Commission, 22 juin 2011, n° 39525
COMMISSION EUROPÉENNE
Résumé de la décision
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Telekomunikacja Polska
1. INTRODUCTION
(1) Le 22 juin 2011, la Commission a adopté une décision relative à une procédure d'application de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dont le destinataire était Telekomunikacja Polska S.A. ("TP"), une société de télécommunications appartenant au groupe Telekomunikacja Polska. Conformément aux dispositions de l'article 30 du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil (1), la Commission publie ci-après le nom de la partie concernée et l'essentiel de la décision, y compris les éventuelles sanctions infligées, en tenant compte de l'intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d'affaires ne soient pas divulgués.
2. PRÉSENTATION DE L'AFFAIRE
2.1. Procédure
(2) Le 17 avril 2009, la Commission a décidé d'ouvrir une procédure dans la présente affaire au sens de l'article 2, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 773-2004 du Conseil et de l'article 11, paragraphe 6, du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil. Au cours de l'enquête, la DG Concurrence a envoyé plusieurs demandes de renseignements, conformément à l'article 18 du règlement (CE) n° 1-2003, à TP, aux opérateurs alternatifs qui ont acheté des produits d'accès en gros à l'internet haut débit de TP ou étaient intéressés par l'achat de tels produits et à l'organisme polonais de régulation compétent pour les télécommunications (Office polonais des communications électroniques - UKE).
(3) Le 26 février 2010, la Commission a adopté une communication des griefs dans laquelle elle a estimé dans un premier temps que TP occupait une position dominante sur les marchés en cause et qu'elle avait abusé de sa position dominante en refusant de fournir aux opérateurs alternatifs ses produits d'accès en gros à l'internet haut débit, entravant ainsi le développement de la concurrence sur le marché de détail du haut débit en Pologne. TP a présenté sa réponse à la communication des griefs le 2 juin 2010.
(4) Conformément à l'article 27, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1-2003, TP a demandé à faire connaître son point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission. Une audition a eu lieu le 10 septembre 2010.
(5) Le 28 janvier 2011, la Commission a envoyé à TP un courrier attirant son attention sur un certain nombre d'éléments de preuve concernant les griefs qu'elle avait formulés, précisant qu'elle pourrait utiliser lesdits griefs dans une éventuelle décision finale ("exposé des faits"). Le 7 mars 2011, TP a présenté sa réponse écrite au courrier du 28 janvier 2011 ("réponse à l'exposé des faits").
(6) L'accès au dossier a été accordé à TP le 9 mars 2010, après la communication des griefs. En outre, TP a eu accès à tous les nouveaux documents du dossier le 28 janvier 2011, en même temps que l'exposé des faits.
(7) Le comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes a émis des avis favorables les 10 juin et 20 juin 2011.
2.2. Les marchés en cause
(8) Sur la base de l'analyse de la demande, de la substituabilité au niveau de l'offre et des contraintes concurrentielles, la Commission a identifié trois marchés de produits en cause:
- le marché de gros de l'accès à large bande ("le marché de l'accès haut débit"),
- le marché de gros de l'accès (physique) aux infrastructures de réseau (y compris l'accès partagé ou totalement dégroupé) en position déterminée ("le marché de gros du dégroupage de la boucle locale") et
- le marché de masse de détail, qui est le marché en aval des produits à haut débit standard offerts en position déterminée par les opérateurs de télécommunications à leurs propres utilisateurs finaux, qu'ils soient fournis par DSL, modem câble, LAN/WLAN ou toute autre technologie telle que FTTx, CDMA, WiMAX, FWA et satellite. Le marché de détail en cause exclut les services mobiles à haut débit. TP n'a pas contesté la définition des marchés de produits en cause donnée par la Commission.
(9) Le marché géographique en cause couvre l'ensemble du territoire de la Pologne.
2.3. Position dominante
(10) TP est l'unique fournisseur des offres de gros LLU (dégroupage de la boucle locale) et BSA (accès haut débit) en Pologne. Par conséquent, sur les marchés de gros, TP possède une part de marché de 100 %.
(11) Pendant la période couverte par la présente décision, TP détenait également des parts de marché élevées sur le marché de détail. En termes de recettes, les parts de marché de TP se situaient dans une fourchette comprise entre 46 et 57 %, tandis qu'en termes de nombre de lignes, elles étaient de l'ordre de 40 à 58 %. En outre, la présence sur le marché de PTK (filiale de TP) renforce la position du groupe TP sur le marché de détail.
(12) De surcroît, il existe des barrières importantes à l'entrée et à l'expansion sur les marchés en cause. Elles découlent du fait que la reproduction du réseau de TP n'est pas économiquement viable. Parmi les autres barrières figurent les investissements et coûts irrécupérables, une différenciation limitée des produits et des prix ainsi que l'absence de puissance d'achat compensatrice. Les barrières importantes à l'entrée et à l'expansion cadrent avec la structure de marché observée, où tous les concurrents de TP se disputent une petite part de marché, atteignant 9 % (en termes de nombre de lignes) dans le cas de Netia, le principal concurrent DSL de TP.
2.4. Résumé de l'infraction
(13) La décision établit que TP a abusé de sa position dominante sur les marchés polonais de l'accès à large bande en refusant de donner accès à son réseau et de fournir les produits de gros BSA et LLU. L'infraction a débuté le 3 août 2005, date à laquelle les premières négociations d'accès ont commencé, et a duré au moins jusqu'au 22 octobre 2009 lorsque, après l'ouverture d'une procédure par la Commission, un accord a été signé entre TP et l'UKE, ce qui a entraîné une nette amélioration de la situation sur le marché.
(14) TP a mis au point une stratégie visant à limiter la concurrence à tous les stades du processus d'accès à ses produits de gros. Plusieurs documents internes de TP prouvent l'existence d'une telle stratégie.
(15) Les pratiques de TP ont eu un effet cumulé sur les opérateurs alternatifs, qui ont rencontré des obstacles à chaque étape du processus d'accès aux produits de gros de TP. Les informations recueillies montrent que TP:
- proposait des conditions déraisonnables régissant l'accès des opérateurs alternatifs aux produits de gros haut débit;
- retardait le processus de négociation;
- limitait l'accès à son réseau;
- limitait l'accès aux lignes d'abonnés;
- refusait de fournir les informations générales exactes et fiables indispensables aux opérateurs alternatifs.
2.4.1. Conditions déraisonnables
(16) Les contrats standard de TP, qui servaient de base pour les négociations BSA et LLU, contenaient des dispositions qui étaient désavantageuses pour les opérateurs alternatifs et ne satisfaisaient même pas aux critères minimaux établis dans les offres de référence correspondantes imposées par l'UKE. Malgré l'élaboration de plusieurs projets révisés de contrat standard de TP, les propositions de TP qui en ont résulté ne reflétaient toujours pas les règles minimales relatives aux offres de référence. Le pouvoir de négociation très limité des opérateurs alternatifs vis-à-vis de TP aggravait leur situation. Les opérateurs alternatifs étaient contraints d'accepter les propositions de TP ou d'abandonner les négociations. En conséquence, l'UKE a dû régulièrement intervenir en imposant à TP des décisions qui entraînaient la suppression des clauses contractuelles défavorables.
2.4.2. Tactiques dilatoires aux différentes étapes du processus de négociation
(17) TP a, tout au long du processus de négociation, utilisé diverses tactiques dilatoires qui, dans 70 % des cas, ont débouché sur des négociations très longues. Ces tactiques dilatoires comprenaient au moins les éléments suivants:
- le retardement du début des négociations par l'envoi des projets de contrats avec d'importants retards,
- de nouveaux retards à l'étape de la négociation des clauses contractuelles,
- le fait que les représentants de TP ne possédaient pas la compétence requise pour engager l'opérateur historique,
- le retardement de la signature des contrats.
(18) Outre les problèmes rencontrés par les opérateurs alternatifs aux différentes étapes des négociations d'accès, TP ne répondait pas à leurs propositions pendant les négociations mais essayait plutôt d'imposer son point de vue. La décision montre que la marge de négociation était limitée. Dans un certain nombre de cas, les opérateurs alternatifs ont dû soit accepter les propositions de TP, soit en référer à l'UKE ou bien abandonner l'idée de fournir des services de détail à haut débit.
2.4.3. Accès limité au réseau de TP
(19) TP a également créé des entraves au stade de l'accès des opérateurs alternatifs à son réseau pour les produits BSA et LLU. TP a notamment rejeté un grand nombre de commandes d'opérateurs alternatifs pour des motifs formels et techniques. Les rejets étaient essentiellement dus à deux facteurs: i) des conditions de forme superflues imposées par TP pour l'exécution des commandes, et ii) des rejets non justifiés, combinés à un manque de solutions de remplacement au moins jusqu'en 2007.
(20) De plus, TP présentait des estimations de coût exagérément élevées pour la colocalisation LLU de sorte que, dans un très grand nombre de cas, les opérateurs alternatifs n'avaient finalement pas accès aux localisations, malgré le résultat positif de la vérification technique. Par ailleurs, TP a retardé l'exécution des commandes et effectué certains travaux de colocalisation avec des retards.
(21) La décision montre que TP a appliqué des conditions plus favorables à sa filiale PTK, avec laquelle elle a étroitement coopéré.
2.4.4. Accès limité aux lignes d'abonnés
(22) TP a également entravé l'accès des opérateurs alternatifs aux abonnés, en rejetant un nombre important de leurs commandes pour des motifs formels et techniques. Seule PTK, la filiale de TP, a bénéficié d'un taux de rejet inférieur. Deux facteurs étaient à l'origine de ces rejets: i) l'utilisation de données obsolètes de TP pour vérifier les commandes d'opérateurs alternatifs et ii) un mécanisme de vérification défaillant du côté de TP.
(23) De surcroît, les opérateurs alternatifs étaient confrontés au problème de la disponibilité limitée des lignes d'abonnés, lié au défaut de fourniture des services d'accès haut débit sur les lignes WLR (Wholesale Line Rental - location de lignes en gros) et aux retards dans la réparation des lignes défectueuses. Dans la pratique, TP empêchait les opérateurs alternatifs de faire passer au haut débit leurs clients à bas débit, limitant ainsi leur capacité d'expansion et de croissance sur le marché de détail de l'accès haut débit.
(24) Enfin, TP a retardé de manière importante la mise en œuvre de commandes d'opérateurs alternatifs pour des lignes d'abonnés. Ces retards ont été principalement causés par l'insuffisance des ressources consacrées aux services réglementés du côté de TP, le manque d'expérience, l'absence d'interprétation claire du mode de mise en œuvre du processus, une répartition floue des compétences entre les unités internes de TP et un support informatique insuffisant. Les retards dans la mise en œuvre des commandes se sont maintenus jusqu'à la fin de l'année 2007 dans le cas de l'accès haut débit et jusqu'à la fin du premier trimestre 2008 en ce qui concerne le dégroupage de la boucle locale.
2.4.5. Refus de fournir les informations générales exactes et fiables indispensables aux opérateurs alternatifs
(25) TP n'a pas fourni aux opérateurs alternatifs les informations générales fiables dont ils ont besoin pour prendre une décision éclairée concernant l'accès aux produits de gros à haut débit de TP dans des endroits spécifiques, ou leur a fourni des informations inexactes. Les opérateurs alternatifs ont rencontré les obstacles suivants du côté de TP:
- les informations générales communiquées par TP étaient souvent incorrectes et incomplètes;
- TP a communiqué les données dans un format (tel que papier ou pdf scanné) difficile à traiter;
- TP n'a pas fourni une interface informatique facilitant un accès efficace des opérateurs alternatifs aux informations sur l'accès haut débit et le dégroupage de la boucle locale et permettant le traitement des commandes.
(26) Les obstacles du côté de TP s'inscrivent dans la stratégie de l'opérateur historique consistant à bloquer l'accès des opérateurs alternatifs aux informations. Le caractère incomplet et peu fiable des informations générales communiquées par TP a entraîné des coûts accrus pour les opérateurs alternatifs et l'incapacité de mettre en œuvre leurs plans commerciaux.
(27) En outre, la décision montre que TP a fourni à PTK des canaux d'information et des informations supplémentaires, auxquels les autres opérateurs alternatifs n'avaient pas accès. De cette façon, le processus d'obtention des informations générales était plus rapide et moins onéreux pour PTK, ce qui a permis à cette dernière d'enregistrer un nombre de rejets de commandes plus réduit. Cela montre également que TP aurait pu améliorer la qualité des informations générales et les canaux d'information, mais qu'elle a refusé de recourir à cette possibilité vis-à-vis d'opérateurs alternatifs autres que sa filiale PTK.
2.5. Incidences probables sur la concurrence et les consommateurs
(28) La décision démontre que le comportement abusif de TP sur le marché de gros était de nature à restreindre la concurrence sur le marché de détail. Il ressort de données empiriques que le refus de fourniture de TP était susceptible de réduire le taux d'entrée et d'expansion des concurrents sur le marché de détail des services DSL et que TP demeure le principal fournisseur DSL sur le marché de détail. Le faible nombre de boucles locales dégroupées est un indicateur révélateur de l'effet probable produit par le refus de TP de fournir un accès à ses produits de gros, retardant l'augmentation de la concurrence et par conséquent le développement d'infrastructures alternatives.
(29) La décision établit également que le refus de fourniture de TP était susceptible d'avoir des conséquences néfastes pour les utilisateurs finals, ce dont témoignent une faible pénétration du haut débit, des prix d'accès haut débit élevés et des vitesses moyennes de connexion haut débit inférieures. En janvier 2010, le taux de pénétration du haut débit en Pologne n'atteignait que 13,5 %, ce qui constitue l'un des résultats les plus faibles en Europe et un pourcentage nettement inférieur à la moyenne de l'Union (24,88 %).
2.6. Absence de justifications objectives et de gains d'efficacité
(30) TP a nié l'existence de l'abus. Elle a admis certaines difficultés dans la fourniture d'un accès à ses produits de gros à haut débit, notamment en 2006 et 2007, mais a soutenu que ces difficultés pouvaient s'expliquer par les efforts techniques qu'elle avait dû consentir en un laps de temps très court pour s'adapter au nouvel environnement réglementaire. TP a fait valoir qu'elle a dû gérer simultanément plusieurs projets relatifs à divers services de gros et a rencontré des difficultés à développer des systèmes informatiques appropriés et à trouver des ressources humaines pour exécuter certains d'entre eux.
(31) La décision expose les raisons pour lesquelles les arguments de TP ne sont pas acceptables. Le dossier comprend des preuves solides du comportement d'éviction de TP. Des documents internes contemporains de TP confirment que sa stratégie était destinée à entraver l'accès des opérateurs alternatifs à son réseau. L'opérateur historique a eu beaucoup de temps pour préparer ses ressources internes et ses systèmes informatiques à ses obligations à venir en matière d'accès (imposées en 2005 pour le dégroupage de la boucle locale et en 2006 pour l'accès haut débit). TP avait connaissance de ces obligations au moins depuis 2003, lorsque le droit polonais sur les télécommunications l'a désigné comme opérateur PSM (ayant une "puissance significative sur le marché"). La signature de l'accord avec l'UKE en octobre 2009 et l'amélioration du traitement des opérateurs alternatifs qui s'est ensuivie prouvent que TP aurait pu appliquer des conditions d'accès efficaces plus tôt.
2.7. Calcul de l'amende
(32) L'amende a été calculée sur la base de la valeur moyenne des ventes effectuées par TP dans les années 2005-2009 auxquelles l'infraction se rapporte directement ou indirectement. Dans le cas présent, la Commission a estimé que la valeur des ventes de produits internet en Pologne, tant en gros qu'au détail, était directement liée à l'infraction.
(33) La Commission a tenu compte de la gravité et de la durée de l'infraction. Elle a pris en considération, entre autres, le fait que le refus de fourniture avait déjà été condamné par elle-même et les juridictions européennes, que les marchés en cause présentent une importance économique considérable, que les opérateurs alternatifs sont tributaires des infrastructures de TP et que TP était consciente de l'illégalité de son comportement. Aucune circonstance atténuante ou aggravante n'a été relevée en l'espèce.
3. DISPOSITIF DE LA DÉCISION
(34) La décision établit que TP a commis une infraction unique et continue à l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à compter du 3 août 2005 jusqu'au 22 octobre 2009 au moins, en refusant d'octroyer un accès à ses produits d'accès en gros à haut débit.
(35) Une amende de 127 554 194 euro a été infligée à TP pour cette infraction.
(36) TP est sommée de mettre fin immédiatement à l'infraction, si elle ne l'a pas déjà fait. TP est tenue de s'abstenir dorénavant de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou analogue à celui visé par la présente procédure.
Notes :
(1) JO L 1 du 04-01-2003, p. 1.