CA Douai, 2e ch. sect. 2, 28 janvier 2016, n° 15-02877
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Uber France (SAS), Uber BV (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Fontaine
Conseillers :
Mmes Andre, Cordier
Avocats :
Me Tayeb, Dominique L., Hugues C.
Faits et procédure
Les sociétés Uber BV (de droit néerlandais) et Uber France exploitent sur les territoires français différents services d'intermédiaires, tel que le service de véhicules de transport avec chauffeurs (VTC) désigné sous le vocable Uber Pop, qui consiste à mettre en relation, via une application mobile, des particuliers avec des chauffeurs indépendants et rémunérés.
À compter de décembre 2013, ces applications ont été commercialisées dans 62 villes de 22 pays, dont Paris, Lille et Lyon.
Estimant que cette activité constituait un trouble illicite et une concurrence déloyale, M. B., propriétaire d'une autorisation de stationnement sur la commune de Lille pour exercer la profession de chauffeur de taxi, a assigné les sociétés Uber France et Uber BV (les sociétés) en référé devant le président du tribunal de commerce de Lille Métropole aux fins de cessation du trouble manifestement excessif et de réparation de son préjudice.
Par une ordonnance de référé du 30 avril 2015, rendue en formation collégiale, cette juridiction a :
- dit n'y avoir lieu à réouverture des débats,
- dit recevables les questions prioritaires de constitutionnalité présentées par les sociétés Uber France et Uber BV,
- dit le juge des référés compétent pour les examiner,
- dit n'y avoir lieu à transmettre les quatre questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par ces sociétés,
- dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes de M. B.,
- condamné M. B. à payer à la société Uber France la somme de 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par une déclaration d'appel du 11 mai 2015, M. B. a formé un appel total.
Moyens et prétentions des parties
Aux termes de ses conclusions récapitulatives signifiées par voie électronique le 29 octobre 2015, M. B. demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 872 et 873 du Code de procédure civile,
Vu les articles L. 3120-2-II et III, L. 3122-9, L. 3124-13 du Code des transports,
Vu les articles L. 121-1, 1er, et L. 121-1 du Code de la consommation,
Déclarer recevable son appel,
Dire bien appelé, mal jugé,
Réformer l'ordonnance dont appel.
Statuer à nouveau.
Constater qu'à la date à laquelle la cour statue, le trouble manifestement illicite généré par l'exploitation d'un système de géolocalisation et par des informations fausses ou de nature à induire en erreur a cessé.
Constater la persistance du dommage imminent.
En conséquence :
faire injonction à Uber BV et Uber France SAS de cesser de proposer au public, directement ou indirectement, dans un délai de 24 heures à compter de la date de la décision à intervenir, les services dénommés Uber pop et Uber pool et tout système équivalent de mise en relation de clients avec des personnes qui se livrent aux activités mentionnées à l'article L. 3120-1 du Code des transports, en l'occurrence des prestations de service routier de personnes effectuées à titre onéreux avec des véhicules de moins de 10 places, sans être ni des entreprises de transport routier pouvant effectuer des services occasionnels mentionnés au chapitre 2 du titre 1 du livre 1 de la 3e partie du Code des transports, ni des taxis, ni des véhicules motorisés à deux ou trois roues ou des véhicules de transport avec chauffeur au sens du même Code, sous astreinte de 250 000 euro par jour de retard.
faire injonction aux Sociétés Uber BV et Uber France de retirer de leur support de communication toute référence aux taxis ou au service qu'elles proposent et ce sous astreinte de 30 000 euro par jour de retard.
faire injonction aux Sociétés Uber BV et Uber France de retirer de leur support de communication toute mention qui présenterait comme licite le fait de s'arrêter, de stationner ou circuler sur la voie ouverte à la circulation publique, en attente de clients, sans être titulaire d'une autorisation réservée aux taxis, en contravention avec l'article L. 3120-2, ll, du Code des transports et de l'article L. 3124-13 du Code des transports, ainsi que le fait, la course terminée et sauf réservation préalable, de ne pas retourner au lieu d'établissement ou dans un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé, en contravention avec les dispositions de l'article L.3122-9 du Code des transports, dans le mois suivant la signification de la décision à intervenir, et sous astreinte de 50 000 euro par jour de retard pendant une période de 60 jours passée laquelle il pourra être à nouveau fait droit.
ordonner, dans les 48 heures de la signification de la décision à intervenir, sous peine de 30 000 euro par jour de retard, la publication sur son site internet vwvvv.uber.com/cities/lille et sur la page d'accueil de son application mobile, ainsi que sur un quotidien régional, de la partie du dispositif de la décision à intervenir relative à la maraude électronique et à la pratique publicitaire mise en œuvre par les Sociétés Uber France et Uber BV et sanctionnée par la Cour d'appel de Douai.
dire que cette publication devra être précédée de la mention en majuscules et en gras en police Arial 16 " Publication judiciaire ''.
condamner solidairement les Sociétés Uber BV et Uber France SAS à payer à M. B. une provision d'un montant de 30 000 euro à valoir sur son préjudice.
condamner sous la même solidarité les Sociétés Uber BV et Uber France SAS à lui payer la somme de 30 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les frais et dépens de l'instance.
Sur 'la persistance du dommage imminent', il expose que, selon les sociétés intimées, elles auraient suspendu leur service Uber Pop et qu'ainsi l'action se trouverait privée d'objet, faute de trouble manifestement illicite ; que, néanmoins, elles reconnaissent implicitement l'existence, antérieurement, d'un tel trouble ; qu'il est incontestable que, le 3 juillet 2015, cette activité de mise en relation de clients avec des conducteurs non professionnels a été suspendue ; que, toutefois, en application de l'article 873 du Code de procédure civile, le juge des référés peut intervenir en cas de dommage imminent ; qu'il convient de préciser que les sociétés Uber ont déjà offert aux consommateurs parisiens une déclinaison du même service, dénommée Uber Pool.
Sur " le trouble manifestement illicite ", il soutient que le support publicitaire des sociétés présente une vision uniquement négative et dévalorisante des services offerts par les taxis, en laissant croire qu'ils ne sont ni simples ni fiables ; que le dénigrement est une affirmation malicieuse contre un concurrent dans le but de détourner sa clientèle ou plus généralement de lui nuire ; qu'il convient d'enjoindre aux deux sociétés de retirer de leur site internet et plus généralement de tout support leur référence au service des taxis.
Sur " les actes de concurrence déloyale ", il explique que, si les premiers juges ont estimé son action prématurée, ils n'ont pas étudié son grief portant sur la publicité mensongère ; que le slogan utilisé, " Uber est votre chauffeur privé ", est caractéristique d'une pratique commerciale fausse et trompeuse ; que ces sociétés " prétendent être transporteur alors qu'en réalité elles revendiquent être un simple intermédiaire " ;
qu'elles diffusent aussi une autre publicité de nature à induire en erreur, en présentant leur service comme du covoiturage payant, alors qu'il s'agit de courses réalisées par des particuliers avec leur véhicule personnel contre une rémunération légèrement inférieure au tarif des taxis ;
que cela s'apparente à une activité de taxi clandestin, plus qu'à une activité de VTC encadrée réglementairement et pratiquée par des professionnels ; que l'article L. 1231-15 du Code des transports définit le covoiturage ; que la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte en a formulé une nouvelle définition à l'article L. 3132-1 du même Code ;
qu'à la différence de l'activité Uber Pop le service de covoiturage n'est pas rémunéré, la somme versée par l'utilisateur ne servant qu'à couvrir une partie des frais de carburant, d'assurance ou d'usure ;
que la DGCCRF comme le ministère public, lors de l'audience du Tribunal correctionnel de Paris du 9 juillet 2014, ont relevé que les services proposés par Uber France consistent à inciter les consommateurs, conducteurs ou utilisateurs à participer au service de " transport à but lucratif par des particuliers ", en donnant l'impression que ce service est licite, alors qu'il ne l'est pas ;
que l'activité de transport de personnes à titre onéreux est strictement réglementée et que son exercice sans obtention des autorisations administratives est passible de sanctions pénales, prévues notamment aux articles L. 3124-4 du Code des transports et R. 231-13 et 14 du Code du tourisme.
Il fait valoir qu'une concurrence illicite est une concurrence déloyale ;
que la Cour de cassation, par un arrêt du 11 mars 2014, a jugé que le refus de se soumettre à une réglementation engendre une rupture d'égalité avec les entreprises de tais de plein exercice (...) tenues d'acquitter pour acquérir une licence de stationnement (...) des droits beaucoup plus onéreux ;
que les sociétés Uber ont enfreint les règles relatives au monopole du stationnement et de la maraude ;
que, le 22 mai 2015, le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les dispositions de l'article L. 3122-9 du Code des transports, aux termes desquelles le conducteur d'un VTC qui vient d'achever une prestation commandée au moyen d'une réservation préalable à retourner au lieu d'établissement (" au garage ") ou dans un lieu de stationnement autorisé, hors de la chaussée, sauf s'il justifie d'une autre réservation préalable ;
que les sociétés intimées n'ont respecté ni le Code des transports, ni le Code du tourisme ni cette décision du Conseil constitutionnel ;
qu'elles présentent sur leur support de communication comme licite le fait pour les conducteurs de voiture de transport avec chauffeur de demeurer sur la voie publique ou en-dehors de leur lieu de rattachement après avoir déposé leur client ;
que le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, dans une ordonnance du 12 décembre 2014, a donc fait injonction aux sociétés Uber de retirer diverses mentions de leur support de communication ;
qu'elles ont toutefois persisté dans leur comportement jusqu'au 23 juillet 2015.
Il soutient qu'ainsi elles lui ont causé un préjudice, entre la date de mise en service du service Uber Pop (décembre 2014) et sa suspension (juillet 2015) ; que sa demande de provision est donc légitime.
Sur " le non-respect du monopole de la " maraude " attribué aux taxis ", il ajoute que le Conseil constitutionnel a reconnu la constitutionnalité des dispositions de l'article L. 3120-2, III, du Code des transports, lequel interdit aux VTC d'informer un client à la fois de la localisation et de la disponibilité d'un véhicule alors qu'il est situé sur la voie publique ; que l'interdiction de cette " géolocalisation, maraude électronique " a été transgressée pendant près d'une année par les sociétés Uber, qui ont ainsi pu dégager des bénéfices faramineux et lui ont nécessairement causé préjudice.
Sur " l'organisation d'un système frauduleux de faux covoiturage ", se référant aux articles L.3124-13 et L. 3120-1 du Code des transports, il considère que, de la combinaison de leurs dispositions, il se déduit que l'organisation d'un système de mise en relation de clients avec des personnes qui ont une " prestation de transport routier de personnes effectuée à titre onéreux avec des véhicules de moins de dix places " n'est permise qu'aux taxis, VTC, moto-taxis, entreprises de transport routier ; que les sociétés Uber ont continué à exploiter leur service malgré son interdiction dès le 1er octobre 2014 par la loi interdisant ce type de service ; que ce comportement lui a nécessairement causé un préjudice.
Sur " l'argumentation juridique européenne des sociétés Uber ", il explique que, pour qu'un texte de loi soit affecté par l'obligation de notification préalable à la Commission européenne, il doit porter notamment sur des " règles relatives au service de la société d'information " ;
que la Directive 98/34/CE définit ces règles en ses articles 1.2 et 1.5 de manière large comme une exigence de nature générale relative à l'accès aux activités de la société d'information, c'est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d'un destinataire de service ;
qu'en l'espèce il est permis de dire que la loi Thévenoud n'est pas une loi ciblant les services de la société d'information comme les applications mobiles permettant la géolocalisation des véhicules, mais un texte visant à clarifier le cadre légal et réglementaire applicable au transport de personnes ; que l'application de la directive à la loi Thévenoud n'est pas certaine.
Sur " les demandes d'interdiction et d'injonction ", il explique que les sociétés Uber n'ont repris aucun engagement quant à l'arrêt définitif de leur service Uber Pop ou d'un autre service équivalent dans la métropole lilloise et rappelle qu'elles développent actuellement à Paris un service équivalent dénommé Uber Pool.
Sur " son préjudice ", après avoir cité quelques propos d'un responsable de la société Uber France sur le développement de l'entreprise et visé les chiffres d'affaires en 2012 et 2013 de celle-ci, puis à nouveau visé la " stratégie ayant pour but à peine dissimulé d'exploiter une activité de faux covoiturage par l'instrumentalisation du droit et le dévoiement du droit processuel ", il expose divers arguments sur ce " dévoiement " (appel du jugement correctionnel les ayant condamnées à une amende de 100 000 euro ; présentation de diverses questions prioritaires de constitutionnalité à l'occasion d'une action engagée contre elles devant le tribunal de commerce de Paris ou devant le juge des référés en la présente instance ou encore devant le tribunal correctionnel de Lille, devant lequel lui-même les a citées pour complicité d'exercice illégal d'une activité réglementée ; message envoyé aux utilisateurs de leur service pour leur indiquer que l'arrêté préfectoral interdisant l'exploitation du service Uber Pop n'avait aucune incidence et les invitant à poursuivre leur activité) puis soutient (sous l'intitulé " sur le préjudice financier ") que la société Uber a nécessairement désorganisé le marché du transport de personnes, détourné sa clientèle, provoqué un trouble commercial, jeté un discrédit sur le service proposé par les chauffeurs de taxi et donc sur lui ; qu'il a dû interrompre son activité pour se réunir avec ses collègues et organiser des manifestations, expliquer à ses clients le trouble ainsi provoqué par ces sociétés ;que ce comportement lui a certainement causé un préjudice moral qu'il convient de réparer par une somme de 30 000 euro à titre de provision.
Par des conclusions récapitulatives signifiées par voie électronique le 10 novembre 2015, les S.A.S Uber France et société de droit néerlandais Uber BV demandent à la cour de :
Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
Vu la Directive 98/34/CE du du 22 juin 1998,
Vu les articles 1315 et 1382 du Code civil,
Vu l'article 378 du Code de procédure civile,
Vu l'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile,
A titre principal :
- Constater la suspension du service Uber Pop et de tout service équivalent depuis le 3 juillet 2015 ;
- En conséquence, dire et juger qu'aucun trouble manifestement illicite ni aucun dommage imminent résultant du service Uber Pop ou de tout autre service équivalent ne saurait être constaté ;
- En conséquence, débouter M. B. de l'ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire :
- dire et juger que les articles L. 3120-2, III, 1°, et L. 3124-13 du Code des transports n'ont pas fait l'objet d'une notification à la Commission européenne, en méconnaissance de la Directive 98/34/CE du 22 juin 1998 ;
- En conséquence, dire et juger que les articles L. 3120-2, III, 1° et L. 3124-13 du Code des transports sont inopposables à Uber France et Uber B.V ;
- constater que l'article L. 3122-2 du Code des transports, dont se prévaut de manière incidente le demandeur, a été abrogé par le Conseil constitutionnel, par sa décision du 22 mai 2015, et ne peut dès lors recevoir application dans le cadre du présent litige, de sorte qu'il ne saurait y avoir lieu à référé ;
- dire et juger qu'aucun " travail dissimulé par dissimulation d'activité " ni, a fortiori, aucune pratique commerciale trompeuse ne sont caractérisés ;
- En conséquence, dire et juger qu'aucun acte de concurrence déloyale à l'encontre de M. B. n'est démontré ;
A titre très subsidiaire :
- Prier la Cour de justice de l'Union européenne de vouloir bien répondre à la question préjudicielle suivante :
" Les articles L. 3120-2, III, 1° et L. 3124-13 du Code des transports issus de la loi n° 2014-1104 du 1° octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur sont-ils constitutifs d'une règle technique relative à un ou plusieurs services de la société de l'information au sens de la Directive 98/34/CE du du 22 juin 1998 , relevant de la procédure de notification préalable obligatoire auprès de la Commission européenne prévue à l'article 8 de ladite directive "
Dans l'affirmative, la méconnaissance de l'obligation de notification prévue à l'article 8 de la Directive entraîne-t-elle l'inopposabilité des articles L. 3120-2, III, 1° et L. 3124-13 du Code des transports aux tiers ''
Surseoir à statuer par application de l'article 378 du Code de procédure civile ;
En tout état de cause :
- dire et juger que les conditions qui subordonnent l'application de l'article 873 du Code de procédure civile font défaut en l'espèce, de sorte qu'il ne saurait y avoir lieu à référé ;
- dire et juger que M. B. ne démontre aucun trouble manifestement illicite ni aucun dommage imminent de sorte qu'il ne saurait y avoir lieu à référé ;
- En conséquence, rejeter l'intégralité des prétentions formulées par M. B. ;
- condamner M. B. à payer la somme de 30 000 euro aux sociétés Uber France et Uber BV au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Elles précisent au préalable que le service Uber Pop n'est plus proposé au public depuis le 3 juillet 2015, donc antérieurement aux premières conclusions d'appel de M. B., du 10 juillet, et ne l'est pas non plus sous l'appellation Uber Pool ; que les supputations de l'appelant sur une éventuelle reprise ne se fondent sur aucun élément probant ; que le recours visant à faire interdire un service qui n'existe plus est totalement dépourvu d'objet ; que le service Uber Pool ne permet pas aux particuliers de proposer un service de transport collaboratif à d'autres particuliers, mais consiste à mettre en relation des conducteurs professionnels, d'une part, avec plusieurs passagers se rendant à la même destination, d'autre part ; que pas plus qu'en première instance M. B. n'apporte devant la cour d'appel la preuve de ses prétentions.
Elles développent ensuite divers moyens, sous plusieurs intitulés correspondant aux chefs de prétentions du dispositif de leurs conclusions :
- la suspension du service Uber Pop prive de tout objet l'appel de M. B. ;
- les articles L. 3120-2, III, 1°, et L. 3124-13 du Code des transports sont inopposables à Uber car ils n'ont pas fait l'objet d'une notification à la Commission européenne par la France, en violation de la Directive 98/34/CE et de l'article 4(3) du Traité de l'Union européenne ;
- L'article L. 3122-2 du Code des transports a été abrogé par le Conseil constitutionnel le 22 mai 2015 ;
- aucun travail dissimulé par dissimulation d'activité ne saurait leur être reproché, et la cour d'appel statuant en référé serait incompétente pour le constater ;
- Uber est une société d'intermédiation et non une société de transport exploitant des VTC ;
- Uber se présente sans ambiguïté comme un intermédiaire et non une entreprise de transport ;
- l'infraction de travail dissimulé par dissimulation d'activité n'est caractérisée que lorsque l'activité est exercée dans un but lucratif ;
- l'application Uber Pop empêchait structurellement de tirer le moindre profit d'un partage collaboratif de son propre véhicule ;
- il y a absence de toute 'pratique commerciale trompeuse' et de 'publicité de travail dissimulé par dissimulation d'activité' au sens des articles L. 120-1 et suivants du Code de la consommation ;
- la transposition de la Directive 2005 / 29 / CE s'est traduite par une profonde modification des règles relatives aux " publicités trompeuses " ;
- le demandeur ne prouve absolument pas que la pratique commerciale litigieuse s'est traduite par la diffusion d'une information " trompeuse " ;
- il ne prouve pas que la pratique commerciale litigieuse altère ou est susceptible d'altérer de façon substantielle le comportement économique du consommateur moyen ;
- en tout état de cause, il ne peut y avoir lieu à référé car il n'y a ni trouble manifestement illicite ni dommage imminent.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Motifs de la décision
* Au préalable, il peut être observé que, nonobstant le visa des articles 872 et 873 du Code de procédure civile, c'est le plus souvent à un véritable débat sur le fond que se livrent les parties, oubliant que les pouvoirs du juge des référés, et, en cause d'appel, de la cour d'appel, sont limités et que, notamment, le juge des référés ne peut apprécier la responsabilité du débiteur d'une obligation.
* La cour précise également que les griefs de l'appelant sont évoqués, au fil de ses écritures, à plusieurs reprises, sous divers titres, ce qui a parfois nécessité un regroupement des arguments, au regard de la teneur et de la nature des demandes figurant dans ce dispositif.
* Il n'y a pas lieu de reprendre ni d'écarter dans le dispositif du présent arrêt les demandes tendant à " constater que... " ou " dire que ... ", telles que figurant dans le dispositif des conclusions des parties, lorsqu'elles portent sur des moyens ou éléments de fait relevant des motifs et non des chefs de décision devant figurer dans la partie exécutoire de l'arrêt.
* Selon l'article 872 du Code de procédure civile, " dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend ".
Et, en vertu de l'article 873 de ce Code, " le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire ".
* M. B. a saisi le président du tribunal de commerce de Lille Métropole, en référé, au visa de l'article 873 du Code de procédure civile et, en cause d'appel, vise les articles 872 et 873 de ce Code. Cependant aucun de ses moyens ou arguments ne se rapporte à une quelconque urgence.
C'est donc au regard des seules dispositions de l'article 873 que seront examinées ses prétentions.
* Le dommage imminent s'entend du dommage qui ne s'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer.
Il en ressort que, pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle la cour statue et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines ; qu'un dommage purement éventuel ne saurait fonder l'intervention du juge des référés.
* Quant au trouble manifestement illicite, il résulte de " toute perturbation résultant d'un fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit ".
La " mesure répressive " que le juge des référés est invité à prendre, sur le fondement de l'article 873 précité, étant destinée à mettre fin à une situation provoquant une atteinte dommageable et actuelle aux droits ou intérêts légitimes du demandeur, il en résulte que, si, au moment où le juge doit statuer, le trouble allégué a pris fin, aucune mesure n'a plus lieu d'être prononcée et, dans ce cas, seule est alors en cause, éventuellement, la réparation du dommage ayant existé, ce qui ne relève pas de la compétence du juge des référés.
Sur les demandes tendant à constater la cessation du trouble manifestement illicite généré par l'exploitation d'un système de géolocalisation et par des informations fausses ou de nature à induire en erreur et à constater la persistance du dommage imminent, et les demandes subséquentes
* La cour relève, d'abord, qu'il s'agit là, en réalité, de deux troubles de nature différente qui sont invoqués par M. B., ensuite, qu'il lui est demandé de constater leur cessation à ce jour.
Cependant, ainsi que cela a été énoncé précédemment, les mesures que le juge des référés est susceptible d'ordonner, sur le fondement de l'article 873 précité, sont destinées à mettre fin à une situation existante, provoquant une atteinte dommageable et actuelle aux droits ou intérêts légitimes du demandeur.
Et si, au moment où le juge doit statuer, le trouble allégué a pris fin, aucune mesure n'a plus lieu d'être prononcée et les demandes en ce sens sont alors dépourvues d'objet ou d'intérêt.
Or, M. B. lui-même admet que les troubles résultant de " l'exploitation d'un système de géolocalisation " et " des informations fausses ou de nature à induire en erreur " (incluant les " faits de dénigrement ", tels que cités en page 6 et 7 de ses conclusions) ont cessé.
Certes, M. B. écrit aussi, en page 20 de ses conclusions, que, " malgré la suspension de son service Uber Pop, les sociétés Uber continuent à diffuser des messages de dénigrement au préjudice de taxis ".
Toutefois, les supports publicitaires produits par lui sont tous antérieurs au 3 juillet 2015, et il ne verse aux débats aucun élément de preuve, régulièrement communiqué, établissant que ces sociétés continuent actuellement à présenter des 'supports de communication' présentant les mentions critiquées.
Il est donc établi qu'à ce jour les faits susceptibles de constituer les troubles manifestement illicites tels qu'invoqués par l'appelant ont cessé.
En conséquence, les demandes y afférentes sont aujourd'hui dépourvues d'objet.
* Par ailleurs, le dommage imminent dont excipe M. B., qui résulterait de la reprise éventuelle du système d'exploitation Uber Pop actuellement suspendu, est hypothétique et ne serait causé que par un événement ou une situation, futurs et éventuels, ce qui ne constitue pas un " dommage non encore réalisé qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer ".
* Enfin, il n'est ni prouvé qu'un système Uber Pool (autre que le service Uber Pop dont se plaignait M. B.) ou tout autre système équivalent soit actuellement exploité dans le secteur géographique où M. B. exploite son activité, ni même argué d'une annonce de reprise par les sociétés.
En conséquence, doivent être rejetées les demandes exposées dans le dispositif des dernières conclusions de M. B. et tendant à enjoindre à Uber BV et Uber France SAS de cesser de proposer au public les services dénommés Uber pop et Uber pool et tout système équivalent, comme à leur enjoindre de retirer de leurs supports de communication toutes les mentions critiquées.
* Dès lors, la demande de publication présentée par M. B. est dépourvue d'intérêt et ne peut qu'être rejetée elle aussi.
L'ordonnance attaquée, qui avait dit n'y avoir lieu à référé pour l'ensemble des demandes de M. B., sera réformée de ces chefs.
Sur la demande de provision " à valoir sur son préjudice "
* En application de l'article 873 du Code de procédure civile précédemment reproduit, avant d'accorder une provision, le juge des référés doit rechercher si l'obligation invoquée n'est pas sérieusement contestable, donc apprécier le caractère plus ou moins évident de la solution à la question qui dépend des pouvoirs du juge du fond.
Ces dispositions n'exigent pas de rechercher si la demande est fondée sur l'urgence, mais seulement de constater l'existence d'une obligation non sérieusement contestable.
* L'existence d'une contestation sérieuse de nature à affecter les pouvoirs du juge des référés s'apprécie à la date de la décision.
S'il appartient au demandeur d'établir l'existence du droit qu'il invoque, c'est au défendeur de prouver que ce droit est sérieusement contestable.
La juridiction des référés ne peut refuser d'accorder une provision quand il résulte de ses énonciations qu'il n'y a pas de contestation sérieuse sur l'existence de l'obligation. En effet, dès lors que le principe même d'une obligation n'est pas sérieusement contestable, une provision peut être allouée, même si le montant de l'obligation est encore sujet à controverse.
* Si ce juge doit constater l'absence de contestation sérieuse sur l'obligation invoquée, il ne doit pas, pour accorder une provision, trancher une telle contestation, notamment quant à l'interprétation des actes ou des pièces, en particulier la portée ou l'opposabilité d'un acte, ou encore quant à un accord prétendu, intervenu entre les parties, ne pouvant être apprécié sans interpréter leur volonté au regard d'un ensemble de circonstances ou d'éléments.
Le juge des référés ne peut davantage accorder une provision lorsque le principe même de l'obligation est discuté, ou lorsque la question dont il est saisi n'est pas dissociable d'une question de fond qu'il n'a pas le pouvoir de trancher.
Il ne peut non plus trancher une question concernant la responsabilité des parties, laquelle relève du seul pouvoir des juges du fond, mais peut accorder une provision si la responsabilité est établie en l'absence de contestation d'une faute d'exécution.
* M. B. invoque des faits de concurrence déloyale lui ayant nécessairement causé préjudice, commis par les sociétés et ayant consisté à " se rendre coupables de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur " (page 8), en " laissant croire qu'elle exploite une activité de transport " tout en " revendiquant être de simples intermédiaires " (page 9), mais aussi en présentant leur service Uber Pop (tarifé) comme du co-voiturage (page 9) alors qu'une telle pratique n'est pas rémunérée et ne prévoit qu'un partage des frais, ou encore en faisant croire que le service de transport de personnes à titre onéreux entre particuliers est licite (pages 11 et 12), voire en laissant croire au " consommateur moyen " qu'il s'agit d'un service de taxi ou de VTC alors qu'il ne s'agit que d'un système de mise en relation entre particuliers (page 13).
Pour se plaindre d'une concurrence déloyale de la part des sociétés intimées, M. B. vise également 'l'inobservation de la réglementation' (page 13), par la transgression des règles relatives, d'une part, au monopole du stationnement attribué aux taxis (violation des dispositions de l'article L. 3122-9 du Code des transports validées par le Conseil constitutionnel) (page 14), d'autre part, au monopole de la 'maraude' attribué aux taxis (l'utilisation du système de géolocalisation étant interdite par le Code des transports et l'article L. 3120-2, III, ayant été déclaré conforme à la constitution par le Conseil constitutionnel) (page 17), mais aussi par l'organisation d'un système frauduleux de faux co-voiturage, en violation des dispositions de la loi du 1er octobre 2014 (pages 17 et 18).
Reconnaissant encore (page 16) que ces dispositions n'ont été transgressées que jusqu'au 23 (3') Juillet 2015, il excipe en conséquence d'un préjudice subi entre la date de mise en service d'Uber Pop (décembre 2014) et sa suspension (juillet 2015), puis " d'une obligation non sérieusement contestable " rendant légitime sa demande de provision.
Ce faisant, il excipe de fautes qui auraient été commises par les sociétés Uber - et qui sont contestées par elles -, d'un préjudice subi par lui et d'un lien de causalité entre eux, tous éléments d'une responsabilité dont l'appréciation relève du juge du fond et non des pouvoirs de la juridiction des référés.
En outre, force est de constater que la contestation présentée par les sociétés intimées est sérieuse, en ce sens que son rejet ne relève pas de l'évidence.
En effet, face à l'application des articles L. 3120-2 (en ses paragraphes II et III) et L. 3124-13 du Code des transports, tels qu'instaurés par les articles 10 -3° et 12, III, de la loi n°2014-1104 du 1er octobre 2014 'relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur', dite " loi Thévenoud ", qui sont invoqués par M. B. et qui auraient été violés par les sociétés intimées, et malgré le rejet des questions prioritaires de constitutionnalité soumises au Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité de ces dispositions (seules celles de l'article L. 3122-2 du Code des transports, relatives à des modalités de tarification, ayant été censurées par lui dans la décision du 22 mai 2015), les sociétés Uber excipent de l'inopposabilité de ces dispositions à leur égard, comme n'ayant pas fait l'objet d'une notification à la Commission européenne par la France, en violation de la Directive 98/34/CE et de l'article 4 (3) du TUE.
Or, pour écarter la contestation soulevée par les sociétés intimées, comme non sérieuse, la présente juridiction des référés devrait considérer comme évidente la réponse aux questions tenant à : 1°, la soumission de l'élaboration des textes législatifs à cette procédure de notification (laquelle ne serait pas réservée aux textes réglementaires ou administratifs) ; 2°, l'application de cette Directive à cette loi du 1er octobre 2014 ; 3°, l'analyse des prestations et services assurés par elles et leur qualification au regard de la notion de service de la société de l'information - au sens de cette Directive, telle que modifiée-, comme au regard de la liste indicative des services non couverts figurant à l'annexe V de la Directive en cause ; 4°, la qualification des dispositions litigieuses de règles ou de normes techniques concernant directement un service de la société de l'information, au sens de ce texte communautaire.
Enfin, il y a lieu d'observer que, alors que M. B. sollicite une provision de 30 000 euro de dommages et intérêts et excipe d'un préjudice subi du fait de la prétendue concurrence déloyale, il se borne à énumérer divers faits ou circonstances (nécessaire détournement de sa clientèle du fait du comportement déloyal des sociétés, désorganisation du marché des transports, trouble commercial, discrédit sur le service des chauffeurs de taxis, interruption de ses activités pour l'organisation de manifestations, explications à fournir à ses clients, préjudice moral certain), mais ne verse aux débats aucune évaluation - par exemple - d'une quelconque perte de clientèle ou baisse d'activité sur la période en cause, ni d'éléments justificatifs à l'appui de ses assertions, qui eussent été de nature à permettre d'évaluer le cas échéant le montant d'une quelconque provision.
En considération de la contestation sérieuse opposée par les intimées, la cour dira n'y avoir lieu à référé sur cette demande.
L'ordonnance attaquée sera confirmée de ce chef (car, si elle ne contient aucun motif relatif à cette demande de provision, néanmoins, il n'en demeure pas moins qu'elle mentionne, en page 8, que M. B. avait présenté une demande de provision de 30 000 euro à valoir sur son préjudice, et que son dispositif contient la mention 'dit n'y avoir lieu à référé pour l'ensemble des demandes de M. B.').
Sur les frais et dépens
En application de l'article 696 du Code de procédure civile, M. B., qui succombe en ses prétentions, sera condamné aux dépens d'appel.
Enfin, il est équitable de laisser à chacune des partie la charge de ses frais irrépétibles d'appel, l'ordonnance étant par ailleurs confirmée en ce qu'elle condamne M. B. en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, Vu l'évolution du litige, confirme l'ordonnance de référé entreprise en ce qu'elle dit n'y avoir lieu à référé sur la demande en paiement de 30 000 euro à titre de provision, en ce qu'elle condamne M. B. à payer 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens de première instance, reforme l'ordonnance en ce qu'elle dit n'y avoir lieu à référé sur les autres demandes de M. B., statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant, rejette les demandes de M. B. tendant à délivrer diverses injonctions aux sociétés Uber BV et Uber France SAS et à ordonner la publication du présent arrêt, deboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile, condamne M. B. aux dépens d'appel.