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Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 22 mai 2013, n° 12-03887

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Seine Nautic (SARL)

Défendeur :

Bercher, Bombardier Recreational Products European Distribution (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dos Reis

Conseillers :

Mme Boisselet, M. Gallais

Avocats :

Mes Lenglet, Treguier, Bart, Richardot

TGI Rouen, du 28 juin 2012

28 juin 2012

Le 14 avril 2010, M. Cyril Bercher a commandé à la société Seine Nautic, pour le prix de 17 000 euro, une moto marine (encore appelée jet ski) de la marque Sea Doo.

La facture, du montant convenu, a été acquittée le 27 avril 2010 et l'engin livré à cette date.

Dans les mois qui ont suivi, M. Bercher a rencontré plusieurs difficultés avec la moto marine et, celles-ci restant sans solution de la part de la société venderesse, il a fait examiner la machine par un expert, M. Evrard. Celui-ci a procédé à une expertise amiable et contradictoire le 15 décembre 2010 et clos son rapport le 28 janvier 2011.

Après mise en demeure restée sans résultat, M. Bercher a, le 30 juin 2011, assigné la société Seine Nautic devant le tribunal de grande instance de Rouen aux fins d'obtenir, au visa des articles 1641 et suivants du Code civil et L. 211-4 et suivants du Code de la consommation, la résolution de la vente et l'indemnisation de ses préjudices.

Par acte du 18 juillet 2011, la société Seine Nautic a assigné en garantie la société Bombardier Recreational Products European Distribution (BRP Distribution) " représentée en France par la société Bombardier Recreational Products France " (BRP France).

Les deux instances ont été jointes et, par jugement du 28 juin 2012, réputé contradictoire, la société BRP Distribution n'ayant pas comparu, le tribunal a :

- prononcé la résolution du contrat de vente conclu entre M. Bercher et la société Seine Nautic,

- condamné cette dernière à payer à M. Bercher la somme de 17 000 euro correspondant au prix de vente et celle de 2 153,59 euro à titre de dommages intérêts,

- condamné M. Bercher à restituer à la société Seine Nautic le jet ski,

- condamné la société PRB Distribution à garantir la société Seine Nautic de toutes les condamnations prononcées à son encontre au profit de M. Bercher, à l'exception de celle correspondant au remboursement du prix de vente,

- condamné la société Seine Nautic à payer à M. Bercher la somme de 1200 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté la société Seine Nautic de sa demande fondée sur ce texte,

- rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires,

- condamné la société Seine Nautic aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.

La société Seine Nautic a, le 25 juillet 2012, relevé appel de cette décision.

Par conclusions du 18 décembre 2012, elle soutient qu'au vu du rapport d'expertise, le tribunal ne pouvait prononcer la résolution de la vente ni allouer des dommages intérêts et, qu'en tout état de cause, en cas de résolution, la société BRP Distribution, régulièrement représentée par la société BRP France, doit la garantir aussi du montant du prix qui doit être remboursé à M. Bercher.

Elle demande en conséquence à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé, sur le fondement de l'article L. 211-10.1° du Code de la consommation, la résolution de la vente,

- en conséquence, débouter M. Bercher de l'ensemble de ses prétentions,

- le condamner à lui verser au titre des frais de gardiennage une somme de 30 euro par jour à compter du 1er septembre 2010 jusqu'à enlèvement définitif des matériels,

- le condamner également à lui verser la somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

Subsidiairement, pour le cas où certaines condamnations prononcées au profit de M. Bercher seraient maintenues,

- dire que la société BRP Distribution, représentée en France par la société BRP France, devra la garantir de l'ensemble de ces condamnations, en principal, intérêts, dommages intérêts, indemnité et frais, y compris en ce qui concerne le remboursement du prix de vente,

- dire que le jet ski devra être restitué par M. Bercher non pas à la société Seine Nautic mais au fabricant qu'est la société BRP Distribution,

- condamner cette dernière à verser à l'appelante la somme de 5 000 euro à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice d'image, du préjudice commercial et du préjudice financier qui lui a été causé par son inertie,

- la condamner à lui verser une indemnité de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par écritures du 16 novembre 2012, M. Cyril Bercher, considérant que le tribunal a tiré les justes conséquences du rapport d'expertise mais que son préjudice a été sous-évalué, conclut à :

- la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente et ordonné la restitution du prix d'un montant de 17 000 euro,

- la réformation de la décision en ce que la société Seine Nautic a été condamnée à lui payer la somme de 2 153,59 euro à titre de dommages intérêts et la condamnation de celle-ci à lui verser les sommes de :

- 7 500 euro au titre de son préjudice moral,

- 562,12 euro au titre d'une facture d'honoraires de l'expert du 28 janvier 2011,

- 91,47 euro et 91,47 euro au titre des primes d'assurance versées respectivement en 2010 et 2011,

- 30 euro par jour du fait de la privation de jouissance de son bien depuis le 1er septembre 2010 jusqu'à la date de restitution du prix de vente, soit la somme de 9 210 euro arrêtée au 4 juillet 2011, à parfaire jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir,

- la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par conclusions du 19 novembre 2012, la société BRP Distribution invoque les articles 117 et 654 du Code de procédure civile et fait valoir à cet égard qu'elle n'a pas été régulièrement assignée devant le Tribunal de grande instance de Rouen puisque l'acte a été délivré à une personne morale distincte qui ne la représente pas.

Elle demande en conséquence à la cour de :

- déclarer nulle et non avenue l'assignation en intervention forcée,

- en conséquence dire nul le jugement rendu à son encontre,

- constater l'absence d'effet dévolutif de l'appel à son égard,

- condamner la société Seine Nautic et M. Bercher à lui payer la somme de 20 000 euro chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, dépens en sus.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 mars 2013.

Sur ce, la cour,

Sur les rapports entre la société Seine Nautic et M. Bercher

Attendu qu'à juste titre l'appelante n'émet aucune objection à l'encontre des dispositions du jugement par lesquelles le tribunal, en des motifs que la Cour fait siens, a, parmi les deux fondements invoqués par l'acheteur à l'appui de ses prétentions, accordé la priorité aux articles L. 211-4 et suivants du Code de la consommation relatifs à la garantie légale de conformité, s'agissant de dispositions légales ayant un champ d'application spécifique par opposition aux dispositions générales des articles 1641 et suivants du Code civil ;

Attendu que, contrairement à ce que soutient la société Seine Nautic, le rapport rédigé par M. Evrard n'est ni imprécis ni incomplet ; qu'en effet, cet expert, après avoir pris soin de mener ses opérations contradictoirement, a fait une description minutieuse de l'engin litigieux, l'a complétée par des photographies, et a expliqué, clairement, quels étaient selon lui les défauts présentés par la moto marine ; que la société appelante s'abstient de fournir un quelconque document qui irait à l'encontre de cette analyse alors qu'elle en disposait nécessairement puisque, selon le courrier qu'elle a adressé le 18 juin 2011 à l'avocat de M. Bercher, après que ce dernier eut déposé la machine dans son établissement le 21 août 2010, un rapport a été, après dépose, établi le 25 août 2010 et un autre expert est venu examiner l'engin le 18 mai 2011 dont elle attendait alors le rapport ; qu'or, aucun de ces rapports n'est versé par elle aux débats, ce qu'elle n'aurait pas manqué de faire, ainsi que l'a justement relevé le premier juge, s'ils avaient contenu des éléments venant contredire les conclusions de M. Evrard ;

Attendu que ce dernier, après avoir pris soin de relever que l'examen de la moto marine montre que celle-ci n'a subi aucun choc et qu'il n'y a pas eu d'incident en cours de navigation ou de traction routière, a constaté que l'engin présente trois raidisseurs cassés sur le côté tribord de la coque ; qu'il précise que " ces raidisseurs, qui sont moulés dans la résine, sont des éléments structurels, et leur rupture résulte soit d'un défaut de conception, d'un défaut d'échantillonnage, ou d'un problème lors de la mise en œuvre de la résine, au moment de la construction " ; qu'il ajoute que ces avaries rendent la machine impropre à la navigation dans des conditions satisfaisantes de sécurité ;

Attendu que selon l'article L. 211-7 alinéa 1 du Code de la consommation dont le premier juge a fait état, " les défauts de conformité qui apparaissent dans un délai de six mois à partir de la délivrance du bien sont présumés exister au moment de la délivrance, sauf preuve contraire. " ; que, contrairement à ce que soutient la société appelante, cette présomption peut recevoir application puisqu'il est constant que l'appareil a été entreposé dans les locaux de la société Seine Nautic à partir de la fin du mois d'août 2010 pour n'en plus jamais ressortir alors qu'il avait été livré le 27 avril 2010, soit moins de six mois avant ; qu'au surplus, les constatations de l'expert permettent d'affirmer que le défaut affectant la moto marine existait au moment de la délivrance ;

Attendu que tout aussi vainement la société Seine Nautic critique - t - elle la résolution de la vente prononcée par le tribunal ; que celui-ci, en des motifs auxquels la Cour renvoie, a relaté en effet les différentes démarches entreprises par M. Bercher auprès du vendeur pour qu'il soit porté remède aux défauts constatés et celles-ci n'ont jamais pu aboutir ; que, dans ces conditions, c'est à juste titre que le premier juge a fait application de l'article L. 211-10 alinéa 2 1° du Code de la consommation ouvrant à l'acheteur la faculté de solliciter la résolution du contrat ;

Que le tribunal en a tiré les justes conséquences en condamnant la société Seine Nautic à rembourser à M. Bercher la somme de 17 000 euro correspondant au prix de vente et l'acheteur à restituer à cette société le bien vendu, la prétention de l'appelante tendant à ce que la restitution de l'engin soit faite par l'acquéreur au fabricant étant dépourvue de fondement puisque ce dernier n'est pas le cocontractant de M. Bercher ;

Attendu, sur les dommages intérêts auxquels l'acheteur peut prétendre en application de l'article L. 211-11 alinéa 2 du Code de la consommation, que M. Bercher en modifie partiellement le détail par rapport à ses prétentions de première instance, étant observé que seuls les postes de préjudice mentionnés au dispositif de ses écritures doivent, en application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, être pris en considération ;

Que la société Seine Nautic ne formule aucune objection particulière à l'encontre des réclamations, admises en première instance, concernant les frais liés aux primes d'assurance, soit 2 fois 91,47 euro (= 182,94 euro) et aux frais de l'expertise amiable, soit 562,12 euro; que ces sommes seront donc admises ;

Que les nombreuses tracasseries et démarches auxquelles M. Bercher a été confronté justifient la confirmation de la somme de 500 euro qui lui a été allouée de ce chef au titre du préjudice moral ;

Que, par ailleurs, les défauts affectant la moto marine ont largement privé M. Bercher de la possibilité de jouir de celle-ci et ce préjudice de jouissance s'est encore accru depuis le jugement, aucune solution n'ayant été proposée par la société Seine Nautic pour y porter remède ; qu'une somme de 1 500 euro lui sera accordée en réparation ;

Que c'est ainsi une somme de 2 745,06 euro qui doit être versée à l'acheteur par la société venderesse à titre de dommages intérêts, le jugement étant réformé dans cette limite sur ce point ;

Attendu, en revanche, que la société Seine Nautic est particulièrement mal fondée à prétendre obtenir la condamnation de M. Bercher à l'indemniser des frais de gardiennage de la moto marine dans la mesure où, si celle-ci est entreposée dans les locaux de l'appelante, ce n'est qu'en conséquence des défauts qu'elle présente et de l'impossibilité dans laquelle l'acheteur se trouve de faire usage de l'engin en toute sécurité ;

Sur le recours en garantie exercé par la société Seine Nautic

Attendu qu'il est constant que la société Seine Nautic, entendant exercer un recours en garantie à l'encontre de la société BRD Distribution, dont le siège est à Lausanne, a fait délivrer assignation le 18 juillet 2011 devant le tribunal de grande instance de Rouen à la société BRD France en tant que représentant en France, selon la demanderesse, de la société assignée ;

Attendu que, suivant l'article 117 du Code de procédure civile invoqué par la société BRD Distribution, constitue une irrégularité de fond affectant la validité de l'acte, le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice ;

Or attendu qu'il résulte des pièces produites que la société BRD Distribution et la société BRD France sont deux personnes morales distinctes et rien ne laisse apparaître que la seconde aurait qualité pour représenter la première ; que, dès lors, l'assignation délivrée le 18 juillet 2011 est frappée de nullité ainsi que, par voie de conséquence, le jugement en ce qu'il concerne la société BRD Distribution, la société Seine Nautic étant invitée à mieux se pourvoir ;

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Attendu que le jugement en ce qu'il a condamné la société Seine Nautic aux dépens de première instance ainsi qu'à verser à M. Bercher une indemnité de 1 200 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, sera confirmé ;

Que la société Seine Nautic échouant dans son recours, supportera les dépens y afférents et, en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, devra verser à M. Bercher une indemnité complémentaire de 2 300 euro et, à la société BRD Distribution, une indemnité de 1 500 euro;

Par ces motifs, Déclare nulle et de nul effet l'assignation de la société BRD Distribution du 18 juillet 2011 et, par voie de conséquence, le jugement du 28 juin 2012 en ce qui la concerne, Renvoie à cet égard la société Seine Nautic à mieux se pourvoir, Confirme l'ensemble des dispositions du jugement entrepris concernant les rapports entre la société Seine Nautic et M. Cyril Bercher à l'exception de celle concernant le montant des dommages intérêts alloués à celui-ci, Le réformant sur ce point, Condamne la société Seine Nautic à payer à M. Cyril Bercher la somme de 2 745,06 euro à titre de dommages intérêts, Condamne la société Seine Nautic à payer, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, à M. Bercher la somme de 2 300 euro et à la société BRD Distribution celle de 1 500 euro, Rejette toute demande de condamnation présentée par la société Seine Nautic à l'encontre de M. Bercher, Condamne la société Seine Nautic aux dépens d'appel avec droit de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.