ADLC, 11 décembre 2015, n° 15-DCC-167
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à la prise de contrôle exclusif de Sofinther par Rexel France
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 9 novembre 2015, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Sofinther par la société Rexel France, formalisée par un contrat de cession d'actions en date du 4 septembre 2015 ;
Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. Rexel France est une filiale du groupe Rexel. Le groupe Rexel (ci-après, " Rexel ") est actif principalement dans la distribution de matériel électrique. Il commercialise sept familles de produits auprès des professionnels : équipements d'installation électrique, conduits et câbles, éclairage, sécurité et communication, génie climatique, produits blancs et bruns et outillage. Rexel est également présent en France dans le secteur de la distribution de produits de sanitaire, chauffage et climatisation (ci-après, " produits Sacha "). Il distribue à travers ses enseignes les familles de produits suivantes : plomberie, chauffage et climatisation. Rexel dispose d'environ 470 points de vente en France.
2. Sofinther est une société spécialisée dans la distribution de produits Sacha, à l'exception des produits sanitaires autres que les produits de robinetterie et plomberie, auprès des professionnels. Elle dispose de 24 agences sur l'ensemble du territoire national. Sofinther est une société familiale [confidentiel].
3. L'opération notifiée, formalisée par la signature d'un contrat de cession d'actions signé entre les sociétés RAF et Rexel France le 4 septembre 2015, consiste en l'acquisition par Rexel France de l'intégralité des actions de Sofinther. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de Sofinther par le groupe Rexel, l'opération notifiée constitue une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
4. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaire hors taxe total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euro (Rexel : 13,1 milliards d'euro pour l'exercice clos le 31 décembre 2014 ; Sofinther : 105,5 millions d'euro pour l'exercice clos le 31 août 2014). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d'affaire supérieur à 50 millions d'euro (Rexel : 2,6 milliards d'euro pour le même exercice ; Sofinther : 105 millions d'euro pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
5. Les parties sont simultanément actives sur les marchés des produits Sacha. Sur ces marchés, les parties sont à la fois présentes à l'amont, en qualité d'acheteurs de matériaux auprès de fabricants, et à l'aval sur le marché du négoce spécialisé. Rexel est également actif sur le marché connexe du négoce de produits électriques.
A. MARCHÉS DE PRODUITS ET DE SERVICES
1. LES MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT EN PRODUITS SACHA
6. De manière constante, la pratique décisionnelle nationale (1) distingue en matière de matériaux de construction autant de marchés qu'il existe de familles de produits. La structure de l'offre, la dynamique tarifaire ou encore les contraintes de fabrication peuvent, en effet, sensiblement varier d'une famille de produit à l'autre et les fournisseurs sont généralement actifs uniquement sur une voire deux de ces familles. Quatre familles de produits ont été distingués : (i) les produits de sanitaire, (ii) les produits de chauffage, (iii) les produits de climatisation et (iv) les produits de plomberie.
7. En matière de produits Sacha, la Commission européenne (2) a envisagé un marché global de l'approvisionnement en produits de sanitaire, chauffage et plomberie.
8. En l'espèce, dans la mesure où quelle que soit l'hypothèse retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées, la question de la délimitation précise des marchés amont de l'approvisionnement en produits Sacha peut rester ouverte.
2. LE MARCHÉ AVAL DU NÉGOCE SPÉCIALISÉ EN PRODUITS SACHA
9. Au sein du marché de négoce de matériaux de construction, l'Autorité a identifié un marché distinct du négoce spécialisé en produits Sacha à destination des professionnels (3).
10. La pratique décisionnelle a, en effet, établi une distinction entre les négociants " généralistes " et les " spécialistes " dans la mesure où la profondeur de gammes de matériaux distribués diffère entre ces deux canaux de distribution (4). L'offre des négociants " généralistes " porte sur un assortiment complet de gammes de produits et s'adresse à l'ensemble des acteurs aval du secteur de la construction. Les négociants " spécialisés ", dont l'offre est centrée sur une famille de produits, proposent pour leur part des gammes plus profondes et une expertise plus poussée sur des lignes de produits particuliers.
11. De plus, s'agissant du négoce de produits Sacha, celui-ci a vocation à répondre aux besoins spécifiques d'une catégorie particulière de clients, à savoir les plombiers et les chauffagistes (5). Ceux-ci s'approvisionnent généralement dans ces points de vente spécialisés, dont les plus importants ont parfois plus de 200 000 produits référencés. Ils y bénéficient souvent de comptes professionnels et de services, telles que des études de dimensionnement, et disposent d'espaces d'exposition (" showrooms ") pour montrer les produits aux clients finaux. Enfin, ils emportent leurs commandes sur place (parfois sur leur trajet vers les chantiers) ou se les font livrer sur leur lieu de travail.
12. En l'espèce, les parties n'ont pas remis en cause cette délimitation. Dès lors, les effets de l'opération seront analysés sur un marché du négoce spécialisé en produits Sacha.
3. LE MARCHÉ AVAL DU NÉGOCE SPÉCIALISÉ EN PRODUITS ÉLECTRIQUES
13. En matière de distribution de produits électriques aux professionnels, la pratique décisionnelle des autorités de concurrence européenne et nationale (6) n'opère pas de distinction entre les différentes familles de produits électriques car tous les distributeurs proposent l'ensemble des familles de produits afin de répondre à l'intégralité des besoins de leur clientèle.
14. En revanche, comme pour le négoce de produits Sacha, l'Autorité a identifié un marché distinct du négoce spécialisé en produits électriques (7). En effet, les grossistes " généralistes " ne proposent pas une offre de matériel électrique comparable à celle proposée par les " spécialistes " en termes de gamme, de prix et de conseil, même si les " généralistes " peuvent exercer une pression concurrentielle importante sur les " spécialistes " en ce qui concerne les produits les plus basiques. De plus, les clients professionnels s'approvisionnent généralement exclusivement auprès des négoces " spécialistes ".
15. L'analyse concurrentielle sera donc menée sur le marché du négoce spécialisé en produits électriques.
B. DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE
16. S'agissant des marchés amont, la pratique décisionnelle (8) considère que les marchés de l'approvisionnement en produits Sacha sont de dimension au moins nationale. Il n'y a pas lieu de remettre en cause cette définition dans le cadre de la présente opération.
17. S'agissant des marchés aval, l'Autorité de la concurrence a analysé les marchés du négoce en produits Sacha et électriques à la fois au niveau local et au niveau national.
18. Au niveau local, la pratique décisionnelle a établi que les trajets réalisés par les consommateurs de matériaux de construction varient en fonction du degré de spécialisation du point de vente concerné. En matière de produits Sacha, la pratique nationale (9) a relevé que " les grossistes en sanitaire-chauffage livrant les matériaux aux professionnels le font dans un rayon allant de 40 à 60 kilomètres, d'une part, et que les professionnels souhaitent que leur grossiste ne soit pas à plus d'une demi-heure de trajet ", retenant ainsi une dimension départementale. Pour les produits électriques, la pratique décisionnelle (10) a pris en compte des zones de chalandise d'un rayon de 30 kilomètres.
19. Elle a également constaté que la dimension géographique des marchés de la distribution spécialisée de produits Sacha et électriques varie en raison de deux principaux facteurs. En premier lieu, les spécificités géographiques propres à chaque zone de chalandise (densité urbaine, zone de montagnes, etc.) influent fortement à la fois sur l'implantation des points de vente et sur les temps de trajet. Il convient en second lieu de prendre en compte les habitudes de livraison. Ainsi, le comportement réel des consommateurs sur une zone donnée peut être précisé avec les données collectées par les points de vente sur la localisation réelle de leurs clients. Il est généralement considéré que la zone de chalandise d'un point de vente peut être limitée à celle qui regroupe les clients représentant 80 % du chiffre d'affaires du point de vente ou 80 % des clients du point de vente, en fonction des données disponibles (11). Le solde est considéré comme une clientèle ponctuelle et non significative, parfois d'ailleurs très éloignée du point de vente.
20. En l'espèce, la partie notifiante a été en mesure d'identifier autour de chaque point de vente de Sofinther, une zone de chalandise comprenant les communes les plus proches permettant de capturer 80 % du chiffre d'affaires du point de vente.
21. La pratique antérieure a par ailleurs relevé que, concernant les négoces spécialisés en produits Sacha et électriques, certains éléments de l'analyse peuvent être examinés dans un contexte plus large que le seul niveau local (12). En effet, plusieurs paramètres concurrentiels peuvent être évalués au niveau national, notamment en raison de la présence de groupes de distribution présents sur l'ensemble du territoire français et disposant d'une large couverture de points de vente sous enseigne commune.
22. En conséquence, les positions des acteurs sur les marchés aval seront examinées au niveau national, et au niveau local selon la méthodologie exposée ci-dessus.
III. Analyse concurrentielle
A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX
1. MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT EN PRODUITS SACHA
23. A l'issue de l'opération, la nouvelle entité détiendra une part de la demande de [0-5] %, quel que soit le segment de marché concerné. Les fournisseurs disposeront de nombreux débouchés alternatifs, constitués de la demande des négociants spécialistes concurrents des parties, des négociants généralistes et des grandes surfaces de bricolage, mais également des ventes directes aux professionnels, qui représentent plus de 30 % des ventes des fabricants.
24. Dès lors, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur le marché amont de l'approvisionnement en produits Sacha par le biais d'effets horizontaux.
2. MARCHÉ AVAL DU NÉGOCE SPÉCIALISÉ EN PRODUITS SACHA
25. L'incidence de l'opération est examinée successivement aux niveaux national (a) et local (b).
Analyse concurrentielle au niveau national
26. A l'issue de l'opération, la nouvelle entité détiendra une part de marché de [0-5] % au niveau national, loin derrière les deux principaux acteurs du marché que sont les groupes Saint-Gobain ([20-30] %) et Comafranc ([10-20] %).
27. L'opération n'est donc pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur le marché du négoce spécialisé en produits Sacha par le biais d'effets horizontaux au niveau national.
Analyse concurrentielle au niveau local
28. Au niveau local, les activités des parties se chevauchent dans 23 zones. Dans 21 de ces zones, la part de marché de la nouvelle entité ne dépassera pas [5-10] % et l'incrément de part de marché qu'entraîne l'opération sera inférieur à [0-5] %.
29. Dans les zones autour des agences Sofinther du Mans et de Chartres, la nouvelle entité disposera de parts de marché de respectivement [10-20] % et [10-20] %. Toutefois, dans ces deux zones, l'incrément de part de marché résultant de l'opération sera inférieur à [0-5] %. La nouvelle entité fera en outre face à la concurrence de plusieurs points de vente de Comafranc et Cédéo (groupe Saint-Gobain).
30. Dès lors, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché du négoce spécialisé en produits Sacha par le biais d'effets horizontaux au niveau local.
B. ANALYSE DES EFFETS CONGLOMERAUX
31. Une concentration est susceptible d'entraîner des effets congloméraux lorsque la nouvelle entité étend ou renforce sa présence sur des marchés présentant des liens de connexité avec d'autres marchés sur lesquels elle détient un pouvoir de marché. Les lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relèvent toutefois qu'il est peu probable qu'une concentration entraîne un risque d'effet congloméral si la nouvelle entité ne bénéficie pas d'une forte position sur un marché à partir duquel elle pourra faire jouer un effet de levier et renvoient, à cet égard, à un seuil de 30 % de parts de marché.
32. Au cas d'espèce, il existe un lien de connexité entre le marché du négoce spécialisé de produits Sacha, sur lequel Sofinther et Rexel sont simultanément actives, et le marché du négoce de produits électriques, sur lequel Rexel est seule présente. Sur le marché du négoce spécialisé en produits électriques, Rexel détient une part de marché de [30-40] % au niveau national. La nouvelle entité pourrait donc s'appuyer sur cette position forte pour renforcer sa position sur le marché du négoce spécialisé en produits Sacha. Les éléments au dossier permettent toutefois d'écarter la possibilité, pour le nouvel ensemble, de mettre en œuvre un comportement d'éviction par le biais de ventes liées.
33. Il convient tout d'abord de souligner que Rexel est déjà présente sur le marché du négoce spécialisé en produits Sacha et que sa position sur le marché du négoce en produits électriques, qui ne sera pas renforcée à l'issue de l'opération, ne lui a pas permis de développer des parts de marchés significatives sur le marché du négoce en produits Sacha. Ces parts de marché sont en effet inférieures à [0-5] % au niveau national et dans les zones d'activités de Sofinther au niveau local (à l'exception de la zone autour de l'agence Sofinther de Brest où la part de marché de Rexel atteint néanmoins seulement [5-10] %).
34. Ensuite, les principaux négociants en matériel électrique concurrents de Rexel (Sonepar, Socoda et CEF) disposent également d'une gamme de produits Sacha, leur permettant de combiner leurs offres en matériel électrique avec des produits Sacha. De la même manière, les principaux acteurs de la distribution de produits Sacha (Saint-Gobain et Comafranc notamment) offrent également du matériel électrique et sont donc en mesure de proposer des offres combinées.
35. Au niveau local, dans les zones de chalandise où les activités des parties se recoupent, il existe dans chaque zone au moins deux négociants en matériel électrique concurrents de Rexel disposant d'une gamme de produits Sacha et deux distributeurs de produits Sacha concurrents des parties offrant également du matériel électrique.
36. En conséquence, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets congloméraux.
DECIDE
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 15-166 est autorisée.
Notes :
1 Décisions n°10-DCC-03 du 12 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe MAFART par la société ANCS (groupe Accueil), n° 12-DCC-41 du 23 mars 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Brossette par la société Point P et n° 15-DCC-145 du 27 octobre 2015 relative à la prise de contrôle conjoint de Anjac CSI SA par Tereva SAS aux côtés de la société Anjac SA.
2 Décision de la Commission européenne n°COMP/M.3184, Wholseley / Pinault Bois & Matériaux du 3 juillet 2003.
3 Décision n° 12-DCC-41 et n° 15-DCC-145, précitées.
4 Décision de la Commission européenne n° COMP/M.3184, précitée ; Lettres du Ministre de l'économie en date du 24 décembre 2003, aux conseils de la société Point P SA relative à une concentration dans le secteur des matériaux de construction, et du 13 mars 2006 précitée ; et décisions de l'Autorité n° 09-DCC-11, n° 10-DCC-03 et n° 12-DCC-41 précitées.
5 Décision n° 12-DCC-41 et n° 15-DCC-145, précitées.
6 Décision de la Commission européenne n° COMP/M.5029 du 8 février 2008, Sonepar / Rexel Germany ; Lettre du ministre de l'économie du 9 mai 2003 aux conseils de la société Sonepar précité ; Décisionsde l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-65 du 29 juin 2010 relative à la prise de contrôle exclusif de la société C3F par la société Sonepar France et n° 12-DCC-46 du 3 avril 2012 relative à la prise de contrôle des fonds de commerce de la société SCT Toutelectric par le groupe Rexel.
7 Décision n° 12-DCC-46, précitée.
8 Décisions n° 10-DCC-03, n° 12-DCC-41 et n° 15-DCC-145, précitées.
9 Décisions n° 12-DCC-41 et n° 15-DCC-145, précitées.
10 Décision n° 12-DCC-46, précitée.
11 Décisions n° 12-DCC-41, n° 12-DCC-46 et n° 15-DCC-145, précitées.
12 Lettre du 27 janvier 2003, précitée ; décisions n° 12-DCC-41, n° 12-DCC-46 et n° 15-DCC-145, précitées.