ADLC, 11 décembre 2015, n° 15-DCC-166
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Corsaire et Trottel distribution par la société Carrefour France
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 5 novembre 2015, relatif à la prise de contrôle exclusif des sociétés Corsaire et Trottel Distribution par la société Carrefour France, matérialisée par une promesse de cession d'actions en date du 15 octobre 2015 ;
Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. Carrefour France SAS est une filiale à 100 % de la société Carrefour SA, société tête du groupe Carrefour (ci-après ensemble " Carrefour "). Le groupe est actif dans le secteur du commerce de détail à dominante alimentaire ainsi que dans la distribution en gros à dominante alimentaire en France et dans le reste du monde. Carrefour est présent dans 34 pays avec plus de 10 100 magasins sur quatre continents (Europe, Amérique du Sud, Afrique et Asie). En France, le groupe Carrefour exploite 4 714 magasins (hypermarchés, supermarchés, commerce de proximité, cash and carry), sous enseignes Carrefour, Carrefour Market, Carrefour City, Carrefour Contact, Carrefour Express, Carrefour Montagne, Huit à 8, Marché Plus, Proxi, Promocash. Le groupe Carrefour dispose également d'une activité de drive et de différents sites marchands sur internet, l'un alimentaire (Ooshop) et l'autre non alimentaire (On Line Carrefour).
2. Carrefour conclut également avec des sociétés exploitant des magasins de commerce de détail à dominante alimentaire des contrats d'enseigne et d'approvisionnement qui leur permettent d'exploiter leurs points de vente sous l'une des enseignes du groupe Carrefour, de s'approvisionner auprès de ses centrales d'achat, de bénéficier de fournisseurs référencés par Carrefour et des conditions d'achat du groupe, et de bénéficier enfin de services offerts par Carrefour.
3. Les sociétés Corsaire et Trottel Distribution sont détenues par la famille Torre au travers de la société SAGM. La société Corsaire exploite un fonds de commerce à dominante alimentaire de 5 400 m2 sous enseigne Carrefour à Ajaccio (20000). La société Trottel Distribution exploite trois fonds de commerce à dominante alimentaire sous enseigne Carrefour Market : un supermarché d'une surface de 1 450 m2 situé à Porticcio (20166) ; un supermarché d'une surface de 1 650 m2 situé à Mezzavia (20167) et un supermarché d'une surface de 1 000 m2 situé à Ajaccio (20000).
4. L'opération, formalisée par une promesse de cession d'actions en date du 15 octobre 2015, consiste en l'acquisition par Carrefour France de 50 % plus un titre des sociétés Corsaire et Trottel Distribution. Concomitamment à cette cession, les présidents respectifs de ces sociétés démissionneront et seront remplacés par des représentants du groupe Carrefour. Les projets de statuts de ces sociétés prévoient que les décisions en matière de nomination et de révocation du président, d'approbation des comptes annuels et d'affectation des résultats relèvent de compétence des associés (article 17) et que toutes les décisions seront prises par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié du capital social (article 18). En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de ces sociétés par Carrefour, l'opération notifiée constitue une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
5. Les entreprises concernées exploitent plusieurs magasins de commerce de détail et réalisent ensemble un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euro, (Carrefour : 76 milliards d'euro pour l'exercice clos le 31 décembre 2014 ; sociétés cibles : 117,7 millions d'euro pour le même exercice). Elles réalisent en France, un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euro (Carrefour : 37 milliards d'euro pour le même exercice ; sociétés cibles : 117,7 millions d'euro pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au point I de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
6. Les marchés concernés par l'opération relèvent du secteur de la distribution à dominante alimentaire.
7. Selon la pratique décisionnelle des autorités nationale (1) et européenne (2) de concurrence, deux catégories de marchés peuvent être délimitées dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire : d'une part, les marchés aval, de dimension locale, qui mettent en présence les entreprises de commerce de détail et les consommateurs pour la vente de biens de consommation et, d'autre part, les marchés amont de l'approvisionnement, sur lesquels les entreprises en tant qu'acheteurs sont en contact avec les fabricants des produits, de dimension nationale.
A. MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT
8. En ce qui concerne les marchés amont de l'approvisionnement, la Commission européenne a retenue l'existence de marchés de dimension nationale par grands groupes de produits, délimitation suivie par les autorités nationales (3).
9. Il n'y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l'occasion de la présente opération.
B. MARCHÉS AVAL DE DISTRIBUTION
1. LESMARCHÉS DE SERVICE
10. S'agissant de la vente au détail de biens de consommation courante, la pratique décisionnelle (4) distingue six catégories de commerces en utilisant plusieurs critères, notamment la taille des magasins, leurs techniques de vente, leur accessibilité, la nature du service rendu et l'ampleur des gammes de produits proposés : (i) les hypermarchés (magasins à dominante alimentaire d'une surface légale de vente supérieure à 2 500 m²), (ii) les supermarchés (magasins à dominante alimentaire d'une surface de vente inférieure à 2 500 m² et supérieure à 400 m²), (iii) le commerce spécialisé, (iv) le petit commerce de détail (moins de 400 m²), (v) les maxi-discompteurs, (vi) la vente par correspondance.
11. Au sein du petit commerce de détail (5) sont distingués les petits libres-services qui offrent un assortiment étroit de produits courants (une surface inférieure à 120 m²) et les supérettes dont l'offre de produits est un peu plus étendue (une surface comprise entre 120 et 400 m²).
12. En l'espèce, les sociétés cibles exploitent un hypermarché et trois supermarchés.
2. DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE
13. Il ressort de la pratique décisionnelle (6) que les conditions de la concurrence relatives aux supermarchés et hypermarchés s'apprécient sur deux zones différentes selon la taille des magasins : - un marché où se rencontrent la demande des consommateurs d'une zone et l'offre des hypermarchés auxquels ils ont accès en moins de 30 minutes de déplacement en voiture et qui sont, de leur point de vue, substituables entre eux ;
- un second marché où se rencontrent la demande des consommateurs et l'offre des supermarchés et formes de commerce équivalentes situés à moins de 15 minutes de temps de déplacement en voiture. Ces dernières formes de commerce peuvent comprendre, outre les supermarchés, les hypermarchés situés à proximité des consommateurs et les magasins discompteurs.
14. L'Autorité considère donc que l'analyse concurrentielle doit porter sur ces deux marchés lorsque le magasin cible est un hypermarché et qu'elle ne porte que sur le second marché précité lorsque le magasin cible est un supermarché.
15. L'Autorité rappelle toutefois de façon constante que ces délimitations sont susceptibles d'évoluer au cas par cas, en fonction des caractéristiques de la zone locale. L'attractivité de magasins de même format peut varier selon la densité et la qualité de l'équipement commercial d'une zone. Les caractéristiques socio-économiques de la zone concernée (densité de la population, activité économique, géographie, état du réseau routier) peuvent également conduire à affiner, au cas d'espèce, les délimitations usuelles présentées ci-dessus.
16. En l'espèce, un des magasins concerné entrant dans la catégorie des hypermarchés, l'analyse portera donc sur une zone comprenant l'hypermarché cible et les magasins concurrents situés à moins de 30 minutes de temps de déplacement en voiture et sur la zone comprenant les hypermarchés, supermarchés et formes de commerce équivalentes situés à moins de 15 minutes de temps de déplacement en voiture. Et pour les autres magasins concernés, entrant dans la catégorie des supermarchés, l'analyse portera uniquement sur le second marché.
III. Analyse concurrentielle
B. MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT
17. En ce qui concerne les marchés amont de l'approvisionnement, il convient d'indiquer que l'opération est limitée à quatre magasins déjà sous enseigne du groupe Carrefour et s'approvisionnant déjà en grande partie auprès des entrepôts du groupe Carrefour. Cette opération ne représentant qu'une partie marginale du chiffre d'affaires réalisé par le groupe Carrefour en France ; l'acquisition du contrôle exclusif des sociétés Corsaire et Trottel Distribution n'est donc pas susceptible de renforcer significativement la puissance d'achat du groupe Carrefour, tous produits confondus comme par grands groupes de produits.
18. L'opération n'est donc pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés amont de l'approvisionnement.
A. MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION À DOMINANTE ALIMENTAIRE
L'hypermarché d'Ajaccio Finosello
19. Sur le marché comprenant les hypermarchés, supermarchés et formes de commerce équivalentes situés dans un rayon de 30 minutes en voiture autour du point de vente d'Ajaccio Finosello (20000), l'opération n'emporte pas de chevauchement d'activité, ce magasin étant le seul hypermarché Carrefour de la zone.
20. Sur le marché comprenant l'ensemble des hypermarchés, supermarchés et formes de commerce équivalentes situés dans un rayon de 15 minutes en voiture autour du point de vente d'Ajaccio Finosello (20000), le magasin cible représente 25,4 % des surfaces de vente. La part de marché totale de Carrefour à l'issue de l'opération s'élèvera à 35,7 % des surfaces de vente, le groupe détenant dans cette zone un point de vente Carrefour City d'une surface de 540 m² et un Carrefour Market de 1 650 m². Carrefour restera cependant confronté à la concurrence de Casino (48,9 % de part de marché) qui dispose de quatre points de vente et de Leclerc (15,4 %) avec deux points de vente.
Les supermarchés
21. Sur le marché comprenant l'ensemble des hypermarchés, supermarchés et formes de commerce équivalentes situés dans un rayon de 15 minutes en voiture autour du point de vente de Porticcio (20166), l'opération n'emporte pas de chevauchement d'activité, ce magasin étant le seul point de vente Carrefour de la zone.
22. Sur le marché comprenant l'ensemble des hypermarchés, supermarchés et formes de commerce équivalentes situés dans un rayon de 15 minutes en voiture autour du point de vente d'Ajaccio (20000), le magasin cible représente 12,3 % des surfaces de vente. La part de marché totale de Carrefour à l'issue de l'opération s'élèvera à 24,4 %, le groupe détenant dans cette zone un point de vente Carrefour City d'une surface de 540 m² et un magasin Carrefour Contact d'une surface de 444 m2. Les concurrents de Carrefour sur cette zone sont Leclerc (40,2 % de part de marché - deux points de vente) et Casino (35,4 % - trois points de vente).
23. Sur le marché comprenant l'ensemble des hypermarchés, supermarchés et formes de commerce équivalentes situés dans un rayon de 15 minutes en voiture autour du point de vente de Mezzavia (20167), le magasin cible représente 7,8 % des surfaces de vente. La part de marché totale de Carrefour à l'issue de l'opération s'élèvera à 35,7 %, le groupe détenant dans cette zone un magasin Carrefour d'une surface de 5 400 m2 et un point de vente Carrefour City d'une surface de 540 m². Carrefour restera cependant confronté à la concurrence de Casino (48,9 % de part de marché) qui dispose de quatre points de vente et de Leclerc (15,4 %) avec deux points de vente.
24. L'opération n'est donc pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés aval de la distribution.
DECIDE
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 15-193 est autorisée.
Notes :
1 Voir notamment la décision de l'Autorité de la concurrence n°12-DCC-48 du 6 avril 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Sofides par la société ITMEntreprises, et la décision n°12-DCC-125 du 27 août 2012 relative à la prise de contrôle conjoint de 28 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire par l'Union des Coopérateurs d'Alsace et l'Association des Centres Distributeurs E.Leclerc. Voir également la décision de l'Autorité de la concurrence n°14-DCC-173.
2 Voir notamment les décisions de la Commission européenne M. 1221, Rewe/ Meinl du 3 février 1999 et M. 1684, Carrefour/ Promodès du 25 janvier 2000.
3 Voir notamment les décisions du ministre dans le secteur, C.2005-98 Carrefour/ Penny Market du 10 novembre 2005, C.2006-15 Carrefour/ Groupe Hamon du 14 avril 2006, C.2007-172 relatif à la création de l'entreprise commune Plamidis du 13 février 2008 et C.2008-32 Carrefour/ SAGC du 9 juillet 2008 ; ainsi que les décisions de l'Autorité de la concurrence n°11-DCC-45 et 11-DCC-04 précitées.
4 Voir, par exemple, la décision de l'Autorité de la concurrence n°12-DCC-63 du 9 mai 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Guyenne et Gascogne SA par la société Carrefour SA, la décision n°13-DCC-90 du 11 juillet 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Monoprix par la société Casino Guichard-Perrachon et la décision n°14-DCC-173 précitée.
5 Voir l'avis du Conseil de la concurrence n°97-A-04 du 21 janvier 1997 relatif à diverses questions portant sur la concentration de la distribution et la décision de l'Autorité de la concurrence n°10-D-08 du 3 mars 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par Carrefour dans le secteur du commerce d'alimentation générale de proximité.
6 Voir notamment les décisions de l'Autorité de la concurrence n°11-DCC-04 du 28 janvier 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Mafical par la société ITM Alimentaire Région parisienne ; la décision n°11-DCC-05 du 17 janvier 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Distri Sud-Ouest par la société Retail Leader Price Investissement ; la décision n°14-DCC-11 du 28 janvier 2014 relative à la prise de contrôle par la société Franprix Leader Price Holding de 47 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire Le Mutant et de 22 fonds de commerce de boucherie et les décisions n°12-DCC-63 et n°14-DCC-173 précitées.