CA Besançon, 1re ch. civ. et com., 19 janvier 2016, n° 14-01032
BESANÇON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bouygues Immobilier (SA), Iselection (SA), Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse (SA), CNP Assurances (SA), Nexity Lamy (SA)
Défendeur :
Chikhaoui
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mazarin
Conseillers :
Mme Uguen-Laithier, M. Marcel
Avocats :
Mes Raoul, Levy, Economou, de Ribalsky, Graciano, Rossanino, Pauthier, Mayer Blondeau, d'Journo
Faits, procédure et prétentions des parties
Suivant convention d'intermédiaire conclue à distance les 18 décembre 2007 et 2 janvier 2008, M. Mourad Chikhaoui, qui désirait bénéficier du dispositif fiscal offert par la loi dite de Robien, a confié à la SA Iselection un mandat ayant pour objet " une mission d'étude, d'assistance et de recherche d'investissement immobilier ".
Le 18 décembre 2007 M. Mourad Chikhaoui a également conclu avec la société Bouygues Immobilier un contrat de réservation portant sur un appartement faisant partie d'un futur ensemble immobilier situé à Belfort (90) moyennant le prix ferme et définitif de 95 096 euro TTC.
Pour financer cet investissement immobilier, M. Mourad Chikhaoui a souscrit le 3 mars 2008 auprès de la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse un emprunt remboursable en 300 mensualités au taux de 4,51 % l'an garanti par la souscription, le 16 janvier 2008, d'une assurance décès-incapacité auprès de la SA CNP Assurances.
Le 8 septembre 2008 M. Mourad Chikhaoui et la SA Bouygues Immobilier ont régularisé l'acte définitif de vente. Par acte de sous-seing privé en date du 9 juin 2009 M. Mourad Chikhaoui a donné un mandat de gestion locative à la société Lamy (devenue par la suite la SA Nexity Lamy).
N'étant parvenu à louer l'appartement acquis que durant une courte période, M. Mourad Chikhaoui a fait assigner devant le Tribunal de grande instance de Belfort la SA Iselection, la SA Bouygues Immobilier, la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse, la SA CNP Assurances et la société Lamy aux fins de voir prononcer la nullité de l'acte de réservation et de toutes les conventions subséquentes et ordonner la restitution des sommes en résultant.
Par jugement du 18 février 2014 le Tribunal de grande instance de Belfort a :
- prononcé la nullité du contrat de réservation conclu le 18 décembre 2007 entre la SA Bouygues immobilier et M. Mourad Chikhaoui, portant sur appartement de type T1 intégré dans un ensemble immobilier <...>,
- prononcé également l'annulation de l'acte authentique de vente régularisée le 8 septembre 2008 et portant sur ledit appartement,
- ordonné la publication à la conservation des hypothèques de Belfort du jugement prononçant la nullité du contrat de vente,
- prononcé la résolution du contrat de prêt souscrit par M. Mourad Chikhaoui auprès de la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse le 3 mars 2008,
- prononcé la résiliation du contrat d'assurance décès-invalidité souscrit le 16 janvier 2008 par M. Mourad Chikhaoui auprès de la SA CNP Assurances,
- prononcé la résiliation du contrat de mandat de gestion locative conclue le 9 juin 2009 par M. Mourad Chikhaoui auprès de la société Lamy,
- ordonné à M. Mourad Chikhaoui de restituer à la société Bouygues Immobilier l'appartement litigieux,
- ordonné à la société Bouygues immobilier de restituer à M. Mourad Chikhaoui la somme de 95 096euro correspondant au prix de vente du bien immobilier,
- condamné M. Mourad Chikhaoui à payer à la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse la somme de 86 945,21 euro outre les intérêts de droit au taux légal à compter du prononcé du jugement, et après déduction des montants versés du 5 août 2013 jusqu'au jour du jugement,
- dit n'y avoir lieu à restituer aucun montant au titre de la résiliation du contrat d'assurance décès-invalidité et du contrat de mandat de gestion locative,
- débouté M. Mourad Chikhaoui de ses demandes de dommages intérêts formés à l'encontre des sociétés Isélection et Bouygues Immobiliers,
- condamné la société Bouygues immobilier à payer la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse la somme de 16 429,76 euro à titre de dommages-intérêts, outre les intérêts échus du 5 septembre 2012 jusqu'au jour du prononcé du jugement,
- débouté la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse du surplus de sa demande de dommages-intérêts,
- débouté la société Lamy de sa demande de dommages-intérêts formée à l'encontre de M. Mourad Chikhaoui,
- débouté M. Mourad Chikhaoui de sa demande visant avoir prononcé la nullité de la convention d'intermédiaire conclue le 18 décembre 2007 et 2 janvier 2008 avec la société Iselection,
- dit y avoir lieu au maintien de l'hypothèque conventionnelle consentie au bénéfice la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse,
- condamné la société Bouygues Immobilier à payer la somme de 1 000 euro, d'une part à M. Mourad Chikhaoui, d'autre part, à la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit des autres parties à l'instance,
- condamné la SA Bouygues Immobilier aux entiers dépens avec distraction, en application de l'article 699 du Code de procédure civile, au profit de Me Tisserand-Michel, de la SCP Gehant-Saïah-Garot, de la SCP Belin-Schartner-Darey et de Me Lanfumez,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Par déclaration enregistrée le 6 mai 2014 la SA Bouygues Immobilier a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions déposées le 9 novembre 2015, auxquelles il y a lieu de se reporter pour un complet exposé de ses moyens, elle demande à la cour de réformer intégralement le jugement déféré et, statuant à nouveau, de :
- débouter M. Mourad Chikhaoui de sa demande de nullité du contrat de réservation du 18 décembre 2007 et de sa demande de nullité de l'acte authentique de vente en l'état futur d'achèvement du 8 septembre 2008,
- débouter M. Mourad Chikhaoui de sa demande de dommages-intérêts,
- d'une manière générale, débouter M. Mourad Chikhaoui de toutes ses demandes à l'encontre de la société Bouygues Immobilier,
- débouter la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse de sa demande de dommages-intérêts formée à l'encontre de la SA Bouygues Immobilier,
- débouter la SA CNP Assurances de sa demande de dommages-intérêts dirigée contre la société Bouygues immobilier,
- condamner in solidum M. Mourad Chikhaoui, la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse et la SA CNP Assurances au paiement à la SA Bouygues Immobilier de la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner in solidum M. Mourad Chikhaoui, la Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Provence Alpes Corse et la SA CNP Assurances aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Benjamin Levy conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières écritures déposées le 28 novembre 2014, auxquelles il convient de se référer pour un énoncé exhaustif de ses moyens, la SA Iselection sollicite la confirmation du jugement entrepris, le rejet de toutes les demandes plus amples ou contraires de M. Mourad Chikhaoui et la condamnation de celui-ci à lui verser la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, avec droit pour Maître Graciano de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées le 29 octobre 2014, auxquelles il y a lieu de se reporter pour un complet exposé de ses moyens, la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse demande à la cour de :
A titre principal,
- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur les mérites des prétentions de M. Mourad Chikhaoui quant à l'annulation du contrat de réservation et des contrats subséquents,
- condamner M. Mourad Chikhaoui à lui régler la somme de 103 256 euro outre les intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition des fonds et jusqu'à parfait paiement,
- lui donner acte de ce qu'elle admet avoir reçu la somme de 17 010,79 euro,
- dire qu'il s'opérera une compensation entre les sommes qui seront définitivement dues par M. Mourad Chikhaoui à la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse, déduction faite des sommes qu'il aura versées jusqu'au prononcé de la décision d'annulation du prêt,
- condamner tout succombant à lui verser la somme de 29 18,64 euro à titre de dommages-intérêts,
- condamner tout succombant à régler, à titre de dommages-intérêts, les intérêts conventionnels qu'aurait dû payer l'emprunteur, soit au 5 décembre 2014, la somme de 25 941,08 euro et à parfaire en fonction de la date effective d'annulation du prêt,
- condamner tout succombant à lui payer la somme de 2 000 euro au titre des frais irrépétibles,
- dire que l'hypothèque conventionnelle de la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse inscrite sur l'immeuble dont est propriétaire M. Mourad Chikhaoui subsistera jusqu'à l'extinction de son obligation de restituer les sommes qui lui ont été prêtées,
A titre subsidiaire, autoriser la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse à prendre une inscription d'hypothèque judiciaire sur l'immeuble à hauteur des condamnations prononcées,
En tout état de cause, condamner tout succombant aux entiers dépens distraits au profit de la SCP d'avocats Mayer-Blondeau conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières écritures déposées le 11 décembre 2014 auxquelles il convient de se référer pour un énoncé exhaustif de ses moyens, la SAS. Nexity Lamy sollicite l'infirmation partielle du jugement querellé et demande à la cour de :
A titre principal,
- débouter M. Mourad Chikhaoui de l'ensemble de ses prétentions dirigées à son encontre,
- débouter toutes les autres parties de leurs éventuelles prétentions susceptibles d'être formées à son encontre,
A titre subsidiaire, pour le cas où l'annulation de la vente en l'état futur d'achèvement serait prononcée,
- dire que le mandat de gestion confié à la SAS Nexity Lamy serait devenu sans objet pour l'avenir,
- constater toutefois que la résiliation du mandat de gestion est intervenue à effet du 9 juin 2013
- dire en conséquence que la SAS Nexity Lamy conservera les honoraires perçus d'un montant de 796,62 euro et que M. Mourad Chikhaoui conservera l'indemnisation de 2 939,62 euro qu'il a perçue,
A titre infiniment subsidiaire, pour le cas où la SAS Nexity Lamy serait tenue de restituer à M. Mourad Chikhaoui les honoraires perçus,
- condamner M. Mourad Chikhaoui à restituer à la SAS Nexity Lamy l'indemnisation de 2 930,62 euro qu'il a perçue de cette société,
- débouter M. Mourad Chikhaoui de toutes ses prétentions plus amples ou contraires,
Pour le surplus,
- condamner M. Mourad Chikhaoui à lui payer la somme de 1 500 euro à titre de dommages-intérêts,
- dire n'avoir lieu à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile à l'encontre de la SAS Nexity Lamy,
- condamner la SA Bouygues Immobilier et M. Mourad Chikhaoui à lui payer, chacun, la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la SA Bouygues Immobilier et M. Mourad Chikhaoui aux entiers dépens avec droit de recouvrement au profit de la SCP Dumont-Pauthier, avocats, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions, déposées le 27 mars 2015, auxquelles il échet de se reporter pour un complet exposé de ses moyens, la SA CNP Assurances sollicite de la cour :
A titre principal, dans l'hypothèse d'une confirmation du jugement entrepris sur l'annulation du contrat de vente,
- confirmer également la décision entreprise en ce qu'elle a prononcé la résiliation du contrat d'assurance invalidité-décès,
- débouter en conséquence M. Mourad Chikhaoui de ses demandes de restitution des primes versées,
A titre très subsidiaire, si la cour annulait le contrat d'assurance souscrit auprès de la SA CNP Assurances et faisait droit à la demande de restitution des primes versées,
- condamner la SA Bouygues Immobilier à lui payer, à titre de dommages-intérêts, les sommes de :
1 901,58 euro, montant correspondant aux primes encaissées au 20 mars 2012,
25, 99 euro par mois du 20 mars 2012 jusqu'au prononcé de l'arrêt à intervenir,
- dire que lesdites sommes produiront intérêts à compter de l'arrêt à intervenir,
En tout état de cause, condamner la partie qui succombera au principal au paiement de la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Dans ses dernières écritures déposées le 10 février 2015 auxquelles il y a lieu de se référer pour un énoncé exhaustif de ses moyens M. Mourad Chikhaoui demande à la cour de :
A titre principal, confirmer décision querellée en ce qu'elle a prononcé la nullité du contrat de réservation du 18 décembre 2007 et celle du contrat de vente du 8 septembre 2008.
Sur son appel incident, il réclame l'annulation de tous les contrats subséquents à la vente et la condamnation des parties intéressées à lui restituer les sommes de :
- au titre de l'annulation du contrat de prêt : 22 849,56 euro compte arrêté au 15 mars 2012, sauf à parfaire,
- au titre de l'annulation du contrat d'assurance : 2 926,22 euro compte arrêté au 15 mars 2015, sauf à parfaire,
- au titre de l'annulation du mandat de gestion : 3 300,30 euro,
- au titre de l'annulation de la convention d'intermédiaire : 2 990 euro.
M. Mourad Chikhaoui demande également à la cour de :
- ordonner la restitution à la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse par le vendeur du solde du prêt non versé à M. Mourad Chikhaoui et de le condamner au frais y afférents,
- ordonner la publication de l'annulation de l'acte authentique de vente à la conservation des hypothèques compétente,
- condamner la SA Iselection et la SA Bouygues Immobilier à lui verser les sommes de :
15 000 euro au titre de son préjudice moral,
15 000 euro au titre de son préjudice économique,
A titre subsidiaire, si la cour ne faisait pas droit à ses demandes en nullité et en restitution, condamner la SA Iselection et la SA Bouygues Immobilier à lui payer la somme de 50 000 euro en réparation de son préjudice économique ainsi que celle de 88 438 euro correspondant au manque d'économie d'impôt non réalisée,
En tout état de cause,
- condamner chaque défendeur à lui payer la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société appelante aux entiers dépens avec droit pour Maître Economou, avocat, de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 novembre 2015.
Motifs de la décision
Sur la nullité de l'acte de réservation
Attendu qu'il est constant que M. Mourad Chikhaoui a conclu les 18 décembre 2007 et 2 janvier 2008 avec la SA Iselection une convention d'intermédiaire à distance destinée à l'assister dans la recherche d'un investissement immobilier aux fins de réaliser une opération de défiscalisation ; que le mandataire s'était vu confier une mission d'étude quant à la faisabilité du projet et de recherche des programmes immobiliers les plus adaptés ; que la SA Iselection a orienté M. Mourad Chikhaoui vers un ensemble immobilier à construire par la SA Bouygues Immobilier situé sur la commune de Belfort ;
Attendu que le 18 décembre 2007 M. Mourad Chikhaoui et la SA Bouygues Immobilier ont signé un contrat de réservation portant sur un T1 bis <adresse> moyennant un prix ferme et définitif de 95 096 euro ; que l'acte de réservation comportait un coupon détachable destiné à permettre à M. Mourad Chikhaoui de se rétracter dans le délai prévu par la loi ;
Attendu que M. Mourad Chikhaoui invoque aujourd'hui la nullité de l'acte de réservation au motif que le coupon de rétractation ne satisfaisait pas aux exigences posées par les articles L. 121-24, R. 121-4 et R. 121-5 du Code de la consommation ; qu'en l'absence de législation particulière applicable à la matière, cet avant-contrat était soumis aux règles protectrices relatives au démarchage à domicile ;
Attendu que si l'acte de réservation litigieux comporte la reproduction des articles L. 121-23 à L. 121-26 du Code de la consommation, le bordereau de rétractation qui y est inclus ne satisfait pas aux prescriptions légales dont l'objet est de protéger les consommateurs démarchés ; qu'il est impératif en particulier que la mention " annulation de commande " figure en entête du document en gros caractères alors que dans le coupon litigieux il est simplement fait mention, dans le corps du texte, de " la faculté de rétractation " ;
Attendu que le coupon d'annulation doit également comporter les instructions à suivre pour se rétracter et le délai pour ce faire ; que le coupon litigieux ignore complètement ces prescriptions légales ; que d'autres mentions ont également été omises ;
Attendu qu'il est indifférent que les mentions obligatoires soient disséminées dans l'acte de réservation ; que les textes exigent en effet que toutes les informations à destination du consommateur démarché figurent sur un même document de manière à lui permettre d'user effectivement de son droit de rétractation ;
Attendu que le niveau de formation de la personne démarchée n'a pas d'incidence sur l'application des règles d'ordre public du Code de la consommation ; que s'il est établi que M. Mourad Chikhaoui dispose de connaissances informatiques, il ne saurait en être pour autant déduit qu'il est à même de maîtriser l'articulation des dispositions du Code de la consommation ;
Attendu que les règles précitées du Code de la consommation sont prescrites à peine de nullité ; qu'au vu des carences constatées le tribunal a, de façon pertinente, appliqué la sanction imposée par l'article L. 121-23 en prononçant la nullité du contrat de réservation ; que sa décision sera donc confirmée sur ce point ;
Sur la nullité de l'acte de vente
Attendu que lorsque la vente d'un immeuble à construire porte sur un immeuble relevant du secteur protégé, son régime est soumis à un corps de règles à caractère impératif énoncées dans les articles L. 261-10 et suivants du Code de la construction et de l'urbanisme ; qu'aux termes de la disposition précitée, relève du secteur protégé la vente d'un immeuble ou d'une partie d'immeuble à usage d'habitation ou à usage et professionnel d'habitation, comportant par ailleurs l'obligation pour l'acheteur d'effectuer des versements avant l'achèvement de la construction ; qu'ainsi, au vu des éléments du débats, la vente passée le 8 septembre 2008 entre M. Chikhaoui et la SA Bouygues Immobilier relevait du secteur protégé ;
Attendu que dans cette hypothèse le contrat de réservation revêt un caractère obligatoire ; qu'il doit par ailleurs satisfaire, à peine de nullité, aux conditions de forme prescrites tout à la fois par les articles 1601-2 et 1601-3 du Code civil et par les articles L. 261-11 à L. 261-14 du Code de la construction et de l'urbanisme ; que la loi prohibe d'autre part toute autre forme d'avant contrat ;
Attendu que les dispositions légales organisent ensuite une procédure de rétraction au profit du réservataire après la notification qui lui a été faite de l'acte de réservation ; que le non-respect des règles édictées en matière de notification peut également conduire au prononcé de la nullité de l'avant-contrat ;
Attendu que les textes imposent au réservant de notifier au réservataire le projet d'acte de vente un mois au moins avant la date de la signature de cet acte ; que cette formalité a pour objet de permettre au réservataire de vérifier la conformité du projet d'acte de vente au contrat de réservation ;
Attendu que ce rappel succinct du régime encadrant la vente d'un immeuble à construire relevant du secteur protégé atteste de la volonté du législateur d'instaurer un ensemble de règles contraignantes destinées à assurer une protection effective du futur acquéreur et ce, à tous les stades de l'opération ; que ce dispositif légal et réglementaire, constitué d'étapes successives étroitement encadrées et liées les unes aux autres, apparaît comme un ensemble cohérent dont le contrat de vente définitif devient l'élément terminal ;
Attendu en effet que l'acte authentique de vente d'un immeuble en l'état futur d'achèvement n'est autre que la réitération du contrat de réservation, auquel il fait expressément référence et dont il est indissociable ; que dès lors la nullité du contrat préliminaire de réservation rejaillit nécessairement sur la validité de l'acte authentique ; qu'il s'ensuit que l'annulation de l'acte de réservation conduit inéluctablement à prononcer l'annulation de l'acte de vente ;
Attendu qu'il convient d'ajouter que le raisonnement adopté plus haut ne saurait être transposé à une vente portant sur un immeuble à construire ne relevant pas du secteur protégé ; que dans ce cas-là, la liberté contractuelle autorise les parties à ne pas faire précéder le contrat de vente d'un avant-contrat et de s'affranchir complètement du carcan des règles d'ordre public sus-décrites ; que dès lors le lien d'indissociabilité entre le contrat de réservation et le contrat définitif disparaît sauf volonté contraire des cocontractants ;
Attendu enfin qu'il ne saurait être valablement soutenu que l'acte définitif aurait purgé les irrégularités entachant l'acte de réservation dès lors qu'il n'est pas démontré qu'au jour de la signature du contrat de vente M. Chikhaoui en avait connaissance ;
Attendu qu'il échet en conclusion de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- prononcé la nullité de l'acte de vente passé le 8 septembre 2008 par devant Maître Locatelli-Hans, notaire à Belfort,
- ordonné la publication de la décision prononçant la nullité de cette vente à la conservation des hypothèques de Belfort,
- ordonné à M. Chikhaoui de restituer le bien immobilier à la SA Bouygues Immobilier,
- ordonné à la SA Bouygues Immobilier de restituer à M. Chikhaoui le prix de vente.
Sur la nullité des contrats subséquents
Attendu qu'aux termes de l'article 1131 du Code civil l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet ;
Attendu qu'en application de cette disposition il échet de prononcer la nullité des différents contrats qui se trouvaient dans la dépendance du contrat de vente annulé, savoir : le contrat de prêt souscrit le 3 mars 2008 auprès de la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Provence-Alpes-Corse, le contrat d'assurance " décès-incapacité " souscrit auprès de la SA CNP Assurances et le contrat de gestion locative conclu le 9 juin 2009 avec la SAS. Nexity Lamy ;
Attendu que l'anéantissement rétroactif d'un contrat a pour effet de remettre les parties dans l'état où elles se trouvaient antérieurement ; qu'il en résulte que chaque partie doit restituer à l'autre ce qu'elle a reçu ; qu'en l'espèce il échet de dire que :
- s'agissant du contrat de prêt, M. Chikhaoui devra restituer à la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Provence-Alpes-Corse la somme empruntée, soit 103 956 euro à charge pour celle-ci de rembourser à l'emprunteur la totalité des sommes versées par celui-ci (mensualités, intérêts intercalaires), déduction faite des primes d'assurances ;
- s'agissant du contrat d'assurance " décès-incapacité ", la SA CNP Assurances devra restituer à M. Chikhaoui la totalité des primes d'assurances,
- s'agissant du contrat de gestion locative, la SA Nexity Lamy devra restituer à M. Chikhaoui la totalité des honoraires perçus à charge pour lui de rembourser à cette société l'intégralité des sommes qu'il a perçues au titre de l'assurance " vacance locative " ;
Sur les différentes demandes de dommages intérêts formulées par les parties
- sur la demande de dommages intérêts formée par la SA Caisse d'Epargne de Provence-Alpes-Corse à l'encontre de la SA Bouygues Immobilier,
Attendu que la SA Bouygues Immobilier se trouve à l'origine de l'annulation du contrat de réservation , du contrat de vente et des contrats subséquents ; que c'est donc de façon pertinente que les premiers juges l'ont condamnée à payer à la SA Caisse d'Epargne de Provence-Alpes-Corse des dommages intérêts, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, à hauteur de 16 429,76 euro, montant correspondant aux intérêts conventionnels qu'aurait perçus la caisse si le prêt n'avait pas été annulé ;
Attendu que la caisse sollicite également la condamnation de tout succombant à lui payer la somme de 2 918,64 euro à titre de dommages intérêts, correspondant au montant de l'indemnité de remboursement anticipé du prêt ; que cette demande ne saurait utilement prospérer dès lors qu'il n'y a pas eu remboursement anticipé mais annulation du contrat de prêt ; qu'il en résulte que la disposition du jugement déféré rejetant ce chef de demande sera confirmée ;
- sur la demande de dommages intérêts formulée par la SA CNP Assurances à l'encontre de la SA Bouygues Immobilier,
Attendu que la SA Bouygues Immobilier se trouve à l'origine de l'annulation du contrat de réservation, du contrat de vente et des contrats subséquents ; que l'annulation du contrat d'assurance génère une perte financière pour l'assureur lequel est donc bien fondé à réclamer, en application de l'article 1382 du Code civil, réparation de son préjudice ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 2 287 euro outre les intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision ;
- sur la demande de dommages intérêts formée par la SA Nexity Lamy,
Attendu qu'en première instance la SAS Nexity Lamy avait sollicité la condamnation de M. Chikhaoui à lui verser un somme de 1 500 euro à titre de dommages intérêts ; que la société avait été déboutée de ce chef de demande au motif qu'elle ne justifiait pas de l'existence d'une faute à la charge de M. Chikhaoui ;
Attendu qu'à hauteur de cour la SAS Nexity Lamy formule la même prétention sans pour autant caractériser dans ses écritures un quelconque manquement de M. Chikhaoui ; qu'il s'ensuit que sa prétention sera rejetée et que le jugement déféré sera confirmé sur ce point ;
- sur la demande de dommages intérêts formée par M. Chikhaoui à l'encontre de la SA Bouygues Immobilier et la SA Iselection,
Attendu que seule la SA Bouygues Immobilier est responsable de l'échec de l'opération de défiscalisation espérée par M. Chikhaoui ; que par ses négligences et approximations cette société a fait perdre une chance à M. Chikhaoui, tout à la fois de diminuer son niveau d'imposition et d'accroître son patrimoine immobilier ; qu'il y a lieu d'infirmer le jugement querellé en qu'il a rejeté la demande faite à ce titre par M. Chikhaoui et d'allouer à celui-ci en réparation de son préjudice économique la somme de 5 000 euro ;
Attendu ensuite que les éléments produits aux débats par M. Chikhaoui sont insuffisants à démontrer l'existence d'un préjudice moral ; qu'il sera débouté, comme en première instance, de cette prétention ;
Sur la demande de nullité du contrat d'intermédiaire
Attendu que pour rejeter la demande de nullité de la convention d'intermédiaire formée par M. Chikhaoui, les premiers juges ont justement appliqué à ce contrat les dispositions des articles L. 121-16 et suivants du Code de la consommation, relatives à la vente de biens et de fournitures de prestations de service à distance ; qu'à hauteur de cour, M. Chikhaoui continue toutefois d'invoquer, à tort, pour obtenir la nullité du contrat, le non-respect par la SA Iselection des dispositions de l'article L. 121-20 du Code de la consommation consacrées au démarchage à domicile ; qu'il convient en conséquence de le débouter de ce chef de demande et de confirmer le jugement déféré sur ce point ;
Sur le maintien de l'inscription de l'hypothèque conventionnelle
Attendu qu'aucune des parties ne se prononce dans ses écritures sur la nécessité de réformer cette disposition du jugement entrepris ; que par ailleurs le motif adopté par les premiers juges pour fonder le maintien de l'hypothèque conventionnelle bénéficiant à l'organisme prêteur conduit à approuver cette solution ;
Sur les mesures accessoires
Attendu qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens ;
Attendu que la SA Bouygues Immobilier qui succombe à hauteur de cour sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement à chacun des intimés de la somme de 1.500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, lesdites condamnations emportant nécessairement rejet de ses propres demandes faites à ces titres ;
Par ces motifs LA COUR statuant contradictoirement, après débats en audience publique et après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement rendu le 18 février 2014 par le Tribunal de grande instance de Belfort sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de nullité des contrats de prêt immobilier, d'assurance 'décès-invalidité' et de gestion locative et en ce qu'il a débouté M. Chikhaoui de sa demande de dommages intérêts en réparation de son préjudice économique, Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant, Prononce la nullité du contrat de prêt souscrit le 3 mars 2008 par M. Mourad Chikhaoui auprès de la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Provence-Alpes-Corse, Ordonne à M. Mourad Chikhaoui de restituer à la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Provence-Alpes-Corse la totalité de la somme empruntée (103 956 euro), Dit que la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Provence-Alpes-Corse remboursera à M. Mourad Chikhaoui l'intégralité des sommes versées par celui-ci au titre du prêt, déduction faite des primes d'assurances, Prononce la nullité du contrat d'assurance " décès-incapacité " souscrit le 16 janvier 2008 par M. Mourad Chikhaoui auprès de la SA CNP Assurances, Ordonne à la SA CNP Assurances de restituer à M. Mourad Chikhaoui la totalité des primes d'assurance versées par celui-ci au titre du contrat d'assurance " décès-incapacité ", Prononce la nullité du contrat de gestion locative conclu le 9 juin 2009 entre M. Mourad Chikhaoui et la SAS Nexity Lamy, Ordonne à la SAS Nexity Lamy de restituer à M. Mourad Chikhaoui la totalité des sommes versées au titre des honoraires de gestion, Dit que M. Mourad Chikhaoui remboursera à la SAS Nexity Lamy la totalité des sommes perçues au titre de l'indemnisation de la vacance locative du bien immobilier, Condamne la SA Bouygues Immobilier à payer à M. Mourad Chikhaoui la somme de cinq mille euro (5 000 euro) en réparation de son préjudice économique, Condamne la SA Bouygues Immobilier à payer à la SA CNP Assurances la somme de deux mille deux cent quatre-vingt-sept euro (2 287 euro) en réparation de son préjudice financier, avec les intérêts au taux légal à compter de la présente décision, Condamne la SA Bouygues Immobilier à payer à M. Mourad Chikhaoui, à la SAS Nexity Lamy, à la SA CNP Assurances, à la SA Iselection et à la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Provence-Alpes-Corse, chacun, la somme de mille cinq cents euro (1 500 euro chacun), Condamne la SA Bouygues Immobilier aux dépens d'appel avec droit pour Me Economou, la SCP Mayer-Blondeau, la SCP Dumont Pauthier et Me Graciano, avocats, de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.