être exercés qu'en raison d'agissements délictueux commis postérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi ; qu'il résulte de l'instruction que si la clause dite " d'exclusivité d'achat " qui interdisait aux grossistes, signataires des contrats de concessionnaires-stockistes de la société Feudor-France, de commercialiser sans l'accord de celle-ci des produits nouveaux concurrents, et qui avait pour objet de faire obstacle à l'introduction de produits nouveaux sur le marché des briquets jetables, a été introduite dans les contrats passés en 1976, elle n'a pas été reprise dans les contrats conclus pour l'année 1977 ; qu'aucun des éléments d'information ou documents communiqués par la commission de la concurrence à la société requérante ne permet d'affirmer que ladite clause aurait été tacitement reconduite pendant l'année 1977 ou remplacée, durant cette année, par des pratiques concertées d'effet équivalent ; que, par suite, la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que la commission de la concurrence, dans son avis du 11 mai 1978, et, à la suite, le ministre de l'Economie, dans sa décision du 31 mai 1978, ont tenu pour établi qu'il y avait, de ce chef, infraction postérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 1977 pouvant justifier l'application des sanctions pécuniaires et des injonctions prévues par cette loi ;
Sur les injonctions adressées à la société requérante : - Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société requérante n'est fondée à demander décharge des injonctions contenues dans la décision attaquée qu'en tant qu'elles lui imposent de préciser que les contrats de concessionnaires-stockistes passés entre la société Feudor-France et ses adhérents ne doivent comporter aucune interdiction d'achat de produits concurrents ;
Sur la sanction pécuniaire infligée à la société requérante : - Considérant qu'aux termes de l'article 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945, dans la rédaction que lui a donnée la loi du 19 juillet 1977, " le montant maximum de la sanction applicable est fixé comme suit : si le contrevenant est une entreprise, 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos avant le premier acte interruptif de la prescription ; si le contrevenant n'est pas une entreprise, 5 000 000 F ... " ;
Considérant, d'une part, que si la société requérante est une société à responsabilité limitée, il résulte de son règlement intérieur et des pièces versées au dossier qu'elle a pour activité, à l'exclusion de toute recherche de bénéfice, de procurer notamment à ses membres une économie sur le montant de leurs achats, qu'elle ne se livre pour son compte à aucune opération de production, d'achat ou de vente et que ses ressources proviennent pour l'essentiel des cotisations de ses membres ; que, par suite, c'est à bon droit que le ministre a estimé que la société requérante ne présentait pas le caractère d'une " entreprise " au sens de l'article 53 précité, mais devait être classée dans la catégorie des personnes morales à l'égard desquelles il peut légalement prononcer des sanctions pécuniaires dans la limite de 5 millions de francs ;
Considérant, d'autre part, que pour les seuls griefs pouvant être retenus pour l'application de l'article 53, au soutien de la décision attaquée, savoir la stipulation du règlement intérieur de la société restreignant la liberté d'approvisionnement de ses adhérents, l'aval donné à la constitution de zones d'activités exclusives, l'accord de coopération passé avec la société coopérative pipière, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir des pressions qu'aurait pu exercer sur elle la société Feudor-France ;
Considérant toutefois que, comme il a été dit ci-dessus, c'est à tort que le ministre de l'Economie a fondé pour partie sa décision sur la reconduction tacite en 1977 de la clause dite " d'exclusivité d'achat " inscrite dans les contrats passés pour 1976 entre société Feudor-France et les adhérents de la société requérante ; qu'eu égard à l'importance de ce grief, comme du fait que l'accord de 1974 avec la société coopérative pipière n'était plus appliqué, il sera fait, compte tenu de la gravité des faits établis, des dommages causés à l'économie, de la situation financière et de la dimension de la société requérante, une juste appréciation de la sanction pécuniaire à infliger à celle-ci en en réduisant le montant de 70 000 F.