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Décisions

Cass. crim., 21 novembre 1983, n° 82-91.794

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Immobilière du Centre d'Activités Tertiaires de Rosny (SA), La Société des Centres Commerciaux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Escande Caff

Rapporteur :

M. Cosson

Avocat général :

M. Clerget

Avocats :

SCP Calon Guiguet, Bachellier, Mes Choucroy, Le Bret

Paris, du 25 mars 1982

25 mars 1982

LA COUR : - Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 5 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs et manque de base légale ; - En ce que l'arrêt infirmatif attaque a rejeté l'exception una via electa soulevée par les prévenus, aux motifs que les demandes portées devant le juge civil et devant le juge répressif n'opposaient pas les mêmes parties, les personnes morales étant en cause dans l'une, les mandataires sociaux dans l'autre, ne tendaient pas au même objet et n'avaient pas la même cause, les dispositions sur lesquelles elles se fondent, devant le juge civil, n'ayant été que postérieurement sanctionnées pénalement, et la demande subsidiaire ne saisissant le juge que sous réserve du rejet de la demande principale ;

Alors que, d'une part, l'arrêt attaque constate que les prévenus étaient poursuivis en leur qualité de mandataires sociaux des personnes morales, qu'ils représentaient, à ce titre, devant la juridiction civile, que les demandes des parties civiles étaient, en outre, dirigées contre les personnes morales elles-mêmes, seules éventuellement, redevables et que, des lors, l'identité de personnes en cause dans les deux actions était réalisée ;

Alors que, d'autre part, l'arrêt attaque constate que les demandes formulées devant les deux juridictions étaient identiques en ce qu'elles tendaient à la restitution des sommes indument perçues et, d'ailleurs, ordonne une expertise pour déterminer les loyers dus depuis la signature du bail jusqu'au commandement de payer ;

Alors qu'il résulte également de l'arrêt attaque que les dispositions invoquées a l'appui de ces demandes sont également les mêmes, le fait que toutes n'aient pas été assorties de sanctions pénales n'en modifiant pas la cause ;

Et alors enfin qu'une demande subsidiaire saisit immédiatement le juge au même titre qu'une demande principale et, par conséquent, est de nature à réaliser l'identité de cause et d'objet, au même titre que la demande principale, exigée par l'article 5 précité ;

Vu lesdits articles ;

Attendu qu'aux termes de l'article 5 du Code de procédure pénale, la partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive ;

Attendu qu'il résulte des constatations et énonciations de l'arrêt attaque que gilles Y est président de la société des centres commerciaux, société anonyme (SCC) et que Jean-Louis X est président de la société anonyme immobilière du centre d'activité tertiaire de Rosny 2, société anonyme (cat) ;

Que ces deux sociétés ont, par acte du 24 avril 1972, donne à bail a la société a responsabilité limitée shopping décor, partie civile, dont le gérant est Charles Z, un local à usage commercial pour une durée de douze ans ;

Que ledit acte énonçait que le local comportait une surface approximative de 788 mètres carres dont la vérification serait assurée ultérieurement par un expert désigné par le bailleur, aux frais du locataire ;

Que le prix convenu pour le loyer, selon les stipulations du bail, comportait un minimum garanti de 350 francs par mètre carre et par an, soumis à une indexation déterminée en fonction d'une échelle mobile ;

Attendu qu'il est constaté que, le 8 octobre 1976, est intervenu un accord entre les parties aux termes duquel et pour tenir compte de la conjoncture, le loyer annuel, du à compter du second semestre de 1975 jusqu'au premier semestre de 1977 inclus, était fixe à 345 822 francs, soit en augmentation de 12 % par rapport au loyer convenu au 31 octobre 1972 ;

Qu'en exécution de son obligation, Z a accepté neuf billets à ordre de 44 663 francs chacun, a échéances du 31 octobre 1976 au 30 juin 1977 ;

Que, les 3 avril et 27 septembre 1978, la SCC a fait signifier a shopping décor deux commandements de payer 459 248 francs pour les loyers de chacune des années 1976 et 1977 ainsi qu'un troisième commandement, le 1er juillet 1980 ;

Attendu que par exploits des 7 août et 28 septembre 1978, 16 avril et 5 septembre 1980, la société shopping décor a donné assignations aux sociétés SCC et cat devant le tribunal civil de paris, l'objet de la demande étant : opposition au commandement de payer 438 887,46 francs en principal, 51 730,76 francs à titre de pénalités contractuelles et 38 437,91 a titre d'intérêts contractuels ;

La validation des accords intervenus à compter du 1er janvier 1976 entre propriétaire et locataire ;

Violation des articles 23 à 29 du décret de 1953 sur la propriété commerciale ;

Fixation de la valeur locative des lieux ;

Violation de la loi de finances du 29 octobre 1976 ;

Violation de l'article 10 de la loi du 29 décembre 1977 ;

Demande du locataire visant à faire déclarer libératoires et satisfactoires les loyers règles à ce jour ;

Subsidiairement, de désignation d'expert ;

Attendu que, par citation directe de partie civile du 9 juillet 1980, la société shopping décor a donné assignation devant le Tribunal correctionnel de Bobigny a la société cat, prise en la personne de son président Gilles Y et à la société SCC, prise en la personne de son président Jean-Louis X, sous la prévention d'infractions aux dispositions des articles 1er et 16 de la loi du 1er aout 1905, a raison de l'exigence d'un prix de location pour 87 mètres carres de surface louée non existante, ainsi que pour pratique de prix illicite, a raison d'une majoration du prix des loyers en contravention aux dispositions des lois du 29 octobre 1976 et 29 décembre 1977, qui se réfèrent aux sanctions pénales instituées par les ordonnances n° 45-1483 et n° 45-1484 du 30 juin 1945 ;

Attendu que, pour rejeter l'exception d'irrecevabilité de l'action civile prise de la violation de la règle édictée par l'article 5 du Code de procédure pénale, ainsi que pour déclarer les prévenus coupables de pratique de prix illicite, et les sociétés Cat et SCC civilement responsables, l'arrêt énonce que les demandes présentées contre ces sociétés par la société shopping décor devant la juridiction civile et celle portée devant la juridiction répressive ne sont pas identiques, comme opposant des personnes différentes et n'ayant, ni la même cause, ni le même objet ;

Que, devant le tribunal civil, les défendeurs étaient des sociétés commerciales, tandis que, devant le tribunal correctionnel, les prévenus étaient des personnes physiques ;

Que la demande au tribunal civil portait sur la répétition de l'indu, en soulevant tous les problèmes relatifs à la fixation successive des loyers et en se fondant sur des textes qui ne comportaient pas de sanction pénale a l'époque ou était née la créance ;

Que, devant le tribunal correctionnel, la demande tendait à obtenir la restitution d'une somme de 475 232 francs regardée par shopping décor comme perçue indument par les bailleurs pour la période du 27 février 1973 au 1er janvier 1978 ;

Mais attendu qu'en cet état, s'il est vrai qu'en ce qui concerne le délit de tromperie sur la quantité de services fournis, la société shopping décor, dans son assignation devant le tribunal civil, a indiqué que sa demande portait sur la répétition des sommes indument payées du 24 avril 1972, date du contrat de bail, au 10 janvier 1978, date de la loi instituant l'article 16 de la loi du 1er aout 1905, se réservant de porter devant une autre juridiction sa demande pour les sommes payées postérieurement au 10 janvier 1978 et qu'ainsi les objets de ses demandes devant les deux juridictions n'étaient pas identiques, en revanche, en ce qui concerne le délit de pratique de prix illicite, il résulte des pièces de procédure que, devant les deux juridictions saisies, la cause des demandes (majoration illicite du prix des loyers) leur objet (restitution des sommes d'argent payées indument) et les personnes en cause (des sociétés anonymes assignées au civil et citées également au pénal, ainsi que les présidents qui les représentent dans leurs rapports avec les tiers, selon les articles 113 de la loi du 24 juillet 1966 et 56 de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945, étaient les mêmes et alors que, devant les deux juridictions, les demandes se fondaient sur les dispositions de la loi n° 77-1457 du 29 décembre 1977, dont les violations sont sanctionnées pénalement par les dispositions de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;

Que la cassation est encourue de ce chef ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 4 du Code pénal, 1 et 2 de la loi du 1er aout 1905, 6, 7 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

En ce que l'arrêt infirmatif attaque a déclaré le prévenu coupable de tromperie sur la quantité ;

Aux motifs qu'étant admis que la loi sur les fraudes est applicable dans son principe au bail commercial du 24 avril 1972, il reste à vérifier si les faits imputes aux prévenus sont pénalement répréhensibles, eu égard au fait que le texte étendant aux prestations de services la loi du 1er aout 1905 n'est intervenue que le 10 janvier 1978, soit plusieurs années après la signature du bail ;

Que si le délit de fraude se place en principe dans la catégorie des délits instantanés, il n'en résulte pas pour autant, quand il concerne des contrats dont l'exécution est successive, que la prescription doit nécessairement courir à compter de la convention d'origine, que ce délit peut, en effet, consister dans un ensemble de faits relies par une même intention criminelle mais s'étalant sur un laps de temps plus ou moins long, que le législateur a lui-même admis la possibilité d'une dissociation dans le temps de l'opération de fraude constituée en l'espèce par le contrat de bail du 24 avril 1972 et des indications frauduleuses tendant à persuader le co-contractant de l'existence d'une autre opération antérieure et exacte ;

Qu'il en résulte que, si la convention d'origine, bien qu'elle contienne des données de quantité manifestement fausses, n'est pas punissable en tant que telle en raison de son antériorité par rapport au texte réprimant les fraudes sur les prestations de service, les références a des surfaces inexactes manifestées dans les commandements de payer qui reprennent les mêmes données fausses sont constitutives en elles-mêmes du délit de tromperie postérieur au texte et des lors pénalement répréhensibles ;

Qu'en effet ces commandements sont en date des 3 avril 1978, 27 septembre 1978 et 1er juillet 1980 et mentionnent des indications de surface qui constitueraient selon la partie civile une affirmation mensongère, qu'ils renouvellent dans un contexte devenu pénal depuis la loi du 10 janvier 1978 une tromperie commise plusieurs années auparavant ;

Alors que les commandements délivres les 3 avril, 27 septembre 1978 et 1er juillet 1980 par le bailleur ne contenant aucune indication relative à la surface du local loue contrairement à l'affirmation de la cour, qui n'a pas craint de se contredire en se référant a ces documents totalement muets sur les surfaces du local, les juges du fond ont violé l'article 4 du Code pénal en écartant la règle fixée par ce texte dans une espèce ou la convention mentionnant des surfaces prétendument inexactes avait été conclue plusieurs années avant qu'un tel fait soit pénalement répréhensible ;

Vu lesdits articles ;

Attendu qu'aux termes de l'article 4 du Code pénal, nulle infraction ne peut être punie de peines qui n'étaient pas prononcées par la loi avant qu'elles fussent commises ;

Que, d'autre part, aux termes des articles 1er et 16 de la loi du 1er aout 1905, la tromperie est un délit instantané, consomme par la livraison de la chose ou par la prestation des services ;

Attendu que, pour déclarer Gilles Y et Jean-Louis X coupables de tromperie sur la quantité d'une surface de locaux loues, l'arrêt attaque énonce que, s'il est vrai que la loi sur les fraudes a été rendue applicable aux prestations de services telles que le bail, par les dispositions de la loi du 10 janvier 1978, complétant, par l'institution d'un article 16, la loi du 1er aout 1905, les faits en cause constituaient une infraction aux dispositions dudit article 16 postérieure à la promulgation du texte, des lors que les prévenus avaient fait référence a des surfaces inexactes, manifestées dans les commandements de payer, qui reprennent les mêmes données fausses et qui ont eu pour objet de persuader le débiteur de son obligation ;

Attendu que l'arrêt énonce, en outre, que si le délit de fraude est, en principe, instantané, il peut, cependant et comme en l'espèce, des lors qu'il concerne des contrats a exécution successive, consister en un ensemble de faits relies par une même intention criminelle s'étalant sur un laps de temps plus ou moins long ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus rappelé ;

Que la cassation est également encourue de ce chef ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens produits, casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la Cour d'appel de paris, en date du 25 mars 1982.