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Décisions

CA Bastia, ch. civ. A, 10 février 2016, n° 14-00141

BASTIA

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Poli (Consorts)

Défendeur :

Progevin (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luciani

Conseillers :

Mmes Deltour, Bessone

Avocats :

Mes Albertini, Eon, Acquaviva

TGI Bastia, du 17 déc. 2013

17 décembre 2013

Courant 2003, Éric et Antoine Poli, exploitant le domaine de Petrapiana, et Ange Poli, exploitant le domaine de Piana, ont confié à la SARL Progevin une mission d'agent commercial pour le placement et la livraison de leurs vins.

Suivant courrier du 22 décembre 2009 Éric Poli a signifié à la SARL Progevin la fin de leur collaboration commerciale concernant le domaine de Petrapiana et le domaine de Piana. Un courrier du 30 décembre suivant précisait que cette décision concernait également le domaine de Praticcioli.

La SARL Progevin a saisi le Tribunal de commerce de Bastia pour obtenir réparation de son préjudice né de la rupture abusive du contrat d'agent commercial.

Le tribunal de commerce s'étant déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance par jugement du 7 octobre 2011, cette juridiction a par jugement contradictoire du 17 décembre 2013 :

- dit non justifiée la résiliation du contrat d'agent commercial de la SARL Progevin par Éric, Antoine et Ange Poli,

- dit qu'Antoine et Éric Poli sont redevables de la somme de 26 742,63 euro à titre d'indemnité de résiliation,

- dit que Ange Poli est redevable de la somme de 26 830,91 euro à titre d'indemnité de résiliation,

- dit qu'Antoine et Éric Poli sont redevables de la somme de 38 317,86 euro à titre de commissions,

- dit qu'Ange Poli est redevable de la somme de 24 766,99 euro à titre de commissions,

- dit que la SARL Progevin est redevable à Antoine et Éric Poli de la somme de 20 078,20 euro,

- dit que la SARL Progevin est redevable à Ange Poli de la somme de 22 245,60 euro,

- après compensation, condamné Antoine et Eric Poli à payer à la SARL Progevin la somme de 44 982,29 euro augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation,

- après compensation condamné Ange Poli à payer à la SARL Progevin la somme de 29 352,30 euro augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné Éric et Antoine Poli à payer à la SARL Progevin la somme de 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile

- condamné Ange Poli à payer à la SARL Progevin la somme de 500 en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné les défendeurs aux dépens.

Éric Poli pris tant en son nom personnel qu'en sa qualité de gérant du domaine de Petrapiana a formé appel de cette décision le 14 février 2014.

Antoine et Ange Poli ont également formé appel le 21 février 2014. Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du 21 mai 2014.

Dans ses dernières conclusions déposées le 5 juin 2015 Éric Poli demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et :

- sur la procédure à titre principal :

- de déclarer irrecevable l'action de la SARL Progevin dirigée à l'encontre de M. Éric Poli gérant du domaine de Petrapiana et en son nom personnel, et non contre la société de fait créée par Éric et Antoine Poli,

- de déclarer nulle la notification de la demande d'indemnisation faite par la SARL Progevin à l'égard de "messieurs Éric et Antoine Poli domaine de Petrapiana",

- de déclarer recevable cette fin de non-recevoir qui peut être soulevée en tout état de cause,

- en conséquence déclarer prescrite et irrecevable la demande de la SARL Progevin à l'encontre d'Éric Poli au visa de l'article 134-12 alinéa 2 du Code de commerce,

- à titre subsidiaire, sur le fond :

- de rejeter la demande d'indemnité de rupture formulée par la SARL Progevin en l'état des fautes graves commises par l'agent commercial,

- à titre subsidiaire de réduire à six mois de commissions l'indemnité due, en l'état du comportement fautif de l'agent commercial

de rejeter la demande de commissions,

- à titre reconventionnel :

- de condamner la SARL Progevin à rembourser l'achat de production de vin à hauteur de 60 000 euro,

- de la condamner à payer au concluant la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans leurs dernières conclusions déposées le 17 mars 2015 Antoine et Ange Poli demandent à la cour :

- de réformer le jugement,

- de débouter la SARL Progevin de ses demandes,

- de constater que la SARL Progevin a commis des fautes graves dans l'accomplissement de son mandat, qui sont à l'origine de la résiliation du contrat,

- de condamner la SARL Progevin à payer au concluant et à M. Éric Poli les sommes de 22 245,60 euro et 20 078,20 euro au titre du règlement des achats de vins effectués,

- de condamner la SARL Progevin à payer au concluant la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 6 février 2015 la SARL Progevin demande à la cour :

- de déclarer irrecevables les fins de non-recevoir soulevées par Éric Poli ; de dire les fins de non-recevoir et exceptions soulevées frappées d'estoppel, en conséquence de les rejeter,

- pour le cas où il y serait fait droit, de dire que les exceptions soulevées ne peuvent atteindre la demande présentée au titre des commissions en application de l'article L. 134-12 du Code civil,

- de condamner Éric Poli à lui verser la somme de 67 559 euro à titre de dommages et intérêts,

- d'écarter les conclusions d'Éric Poli,

- à titre principal de confirmer le jugement en toutes ses dispositions ; de condamner Antoine et Éric Poli à lui verser la somme de 26 242,63 euro à titre d'indemnité de résiliation sur le fondement de l'article 1134 du Code civil, des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce,

- de condamner Antoine et Éric Poli in solidum à lui verser la somme de 38 317,86 euro à titre de commissions,

- de condamner Ange Poli à lui verser la somme de 24 766,99 euro à titre de commissions,

- de donner acte à la concluante de ce qu'elle offre de régler à M. Antoine Poli et à M. Éric Poli la somme de 20 078,20 euro,

- de lui donner acte de ce qu'elle offre de régler à M. Ange Poli la somme de 22 245,60 euro,

- d'ordonner une compensation,

- de condamner Antoine et Eric Poli après compensation à lui régler la somme de 44 982,29 euro avec intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2009 et subsidiairement à compter de l'exploit introductif

de condamner Ange Poli après compensation à lui régler la somme de 29 352,30 euro avec intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2009 et subsidiairement à compter de l'assignation,

- de condamner in solidum Ange, Éric et Antoine Poli à lui verser la somme de 3 000 euro hors taxes soit 3 558 euro TTC au titre de ses frais irrépétibles devant le tribunal de grande instance ainsi que la somme de 5 000 euro hors taxes soit 6 000 euro TTC au titre de ses frais irrépétibles devant la cour,

- de les condamner in solidum aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est du 17 juin 2015.

Sur ce :

Sur les irrecevabilités soulevées par Eric Poli :

En application des articles 122 et 123 du Code de procédure civile les fins de non-recevoir telles que le défaut de droit d'agir, le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, peuvent être proposées en tout état de cause, et Éric Poli est donc recevable en cause d'appel à soulever le défaut de qualité pour défendre :

En premier lieu, Eric Poli soutient que ce n'est pas lui, en son nom personnel et en qualité de gérant du domaine de Pietrapiana, qui aurait dû être assigné par la SARL Progevin, mais le "Domaine de Pietrapiana" ;

Mais si comme il le précise lui-même, le "Domaine de Pietrapiana" est une société créée de fait, celle-ci est dépourvue de personnalité juridique et elle ne peut donc pas être attraite en justice.

Cette fin de non-recevoir sera donc écartée.

Eric Poli invoque en second lieu la règle fixée par l'alinéa 2 de l'article L. 134-12 du Code de commerce, selon laquelle : "l'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits". Il fait valoir que le courrier adressé le 20 décembre 2010 par voie recommandée par la SARL Progevin à "M. Éric Poli et M. Antoine Poli domaine de Pietrapiana" ne peut valoir notification puisque l'accusé de réception n'a été signé que par une seule personne, et que par conséquent la demande de la SARL Progevin est prescrite.

Cependant, la sanction prévue par l'article L. 134-12 est la perte du droit à réparation, non pas la prescription de l'action en réparation, il ne s'agit pas d'une fin de non-recevoir mais d'une défense au fond.

En tous cas le délai imparti à l'agent commercial pour agir court à compter de l'extinction effective des relations contractuelles, soit le 31 décembre 2009 selon les termes de la lettre de M. Poli ; l'article L. 134-12 du Code de commerce n'imposant aucun formalisme particulier, la notification par voie postale, même si l'accusé de réception n'a été signé que par un seul des destinataires, est parfaitement valable dès lors que la date d'expédition, ni la réception effective, ne sont pas contestées, cela en application de l'article 668 du Code de procédure civile.

En conséquence, le courrier adressé par la SARL Progevin le 20 décembre 2010 a interrompu valablement le délai d'un an et cette société peut invoquer son droit à réparation du fait de la rupture des relations avec les consorts Poli.

Sur le fond :

Il convient d'abord de constater que la demande de la SARL Progevin " d'écarter les conclusions d'Eric Poli " n'est sous-tendue par aucun motif.

En ce qui concerne l'indemnité réclamée par la SARL Progevin au titre de l'indemnisation du préjudice subi du fait de la cessation des relations commerciales : l'article L. 134-12 du Code de commerce prévoit que l'agent commercial a droit à une telle indemnité. L'article suivant prévoit que la réparation n'est pas due, notamment, lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial. Il appartient à celui qui invoque cette faute d'en démontrer l'existence.

En l'espèce les consorts Poli prétendent qu'ils avaient convenu avec la SARL Progevin d'augmenter la clientèle au rythme de 15 établissements par an. Or, aucun contrat écrit n'a été passé entre les intéressés, et rien ne démontre l'existence d'une telle convention, expressément déniée par la SARL Progevin. Par suite, le reproche concernant l'insuffisance du nombre de salariés de cette société pour parvenir à cet objectif est sans fondement.

En outre, il est reproché à la SARL Progevin d'être responsable de la chute du chiffre d'affaires des sociétés domaine de Pietrapiana et domaine de Piana. Mais ce grief ne ressort que des pièces établies par les mandants eux-mêmes, notamment le courrier du 22 décembre 2009, précédé de celui du 16 avril 2007. De son côté la SARL Progevin explique dans ses écritures et justifie par ces pièces comptables de ce qu'en réalité le chiffre d'affaires a progressé de 69 % entre 2003 et 2009 ; si entre 2007 et 2008 une baisse est intervenue la démonstration de ce que cette baisse serait due à une faute grave de la société mandataire n'est pas apportée par les mandants.

La gestion inadaptée, la mauvaise stratégie commerciale, également reprochées, ne sont démontrées par aucune pièce, de même que le manquement à l'obligation d'information.

C'est par conséquent à juste titre que le premier juge a considéré que la faute grave de l'agent commercial n'était pas établie et a retenu qu'il avait droit à l'indemnisation de son préjudice.

Le montant de l'indemnisation, justement calculé par le premier juge à partir des commissions perçues au cours des deux années précédant la rupture du contrat, sera retenu ; en effet aucune faute ne justifie de la réduire, contrairement à ce que soutient Eric Poli ; par ailleurs dès lors que le préjudice est né de la cessation de relations commerciales suivies entre 2003 et 2009, l'absence de justificatifs concernant la situation financière actuelle de la SARL Progevin ne constitue pas un motif de diminution de l'indemnité.

En ce qui concerne la demande en paiement de commissions : l'agent commercial réclame paiement de commissions sur la base de factures et de bons de livraison, qui, en l'absence de contrat écrit, suffisent à justifier de la rémunération habituelle de la SARL Progevin. À cet égard les intimées ne produisent aucune pièce contraire, propre à déterminer que la rémunération était autre que celle réclamée par l'agent commercial. C'est par conséquent à juste titre que le premier juge a fait droit aux demandes de l'intimée en se référant au tableau des commissions.

En ce qui concerne la demande en paiement de vins, Éric Poli - seul appelant sur ce point - ne justifie pas de sa réclamation formée à hauteur de 60 000 euro. La cour confirmera donc les chiffres retenus par le premier juge, conforme à ceux reconnus par la SARL Progevin.

Le jugement déféré et sera donc confirmé en toutes ses dispositions y compris celles qui concernent l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.

En cause d'appel l'équité permet d'allouer à la SARL Progevin la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Les dépens seront supportés in solidum par Éric, Antoine et Ange Poli.

Par ces motifs, LA COUR : Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne in solidum Éric Poli, Antoine Poli et Ange Poli à payer à la SARL Progevin la somme de trois mille euros (3 000 euro) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne in solidum Éric Poli, Antoine Poli, Ange Poli aux dépens.