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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 5 février 2016, n° 12-04336

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Skiold Saeby A/S (Sté)

Défendeur :

Centre d'Elevage du Closeau (Sté), Groupama Loire Bretagne, Acemo (SAS), Société Morbihannaise de Matériel d'Elevage (SA), Allianz (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Christien

Conseillers :

Mmes Le Potier, Lefeuvre

Avocats :

Selarl Bourges, SCP Chaudet, SCP Tattevin-Derveaux, SCP Guillou-Renaudin, Selarl Moureau Associes, Mes Runge, Peignard, Paris

TGI Vannes, du 24 avr. 2012

24 avril 2012

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon bon de commande du 30 juillet 2002, l'EARL Centre d'élevage du Closeau (le CEC), qui exerce une activité d'élevage d'écureuils et de petits animaux de compagnie ainsi que de production d'aliments destinés à ces animaux, a commandé à la Société morbihannaise de matériel d'élevage-PLG (la SMME), sur la base d'un devis établi le 29 juillet 2002 par la société Acemo, une chaîne de production d'aliments dont le broyeur avait été fabriqué par la société danoise Skiold Saeby A/S (la société Skiold).

À la suite d'un incendie survenu le 22 avril 2003, le CEC et la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne Pays-de-Loire (ci-après dénommée Groupama), assureur de dommages du CEC, ont fait assigner la SMME et la société Acemo devant le juge des référés de Vannes qui, par décision du 22 mai 2003, a ordonné une mesure d'expertise confiée à M. Faës.

La société Skiold est intervenue volontairement aux opérations d'expertise et l'expert a déposé son rapport le 15 décembre 2005 en concluant que le sinistre avait pour cause la chute d'un tranchant surchauffé du broyeur de la chaîne de production dans le mélangeur où se stagnait un nuage de poussières explosif.

Par actes des 10 et 16 septembre 2008, le CEC et Groupama ont fait assigner en paiement de dommages-intérêts la SMME et la société Acemo devant le Tribunal de grande instance de Vannes.

Le 27 octobre 2008, la société Assurances générales de France, aux droits de laquelle se trouve à présent la société Allianz, est intervenue volontairement à l'instance en qualité d'assureur de responsabilité de la société Acemo.

Par acte du 23 décembre 2008, la société Acemo a appelé en garantie la société Skiold.

Par jugement du 24 avril 2012, le tribunal de grande instance a :

Pris acte de l'intervention volontaire de la société Allianz,

Rejeté l'exception de prescription soulevé par les sociétés Acemo et Allianz pour non-respect du bref délai des actions en garantie des vices cachés exercées par le CEC, Groupama et la SMME,

Dit que le CEC était responsable du sinistre à hauteur de 10 %,

Dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision des juridictions administratives sur la responsabilité des services de secours dans la reprise de l'incendie, ni de retrancher à la réparation la somme de 81 000 euro au titre de cette reprise de feu,

Condamné in solidum la SMME et la société Acemo à régler à Groupama la somme de 1 714 500,90 euro, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

Condamné in solidum la SMME et la société Acemo à régler au CEC la somme de 24 344,10 euro, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

Débouté le CEC de sa demande en paiement d'une somme de 1 198 euro,

Dit que la société Allianz ne pouvait être tenue que dans la limite de son contrat d'assurance,

Condamné la société Skiold à garantir les sociétés Acemo et Allianz, de toutes les condamnations prononcées à leur encontre en principal, intérêts, frais et accessoires,

Débouté le CEC et Groupama de leur demande en paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive,

Condamné la SMME et la société Acemo à payer au CEC et à Groupama une indemnité de 3 500 euro chacun en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

Débouté les sociétés Allianz, Acemo, SMME et Skiold de leurs demandes d'application de l'article 700 du Code de procédure civile,

Ordonné l'exécution provisoire à hauteur d'un tiers des condamnations,

Condamné la SMME et la société Acemo aux dépens, en ce compris les frais de la procédure de référé et de l'expertise.

La société Skiold a relevé appel principal de cette décision le 29 juin 2012, en demandant à la cour de :

Limité le préjudice indemnisable du CEC à 75 944,18 euro en raison du défaut de conformité des dispositifs anti-incendie des locaux,

Constaté que le recours en garantie exercé par la société Acemo et son assureur à son encontre est prescrit en application du droit danois,

Subsidiairement, dire que le sinistre est entièrement imputable à la société Acemo et la débouter, avec la société Allianz, de sa demande de garantie,

A tout le moins, partager les responsabilités entre la société Acemo et la société Skiold et débouter en conséquence la société Acemo et la société Allianz de leur demande de garantie à proportion de leur part de responsabilité,

En toutes hypothèses, dire que la clause de limitation de responsabilité de ses conditions générales de vente est opposable à la société Acemo, la débouter, avec la société Allianz, de sa demande de garantie des condamnations prononcées au titre de la perte d'exploitation et dire qu'elle ne saurait être condamnée au-delà de son plafond de garantie de 134 024,90 euro au titre du préjudice matériel,

Condamner tout succombant au paiement d'une indemnité de 6 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Le CEC et Groupama ont relevé appel incident en demandant à la cour de :

Dire que le CEC ne saurait supporter la moindre part de responsabilité,

Déclarer la SMME, sur le fondement contractuel, et la société Acemo, sur le fondement quasi-délictuel, responsables des dommages subis,

En conséquence, condamner solidairement la SMME et la société Acemo à régler à Groupama la somme de 1 905 011 euro, avec intérêts de droit à compter de l'assignation,

Condamner les mêmes à régler au CEC la somme de 28 427 euro, avec intérêts de droit à compter de l'assignation,

Condamner les mêmes au paiement à chacun d'eux d'une somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,

condamner les mêmes au paiement à chacun d'eux d'une indemnité de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens tant de première instance, dans lesquels seront compris les frais du référé et de l'expertise, que d'appel.

Également appelant incident, la SMME demande à la cour de :

Dire que seule la société Acemo est responsable du sinistre et qu'elle ne saurait en conséquence supporter la moindre part de responsabilité,

Subsidiairement, condamner la société Acemo à la garantir de toutes condamnations,

Condamner la société Acemo au paiement d'une indemnité de 8 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

La société Acemo conclut quant à elle devant la cour en ces termes :

Décerner acte à la société Acemo qu'elle renonce au moyen tiré de la prescription de l'action du CEC et de Groupama,

Réformer la décision attaquée en ce qu'el1e a limité la responsabilité du CEC à 10 % et porter sa part de responsabilité à 50 %,

Réformer également la décision attaquée en ce qu'elle l'a déclarée responsable du sinistre et dire qu'outre le CEC, la responsabilité incombe pour le surplus à la SMME et à la société Skiold,

Débouter en conséquence le CEC et Groupama de leurs demandes,

A titre subsidiaire, confirmer la décision attaquée en ce qu'elle a condamné la société Skiold à la garantir de toutes condamnations,

Décerner acte à la société Allianz de ce qu'elle reconnaît devoir son entière garantie à la société Acemo de toutes condamnations,

Condamner le CEC et Groupama ou, subsidiairement, la SMME et la société Skiold au paiement d'une indemnité de 6 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

La société Allianz demande enfin à la cour de :

Dire que le CEC et Groupama ne peuvent agir que sur le fondement de la garantie des vices cachés et que leur action est prescrite,

Subsidiairement, débouter le CEC et Groupama ainsi que la SMME de leurs demandes à l'encontre de la société Acemo faute de preuve de fautes de la part de celle-ci,

Plus subsidiairement, constater que son recours en garantie contre la société Skiold n'est pas prescrite et confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré ses conditions générales de vente inopposables à la société Acemo et l'a condamnée à supporter la charge finale des conséquences dommageables de l'incendie,

Dire que le CEC a commis des fautes ayant aggravé le sinistre et porter sa part de responsabilité à 50 %,

Fixer le montant total des préjudices subis par le CEC à 1 808 004,20 euro et dire que celui-ci devra en assumer la charge à due concurrence de 50 %,

En tout état de cause, confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a dit que la société Allianz ne pourra être tenue que dans les termes, conditions et limites de garantie de sa police d'assurance,

Condamner tous succombant au paiement d'une indemnité de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il sera fait référence aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société Skiold le 7 décembre 2015, pour le CEC et Groupama le 4 décembre 2015, pour la SMME le 7 mai 2013, pour la société Acemo le 4 décembre 2015, et pour la société Allianz le 4 décembre 2015.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur la responsabilité de la SMME

La chaîne de fabrication d'aliments pour petits animaux dans laquelle l'incendie a, selon les constatations techniquement étayées de l'expert, pris naissance a, selon les pièces produites, été commandée à la SMME puis installée et facturée par celle-ci, le coût du matériel étant prépondérant.

Il s'en déduit que le CEC et la SMME sont liés par un contrat de vente, la circonstance que le bon de commande ait été établi sur la base du devis de la société Acemo ne créant pas de liens contractuels directs entre celle-ci et le CEC et n'étant pas de nature à justifier la requalification du contrat conclu avec son revendeur SMME en contrat d'entreprise.

Les dommages causés par le matériel vendu par la SMME ayant été subis par une installation destinée à un usage professionnel, les dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil relatives à la sécurité des produits défectueux ne sont, selon l'interprétation que la Cour de justice de l'Union européenne a, par arrêt du 4 juin 2009, fait de la directive du 25 juillet 1985 transposée dans ces textes, pas applicables à la cause.

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont relevé que l'action du CEC et de Groupama était correctement fondée sur la responsabilité contractuelle du vendeur professionnel pour manquement à son obligation de sécurité relativement au fonctionnement du matériel vendu.

À cet égard, la société Allianz prétend à tort que la garantie des vices cachés était le seul fondement possible de l'action de l'acquéreur d'un matériel impropre à sa destination, et que celle-ci serait prescrite en application de l'article 1648 du Code civil, dès lors qu'il s'est écoulé plus de deux ans entre le dépôt, en date du 15 décembre 2005, du rapport d'expertise judiciaire révélant l'existence du vice et l'assignation délivrée le 10 septembre 2008.

En effet, lorsque le vice a provoqué un accident, l'acquéreur dispose aussi contre le vendeur professionnel d'une action en responsabilité contractuelle autonome fondée sur l'article 1147 du Code civil, en application duquel celui-ci est tenu de livrer des produits exempts de tout vice de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens.

Or, en l'occurrence, il ressort du rapport d'expertise que le vice affectant le broyeur fourni et installé par la SMME a été la cause d'une explosion et d'un incendie en présence du personnel du CEC durant le fonctionnement de la chaîne de production d'aliments, provoquant la destruction du matériel de production ainsi que des locaux, des petits animaux d'élevage, et des approvisionnements.

En conséquence, la prescription de l'article 1648 du Code civil n'est pas applicable à la cause.

Selon les conclusions de Faës, l'incendie s'est développé en trois phases :

Une phase initiale provoquée, au cours de l'opération de broyage de betteraves, par la détérioration de tranchants du broyeur, lesquels, surchauffés par un corps étranger ou un bourrage, se sont décollés de leur support et sont tombés dans le mélangeur dont ils ont enflammé l'atmosphère explosive,

Une propagation du sinistre lors de l'inflammation de la canalisation d'arrivée d'huile reliée à une réserve de 1 000 litres qui prend feu,

Une reprise de l'incendie après l'intervention des pompiers, alors que le feu couvait toujours entre les panneaux sandwich cloisonnant les locaux du CEC.

L'expert estime qu'au regard du caractère hautement inflammable de l'atmosphère poussiéreuse présente dans le mélangeur et de la faible adhérence de la colle fixant les tranchants du broyeur à leur support à température élevée, cet appareil aurait dû être doté d'un capteur de température capable de stopper le fonctionnement de celui-ci dès qu'une augmentation anormale de la température était détectée, et que le sinistre trouve sa cause dans cette vulnérabilité à l'échauffement non compensée par un dispositif de sécurité adéquat.

Il ajoute que l'absence de recoupement des locaux par des murs coupe-feu ainsi que de réseau d'extinction automatique, que l'exploitant n'était toutefois pas réglementairement tenu de prévoir, a permis la propagation rapide du sinistre, de même que l'absence de cuvette de rétention de la réserve d'huile que le CEC avait en revanche l'obligation de mettre en place.

Il résulte ainsi de l'analyse techniquement étayée de l'expert que l'incendie trouve sa cause dans le décollement des tranchants du broyeur fixés à leur support par une colle dont le point de fusion ressort à 200 degrés ainsi que dans l'absence de dispositif d'arrêt immédiat de l'appareil en cas d'augmentation critique de la température, ces défauts constituant des vices de la chaîne de production vendue et installée par la SMME.

Vendeur professionnel tenu de livrer des produits exempts de tout vice de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens, la SMME est responsable des conséquences dommageables de ces vices, sans pouvoir prétendre qu'elle ne devrait, à l'instar d'un simple installateur, répondre que des seules fautes commises dans l'exécution de sa prestation d'installation.

L'expert Faës a évalué le préjudice matériel à 1 266 664 euro valeur à neuf ou 1 222 421 euro vétusté déduite, et les parties sont convenues que la perte d'exploitation devait être évaluée à 666 584 euro.

La société Acemo soutient que la réparation devrait être limitée à 50 % des préjudices en raison des fautes du CEC ayant concouru à la propagation du sinistre, tandis que son assureur, la société Allianz, précise que ce partage de responsabilité devrait être appliqué sur le préjudice matériel après déduction de la vétusté ainsi que d'une somme de 81 000 euro correspondant aux conséquences dommageables de la reprise de feu qui ne serait due, selon elle, qu'à un défaut de surveillance des pompiers.

La société Skiold prétend quant à elle que l'essentiel des dommages matériels ont été subis au cours des deuxièmes et troisièmes phases du sinistre, qui ne seraient imputables qu'au CEC qui s'est abstenu de mettre en place tout dispositifs anti-incendie dans ses locaux.

Par d'exacts motifs que la cour adopte, les premiers juges ont cependant à juste titre relevé :

que le CEC, en droit d'obtenir la réparation intégrale de son préjudice, s'est trouvé dans l'obligation de remplacer le matériel détruit par du matériel neuf, de sorte qu'il est fondé à réclamer à son cocontractant responsable du sinistre la retenue pour vétusté opérée par son assureur et restée à sa charge,

Que l'absence de dispositifs coupe-feu et de réseau d'extincteurs automatiques ne saurait être imputée à faute au CEC, dès lors qu'il n'existait pas d'obligations réglementaires de mettre en place ces dispositifs et que, ni la SMME auquel elle a commandé la chaîne de production, ni la société Acemo qui a établi le devis sur la base duquel la commande a été passée, ne l'avaient mise en garde sur les risques d'incendie en lui conseillant d'installer ces dispositifs anti-incendie,

Mais qu'en revanche, le CEC a violé une obligation réglementaire en s'abstenant de mettre en place une cuvette de rétention des huiles ce qui a favorisé la propagation rapide du sinistre,

Et qu'au regard du degré de gravité des fautes respectives, la part de responsabilité de la victime dans les conséquences dommageables du sinistre devait être fixée à 10 %.

D'autre part, les vices affectant le broyeur ont, avec l'absence de cuvette de rétention d'huile et la prétendue faute du service départementale d'incendie et de secours au demeurant discutée devant la juridiction administrative, indistinctement concouru à la réalisation de l'entier dommage sans qu'il soit rationnellement possible de séquencer le sinistre, qui constitue un événement unique, et d'attribuer à chacune des fautes retenues certains dommages.

Il n'y a donc lieu, ni de déduire la somme de 81 000 euro du préjudice retenu, ni de réduire celui-ci aux seuls frais de remplacement de la chaîne de production d'aliments pour animaux, le CEC et Groupama étant fondés à réclamer la réparation de l'entier préjudice déduction faite de la part de responsabilité du CEC au vendeur, à charge pour ce dernier de se retourner contre les autres coresponsables.

Il convient en conséquence de confirmer la condamnation de la société SMME au paiement :

à Groupama, de la somme de 1 714 500,90 euro correspondant à 90 % de l'indemnité versée à son assuré, soit 1 238 417 euro au titre du préjudice matériel et 666 584 euro au titre de la perte d'exploitation,

au CEC, de la somme de 24 344,10 euro correspondant à 90 % de la déduction pour vétusté opérée par l'assureur et des frais de remise en état des abords de l'exploitation.

Les premiers juges ont par ailleurs à juste titre rejeté la demande du CEC en remboursement d'un " découvert sur électricité " à hauteur de 1 198 euro le lien causal avec les vices affectant le broyeur n'est pas davantage avéré avec une certitude raisonnable devant la cour.

Sur la responsabilité de la société Acemo

Le CEC et Groupama exercent une action directe contre la société Acemo, vendeur intermédiaire, et son assureur, la société Allianz sur le fondement exprès et exclusif de la responsabilité délictuelle, et c'est au demeurant sur ce fondement que le jugement attaqué a prononcé condamnation en leur faveur.

Toutefois, comme le relève à bon droit la société Allianz, il est de principe établi que l'action directe exercée par le sous-acquéreur contre le vendeur intermédiaire est nécessairement de nature contractuelle, de sorte qu'il convient, en application de l'article 12 du Code de procédure civile, de requalifier le fondement de la demande en ce sens.

Cependant, la société Allianz en tire la conséquence erronée que l'action des demandeurs serait prescrite, la cour ayant précédemment observé que, lorsque celle-ci tend à rechercher la responsabilité d'un vendeur professionnel du fait d'un vice ayant créé un danger pour les personnes et les biens, les dispositions de l'article 1648 du Code civil ne sont pas applicables.

Il a aussi été précédemment relevé que l'incendie trouvait sa cause dans le décollement des tranchants du broyeur fixés à leur support par une colle perdant ses capacités d'adhérence au-delà de 200 degrés ainsi que dans l'absence de dispositif d'alarme et d'arrêt immédiat de l'appareil en cas d'augmentation critique de la température, ces défauts constituant des vices de la chaîne de production vendue et installée par la SMME.

Ces vices préexistaient à la vente intervenue entre les sociétés Acemo et SMME, de sorte que le CEC et Groupama sont fondés à exercer une action directe contre le vendeur professionnel intermédiaire tenu de livrer des produits exempts de tout vice de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens.

D'autre part, la cour est également saisie d'une demande de garantie formée par la SMME, précédemment condamnée pour manquement à son obligation de vendeur professionnelle de livrer des produits exempts de vices de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens, contre la société Acemo, cocontractant lui ayant fourni la chaîne de production d'aliments pour animaux revendue au CEC.

À cet égard, il a été précédemment relevé que les vices affectant la chaîne de production préexistaient à la vente intervenue entre les sociétés SMME et Acemo, et il ressort en outre du rapport d'expertise que l'intégration du broyeur dans la chaîne de production d'aliment était du ressort de la société Acemo qui devait en analyser les risques et a procédé aux essais, réglages et mises au point à son démarrage, tandis que la SMME n'a fait que poser l'ensemble des matériels et procéder au câblage des différents éléments sur les directives d'un collaborateur de la société Acemo constamment présent.

Dans ces circonstances, la société Acemo, spécialiste de la conception de chaînes de production d'aliments et de l'assemblage des éléments la composant, devra intégralement garantir la SMME, simple revendeur ayant, sous son contrôle et ses directives, installé la chaîne dans les locaux du CEC, de toutes condamnations en principal, intérêts, frais irrépétibles et dépens prononcées à son encontre.

Le jugement attaqué sera donc complété en ce sens.

En outre, il convient de confirmer que la société Allianz, qui ne dénie pas devoir garantir son assurée, ne peut être tenue que dans les limites de sa police.

Sur la responsabilité de la société Skiold

Les sociétés Acemo et Allianz concluent l'une et l'autre à la confirmation du jugement attaqué ayant condamné la société Skiold, fabricant du broyeur, à les garantir intégralement de toutes condamnations, tandis qu'aux termes de conclusions de plus de 100 pages que la cour n'est pas tenue de suivre dans les détails de l'argumentation, cette dernière s'y oppose en invoquant une règle de prescription de droit danois dont elle revendique l'application ainsi que la responsabilité exclusive de la société Acemo en sa qualité d'assembleur de la chaîne de production et les limitations de responsabilité figurant dans ses conditions générales de vente.

S'agissant de la loi applicable, il ressort des articles 2 et 3 de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes internationales que la vente est régie par la loi du pays désigné par les parties contractantes ou, à défaut, par celle où le vendeur a sa résidence habituelle au moment de la commande, à moins que la commande ait été reçue dans le pays où l'acheteur réside.

En l'occurrence, la disposition des conditions générales de vente invoquées par la société Skiold stipulant que tout litige entre les parties serait soumis au droit danois figure dans une clause compromissoire qui ne peut donc trouver à s'appliquer qu'en cas d'arbitrage.

En revanche, il est certain que la société venderesse Skiold a toujours eu son siège au Danemark, et le bon de commande lui a bien été adressé dans ce pays, de sorte que la loi danoise est, selon la règle de conflit pertinente, effectivement applicable.

À cet égard, l'appelante prétend que la loi danoise du 22 décembre 1908 soumet les actions de l'acquéreur contre le vendeur à une prescription de cinq ans à compter de la connaissance du dommage et que le droit danois ne connaîtrait pas l'équivalent de la règle française selon laquelle le point de départ de ce recours est reporté au jour où l'action principale en responsabilité a été exercée.

Cependant, à supposer même que ces dispositions de la loi danoise aient été exactement rapportées et interprétées par la société Skiold, il est de principe qu'est contraire à la conception française de l'ordre public international l'application d'une loi étrangère empêchant le revendeur d'agir en garantie contre le fabricant alors que le délai de prescription était déjà expiré avant même l'introduction de l'action principale de l'acquéreur.

Or, en l'occurrence, la société Skiold expose elle-même que le délai de la prescription quinquennale danoise, commençant à courir le 24 avril 2003, date du rapport de reconnaissance du sinistre établi par l'expert de Groupama, expirait le 24 avril 2008, alors que la société Acemo n'a été assignée par le CEC et son assureur que le 10 septembre suivant.

Il convient donc d'écarter sur ce point l'application du droit danois invoqué, de fixer en conséquence le point de départ de la prescription au 10 septembre 2008 et de constater qu'ainsi l'assignation en garantie du 23 décembre 2008 a bien interrompu un délai de prescription toujours en cours.

L'expert souligne (p. 24, 25 et 31 du rapport) que le risque de surchauffe des éléments du broyeur, qui pouvait résulter d'un échauffement par un corps étranger ou d'un phénomène de bourrage, était bien réel et que, dès lors, il était étonnant que l'appareil n'ait pas été doté par son fabricant d'un détecteur de température eu égard à la perte d'adhérence de la colle fixant les tranchants au-dessus de 200 degrés, la présence d'une alarme et d'un dispositif d'arrêt automatique de l'appareil en cas de dépassement de ce seuil ayant été de nature à éviter le sinistre.

Il indique aussi que la société Acemo, qui a procédé à l'intégration du broyeur dans la chaîne de production et devait en analyser les risques, aurait dû demander au fabricant la mise en place de cette sonde de température et aurait également dû prescrire à la SMME la mise en place d'un dispositif d'arrêt d'urgence en cas de modification du couple du moteur.

Il est donc certain que, hormis l'absence du dispositif d'arrêt en cas de modification du couple moteur, les vices affectant le broyeur préexistaient à la vente intervenue entre les sociétés Skiold et Acemo.

D'autre part, rien dans la documentation du fabricant n'alertait l'acquéreur sur le risque de décollement des tranchants en cas de surchauffe due à un corps étranger ou à un bourrage, et il n'est pas contesté par la société Skiold que celle-ci a, depuis le sinistre, modifié le procédé de fixation des tranchants à leur support.

Pour rejeter l'entière responsabilité du sinistre sur la société Acemo, la société Skiold invoque les directives CE n° 98-37 du 22 juin 1998 relative aux machines et, subsidiairement, n° 94-9 du 23 mars 1994 relative aux appareils utilisés en atmosphères explosives pour prétendre qu'il n'appartenait qu'à l'assembleur de la chaîne d'évaluer les risques supplémentaires résultant de l'assemblage d'éléments divers et de définir à ses fournisseurs les efforts de sécurité que chacun d'eux devait fournir.

Contrairement à ce que la société Allianz suggère, la directive du 22 juin 1998 a bien été transposée dans la réglementation française par arrêté du 12 janvier 1999, comme la directive du 23 mars 1994 a été transposée par décret du 19 novembre 1996, de sorte que les parties peuvent se prévaloir de leurs dispositions.

Mais, si celles-ci font effectivement peser sur l'assembleur la responsabilité d'évaluer les risques supplémentaires présentés par l'assemblage, elles ne sauraient pour autant exonérer le fabricant de l'élément affecté d'un vice de toute responsabilité.

La société Skiold, fabricant tenu de livrer un produit exempt de vices de nature à créer un danger pour les personnes et les biens, doit donc répondre des défauts du broyeur qui présentait une vulnérabilité certaine à un risque réel de surchauffe, non compensée par un dispositif de sécurité adéquat.

Toutefois, professionnel spécialiste de la conception et de la commercialisation de chaînes de production d'aliments pour animaux, la société Acemo ne pouvait ignorer qu'elle superposait le broyeur à un mélangeur susceptible, en conditions d'utilisation normales, de contenir un nuage de poussières hautement inflammables, et ne pouvait davantage ignorer qu'un broyeur était susceptible, en cas de présence d'un corps étranger ou de bourrage, de connaître un phénomène de surchauffe.

Partant, elle était tenue d'analyser les risques supplémentaires résultant de cet assemblage et, à tout le moins, de prescrire à la SMME de poser un dispositif d'arrêt d'urgence de la chaîne en cas de modification du couple du moteur.

Au regard de ce qui précède et du degré de gravité des fautes respectives des parties, la part de responsabilité de la société Acemo dans ses rapports avec la société Skiold sera fixée à 20 %, de sorte que le recours en garantie des sociétés Acemo et Allianz contre le fabricant du broyeur sera admis dans la limite de 80 % des condamnations prononcées à leur encontre, soit 1 391 076 euro au titre du préjudice matériel (1 714 500,90 + 24 344,10 x 80 %) et 533 267,20 euro (666 584 x 80 %).

La société Skiold réclame cependant le bénéfice des clauses limitatives de responsabilité de ses conditions générales de vente, aux termes desquelles elle " n'assume aucune responsabilité pour tout dommage consécutif, perte de temps, perte de profit ou tout autre dommage indirect ", et sa responsabilité " pour dommages aux biens meubles ou immeubles ne saurait excéder une somme de 1 000 000 de couronnes danoises (soit 134 024,90 euro selon elle) pour chaque cause de dommage dont Skiold est responsable ".

Le contrat conclut entre les sociétés Skiold et Acemo s'est formé par l'échange du bon de commande adressé par la société Acemo le 16 juillet 2002 et de la confirmation de commande retournée par la société Skiold le 12 août suivant, laquelle comportait les conditions générales de vente dont cette dernière se prévaut.

Celles-ci ont donc bien été portées à la connaissance de la société Acemo au moment de la conclusion du contrat, l'acquéreur n'ayant pas lui-même fait connaître au vendeur lors de l'expédition de son bon de commande des conditions générales d'achat contraires, n'ayant nullement protesté à réception de la confirmation de commande et ayant au contraire exécuté le contrat en prenant livraison du broyeur vendu et en réglant le prix.

La société Allianz ne saurait sérieusement prétendre que ces conditions générales de vente, rédigées en langues danoise et anglaise, n'étaient pas compréhensibles pour son assurée, alors qu'il résulte des pièces produites que les sociétés Skiold et Acemo correspondaient habituellement en anglais.

Les premiers juges ont en outre erronément estimé que les conditions générales de la société Skiold étaient inopposables à la société Acemo comme renvoyant à d'autres conditions générales pour la fourniture de machines à l'exportation qui n'avaient pas été portées à la connaissance expresse de l'acquéreur, alors que les clauses limitatives de responsabilité ci-avant reproduites figuraient bien dans la partie " conditions spéciales " des conditions de vente annexées à la confirmation de commande.

Étant en outre observé que la société Acemo est une filiale de la société Skiold et que les deux sociétés entretenaient, avant la vente litigieuse, un courant d'affaire soutenu à l'occasion duquel le vendeur faisant déjà figurer ses conditions générales de vente sur la confirmation de commande et sur les factures, la cour considère quant à elle que les clauses limitatives de responsabilité invoquées par la société Skiold sont bien opposables à la société Acemo et à son assureur.

Il convient dès lors de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a condamné la société Skiold à garantir intégralement les sociétés Acemo et Allianz des condamnations prononcées à leur encontre et de n'admettre la demande de garantie qu'à hauteur de 80 % de la condamnation prononcée au titre des dommages matériels et dans la limite de la contrevaleur en euro de 1 000 000 de couronnes danoises.

Sur les dommages-intérêts pour résistance abusive

Le CEC et Groupama ne démontrent pas que le droit de la SMME et de la société Acemo de se défendre en justice ait en l'espèce dégénéré en abus.

Leur demande en paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive a donc été à juste titre rejetée par les premiers juges.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il serait inéquitable de laisser à la charge du CEC et de Groupama l'intégralité des frais exposés par eux à l'occasion de la procédure d'appel et non compris dans les dépens, en sorte que la SMME et la société Acemo seront condamnées à leur payer une indemnité de 2 000 euro chacun en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

De même, il serait inéquitable de laisser à la charge de la SMME l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de la procédure d'appel et non compris dans les dépens, en sorte que la société Acemo sera condamnée à lui payer une indemnité de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

D'autre part, la société Acemo garantira intégralement la SMME de cette condamnation ainsi que de celle aux dépens.

La société Skiold garantira quant à elle la société Acemo de ces condamnations ainsi que de celle aux dépens de première instance, en ce compris les frais d'expertise, et d'appel, dans la limite de 80 %.

Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement rendu le 24 avril 2012 par le Tribunal de grande instance de Vannes, sauf en ce qu'il a condamné la société Skiold Saeby A/S à garantir la société Acemo et la société Allianz de toutes les condamnations prononcées à leur encontre en principal, intérêts, frais, dépens et accessoires, Statuant à nouveau de ce chef, condamne la société Skiold Saeby A/S à garantir la société Acemo de 80 % de la condamnation prononcée à son encontre au titre des dommages matériels dans la limite de la contrevaleur en euro de 1 000 000 de couronnes danoises, ainsi qu'à 80 % des condamnations prononcées au titre des frais irrépétibles et des dépens de première instance, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire, et d'appel, Y ajoutant, condamne la société Acemo à garantir la Société morbihannaise de matériel d'élevage-PLG en principal, intérêts, frais irrépétibles et dépens prononcées à son encontre en première instance et en appel, Condamne la société Acemo et la Société morbihannaise de matériel d'élevage-PLG à payer à l'EARL Centre d'élevage du Closeau une somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Acemo et la Société morbihannaise de matériel d'élevage-PLG à payer à la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne Pays-de-Loire une somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Acemo à payer à la Société morbihannaise de matériel d'élevage-PLG une somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Skiold Saeby A/S, la société Acemo et la Société morbihannaise de matériel d'élevage-PLG aux dépens d'appel, Accorde le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.