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Décisions

CA Paris, Pôle 2 ch. 2, 26 février 2016, n° 14-23523

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Roussel

Défendeur :

Ishaq

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Greff-Bohnert

Conseillers :

Mmes Chesnot, Hecq-Cauquil

Avocats :

Mes Etevenard, Laval-Aubert, Gabbay, Nivet

TGI Bobigny, du 3 juill. 2014

3 juillet 2014

Par acte sous seing privé du 10 juin 2011, M. Aslam Ishaq consentait à M. Loïc Roussel, autoentrepreneur exerçant sous l'enseigne LC Roussel, la location pour une durée de six ans à compter du 1er juillet 2011 d'un emplacement destiné à l'affichage de deux panneaux publicitaires sur sa propriété située, moyennant une redevance annuelle de 2 400 euro payable à terme échu.

L'article 4.5 du contrat prévoyait : "en cas de privation définitive de jouissance provenant du fait du bailleur, celui-ci sera tenu de verser au preneur une indemnité forfaitaire égale à trois fois la redevance pour la période de non-jouissance, sans préjudice du droit pour le preneur d'exiger l'exécution du bail", et l'article 6.4 : "en cas de vente ou de succession, sans préjudice de l'application de l'article 1743 du Code civil, le bailleur ou ses ayants droit s'engagent à prévenir le notaire ou l'acquéreur de l'existence du bail".

Le 19 juillet 2012, M. Ishaq dénonçait le défaut de paiement du loyer et la résiliation du contrat au 20 août 2012. Il informait également M. Roussel de la vente du bien prévue le 15 septembre 2012. Les 22 août, 19 novembre et 5 décembre 2012, il mettait le preneur en demeure de retirer les panneaux au plus tard le 30 août, puis le 5 décembre, puis le 15 décembre 2012, avant de les faire lui-même enlever le 5 mars 2013.

Faisant valoir que M. Ishaq ne pouvait valablement résilier le contrat en vertu des articles 4.5 et 6.4 de leur convention, M. Roussel l'assignait le 19 avril 2013 devant le Tribunal de grande instance de Bobigny, entendant faire prononcer sur le fondement des articles 1134 et 1382 du Code civil sa condamnation à lui payer les sommes de 36 000 euro pour non-respect du contrat, 5 262,40 euro pour la pose du matériel, 2 009,28 euro pour l'impression publicitaire, 3 000 euro à titre de dommages et intérêts, et 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement réputé contradictoire du 3 juillet 2014, le Tribunal de grande instance de Bobigny déboutait M. Roussel de l'ensemble de ses demandes et le condamnait aux dépens. Le tribunal retenait que M. Roussel ne justifiait pas s'être acquitté de la redevance annuelle dans le délai contractuel imparti, que le preneur s'était donc valablement prévalu de la clause de résiliation de plein droit prévue à l'article 3.2 du contrat après une mise en demeure de payer restée sans effet durant un mois, et que M. Roussel ne pouvait davantage se prévaloir d'une faute commise à l'occasion de l'enlèvement des panneaux puisqu'il avait été mis plusieurs fois en demeure d'y procéder lui-même.

M. Roussel a relevé appel de ce jugement et, dans ses dernières conclusions notifiées le 19 juin 2015, il demande de rejeter les moyens tirés de la nullité du contrat soulevés par M. Ishaq, de dire le contrat valable, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré, de condamner M. Ishaq à lui payer la somme de 30 960 euro au titre de l'indemnité forfaitaire contractuelle prévue à l'article 4.5 du contrat de location, celle de 5 262,40 euro représentant le coût de la pose des panneaux publicitaires, celle de 2 009,28 euro à titre d'indemnisation pour l'impression des panneaux publicitaires, celle de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts pour atteinte tant à son exercice professionnel qu'à son image de marque, et celle de 3 000 euro pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens, et de débouter M. Ishaq de toutes ses prétentions.

Il observe que le contrat n'est pas soumis aux dispositions de l'article L. 121-23 du Code de la consommation invoquées par M. Ishaq aux fins de nullité, celui-ci ne rapportant pas la preuve d'un démarchage, que les exigences de ce texte ont en outre été respectées, et que le contrat respecte également les dispositions de l'article L. 581-25 du Code de l'environnement, lesquelles ont bien été reproduites. Il fait valoir qu'il s'est acquitté de la redevance annuelle de 2 400 euro par chèques des 12 septembre et 4 novembre 2011, bien avant l'échéance du 30 juin 2012, que la seconde échéance annuelle n'était elle-même exigible qu'au 30 juin 2013, et qu'en aucun cas il n'a entendu déroger au principe convenu du paiement à terme échu. Il soutient que M. Ishaq a manqué à ses obligations contractuelles en résiliant le contrat sans motif et unilatéralement et en retirant les panneaux publicitaires, lui causant un préjudice dans l'exercice de son activité professionnelle qui justifie une indemnisation distincte de celle contractuellement prévue par l'article 4.5 en cas de privation définitive de jouissance. Il relève enfin que les dispositions de l'article 4.5 ne figurent pas au rang des clauses abusives et ne traduisent pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 21 avril 2015, M. Ishaq demande, au visa des articles L. 121-21 et suivants et L. 132-1 du Code de la consommation, L. 581-25 du Code de l'environnement et 1152 du Code civil, de constater la nullité du contrat établi entre les parties le 10 juin 2011. A défaut, il demande de constater que la résiliation du contrat a été faite dans les conditions prévues à celui-ci. En tout état de cause, il sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté purement et simplement M. Roussel de l'ensemble de ses demandes. Très subsidiairement, il entend faire juger abusive et réputée non écrite la clause 4.5 du contrat, et à défaut demande de modérer la demande de M. Roussel au titre de cette clause en application de l'article 1152 du Code civil. Il sollicite enfin la condamnation de M. Roussel à lui verser la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel.

Il soutient qu'il a été démarché par M. Roussel le 10 juin 2011 et que le contrat ne contient pas les mentions prescrites à peine de nullité par l'article L. 121-23 du Code de la consommation, pas plus que celles exigées par l'article 39 de la loi du 29 décembre 1979 repris par l'article L. 581-25 du Code de l'environnement, de sorte qu'il pouvait dénoncer à tout moment le contrat atteint de nullité. Il fait également valoir que les parties ont entendu déroger au principe du terme échu stipulé au contrat pour adopter le principe du terme à échoir et que la résiliation du contrat se trouvait justifiée à défaut de régularisation par M. Roussel du paiement de la redevance dans le mois de son courrier recommandé et d'enlèvement du matériel malgré les relances adressées. Il ajoute que les demandes indemnitaires portent sur des sommes exorbitantes, et que la clause de l'article 4.5 du contrat sur laquelle se fonde M. Roussel pour solliciter une telle indemnisation doit être jugée abusive.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 décembre 2015.

MOTIFS DE LA DÉCISION

M. Ishaq ne démontre par aucun élément avoir fait l'objet comme il le prétend d'un démarchage à son domicile au sens de l'article L. 121-21 du Code de la consommation dans sa rédaction antérieure à la loi 2014-344 du 17 mars 2014, pour l'amener à conclure le contrat de location d'emplacement publicitaire signé entre les parties le 10 juin 2011. Il ne peut dès lors invoquer la protection accordée au consommateur démarché, en particulier la nullité de la convention que l'article L. 121-23 du même Code édicte en cas de non-respect de ses dispositions.

Le contrat conclu au visa de l'article 39 de la loi du 29 décembre 1979 devenu l'article L. 581-25 du Code de l'environnement satisfait pleinement aux exigences de ce texte imposant de reproduire les dispositions de ses quatre premiers alinéas, puisqu'il énonce bien sous les articles 1.4, 1.5, 1.7 que le contrat se fait par écrit et pour une période ne pouvant excéder six ans à compter de sa signature, renouvelable par tacite reconduction par périodes d'un an sauf dénonciation par l'une des parties trois mois au moins avant son expiration, sous l'article 4-3 que le preneur doit maintenir en permanence l'emplacement loué en bon état d'entretien et que faute d'exécution de cette obligation, et après mise en demeure, le bailleur peut obtenir, à l'expiration d'un délai d'un mois, du juge des référés, à son choix, soit l'exécution des travaux nécessaires, soit la résolution du contrat et la remise des lieux en bon état aux frais du preneur, sous l'article 3.2 qu'à défaut de paiement du loyer le contrat est résilié de plein droit au bénéfice du bailleur après mise en demeure de payer restée sans effet durant un mois, et sous l'article 1.8 que le preneur doit remettre l'emplacement loué dans son état antérieur dans les trois mois suivant l'expiration du contrat. Il importe peu que ces dispositions aient été insérées au contrat dans un ordre différent de celui présenté dans la loi, pour pouvoir répondre aux exigences requises. M. Ishaq ne peut en conséquence invoquer une irrégularité de ce chef.

La clause de résolution de plein droit du contrat ne pouvait valablement être mise en œuvre qu'à défaut de paiement du loyer à son échéance. En l'espèce, M. Roussel justifie s'être acquitté de la somme de 2 400 euro correspondant à la première redevance annuelle en deux chèques de 1 200 euro chacun, émis les 12 septembre et 4 novembre 2011, et inscrits au débit de son compte les 26 septembre et 21 novembre 2011. Ce paiement a libéré le preneur de la redevance qui, stipulée payable annuellement à terme échu en l'article 3.1 du contrat conclu à effet du 1er juillet 2011, était exigible au 1er juillet 2012. Dès lors, la clause résolutoire dénoncée par lettre recommandée du 19 juillet 2012 n'a pu produire effet. C'est en vain que M. Ishaq prétend que les parties ont voulu déroger au principe contractuel du paiement à terme échu pour adopter le principe du terme à échoir, sans justifier d'un accord de volontés clair et non équivoque intervenu entre elles à ce titre. Le règlement par anticipation auquel M. Roussel a procédé en septembre et novembre 2011 ne pouvait à lui seul l'obliger, à l'encontre des dispositions précises de la convention, à s'acquitter désormais du terme à échoir au 1er juillet de chaque année.

Il s'ensuit que M. Ishaq, en dénonçant unilatéralement la convention avant l'expiration de sa durée contractuelle de six ans, et en prenant seul l'initiative de retirer les panneaux, a failli aux obligations du contrat. Il encourt la sanction prévue à l'article 4.5 du contrat qui énonce : "en cas de privation définitive de jouissance provenant du fait du bailleur, celui-ci sera tenu de verser au preneur une indemnité forfaitaire égale à trois fois la redevance pour la période de non-jouissance, sans préjudice du droit pour le preneur d'exiger l'exécution du bail". Cette clause ne figure pas parmi celles qui sont présumées abusives de manière irréfragable par l'article R. 132-1 du Code de la consommation, ou dont la Commission des clauses abusives a préconisé l'élimination des contrats conclus entre professionnels locataires d'emplacements publicitaires et bailleurs non-professionnels dans sa recommandation n° 80-01. Elle ne crée pas non plus, au détriment du non-professionnel, de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au sens de l'article L. 132-1 du même Code, puisque l'indemnité qu'elle impose n'est prévue qu'en cas de faute caractérisée du bailleur d'une certaine gravité, la privation définitive de jouissance qu'elle sanctionne revenant à vider le contrat de son objet, et qu'elle est en tout cas passible de modération en application de l'article 1152 du Code civil. En application de ce texte, le montant de l'indemnité égal à trois fois la redevance pour la période du contrat restant à courir depuis l'enlèvement des panneaux en mars 2013 jusqu'à l'expiration du contrat au 30 juin 2017, soit la somme de 30 960 euro, doit être jugé manifestement excessif au regard du préjudice effectivement subi par le preneur, et sera raisonnablement réduit à la somme de 10 000 euro en réparation de la perte de l'emplacement publicitaire.

Le préjudice qui justifierait l'allocation de dommages et intérêts complémentaires n'est pas caractérisé. En particulier, M. Roussel, ne peut être indemnisé du coût de l'impression et de la pose des panneaux publicitaires dûment exploités pendant près de deux ans, qu'il ne prétend pas avoir été dans l'incapacité de récupérer après leur enlèvement par M. Ishaq. Il ne démontre pas, par ailleurs, avoir subi du fait du retrait des panneaux un trouble dans son exercice professionnel et une atteinte à son image appelant une réparation spécifique, distincte de l'indemnité conventionnelle due pour la privation de jouissance de l'emplacement loué.

Il est équitable de compenser à hauteur de 2 000 euro les frais non compris dans les dépens que l'appelant a été contraint d'exposer.

Par ces motifs LA COUR, Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Et, statuant à nouveau, Condamne M. Aslam Ishaq à payer à M. Loïc Roussel la somme de 10 000 euro à titre d'indemnité contractuelle, Le condamne aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, et à verser à M. Loïc Roussel la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du même Code, Déboute les parties de leurs autres demandes.