CA Versailles, 13e ch., 14 janvier 2016, n° 13-04102
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
3D Soft (SARL)
Défendeur :
Toyota France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Belaval
Conseillers :
Mmes Guillou, Dubois-Stevant
Avocats :
Mes Dupuis, Nuzum, Epelbaum, Carniel
La société Toyota France (la société Toyota), importateur de véhicules automobiles, pièces détachées et accessoires, a déployé dans son réseau de concessionnaires et réparateurs agréés un outil de gestion d'après-vente dénommé Toyota service marketing (TSM).
Par commande du 4 décembre 2007, elle a fait appel à la société 3D Soft, éditeur et distributeur de logiciels, qui avait mis au point un outil informatique de planification, pour adapter un tel logiciel à la planification, au suivi et à la distribution des tâches au sein des ateliers de son réseau agréé. Ce logiciel initialement nommé Mecaplanning a été intégré au système TSM et a pris le nom de e-TSM pour son déploiement au sein du réseau Toyota. La facturation se faisait en fonction du nombre d'utilisateurs de ce logiciel, ce calcul étant l'un des points encore en litige.
Les relations entre la société 3D Soft et la société Toyota ont duré plusieurs années sur la base d'un tarif préférentiel de 95,51 euro par licence jusqu'à ce que par courriel du 5 décembre 2011, puis par courrier, la société 3D Soft informe la société Toyota qu'elle ne pourrait pas maintenir son tarif préférentiel à défaut de signature d'un contrat avant le 31 décembre 2011, qu'elle allait être contrainte de reconsidérer sa base tarifaire privilégiée pour ses prestations envers la société Toyota et de son réseau pour lui préférer le tarif général concernant le prix des licences Mecaplanning. Le coût des licences à compter de janvier 2012 constitue le deuxième point en litige.
Par lettre recommandée du 13 décembre 2011, la société 3D Soft a notifié à la société Toyota les nouvelles conditions du contrat comportant une augmentation importante des tarifs soit 275 euro HT par licence.
Par lettre du 14 janvier 2012 la société 3D Soft a écrit aux membres du réseau de la société Toyota qu'elle était contrainte d'arrêter le service e-TSM en raison d'un sévère désaccord avec le constructeur concernant l'absence de bons de commande de sa part pour le 1er trimestre 2012 et a proposé aux concessionnaires de remplacer le produit e-TSM dont ils se servaient par un produit " beaucoup plus complet " appelé " Mecaplanning ".
Des procédures de référés ont opposé les parties tant en ce qui concerne la rupture ou la poursuite des relations commerciales et leurs conditions financières, que sur l'utilisation par la société Toyota et ses concessionnaires d'un logiciel que la société 3D Soft présente comme une contrefaçon du sien.
Par ordonnance du 19 janvier 2012, le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris a ordonné à la société 3D Soft le respect d'un préavis de 6 mois à compter de la rupture intervenue le 1er janvier 2012 jusqu'au 30 juin 2012 ;
Le 31 janvier 2012 la société 3D Soft a fait procéder à un constat d'huissier par Maître Albou huissier de justice qui a constaté l'utilisation du logiciel e-TSM par 252 sites au lieu des 215 sites commandés par la société Toyota.
Le 3 avril 2012, la société 3D a assigné la société Toyota pour :
- voir juger que cette société a rompu de façon brutale et sans préavis les relations commerciales existantes entre elle et la société 3D,
- la voir condamnée à lui payer la somme de 50 000 euro en réparation de son préjudice,
- qu'il soit jugé que les commandes relatives aux licences d'utilisation du logiciel e-TSM à compter du 1er trimestre 2012 doivent être facturées sur la base des conditions tarifaires 2012 soit 265 euro HT par site,
- voir la société Toyota condamnée à lui payer la facture complémentaire de 265 euro HT par site,
- voir la société Toyota condamnée à régler la facture complémentaire de 130 748,97 euro pour le 1er trimestre 2012,
- qu'il soit constaté que la société Toyota n'a pas commandé pour le 1er trimestre 2012 un nombre suffisant de licences d'utilisation au regard des sites ouverts pour l'utilisation du logiciel e-TSM,
- voir la société Toyota condamnée à régler la facture complémentaire de 35 180,34 euro TTC pour le nombre de sites bénéficiaires pour le 1er trimestre 2012,
- voir la société Toyota condamnée à régler la facture complémentaire de 190 199,88 euro TTC pour le nombre de sites bénéficiaires du service e-TSM durant ces deux années,
- voir la société Toyota condamnée à lui payer la somme de 7 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement du 13 septembre 2012, le Tribunal de commerce de Nanterre a débouté la société Toyota de son " exception d'incompétence " au profit du Tribunal de commerce de Paris et s'est déclaré compétent sur le litige relatif au paiement des factures établies entre le 1er janvier 2012 et le 30 juin 2012.
Par jugement du 26 avril 2013, le Tribunal de commerce de Nanterre a :
- débouté la société 3D Soft de sa demande d'indemnités de 50 000 euro,
- débouté la société 3D Soft de sa demande de règlement de ses deux factures d'un montant de 130 748,97 euro chacune pour les 1er et 2e trimestres 2012,
- débouté la société 3D Soft de sa demande de règlement d'une facture d'un montant de 190 199,88 euro et de deux factures d'un montant de 35 180,34 euro,
- condamné la société Toyota à payer à la société 3D Soft la somme de 1 795,18 euro,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société 3D Soft a interjeté appel de cette décision le 27 mai 2013.
Par dernières conclusions signifiées le 18 juillet 2013, la société 3D Soft demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnisation de son préjudice pour rupture abusive des relations commerciales par la société Toyota,
- dire que le Tribunal de commerce de Nanterre s'étant déclaré incompétent pour juger de la demande de dommages et intérêts de 50 000 euro sollicitée par elle en réparation de son préjudice pour rupture abusive des relations commerciales, il lui appartient de se pourvoir par devant la juridiction compétente concernant cette demande,
- juger que les commandes relatives aux licences d'utilisation du logiciel e-TSM à compter du 1er trimestre 2012 doivent être facturées sur la base du tarif 2012 valable pour l'ensemble de la clientèle de la société 3D, soit 265 euro hors taxe par site utilisateur de la licence du logiciel Mecaplanning/e-TSM,
- condamner la société Toyota à lui régler la facture de 130 748,97 euro TTC en complément de celle déjà réglée pour 215 comptes, pour le 1er trimestre 2012, ainsi que celle du même montant pour le 2e trimestre 2012,
- juger que la société Toyota n'a pas commandé, pour l'année 2010 et 2011, un nombre suffisant de licences d'utilisation au regard des comptes ouverts durant ces deux années,
- condamner la société Toyota à lui régler la facture complémentaire de 190 199,88 euro TTC, pour le nombre de comptes bénéficiaires du service eTSM durant ces deux années,
- juger que la société Toyota n'a pas commandé, pour le 1er trimestre et 2e trimestre 2012 un nombre suffisant de licences d'utilisation au regard des sites ouverts soit une différence de 37 comptes,
- condamner la société Toyota à régler les facture complémentaires de 35 180,34 euro chacune pour ce nombre de comptes bénéficiaires du service eTSM pour les deux premiers trimestres 2012,
- condamner la société Toyota au paiement de la somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par dernières conclusions signifiées le 18 septembre 2013, la société Toyota demande à la cour de :
- déclarer la société 3D Soft mal fondée en son appel du jugement entrepris,
- l'en débouter en toutes fins qu'il comporte,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- condamner la société 3D Soft à lui payer la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
SUR CE
Considérant que le litige oppose désormais les parties sur deux points :
- des facturations supplémentaires au titre des années 2010 à 2012, en raison d'une mauvaise évaluation du nombre des utilisateurs de la licence,
- le tarif auquel doivent être facturées les licences à compter du 1er janvier 2012 ;
Sur le prix des licences pendant le cours du préavis :
Considérant que la société 3D Soft soutient qu'aucun contrat n'a jamais été signé entre elle et la société Toyota France ; que les négociations de ce contrat ont été menées sur près de 4 années mais n'ont pas abouti ; qu'en décembre 2011 la société Toyota a décidé de ne pas signer le contrat définitif car cette société avait développé un " logiciel maison " et n'avait plus besoin que de quelques mois pour le développer ; qu'il ne peut donc être considéré que le préavis du contrat doit s'exécuter aux conditions du contrat puisque ce dernier n'a jamais été conclu ;
Considérant que la société Toyota réplique que les relations commerciales nouées depuis la fin de l'année 2007 se sont déroulées sans difficultés ; que si les négociations se sont poursuivies sur la poursuite de leur collaboration avec de nouveaux projets, les relations antérieures n'ont été remises en cause qu'à la fin de l'année 2011, la société 3D Soft voulant lui imposer une augmentation de tarifs de 200 % ;
Considérant qu'il n'est pas contesté qu'à compter du mois de janvier 2012 les relations commerciales entre les sociétés Toyota et 3D Soft ont perduré en application du délai de préavis de six mois que le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris a fixé pour la rupture des relations commerciales ;
Considérant que le prix revendiqué de 265 euro par site utilisateur correspond selon la société 3D Soft au prix du logiciel " Mecaplanning ", dont la société 3D Soft écrivait elle-même aux concessionnaires Toyota en janvier 2012 qu'il était beaucoup plus complet que le logiciel e-TSM qui n'avait pas évolué depuis plus de deux ans ; que la facturation du prix du logiciel e-TSM au tarif de 95,51 euro par licence a été constante de 2007 à 2011 ; qu'elle doit donc être considérée, même à défaut de signature d'un contrat, comme le prix convenu pour les relations contractuelles entre les parties jusqu'à la conclusion d'un nouvel accord;
Considérant que sauf circonstances particulières, non caractérisées en l'espèce, l'octroi d'un préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures ; qu'en conséquence le tarif applicable pendant le préavis est celui qui régissait la relation contractuelle liant les parties depuis 2007 soit 95,51 euro par site et par mois ; que la société 3D Soft sera donc déboutée de sa demande en paiement sur le tarif de 265 euro par site et par mois, le jugement étant confirmé de ce chef ;
Sur le nombre d'utilisations du logiciel facturées:
Considérant que la société 3D Soft soutient que la société Toyota a commandé un nombre d'utilisations de logiciel inférieur au nombre d'utilisations effectives ; qu'elle explique que c'est la société Toyota qui enregistrait chronologiquement, par le logiciel e-TSM admin, les comptes ouverts ; qu'un constat d'huissier a permis de constater qu'au premier trimestre 2012 252 comptes étaient ouverts soit 37 comptes de plus que le nombre figurant sur la commande de Toyota France ; que d'ailleurs la société Toyota avait déjà reconnu qu'un même site pouvait avoir deux ateliers différents avec deux organisations différentes et demandait ainsi un paramétrage par atelier ; qu'il est donc normal de facturer en fonction du nombre de sites utilisateurs réellement ouverts ;
Considérant que la société Toyota réplique que la société 3D Soft avait conscience au moins depuis mars 2011 d'une différence entre le nombre de sites qu'elle pouvait recenser et celui indiqué par Toyota France sur les bons de commandes ; qu'elle avait alors admis l'explication donnée par la société Toyota quant à l'utilisation par les différents ateliers d'un même site ;
Considérant que le cahier de charges fonctionnel du 2 décembre 2007 ne définit pas ce qu'est un site ; qu'il prévoit le déploiement sur " tous les postes d'un même site (sans limite) " ; que le projet de contrat de prestation de services, non signé, fait état en son article 11 de la possibilité d'utiliser le logiciel " sur tous les postes d'un même site (sans limite) " ; que ce projet définit le site comme " l'atelier d'un concessionnaire agréé et/ou réparateur agréé Toyota ou Lexus abrité au sein d'un même bâtiment ou d'une même parcelle " ;
Considérant que dès lors il apparaît que, si plusieurs postes peuvent utiliser le même logiciel sur un même site et ce de façon illimitée, en revanche, cette utilisation est limitée à un seul atelier ; qu'en conséquence la présence dans une même concession de plusieurs ateliers supposant en outre un paramétrage différent, comme l'établit l'échange d'email des 27 et 29 novembre 2007 entre M. Giguet de la société Toyota et M. Bogatzky de la société 3D Soft, caractérise l'existence de plusieurs sites, chaque atelier devant faire l'objet d'une facturation ; que l'échange de mail du 7 mars 2011 entre M. Bogatzky de la société 3D Soft et Mme Martin Mussa de la société Toyota n'est pas probant pour établir un quelconque accord de la société 3D Soft sur une facturation par concession, la société 3D Soft n'ayant en aucun cas approuvé la facturation d'une seule utilisation de logiciel par concession et s'étant au contraire étonnée de la différence de nombre de sites facturés et du nombre d'utilisateurs ;
Considérant cependant que la société Toyota établit que le nombre de 252 sites n'est pas exact, même en comptant un site par atelier ; qu'il y a lieu de déduire les sites que l'huissier a intitulé Lexus et qui sont installés et utilisent les mêmes ateliers que les sites Toyota ; que seront également exclus du décompte les sites qui sont manifestement comptés deux fois (ex Saint Herblain après-vente et Saint Herblain commercial) que seront au contraire dénombrés les sites dans lesquels sont installés des ateliers distincts (carrosserie, peintures) ; qu'ainsi 12 sites seront déduits des 252 sites dénombrés par l'huissier, soit un solde de 240 ;
Considérant que la société 3D Soft est donc bien fondée à demander le paiement de 25 utilisateurs supplémentaires aux premier et deuxième trimestres 2012, à 95,51 euro par mois et par utilisateur, soit 2 387,75 euro par mois, soit 14 326,50 euro pour le premier semestre 2012 ; que pour les années précédentes la société 3D Soft produit un tableau mentionnant par exemple 45 sites facturés au 1er trimestre 2010 au lieu des 111 sites qui auraient dû être facturés ; que cependant aucune explication n'est donnée sur la façon dont ce chiffre a été atteint et aucune pièce ne met la cour en mesure de le vérifier ; que la société 3D Soft sera donc déboutée de cette demande ;
Sur la demande de dommages-intérêts:
Considérant que la société 3D Soft demande la condamnation de la société Toyota à lui payer la somme de 50 000 euro à titre de dommages-intérêts ; qu'elle reproche au tribunal de commerce de Nanterre de l'avoir déboutée de cette demande alors qu'il aurait dû se déclarer incompétent comme il s'était déclaré incompétent pour connaître de la question de la rupture abusive du contrat ;
Considérant que, tout en se déclarant incompétent pour connaître de la demande de dommages-intérêts fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce, les premiers juges ont, dans le dispositif de la décision, débouté la société 3D Soft de sa demande ;
Considérant que l'inapplication des règles de L. 442-6 du Code de commerce est sanctionnée par une fin de non-recevoir et non par une incompétence ; que la demande en paiement de dommages-intérêts sera donc déclarée irrecevable, le jugement étant infirmé en ce qu'il a débouté la société 3D Soft de cette demande ;
Par ces motifs La COUR, Statuant par arrêt contradictoire, Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre du 26 avril 2013, en ce qu'il a débouté la société 3D Soft de sa demande en paiement des deux factures d'un montant de 130 748,97 euro chacune au titre de la facturation supplémentaire des 1er et 2e trimestres 2012 au titre d'un supplément de prix par licences, en ce qu'il a débouté la société 3D Soft de sa demande en règlement d'une facture complémentaire de 190 199,88 euro, au titre de la facturation de sites supplémentaires pour la période antérieure au 1er janvier 2012, l'Infirme pour le surplus, et statuant à nouveau des chefs infirmés, Dit irrecevable la demande en paiement d'une somme de 50 000 euro à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, Condamne la société Toyota France à payer à la société 3D Soft la somme de 14 326,50 euro représentant un complément de factures due au titre de la facturation de sites supplémentaires pour les 1er et 2e trimestres 2012, Condamne la société Toyota France à payer à la société 3D Soft la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Toyota France aux dépens de première instance et d'appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.