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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 14 mars 2013, n° 12-02157

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Capital Sécurité (SARL)

Défendeur :

Jousset (ès qual.), France Télésurveillance (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Raffejeaud

Conseillers :

MM. Garnier, Monge

Avocats :

Me Goudeau, Deshayes, Seguin, Moulet

T. com. Orléans, du 14 juin 2012

14 juin 2012

EXPOSÉ :

La société France Télésurveillance, spécialisée dans les prestations de sécurité et de télésurveillance, a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du 23 mars 2011 désignant Maître Jousset en qualité de mandataire à la procédure collective.

Par ordonnance du 11 mai 2011, le juge commissaire a autorisé avec effet rétroactif au 1er mai, la cession à la société Capital Sécurité, pour 25 000 euros TTC net vendeur, de la clientèle et du nom commercial de l'entreprise et, au titre des éléments corporels, d'un véhicule Renault 'Kangoo' et du matériel de contrôle et de maintenance des alarmes, en prenant acte de l'engagement du cessionnaire de reprendre le contrat de télésurveillance avec AC Sécurité ainsi que le contrat de travail de Ludovic Boutheloup.

Le 31 mai 2011, la société Capital Sécurité faisait assigner Maître Jousset ès-qualités afin d'obtenir sous exécution provisoire la nullité de cette cession pour vice du consentement avec remboursement consécutif du prix, ou subsidiairement une réduction du prix de 15 000 euros, et en toute hypothèse 10 000 euros de dommages et intérêts, en exposant avoir été essentiellement intéressée par le fichier clientèle de l'entreprise et avoir découvert que la plus grande partie des clients avaient résilié leur contrat avant la cession.

Par jugement du 14 juin 2012, le Tribunal de commerce d'Orléans l'a déboutée de tous ses chefs de prétentions.

La SARL Capital Sécurité a relevé appel.

Elle affirme que son consentement a été vicié par une réticence dolosive du liquidateur judiciaire, qui lui avait remis une note de présentation du fonds de commerce mettant en exergue un fichier de plus de 300 clients dont 273 de télésurveillance pour 2011/2012, alors qu'il savait que plus de la moitié des clients avaient déjà résilié leur contrat bien avant le jour de la cession voire antérieurement à l'offre, et qu'il avait en outre été informé dès le 21 avril 2011 qu'AC Sécurité, détentrice du fichier clients, avait détourné une partie de la clientèle. En réponse aux contestations adverses, elle rappelle que son offre indiquait expressément qu'elle souhaitait acquérir les contrats et le fichier clientèle de France Télésurveillance. Elle reproche au liquidateur d'avoir omis de procéder aux vérifications requises et de ne pas avoir fait diligence pour lui transmettre les dossiers clients cédés, et relate que le salarié dont elle avait repris le contrat de travail ne put obtenir que quelques documents et clés sans intérêt auprès de l'ancien dirigeant, après quoi il lui fut répondu qu'il n'existait pas d'autres pièces. À titre subsidiaire, elle invoque une erreur sur la substance, en affirmant qu'elle n'aurait jamais présenté d'offre si elle avait su que le fichier clients contenait moins de 150 contrats réels.

À titre plus subsidiaire, elle sollicite une réduction du prix en réclamant 15 000 euros au vu du peu d'intérêt de ce qu'elle a acquis.

En toute hypothèse, elle réclame 10 000 euros de dommages et intérêts pour l'indemniser du temps et des frais consacrés à cette acquisition dépourvue de réel intérêt.

Maître Jousset ès qualités de mandataire à la liquidation judiciaire de France Télésurveillance, soutient qu'une telle vente, qu'elle soit analysée en une cession d'éléments d'actif ou de cession partielle d'un fonds de commerce, ne relève pas du régime de droit commun des vices du consentement ni de la garantie due par le vendeur. Il indique que sa propre note de présentation n'affirmait ni ne laissait entendre que la cession des éléments d'actif emportait celle de tous les contrats, et a fortiori de 300. Il nie avoir dissimulé des éléments dont il aurait eu connaissance. Il considère que Capital Sécurité est un professionnel à même d'apprécier les risques et avantages d'acquérir le fichier clients d'une entreprise liquidée, qui présente à tout le moins un intérêt pour la prospection. Il estime que l'action dissimule une tentative de mettre en œuvre la garantie du vendeur. Il conclut à la confirmation du jugement déféré.

L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 24 janvier 2013, ainsi que les avocats des parties en ont été avisés.

MOTIFS DE L'ARRÊT :

Attendu que l'ordonnance rendue le 11 mai 2011 par le juge commissaire à la liquidation judiciaire de la société France Télésurveillance a été notifiée le 19 mai 2011 à Capital Sécurité, qui n'a exercé aucun recours ni prétendu rétracter son offre, et l'ordonnance est aujourd'hui définitive ;

Qu'il s'agit d'une vente par autorité de justice, exclusive de la garantie des vices cachés susceptible d'être invoquée à l'encontre du cédant selon le droit commun de la vente ;

Que l'acquéreur est en revanche habile à en poursuivre la nullité, ou une réduction du prix, sur le fondement d'un vice du consentement tel le dol, la réticence dolosive ou l'erreur ;

Attendu que rendue au visa des articles L. 642-19 et R. 642-38 du code de commerce, l'ordonnance autorise la cession de gré à gré à son profit de la clientèle et du nom commercial du débiteur d'une part, ainsi que d'un véhicule et de matériel dépendant de l'actif de celui-ci d'autre part ; que c'est cette décision, et non l'exposé des motifs de l'offre, qui détermine l'objet et la nature de la cession, et elle ne vise pas la transmission des contrats conclus par France Télésurveillance avec ses clients, qui ne se confondent pas avec cet élément du fonds de commerce que constitue la clientèle, vendue dans l'état où elle se trouvait au jour de la cession;

Attendu que la note de présentation a été transmise à la société Capital Sécurité par Maître Jousset le 24 mars 2011 (pièce n° 1), lendemain d'une liquidation judiciaire prononcée sans poursuite d'activité, et lorsque l'appelante a formulé le 19 avril 2011 son offre d'acquisition, valable jusqu'au 1er juillet, elle était nécessairement consciente, au surplus en sa qualité de professionnel de la télésurveillance, de l'important aléa qu'impliquait, pour la fidélité de la clientèle, l'interruption de toute prestation de la part de France Télésurveillance ; qu'à cet égard déjà, l'erreur invoquée comme fondement subsidiaire de son action ne saurait être retenue ;

Que de fait, les productions démontrent que nombre de clients de France Télésurveillance ont résilié leur contrat pendant les semaines précédant ou suivant l'arrêt de son activité, au motif qu'ils ne parvenaient plus à la joindre et constataient l'interruption de son activité, et il ne peut être utilement prétendu que la note de présentation établie au mois de mars aurait pu en faire état;

Attendu que ces mêmes productions démontrent aussi que la plupart des résiliations plus anciennes avaient été notifiées par lettres retournées non réclamées, et rien n'établit que le liquidateur judiciaire, qui par hypothèse n'était pas alors en fonction et n'en était donc pas destinataire ès-qualités, ait pu avoir connaissance de ces courriers, la pièce n° 1 de Maître Jousset illustrant au surplus ses difficultés à obtenir une collaboration efficace du dirigeant social aux opérations de la procédure collective en raison de l'éloignement géographique de l'intéressé ;

Attendu qu'il n'est pas davantage établi que Maître Jousset aurait dissimulé des informations relatives au rôle tenu depuis la déconfiture de France Télésurveillance par la société AC Sécurité, sur lequel il n'est fourni d'autre élément qu'une attestation (pièce n° 9 de l'appelante) dont la non-conformité aux prescriptions de l'article 202 du Code de procédure civile ne permet pas de déterminer exactement la situation de l'auteur, et dont l'imprécision, et l'unicité, ne suffisent pas à éclairer les agissements prêtés à cette société, ni a fortiori la connaissance utile que le liquidateur aurait pu en avoir,

Que plus généralement, l'appelante ne justifie pas que le mandataire judiciaire lui aurait dissimulé des éléments connus de lui, et ignorés d'elle ;

Que la preuve d'un vice du consentement n'est ainsi pas rapporté ;

Que pour le reste, les contestations formulées par la société Capital Sécurité relèvent en réalité, sous couvert d'une action en nullité, de l'invocation d'une garantie qui ne lui est pas légalement ouverte ;

Que le jugement déféré sera donc confirmé ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; confirme le jugement entrepris ; condamne la SARL Capital Sécurité aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société France Télésurveillance, représentée par son liquidateur judiciaire Maître Jousset, la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; accorde à la Selarl Acte Avocats Associés, avocat, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du Code de procédure civile.