CA Douai, 2e ch. sect. 2, 4 février 2016, n° 14-00066
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Les Délices du Gers (SARL)
Défendeur :
Tisserand (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Fontaine
Conseillers :
Mmes Andre, Cordier
Avocats :
Mes Robert, Boudry
Faits et procédure :
Par acte du 17 septembre 2009, la société SARL Les délices du Gers a cédé son fonds de commerce de vente de produits fins, épicerie fine, achat et vente de produits alimentaires, vins, alcools et tous articles complémentaires, exploité à [...], sous diverses conditions notamment un prix de cession de 280 000 euro.
Il était prévu une réitération au plus tard le 31 octobre 2009. Un avenant a prorogé le délai au 28 novembre 2009.
Par lettre recommandée en date du 17 août 2010, la SARL Les délices du Gers a mis en demeure M. et Mme Tisserand de régulariser l'acte de vente.
Par courrier du 11 décembre 2010, renouvelé en janvier 2011, la société Les délices du Gers, après avoir demandé qu'il soit justifié des conditions suspensives éventuellement non remplies, et ce sans succès, se prévalait de la validité de l'acte.
Par exploit du 23 mai 2011, la SARL Les délices du Gers a assigné les époux Tisserand aux fins de voir déclarer valide la cession de fonds de commerce.
Par jugement contradictoire et en premier ressort en date du 9 octobre 2013, le Tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a :
- dit satisfactoire la communication par M.et Mme Tisserand des pièces établies par la société Littoral France,
- débouté la SARL Les délices du Gers de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.
- déclaré caducs l'acte de cession de fonds de commerce du 17 septembre 2009 et l'avenant subséquent du 30 octobre 2009,
- débouté M.et Mme Tisserand Lejeune du surplus de leurs demandes,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné la SARL Les délices du Gers en tous les frais et dépens de l'instance.
Par déclaration au greffe en date du 3 octobre 2014, la SARL Les délices du Gers a interjeté appel du jugement précité.
Prétentions des parties
Par conclusions récapitulatives signifiées par voie électronique le 12 janvier 2015, la SARL Les délices du Gers demande à la cour de :
- infirmer la décision entreprise,
- au visa de l'article 1134 et des dispositions contractuelles :
- dire valide le compromis du 17 septembre 2009 réitéré le 31 octobre 2009,
- dire valide la cession du fonds de commerce exploité [...], dont les références sont reprises dans le présent acte par la société Les délices du Gers au profit de M.et Mme Tisserand,
- en conséquence, les condamner au paiement du prix de cette vente de 280 000 euro et ce, avec intérêts calculés au taux légal à compter du 26 février 2010 ;
- condamner M.et Mme Tisserand à payer à la société les Délices du Gers des dommages et intérêts complémentaires pour résistance abusive à hauteur de 40 000 euro ;
- subsidiairement, constater la faute contractuelle des époux Tisserand et les condamner au paiement d'une somme de 320 000 euro correspondant au préjudice de la société concluante du fait de l'absence de réalisation de la vente du fonds de commerce,
- très subsidiairement, enjoindre les époux Tisserand d'avoir à communiquer les demandes de prêt en vue de l'acquisition du fonds de commerce ainsi que les réponses apportées par les banques du refus d'acceptation et ce sous astreinte de 50 euro par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,
- au visa de l'article 138 du Code de procédure civile, ordonner la communication des documents par le LCL et le Crédit du Nord des demandes de prêt en vue de l'acquisition du fonds de commerce ainsi que le refus ou l'acceptation par les banques contactées à l'initiative du débiteur de l'obligation.
- condamner M.et Mme Tisserand à payer à la société Les délices du Gers une somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner M.et Mme Tisserand aux entiers dépens.
Elle expose que le délai de réitération était initialement assez court et que postérieurement un nouveau projet, notamment incluant une idée de crédit-vendeur, a été rédigé ; que ces nouveaux pourparlers n'entraînent pas la caducité des actes antérieurement signés et que ces nouveaux projets ne confirment pas la non-réalisation des conditions suspensives contenues dans l'acte du 17 septembre 2009.
Concernant les conditions suspensives mises à la charge du vendeur, elle souligne que les intimés ne peuvent produire un courrier émanant de leur conseil de nature à justifier que ces documents aient été réclamés, voire n'aient pas été communiqués.
Concernant plus précisément la condition suspensive du prêt, elle précise que la demande de communication de pièce a été écartée par le tribunal, qui a jugé l'élément fourni par les époux Tisserand comme satisfactoire, au mépris même des stipulations contractuelles qui imposent de contacter deux banques ; qu'aucune attestation de refus n'a été adressée, alors même que les époux n'ont jamais démenti les énonciations selon lesquelles deux banques auraient accepté les prêts ; que la violation de la clause d'information de non-obtention du prêt ne peut être invoquée; qu'il s'agit juste d'une demande de dépôt contractuellement prévue.
Concernant l'obtention d'un nouveau contrat de franchise au profit de l'acquéreur et l'agrément de l'acquéreur par le franchiseur, elle fait valoir que cette obligation -où le vendeur est tiers - n'est mise dans le compromis à la charge d'aucune des parties spécifiquement et que la condition, reposant sur de l'intuitu personae, ne peut peser que sur l'acquéreur ; que M.et Mme Tisserand avaient un contact direct avec " Comtesse du Barry " ( le franchiseur) ; que les époux Tisserand ont d'ailleurs racheté un autre fonds de commerce, à proximité immédiate, et ouvert une boutique en novembre 2011 avec une franchise 'Comtesse du Barry'.
Elle estime qu'il est apporté la preuve désormais que les époux Tisserand n'ont jamais eu l'intention de mener à terme la convention signée entre eux-mêmes et Les délices du Gers ; que Mme Tisserand a pris ainsi des renseignements pour entreprendre des contacts personnellement avec Comtesse du Barry et s'installer seule sans avoir à racheter le fonds de commerce ; que La SARL Les délices du Gers n'a jamais proposé un crédit vendeur, démarche qui profite davantage à l'acquéreur voire au banquier qu'au vendeur ; que les pourparlers étaient toujours en cours, mais n'entraînaient pas la caducité des actes antérieurs ; que l'achat d'un autre fonds de commerce, dans le cadre d'une cession de droit au bail du 17 mars 2010 et effectuée sous réserve de l'accord du franchiseur 'Comtesse du Barry', démontre que les époux Tisserand ont attendu la cessation d'activité de la SARL Les délices du Gers en octobre 2011, pour reprendre une exploitation similaire, dès novembre 2011 ; que les démarches auprès de la SARL étaient justifiées uniquement pour entrer en contact avec Comtesse du Barry et subtiliser les fichiers.
Elle conteste toute mauvaise foi, et notamment l'accusation de fausse déclaration sur son chiffre d'affaires réalisé au titre de l'année 2008, s'agissant uniquement d'une erreur matérielle (TTC et non HT), et considère que les documents annexés permettaient de détromper le cocontractant.
Elle sollicite la réitération de la vente, parfaite, et se prévaut d'un préjudice complémentaire, puisque la vente aurait dû être effective depuis plus d'une année.
Par conclusions en date du 10 décembre 2014, signifiées par voie électronique, M.et Mme Tisserand, au visa des dispositions des articles 1582, 1583 et 1116 du Code civil, concluent comme suit :
- à titre principal, déclarer irrecevables et rejeter les demandes formées par la société Les délices du Gers à leur encontre ;
- constater la caducité du compromis du 17 septembre 2009 et l'absence de réalisation des conditions suspensives dans les délais contractuels fixés ;
- à titre subsidiaire, dire et juger que la vente n'est pas parfaite en l'absence de détermination et d'accord des parties sur les conditions essentielles de la vente,
- dans tous les cas, débouter la société de sa demande de cession forcée du fonds de commerce anciennement sis [...] et actuellement disparu,
- la débouter de sa demande en paiement de la somme de 280 000 euro,
- la débouter de sa demande en paiement de la somme de 40 000 euro à titre de dommages et intérêts,
- la débouter de sa demande en paiement de la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la SARL Les délices du Gers à payer la somme de 40 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi et pour une procédure abusive,
- condamner la SARL Les délices du Gers à payer à M.et Mme Tisserand la somme de 10 000 euro en application au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner aux dépens.
Ils expliquent qu'à la date du 28 novembre 2009, M.et Mme Tisserand ne pouvaient pas justifier de l'obtention d'un prêt bancaire ; que la non-réalisation de cette condition n'a pour seule conséquence que la caducité du compromis ; qu'aucune autre sanction n'était attachée à cette formalité, ce d'autant que le compromis prévoyait que les parties seraient déliées de leur engagement, à défaut de réalisation dans les délais des conditions suspensives ; que les époux n'ont pu notifier le refus bancaire, faute d'être en possession à cette date d'un document écrit attestant ce refus ; que les époux ont tout mis en œuvre pour réaliser les conditions à leur charge; que la mention de l'existence de deux autres offres bancaires n'est que supputation ; que ce n'est que parce que la SARL avait conscience de la non-obtention du prêt qu'a été envisagé un crédit-vendeur.
Ils précisent en outre que le franchiseur n'a jamais donné son accord, la condition n'étant pas non plus réalisée et les parties étant déliées de leur engagement ; que le vendeur ne prouve aucunement les allégations selon lesquelles les époux Tisserand auraient utilisé ces négociations pour se rapprocher du franchiseur.
Ils soulignent que les parties n'ont absolument pas décidé de reporter ladite cession, aux mêmes charges et conditions ; qu'aucune preuve matérialisant l'éventuelle volonté de l'acquéreur de reporter ladite cession n'est apportée ; que la société a souhaité maintenir les relations contractuelles, peinant à vendre son fonds de commerce dans l'espoir d'un achat par les époux Tisserand mais à d'autres conditions ; que des pourparlers nouveaux s'étaient engagés sur ces points ; que la SARL a tenté de vendre son fonds de commerce en proposant de nouvelles charges et conditions financières sans pour autant que les acquéreurs se soient engagés contractuellement sur les nouvelles charges et conditions essentielles à la conclusion de tout contrat.
Ils font état de manœuvres frauduleuses utilisées dans le cadre des mentions obligatoires conformément aux dispositions de l'article L. 141-1 du Code de commerce, notamment au niveau du chiffre d'affaire.
Ils ajoutent que la société omet de signaler également qu'elle a cessé, fin octobre 2011, l'exploitation de son fonds de commerce d'épicerie fine; qu'elle n'hésite donc pas à demander l'exécution d'une vente devenue caduque depuis le 28 novembre 2009, en exigeant le paiement d'un prix de cession de fonds de commerce pour une chose qui a disparu ; que la présentation de l'installation du fonds des époux Tisserand en novembre 2011 est fallacieuse.
Motivation :
Au préalable, il convient de relever que M.et Mme Tisserand, intimés, présentent leur dispositif au " Tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer " et non à la cour d'appel. Ils n'ont aucunement, aux termes de leurs écritures, envisagé les suites éventuelles d'une réformation du jugement, et notamment d'une condamnation au paiement du prix de vente. Leurs écritures ne comportent notamment aucune demande subsidiaire, afférente au sort du fonds de commerce, alors même que des développements sont consacrés à sa disparition.
- Sur les conditions suspensives énoncées et leur réalisation :
Aux termes des dispositions de l'article 1584 du Code civil, la vente peut être faite purement et simplement, ou sous une condition soit suspensive, soit résolutoire. Dans tous les cas, son effet est réglé par les principes généraux des conventions.
Conformément aux dispositions de l'article 1176 du Code civil, lorsqu'une obligation est contractée sous la condition qu'un événement arrivera dans un temps fixe, cette condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l'événement soit arrivé. S'il n'y a point de temps fixe, la condition peut toujours être accomplie ; et elle n'est censée défaillie que lorsqu'il est devenu certain que l'événement n'arrivera pas.
En vertu des dispositions de l'article 1178 du Code civil, la condition est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement.
-1- sur les différents engagements existant entre les parties :
En l'espèce, par acte du 17 septembre 2009, les parties ont souscrit un engagement de cession sous condition suspensive, avec pour terme le 29 octobre 2009, les parties s'engageant en cas de réalisation desdites conditions à régulariser la vente avant le 31 octobre 2009.
Par avenant en date du 30 octobre 2009, les parties ont constaté que les conditions suspensives mentionnées à l'acte n'étaient pas réalisées et ont fait choix de proroger le délai de réalisation au 28 novembre 2009, la réitération de l'acte de cession devant intervenir au plus tard le 30 novembre 2009.
Hormis cette prorogation du délai, l'avenant du 30 octobre 2009 ne modifiait en rien les " conditions telles que définies au compromis en date du 17 septembre 2009 " et l'accord sur les éléments essentiels repris à l'acte du 17 septembre 2009.
Il ressort des pièces produites de part et d'autre qu'à la date du 30 novembre 2009, aucune régularisation de l'acte n'a été effectuée, les parties poursuivant, de plus, des pourparlers.
Par ailleurs, aucune renonciation à se prévaloir de ces engagements sous conditions ne peut être déduite de la continuation de ces pourparlers et de l'absence de souscription d'un nouvel avenant pour proroger les dates.
En effet, il ressort du projet de cession réalisé en mars 2010 comme des échanges subséquents puis du courrier du 16 avril 2010 de la SARL les délices du Gers, que les pourparlers visaient uniquement à discuter les modalités du paiement du prix de la vente, notamment en projetant un temps un crédit-vendeur ou en sollicitant en retour un cautionnement.
Il n'existait aucune modification des engagements pris entre les parties tant sur l'objet de la vente que sur le prix de vente. Dès lors, la poursuite de ces négociations ne remettait aucunement en cause l'acte de cession et la volonté des deux parties de poursuivre l'opération aux conditions principales fixées dans l'acte de cession du 17 septembre 2009.
De plus, aucune caducité de l'engagement ne saurait être déduite du paragraphe relatif à la résiliation des conditions suspensives, prévoyant qu' " à défaut de réalisation de ces conditions suspensives avant le 29 octobre 2009 (puis du 28 novembre aux termes de l'avenant), la présente session sera considérée comme nulle et non avenue et chaque partie déliée de tous engagements sans qu'aucune indemnité puisse être réclamée de part ni d'autre ".
La caducité de cette cession n'était envisagée qu'à " défaut de réalisation des conditions ", ce qui nécessite qu'aucune des conditions n'ait défailli, soit par elle-même soit par la faute d'une des parties.
En conséquence, aucune renonciation à se prévaloir des conditions ou du caractère parfait de la vente n'est opposable à l'une quelconque des parties.
-2- sur le contenu des conditions et leur réalisation :
En vertu des dispositions de l'article 1156 du Code civil, on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes.
Sans dénaturer les obligations qui résultent des termes clairs et précis d'une convention, et sans modifier les stipulations qu'elle renferme, il appartient au juge également de rechercher la commune intention dans tout comportement ultérieur de nature à la manifester.
2-a) sur la condition d'obtention d'un prêt :
Dans le cadre de l'acte de cession, au paragraphe 6 intitulé " obtention d'un prêt ", il est stipulé au titre des obligations de l'acquéreur que " l'acquéreur s'oblige à faire toutes les démarches utiles à l'obtention du prêt, et à déposer son dossier de demande de prêt dans les huit jours à compter des présentes, auprès de deux établissements bancaires de son choix. Il s'engage également, à fournir tous renseignements et documents qui pourraient lui être demandés, à effectuer tous examens médicaux nécessaires à l'obtention de l'assurance décès- invalidité, et ce dans les meilleurs délais. Plus généralement, il prend l'engagement de faire tout son possible en vue d'obtenir son prêt. En outre, il devra justifier de l'accomplissement de ces formalités, démarches et diligences à première demande du vendeur, faute de quoi ce dernier pourra invoquer la caducité de la présente promesse ".
Au préalable, il convient de rappeler, et ce contrairement aux affirmations des parties, que le texte précité n'impose pas de justifier de l'obtention ou de la non-obtention d'un prêt, mais uniquement des démarches effectuées en vue d'obtenir ce prêt.
Ainsi, l'acquéreur devait être en mesure d'apporter la preuve d'un dépôt de son dossier auprès de deux établissements bancaires dans les 8 jours de l'acte de cession, soit 8 jours à compter du 17 septembre 2009, qu'il y ait ou non-obtention de prêt par la suite, pour éviter toutes défaillances par sa faute.
Au vu de la prorogation des délais par l'avenant, il y a lieu de considérer que cet acte réouvrait ce délai de 8 jours à compter du 28 novembre 2009.
Or, en l'espèce, par courriers du 16 avril 2010, du 17 août 2010, puis du 13 octobre 2010 et enfin du 11 décembre 2010, renouvelé en janvier 2011, la SARL Les délices du Gers a mis en demeure les époux Tisserand de régulariser l'acte ou de justifier des conditions suspensives et des raisons de leur défaillance.
Pour toute preuve de leurs démarches auprès des banques, au titre de la condition d'obtention du prêt, et sans qu'il y ait lieu, en cause d'appel, d'enjoindre les parties à produire de quelconques pièces, les époux Tisserand font état d'une attestation émanant d'un courtier Littoral finance (pièce 9), puis d'un courrier de cette même société en date du 15 mai 2013 (pièce 9/1) ainsi que d'un mail adressé par leurs conseils au CIC en date du 23 mai 2012 (pièce 11).
Aucune des pièces produites par les époux Tisserand n'émane d'un établissement bancaire à proprement dit.
L'attestation du courtier " Littoral- France ", rédigée par Mme Bisbrouck, qui ne répond d'ailleurs pas aux dispositions de l'article 202 du Code de procédure civile et n'est pas datée, mentionne le dépôt d'un dossier auprès du CIC.
Toutefois, aucune attestation de cet organisme n'est produite et aucun élément dans l'attestation précitée ne permet de déterminer à quelle date exacte ce dépôt de dossier a eu lieu.
Les époux Tisserand, ayant été accompagnés par Mme Bisbrouck, ce dépôt ne peut avoir eu lieu qu'après le rendez-vous auprès de Mme Bisbrouck en novembre 2009.
Le courrier complémentaire de Littoral finance, en date 15 mai 2013, ne permet pas d'apporter plus d'élément sur ce point. Il confirme en outre qu'aucune autre démarche, auprès d'aucun autre établissement bancaire, n'a été effectuée par les soins du courtier.
Enfin, si ces documents font état de démarches de la part de Mme Tisserand " de son côté avec d'autres organismes bancaires ", aucun justificatif ne permet de les objectiver.
Ainsi, seule une démarche auprès du CIC est prouvée, sans d'ailleurs aucune certitude quant à la réalisation de cette démarche dans le délai de 8 jours de l'acte.
En conséquence, M et Mme Tisserand succombent dans la charge de la preuve, ne démontrant pas avoir accompli toutes les démarches pour permettre l'accomplissement de la condition.
Dès lors, il convient de constater que cette condition a défailli de la faute des acquéreurs et qu'elle est réputée accomplie de par leur fait.
2-b) sur la condition d'obtention d'un contrat de franchise :
Aux termes du paragraphe 5 de l'acte de cession, sous l'intitulé " conclusion d'un nouveau contrat de franchise ", il est stipulé que " le vendeur déclare qu'il exploitait son fonds de commerce dans le cadre d'un contrat de franchise avec la société Comtesse du Barry, jusqu'au mois de novembre 2008. Ledit contrat n'a pas été renouvelé par les parties. Le vendeur déclare qu'il exploite actuellement, en accord avec la société Comtesse du Barry, dans les mêmes conditions et charges du contrat de franchise précédemment en vigueur. Le vendeur déclare avoir informé la société Comtesse du Barry de la cession de fonds de commerce au profit de M.et Mme Tisserand. Le vendeur déclare prendre à sa charge tous préjudices, indemnités ou autre, qui pourraient résulter de sa situation contractuelle actuelle avec la société Comtesse du Barry ".
A été prévue une condition suspensive, rédigée ainsi :
- " obtention d'un nouveau contrat de franchise au profit de l'acquéreur, ou de toute personne morale qu'il entendra se substituer, aux charges et conditions minimales du projet de contrat de franchise en date du 23 mars 2009 remis par le vendeur à l'acquéreur ;
- agrément de l'acquéreur par le franchiseur, pour la reprise du fonds de commerce, objet des présentes ".
Alors que les autres conditions sont mises, soit à la charge du vendeur (remise d'un rapport concernant l'amiante, droit de préemption de la mairie, inscription), soit à la charge de l'acquéreur (prêt), aucune précision n'est apportée pour cette clause.
Il convient donc, sans dénaturer l'intention des parties, d'interpréter cette clause imprécise et peu claire.
Ainsi, il ressort de cette stipulation que les parties ont entendu mettre à leur charge une succession d'obligations, pesant successivement sur le vendeur et l'acquéreur.
Ainsi, est-il envisagé, d'une part une obligation d'information et de présentation de l'acquéreur à la société Comtesse du Barry, et d'autre part une obligation d'agrément et de conclusion d'un contrat de franchise par le franchiseur.
Indéniablement, l'obligation d'information et de présentation de l'acquéreur à la société Comtesse du Barry ne peut peser que sur le vendeur.
Il ressort des mentions de l'acte, non contestées par l'acquéreur, que la SARL Les délices du Gers a informé la société Comtesse du Barry d'un projet de cession au profit de M.et Mme Tisserand. Il est d'ailleurs fait état d'un projet de contrat de franchise en date du 23 mars 2009 remis par le vendeur à l'acquéreur.
Dès lors cette obligation d'information et de présentation de l'acquéreur à la société Comtesse du Barry, nécessairement à la charge du vendeur, a été remplie.
Par contre, l'obligation d'agrément et de conclusion d'un nouveau contrat de franchise suppose que les parties à cette convention, à savoir l'acquéreur et la société Comtesse du Barry, se rapprochent, en vue de négocier les termes mêmes de la convention de franchise, ce qui dépend des charges et obligations que M.et Mme Tisserand, d'une part, le franchiseur, d'autre part, veulent et peuvent consentir.
Cette obligation ne peut donc raisonnablement peser que sur l'acquéreur, seul en capacité de faire les démarches et d'invoquer sa situation financière précise avec la société Comtesse du Barry.
Or, il n'est aucunement démontré que l'acquéreur ait effectué les démarches nécessaires dans les délais impartis auprès de la Société Comtesse du Barry, et il n'est pas contesté qu'à l'issue des prorogations de délai, l'accord du franchiseur n'avait pas été obtenu.
En conséquence, cette condition a défailli de la faute des acquéreurs et elle est réputée accomplie de par leur fait.
- Sur la validité de la vente et les conséquences :
En vertu des dispositions de l'article 1179 du Code civil, la condition accomplie a un effet rétroactif au jour auquel l'engagement a été contracté.
Ainsi, si l'obligation contractée sous une condition suspensive, dépendant d'un événement futur et incertain, ne peut être exécutée qu'après la survenance de l'événement, il n'en demeure pas moins que, une fois la condition réalisée, le caractère rétroactif de la condition entraîne, sauf convention contraire des parties, la validité des actes accomplis avant ladite réalisation.
L'acte de cession sous condition suspensive conclu le 17 septembre 2009 et l'avenant envisageant une prorogation n'ont aucunement prévu, en cas de réalisation des conditions, de report de la date d'engagement.
Ainsi, convient-il de tirer toute conséquence du caractère parfait de la cession en date du 17 septembre 2009, quant au paiement du prix et la remise de la chose.
Il convient donc de condamner M. et Mme Tisserand à payer à la SARL Les délices du Gers le prix de vente du fonds de commerce, soit la somme de 280 000 euro.
Force est de constater qu'aux termes de leurs écritures, les époux Tisserand ne demandent aucunement la livraison de la chose, ce qui peut s'expliquer par la disparition même du fonds de commerce.
Cependant, nonobstant cette disparition, aucune demande subsidiaire ou complémentaire n'a été soumise à la cour.
M.et Mme Tisserand se contentent de mentionner l'arrêt volontaire de l'exploitation et la perte volontaire de la chose vendue par les créanciers, sans en tirer de conséquence en droit et sans formuler de demande spécifique de ce chef.
Dans les limites des demandes soumises à la cour, il convient donc de condamner M. et Mme Tisserand à payer la somme de 280 000 euro.
Les intérêts de retard sont dus, conformément aux dispositions de l'article 1153 du Code civil, après " une interpellation suffisante " du débiteur.
Les différents courriers adressés par la SARL ou son conseil à M. et Mme Tisserand visent tous à obtenir, soit la réitération de l'acte authentique, soit la preuve de la non réalisation des conditions, mais ne mettent aucunement en demeure les époux Tisserand d'avoir à payer le prix.
Dès lors, seule pourra être retenue comme interpellation suffisante, l'assignation en date du 23 mai 2011, date à partir de laquelle les intérêts au taux légal ont commencé à courir.
- Sur la demande d'indemnisation pour résistance abusive :
En vertu des dispositions de l'article 1153 alinéa 4 du Code civil, le créancier auquel le débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.
Le préjudice doit être direct, certain et présent. La réparation du préjudice doit être intégrale.
Ne justifiant pas avoir subi un préjudice distinct du retard de paiement et n'apportant aucun élément quant aux conséquences préjudiciables d'un tel retard, il convient de débouter la SARL Les délices du Gers de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive.
- Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral et procédure abusive présentée par M.et Mme Tisserand :
En vertu des dispositions de l'article 6 et 9 du Code de procédure civile, à l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de ses prétentions.
Dans le cadre de leurs conclusions, les époux Tisserand effectuent de longs développements sur la mauvaise foi du demandeur, arguant d'une présentation fallacieuse des chiffres d'affaire, réalisée dans le cadre de l'acte de cession, et d'une omission de la part de la SARL pour ne pas avoir signalé avoir cessé l'exploitation de son fonds de commerce d'épicerie fine fin octobre 2011.
Toutefois force est de constater qu'à l'issue de ces développements, M.et Mme Tisserand ne tirent aucune conséquence des faits relatés et ne formulent expressément aucune demande, notamment en terme de nullité de la convention.
En vertu des dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil, l'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit et nécessite que soit caractérisée une faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice pour que puissent être octroyés des dommages et intérêts à titre de réparation.
En vertu des dispositions des articles 6 et 9 du Code de procédure civile, à l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de leurs prétentions.
M.et Mme Tisserand sollicitent une réparation à hauteur de 40 000 euro pour procédure abusive et préjudice moral, sans toutefois caractériser la faute ayant fait dégénérer en abus l'action de la SARL Les délices du Gers, qui, au vu de la complexité des relations unissant les parties et les difficultés d'exécution des conventions rencontrées, a dû avoir recours à justice pour faire reconnaître ses droits.
Il convient en conséquence de débouter M.et Mme Tisserand de leur demande.
- Sur les dépens et accessoires :
En application des dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile, M. et Mme Tisserand succombant à la présente instance, il convient de les condamner aux dépens d'appel. La décision de première instance ne peut qu'être réformée sur les dépens et l'indemnité procédurale.
L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : infirme le jugement en toutes ses dispositions ; statuant à nouveau, condamne M. et Mme Tisserand à payer à la SARL Les délices du Gers la somme de 280 000 euro au titre du prix de cession du fonds de commerce, avec intérêts au taux légal à compter du 23 mai 2011 ; déboute la SARL Les délices du Gers de la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ; déboute M. et Mme Tisserand de leur demande de dommages et intérêts pour procédure moral et procédure abusive ; déboute M.et Mme Tisserand de leur demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; déboute La SARL Les délices du Gers de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; condamne M.et Mme Tisserand aux dépens d'appel et de première instance.