Cass. crim., 18 janvier 2000, n° 99-82.406
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Lozano
Défendeur :
Martinelli
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gomez
Avocat général :
M. Di Guardia
Conseiller :
Ferrari
LA COUR : Statuant sur les pourvois formés par :
- L. Catalina, épouse B.,
- M. Gilbert,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Agen, chambre correctionnelle, du 22 février 1999 , qui a condamné la première à 2 mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 francs d'amende pour entrave aux fonctions des agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, le second à 2 mois d'emprisonnement et 50 000 francs d'amende pour complicité de ce délit et a ordonné des mesures d'affichage et de publication ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 217-10 du Code de la consommation, L. 215-3 du même Code, issu de l'article 11-3 de la loi du 1er août 1905, créé par la loi du 21 juillet 1983, abrogé et codifié par la loi du 26 juillet 1993, L. 213-4 du même Code, issu de l'article 4 de la loi du 1er août 1905, abrogé et codifié par la loi du 26 juillet 1993, 5 du décret du 22 janvier 1919, 111-3 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Catalina B. coupable d'entrave à l'exercice des fonctions des agents de la répression des fraudes, et Gilbert M. coupable de complicité de ce délit, et les a condamnés de ces chefs ;
"aux motifs propres et adoptés que la loi n° 83-660 du 21 juillet 1983 a abrogé tacitement l'article 5 du décret du 22 janvier 1919, et ainsi supprimé la distinction entre les locaux appartenant, ou non, à une personne assujettie à la taxe professionnelle ; qu'il s'ensuit que, conformément à l'article L. 215-3 du Code de la consommation, issu de l'article 11-3 de la loi du 1er août 1905 créé par la loi du 21 juillet 1983, abrogé et codifié par la loi n° 93-949 du 26 juillet 1993, renvoyant à l'article L. 213-4 du même Code, issu de l'article 4 de la loi du 1er août 1905, les contrôles de jour et de nuit, dans les locaux d'exploitation d'une ferme sont possibles ; que l'abrogation tacite de l'article 5 du décret du 22 janvier 1919 se déduit également du fait que la loi du 26 juillet 1993 a abrogé toutes les dispositions de la loi du 1er août 1995, à l'exception de celles de l'article 9, 1er et dernier alinéas ;
"alors, d'une part, que les arrêtés ou règlements légalement pris par l'autorité compétente revêtent un caractère de permanence qui les fait survivre aux lois dont ils procèdent, tant qu'ils n'ont pas été rapportés ou qu'ils ne sont pas devenus inconciliables avec les règles tracées par une législation postérieure ; qu'il est constant et résulte implicitement de l'arrêt attaqué qu'aucune loi ultérieure n'a abrogé expressément l'article 5 du décret du 22 janvier 1919 pris en application de la loi du 1er août 1905 ; qu'en affirmant "l'abrogation tacite" de ce texte, sans constater qu'il serait devenu inconciliable avec un texte ultérieur, notamment avec l'article 11-3 de la loi du 1er août 1905 créé par la loi du 21 juillet 1983 et codifié par la loi du 26 juillet 1993 sous la forme de l'article L. 215-3 du Code de la consommation, renvoyant à l'article L. 213-4 du même Code, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"alors, d'autre part, que l'article 5 du décret du 22 janvier 1919 n'est pas inconciliable avec l'article L. 215-3 du Code de la consommation (issu de l'article 11-3 de la loi du 1er août 1905, créé par l'article 20 de la loi du 21 juillet 1983) qui renvoie à l'article L. 213-4 du même Code (issu de l'article 4 de la loi du 1er août 1905), énumérant les lieux où les contrôles peuvent avoir lieu, notamment les étables, puisqu'il retient lui-même, en son alinéa 1er, des lieux identiques, notamment les étables, sauf à ajouter, en son alinéa 2, que, dans les locaux particuliers appartenant à des personnes non patentées, les agents de contrôle ne peuvent accéder qu'en vertu d'une ordonnance du juge d'instance ; qu'il s'ensuit que l'article 5 du décret du 22 janvier 1919 ne saurait être considéré comme ayant été tacitement abrogé ; en estimant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"alors, enfin, que l'abrogation expresse, par la loi du 26 juillet 1993, de toutes les dispositions de la loi du 1er août 1905, à l'exception de celles de l'article 9, 1er et dernier alinéas, n'a pas eu la moindre influence sur la pérennité de l'article 5 du décret du 22 janvier 1919, étant précisé de surcroît que la loi du 26 juillet 1993 a abrogé "les articles 4, 7, 9, 2ème alinéa, et 24 à 31 du décret du 22 janvier 1919", à l'exception, précisément, de son article 5 ; qu'en concluant, néanmoins, à l'abrogation de cet article, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Catalina B., exploitante agricole liée par un contrat d'intégration à la société Val-de-Garonne, s'est opposée, le 29 juillet 1997, à l'inspection de son étable abritant les veaux élevés en batterie, hors la présence d'un représentant de l'intégrateur qui lui avait donné des instructions en ce sens ;
Qu'elle est poursuivie pour entrave aux fonctions des agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, et Gilbert M., dirigeant de la société Val-de-Garonne, pour complicité de ce délit ;
Attendu que les prévenus ont soutenu que, par application de l'article 5, alinéa 2, du décret du 22 janvier 1919, les agents de contrôle ne pouvaient pas pénétrer dans l'étable de l'agricultrice, non soumise à la taxe professionnelle, contre la volonté de celle-ci, sans y avoir été autorisés par une ordonnance du juge d'instance et qu'à défaut d'autorisation, le délit n'était pas caractérisé ;
Attendu qu'en écartant ce moyen de défense, l'arrêt se trouve justifié, le texte précité n'étant plus applicable à la date du contrôle ;
Qu'en effet, le décret du 22 janvier 1919 pris pour l'application de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes a été abrogé, dans son intégralité, par l'article 4 du décret du 27 mars 1997 portant codification de la partie réglementaire du Code de la consommation et que les dispositions de l'article 5, invoquées par les demandeurs, n'ont pas été transposées dans ce Code, ni dans sa partie législative, ni dans sa partie réglementaire ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 217-10 du Code de la consommation, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Catalina B. coupable d'entrave à l'exercice des fonctions des agents de la répression des fraudes, et Gilbert M. coupable de complicité de ce délit, et les a condamnés de ces chefs ;
"aux motifs que l'interdiction d'accéder aux bâtiments n'a été levée qu'au bout de 50 minutes, délai pendant lequel Catalina B. a rendu strictement impossible l'exercice par les contrôleurs de leurs fonctions ; qu'il est constant que Gilbert M. a adressé aux éleveurs intégrés une note leur demandant de prévenir la société en cas de contrôle, afin que les prélèvements soient effectués en présence d'un technicien ou vétérinaire ; qu'il ne pouvait ignorer qu'une telle exigence retarderait les opérations et fausserait toute constatation, compte tenu de la nécessité de réaliser les prélèvements dans un délai proche de la buvée ; qu'en exécution de ces directives, les contrôleurs se sont vu interdire d'effectuer les prélèvements hors la présence d'un représentant de la société Val-de-Garonne ; qu'ainsi, Gilbert M. s'est rendu complice, par fourniture d'instructions, du délit d'obstacle à fonctions commis par Catalina B. ;
"alors, d'une part, que le fait pour un professionnel de l'élevage et du commerce des veaux, et pour un éleveur intégré, d'exiger que les contrôles des agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, fussent-ils inopinés, soient effectués de façon contradictoire en présence d'un technicien ou d'un vétérinaire de la société d'intégration, est légitime et ne saurait être qualifié d'entrave à fonctions, même en cas d'un léger retard apporté aux opérations ;
qu'en estimant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"alors, d'autre part, que l'article L. 217-10 du Code de la consommation, texte d'interprétation stricte, définit le délit d'obstacle à fonctions comme le fait de mettre les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes dans l'impossibilité d'accomplir leurs fonctions ; qu'il résulte des propres énonciations de l'arrêt attaqué que les agents de contrôle ont eu la possibilité, au bout de 50 minutes, d'accéder aux bâtiments pour y effectuer les prélèvements ; qu'en relevant ainsi un simple retard mis à l'exercice des fonctions, et non une réelle impossibilité, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'élément matériel du délit d'entrave à fonctions ;
"alors, de troisième part, qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que Catalina B., qui a invité les agents à se rendre sur les lieux de l'exploitation, ne s'est pas opposée au principe du contrôle, mais a seulement exigé qu'il se déroule de façon contradictoire, et que les deux prévenus, qui n'ont jamais refusé de coopérer avec les agents du contrôle, ont fait diligence pour que les opérations puissent se dérouler le plus rapidement possible ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'élément intentionnel des infractions retenues ;
"alors, enfin, qu'en se bornant à relever que le contrôle, rendu possible au bout de 50 minutes, était inopérant, compte tenu, notamment, de la nécessité de réaliser les prélèvements dans un délai proche de la buvée, sans s'expliquer sur les conclusions des prévenus faisant valoir que la présence éventuelle de substances anabolisantes pouvait être détectée, selon les notes techniques, dans un délai de 5 jours après la prise des hormones, de sorte que le contrôle restait possible et opérant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Attendu que, pour caractériser le délit d'entrave poursuivi, les juges d'appel relèvent que Catalina B. a, pendant 50 minutes, interdit aux agents de contrôle l'accès aux bâtiments d'élevage, ne donnant son accord, sur consigne téléphonique de Gilbert M., qu'après que ceux-ci lui eurent notifié leur départ et l'établissement d'un procès-verbal de délit ;
Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article L. 217-10 du Code de la consommation ;
Que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-19 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Gilbert M. à la peine de 2 mois d'emprisonnement ferme ;
"aux motifs que les faits revêtent une exceptionnelle gravité ; que Gilbert M. est à l'origine de l'infraction principale commise alors même qu'il savait qu'il faisait l'objet d'enquêtes relatives à l'utilisation de facteurs de croissance interdits ;
"alors, d'une part, que, aux termes de l'article 132-19 du Code pénal, toute peine d'emprisonnement prononcée sans sursis par une juridiction correctionnelle doit être spécialement motivée ;
que, ne répond pas à cette exigence l'arrêt qui se borne à relever, par une motivation tenant également lieu de justification du prononcé d'une peine d'emprisonnement avec sursis prononcée contre Catalina B., la gravité des faits retenus ; qu'il s'ensuit que la décision n'est pas légalement justifiée ;
"alors, d'autre part, que les énonciations de l'arrêt attaqué relatives à la personnalité du prévenu, selon lesquelles Gilbert M. savait qu'il faisait l'objet d'enquêtes relatives à l'utilisation de facteurs de croissance interdits, ne sont pas de nature, compte tenu du principe de la présomption d'innocence s'appliquant aux enquêtes en cours, à justifier de manière spéciale le prononcé d'une peine d'emprisonnement ferme, de sorte que l'arrêt attaqué n'est pas légalement justifié" ;
Attendu que, pour condamner Gilbert M., déclaré coupable de complicité d'entrave aux fonctions des agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, à une peine d'emprisonnement sans sursis, l'arrêt énonce que les faits poursuivis, de nature à priver d'effet la législation relative à la protection de la santé publique, revêtent une exceptionnelle gravité ; que cette législation suppose, pour être appliquée, l'exercice de contrôles inopinés pour lutter contre les fraudes, en particulier contre l'administration, aux animaux d'élevage, de produits interdits, comportant un risque pour la santé ;
Que les juges ajoutent que le prévenu s'est trouvé à l'origine, par ses instructions, du fait matériel punissable qui a été commis à une époque où il se savait faire l'objet d'enquêtes sur l'utilisation de substances anabolisantes prohibées ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations répondant aux exigences de l'article 132-19 du Code pénal, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Par ces motifs, Rejette les pourvois.