CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 1 mars 2016, n° 14-26258
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Capware (SARL)
Défendeur :
Theorem (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rajbaut
Conseillers :
Mmes Auroy, Douillet
Avocats :
Mes Bernabe, Perret, Bouzidi-Fabre, Cargill
Vu le jugement rendu contradictoirement le 27 octobre 2014 par le Tribunal de commerce de Paris.
Vu l'appel interjeté le 24 décembre 2014 par la SARL Capware.
Vu les dernières conclusions d'appel n° 2 de la SARL Capware, transmises le 6 juillet 2015.
Vu les dernières conclusions d'intimée n° 1 de la SAS Theorem, transmises le 6 mai 2015.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 5 janvier 2016.
Motifs de l'arrêt
Considérant que, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ;
Considérant qu'il suffit de rappeler que la SARL Capware, créée le 4 janvier 2002, a pour activité le conseil en systèmes et logiciels informatiques, tout comme la SAS Theorem, créée le 5 mars 1991 ;
Que ces deux sociétés exécutent des missions informatiques, notamment au sein de la Banque de France ;
Que MM Joël Navrez et François-Xavier Tollet-Delange, embauchés par la SARL Capware le 4 décembre 2006 et affectés à la " direction tenue des comptes " de la Banque de France, ont tous deux démissionné respectivement le 30 septembre 2008 et le 31 décembre 2010, pour rejoindre la SAS Theorem, tout en poursuivant l'exécution de leur mission au sein de la Banque de France ;
Que la SARL Capware a adressé le 8 février 2011 une mise en demeure à la SAS Theorem demeurée infructueuse, à la suite de quoi elle a fait assigner le 20 avril 2011 la SAS Theorem devant le Tribunal de commerce de Paris en dommages et intérêts pour concurrence déloyale ;
Considérant que le jugement entrepris a, en substance :
· débouté la SARL Capware de toutes ses demandes,
· débouté la SAS Theorem de sa demande reconventionnelle,
· condamné la SARL Capware à payer à la SAS Theorem la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance,
· dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
I : Sur les demandes en concurrence déloyale :
Considérant que la SARL Capware soutient que la SAS Theorem a procédé à un débauchage sélectif de deux de ses consultants en leur proposant des conditions plus avantageuses, uniquement pour récupérer les missions auxquelles ces salariées étaient affectés ;
Qu'elle expose que MM Navrez et Tollet-Delange ont été embauchés par la SAS Theorem immédiatement après leur préavis et ont été maintenus aux postes qu'ils occupaient jusqu'alors au sein de la Banque de France pour son compte ;
Qu'elle soutient qu'il existe une parfaite concomitance entre le débauchage et la perte pour elle des contrats de mission dont elle bénéficiait jusqu'à présent, la SAS Theorem ayant pris soin de faire exactement coïncider la fin des préavis de MM Navrez et Tollet-Delange avec les dates de ces missions pour s'assurer d'une reprise de celles-ci dans les meilleures conditions ;
Qu'elle affirme que de telles pratiques constituent des actes de concurrence déloyale ayant permis un détournement de clientèle à son détriment alors qu'elle est une petite structure et que la perte de ces missions a eu un impact fort sur sa situation et qu'ainsi la SAS Theorem a non seulement cherché à privilégier ses intérêts personnels mais a également cherché à nuire à ceux de l'un de ses concurrents puisqu'elle ne pouvait ignorer que ces débauchages désorganiseraient l'activité de son concurrent ;
Qu'elle estime que ces faits ont entraîné une perte totale de résultat de 334 893 euro et que pour tenir compte du fait qu'elle n'a pas eu à gérer ces deux salariés, ni les missions auxquelles ils étaient affectés et eu égard à l'aléa du renouvellement de ces missions, elle entend réduire de 50 % ce montant et réclame donc la condamnation de la SAS Theorem à lui payer la somme de 167 446 euro ;
Considérant que la SAS Theorem réplique qu'elle n'a pas débauché les salariés de la SARL Capware pour pouvoir capter sa clientèle, en l'espèce la Banque de France au profit de laquelle elle travaille depuis 1995 alors que la SARL Capware n'a été créée qu'en 2002 ;
Qu'elle fait valoir que MM Navrez et Tollet-Delange ont exposé dans des attestations les raisons pour lesquelles ils ont souhaité quitter la SARL Capware et effectué des recherches afin de trouver un nouvel employeur et qu'il apparaît ainsi qu'elle n'a commis aucune faute dans le cadre du recrutement de ces salariés qui étaient totalement libres de quitter la SARL Capware pour rejoindre un nouvel employeur ;
Qu'elle ajoute ne pas avoir récupéré la clientèle de la Banque de France ou les missions sur lesquelles travaillaient MM Navrez et Tollet-Delange chez Capware alors que la Banque de France émet des appels d'offres auprès des prestataires de services et que les intervenants sont recrutés sur compétences et en fonction des phases d'avancement des projets ;
Qu'elle indique avoir fait travailler MM Navrez et Tollet-Delange lors de leur arrivée dans son équipe sur des missions au profit de la Banque de France, avec laquelle elle travaille depuis 1995, dans le cadre de projets où plusieurs prestataires extérieurs interviennent au soutien des équipes internes de la Banque de France et qu'elle n'a pas récupéré auprès de celle-ci des contrats dont la SARL Capware aurait été bénéficiaire ;
Qu'elle conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SARL Capware de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
Considérant ceci exposé, que l'action en concurrence déloyale se fonde juridiquement sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil et repose sur une faute, de telle sorte que son succès suppose de rapporter la preuve par celui qui s'en prétend victime, de l'accomplissement d'actes positifs et caractérisés ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que les sociétés Capware et Theorem exercent la même activité de conseil en systèmes et logiciels informatiques et qu'elles exécutent des missions informatiques auprès des mêmes clients, en particulier la Banque de France ;
Considérant en premier lieu qu'il sera relevé que les contrats de travail passés entre MM Joël Navrez et François-Xavier Tollet-Delange d'une part et la SARL Capware d'autre part ne contenaient pas de clause de non-concurrence, de telle sorte que ces salariés étaient libres, à l'expiration de leur contrat de travail, de se faire embaucher par une société concurrente ;
Qu'il sera encore relevé que ces démissions n'ont pas été simultanées puisque vingt-sept mois séparent la démission de M. Joël Navrez (30 septembre 2008) de celle de M. François-Xavier Tollet-Delange (31 décembre 2010) ;
Considérant qu'il appartient à tout employeur de recruter tout salarié utile à son entreprise, fût-ce au sein d'une structure concurrente, toute entreprise pouvant profiter du savoir et du savoir-faire acquis par son salarié dans une autre entreprise ;
Qu'il s'ensuit que le seul fait d'engager des salariés d'une entreprise concurrente n'est pas ipso facto constitutif d'actes de concurrence déloyale dès lors que les salariés en cause n'accomplissent pas d'actes positifs de détournement de clientèle, de transfert de savoir ou de dénigrement ;
Considérant que MM Navrez et Tollet-Delange expliquent dans leurs attestations respectives du 21 juillet 2011, qui n'ont fait l'objet d'aucune plainte pour faux, que leurs démissions s'expliquent par des circonstances internes à la SARL Capware, en particulier la mauvaise application par celle-ci de leur convention collective sur les RTT et le versement de la prime de vacances ;
Que M. Joël Navrez indique s'être mis, avant sa démission, à la recherche d'un nouvel emploi dans une autre société de services en ingénierie informatiques (SSII) en déposant son Curriculum Vitae en ligne, en effectuant des recherches auprès d'autres collègues consultants et en passant des entretiens avec diverses SSII (BK consulting, GFI, Alten, Theorem) ; qu'il déclare avoir ainsi approché la SAS Theorem de sa propre initiative ;
Que M. François-Xavier Tollet-Delange indique pour sa part avoir commencé dès la mi-2008 de premières démarches pour changer d'employeur en entrant en contact avec d'autres SSII (GFI, Aztec, BK consulting, Theorem, Acial) et avoir, en 2010, repris contact avec la SAS Theorem afin de postuler à un emploi dans cette société où travaillait déjà depuis plus de deux ans son ancien collègue, M. Joël Navrez ;
Considérant en second lieu qu'en raison du principe de la liberté du commerce, le simple fait pour une société de démarcher la clientèle d'une société concurrente, qui en tout état de cause n'a pas de droit privatif sur sa clientèle, n'est pas en lui-même constitutif d'actes de concurrence déloyale dès 4 lors que ce démarchage n'est pas systématique et ne s'accompagne pas de manœuvres déloyales ;
Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats que les contrats d'assistance technique passés par les SSII avec la Banque de France le sont toujours pour une durée déterminée de trois ou six mois et qu'ainsi la SARL Capware avait notamment conclu un contrat d'assistance technique pour lequel M. Joël Navrez était missionné du 1er juillet 2008 au 30 septembre 2008 ;
Que c'est pour cette raison que dans sa lettre de démission du 18 juin 2008, M. Joël Navrez a proposé à la SARL Capware une extension de son délai de préavis jusqu'au 30 septembre 2008 " en raison de la mission à laquelle je suis affecté auprès du client ", évitant ainsi à cette société de devoir le remplacer en cours de mission ;
Considérant qu'il apparaît encore que la SARL Capware avait conclu en 2008 un contrat de sous-traitance avec la SAS Teknys Consulting et qu'avant son départ, M. Joël Navrez a formé un salarié de cette société, M. Christophe JOLY, qui l'a remplacé dans le cadre des missions effectuées par la SARL Capware auprès de la Banque de France, ainsi que le confirme ce salarié dans son attestation ;
Considérant qu'il en ressort que le départ de M. Joël Navrez n'a causé aucune désorganisation de la SARL Capware, qu'il en est de même de celui de M. François-Xavier Tollet-Delange, vingt-sept mois plus tard ;
Considérant enfin qu'aucun acte positif de détournement de clientèle n'est établi dans la mesure où, comme il l'a été indiqué plus haut, les contrats d'assistance technique de la Banque de France ne sont conclus que pour des durées déterminées, que leur renouvellement s'effectue toujours par appel d'offres et que surtout, à ce jour la SARL Capware est toujours, comme la SAS Theorem, fournisseur de services auprès de la Banque de France ainsi que cela ressort notamment de l'avis d'attribution de marché services de cet organisme en date du 21 janvier 2014 ;
Qu'il sera au demeurant relevé que la SAS Theorem a pour cliente la Banque de France depuis 1995 avant même la création en 2002 de la SARL Capware ;
Considérant en conséquence qu'en l'absence de débauchage frauduleux des anciens salariés de la SARL Capware (soit par exemple par violation d'une clause de non-concurrence ou par leur emploi avant l'expiration de leurs délais de préavis) et de démarchage systématique de la clientèle de la SARL Capware, il n'est pas établi l'existence d'actes de concurrence déloyale imputables à la SAS Theorem ;
Considérant dès lors que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la SARL Capware de l'ensemble de ses demandes en concurrence déloyale à l'encontre de la SAS Theorem ;
II : Sur les autres demandes :
Considérant que la SAS Theorem, appelante incidente, conclut à l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive, réclamant de ce chef la somme de 40 000 euro à titre de dommages et intérêts en faisant valoir que cette procédure a été initiée plus de deux ans et demie après la démission de M. Joël Navrez et que la SARL Capware s'est employée à faire durer la procédure depuis plus de trois ans en la faisant connaître sur Internet, ce qui lui a causé un préjudice en la contraignant à faire une provision comptable ;
Considérant que la SARL Capware réplique que la présente procédure est parfaitement légitime et, subsidiairement, que la SAS Theorem ne justifie absolument pas ni du principe, ni du montant 5 de ses demandes de dommages et intérêts ; qu'elle conclut à la confirmation de ce chef du jugement entrepris ;
Considérant que le simple fait de succomber à une action en justice n'est pas en lui-même constitutif d'une faute susceptible d'engager la responsabilité civile du demandeur ; qu'en l'espèce il n'est pas démontré que la SARL Capware aurait fait dégénérer en abus son droit d'ester en justice et d'user des voies de recours prévues par la loi ; que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont rejeté la demande reconventionnelle en dommages et intérêts formée par la SAS Theorem, le jugement entrepris étant confirmé de ce chef ;
Considérant qu'il est équitable d'allouer à la SAS Theorem la somme complémentaire de 4 000 euro au titre des frais par elle exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens, le jugement entrepris étant par ailleurs confirmé en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles de première instance ;
Considérant que la SARL Capware sera pour sa part, déboutée de sa demande en paiement au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Considérant que la SARL Capware, partie perdante en son appel, sera condamnée au paiement des dépens d'appel, le jugement entrepris étant par ailleurs confirmé en ce qu'il a statué sur la charge des dépens de la procédure de première instance ;
Par ces motifs La Cour, statuant publiquement et contradictoirement ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ; Condamne la SARL Capware à payer à la SAS Theorem la somme complémentaire de quatre mille euros (4.000 euro) au titre des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens ; Déboute la SARL Capware de sa demande en paiement au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SARL Capware aux dépens de la procédure d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.