CA Paris, Pôle 2 ch. 5, 25 juin 2013, n° 13-04946
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ace Europe, SAS Application des Gaz - ADG -
Défendeur :
Georges, CPAM de Seine et Marne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Reygner
Conseillers :
MM BYK, Chalachin
Avocats :
Mes de Maria, Colombier, Guerreau, Chalut
La société Application des Gaz (ADG), assurée auprès de la société Ace Europe, a pour activité la fabrication et la distribution d'appareils utilisant du gaz liquide, sous la marque " Campingaz ".
Le 22 septembre 2009, M. Noël Georges a été victime d'un accident alors qu'il effectuait des soudures à l'aide d'un stylo à souder de marque Campingaz, modèle Spotflam.
Il affirmait avoir été grièvement blessé à l'œil droit suite à l'explosion de cet appareil.
Une expertise amiable de l'appareil a été menée par M. Bignon, expert désigné par l'assureur de M. Georges, et par la société Cunningham & Lindsey, expert désigné par la société Ace Europe.
Par actes des 21 et 26 octobre 2011, M. Georges a assigné les sociétés ADG et Ace Europe, ainsi que la CPAM de Seine et Marne, devant le tribunal de grande instance de Melun afin d'être indemnisé des préjudices consécutifs à l'accident.
Par jugement du 22 janvier 2013, cette juridiction a :
- fixé à la somme de 16 625,83 euro la créance définitive de la CPAM,
- condamné in solidum la société ADG et son assureur au paiement des sommes de 300 euro au titre des dépenses de santé actuelles non prises en charge par les organismes sociaux, 2 352 euro au titre du déficit fonctionnel temporaire, 1 500 euro au titre du préjudice esthétique temporaire, 1 774,60 euro au titre des dépenses de santé futures non prises en charge par les organismes sociaux, 52 000 euro au titre du déficit fonctionnel permanent, 12 000 euro au titre des répercussions professionnelles, 4 000 euro au titre des douleurs, 2 000 euro au titre du préjudice esthétique définitif, et 1 500 euro au titre du préjudice moral et psychologique,
- condamné in solidum la société ADG et son assureur au paiement de la somme de 16 625,83 euro au titre des débours de la CPAM et celle de 997 euro au titre du forfait,
- condamné in solidum la société ADG et son assureur au paiement des sommes de 1.500 euro à M. Georges et de 700 euro à la CPAM au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société ADG et son assureur ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 11 mars 2013.
Par requête du 15 mars 2013, les appelantes ont sollicité l'autorisation d'assigner leurs adversaires à jour fixe.
Leur demande a été satisfaite par ordonnance du 19 mars 2013.
Elles ont assigné M. Georges et la CPAM de Seine et Marne pour le jour fixé par actes d'huissier des 5 et 16 avril 2013.
Aux termes de ces assignations reprenant leur requête, elles demandent à la cour de :
- dire et juger que M. Georges ne justifie ni d'un défaut du matériel, ni d'un lien de causalité entre un défaut et les préjudices subis, ni même d'un manquement de la société ADG dans les précautions d'usage,
- à titre subsidiaire, dire et juger que les incertitudes sur l'origine et les circonstances matérielles de l'accident justifient l'organisation d'une expertise technique et d'une expertise médicale,
- condamner M. Georges au paiement de la somme de 7 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions signifiées le 21 mai 2013, M. Georges demande à la cour de :
- débouter les sociétés ADG et Ace de leurs demandes,
- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu que l'accident était imputable à un défaut de la cartouche de gaz et non à un défaut d'utilisation ou d'entretien de sa part,
- condamner in solidum la société ADG et son assureur au paiement de la somme totale de 105 200,60 euro,
- réformer le jugement quant à l'évaluation de ses préjudices,
- condamner in solidum les appelantes au paiement des sommes de 5 000 euro en réparation de son préjudice moral né de la résistance abusive dont elles ont fait preuve et de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions signifiées le 16 mai 2013, la CPAM de Seine et Marne demande la confirmation du jugement et le paiement de la somme de 3.000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L.376-1 du Code de la sécurité sociale.
Par conclusions signifiées le 21 mai 2013, les appelantes ont demandé à la cour d'écarter les conclusions de M. Georges qui leur avaient été signifiées le jour-même de l'audience de plaidoiries, alors qu'il avait reçu l'assignation le 16 avril.
Motifs
Sur la demande de rejet des conclusions de l'intimé.
Considérant que les appelantes, qui sont à l'origine de la procédure à jour fixe, n'ont pas demandé à la cour de renvoyer la présente affaire afin de leur permettre de répliquer aux conclusions de leur adversaire ;
Que, dans cette mesure, elles doivent être déboutées de leur demande de rejet des conclusions de l'intimé ;
Sur la responsabilité.
Considérant que les appelantes soutiennent que les appareils identiques à celui utilisé par la victime n'ont jamais fait l'objet d'un quelconque accident avant celui subi par celle-ci, que les experts n'ont pas découvert la cause précise de l'explosion, que l'appareil en cause ne présentait aucun défaut, et que M. Georges a pu commettre une erreur de manipulation car il était traité pour dépression ;
Considérant que les intimés répondent que les expertises amiables n'ont pas révélé l'existence d'une cause extérieure à l'appareil pouvant expliquer l'explosion de celui-ci ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1386-9 du Code civil, il appartient au demandeur qui agit en responsabilité à l'encontre du producteur d'un produit de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage ;
Considérant qu'en l'espèce, les préjudices corporels subis par M. Georges sont justifiés par les documents médicaux qu'il produit, et notamment le rapport d'expertise contradictoire établi par les docteurs Lissitzki, représentant la société Ace, et Wisniewski, représentant la société Macif, assureur de la victime ;
Considérant que l'appareil en cause a fait l'objet d'une expertise technique méticuleuse, menée conjointement par M. Brignon, désigné par la Macif, et par M. TIBI, du cabinet Cunningham & Lindsey, désigné par la société Ace ;
Qu'une première réunion a eu lieu dans l'atelier de M. Georges, où s'est produit l'accident, et la seconde dans le laboratoire de la société ADG ;
Considérant que, même si aucun des deux experts n'a su déterminer la cause exacte de l'explosion, leurs conclusions permettent d'affirmer que seul un défaut de la cartouche de gaz peut expliquer l'accident ;
Qu'en effet, après avoir envisagé toutes les causes possibles de l'explosion, aucun des deux experts n'a pu affirmer que celle-ci était due à une cause extérieure à l'appareil : M. Brignon n'a pas relevé de traces de contrainte et a constaté que le trou visible sur la cartouche était consécutif à l'explosion, celle-ci ayant eu pour effet de projeter la cartouche en l'air, et le percement ayant été provoqué par un clou situé au plafond de l'atelier ;
Que M. TIBI a lui-même affirmé en page 7 de sa note n° 2 qu'il n'était 'pas possible aujourd'hui de démontrer la présence ou l'absence de dégradations antérieures' ;
Que, dans la mesure où aucune faute de manipulation de l'appareil n'est imputable à la victime, la seule explication possible de l'accident est forcément interne à l'objet, qu'il s'agisse d'une surpression du gaz contenu dans la cartouche ou d'un vice de fabrication de celle-ci ;
Considérant qu'il n'est pas nécessaire d'ordonner une expertise technique de l'appareil, qui a déjà été longuement examiné par les deux experts au cours de deux réunions, dont l'une s'est déroulée au sein-même du laboratoire de la société ADG ;
Que celle-ci a ainsi eu la possibilité de mener toutes les investigations techniques nécessaires pour déterminer la cause exacte de l'explosion ;
Considérant que la preuve du défaut de la cartouche de gaz est donc rapportée ;
Considérant, enfin, que le lien de causalité entre ce défaut à l'origine de l'explosion et le dommage subi par M. Georges est incontestable, les secours étant intervenus rapidement après l'accident, et les médecins experts n'ayant en aucune façon mis en doute le lien entre les blessures subies par la victime et l'accident ;
Que la société Ace, qui avait mandaté l'un des deux médecins experts, avait la possibilité de demander à celui-ci de s'assurer que les dommages subis par M. Georges étaient bien imputables à l'explosion de la cartouche de gaz ;
Que les appelantes ne produisent aucun élément médical susceptible de remettre en cause le rapport contradictoire des deux médecins experts, qui n'ont à aucun moment émis des doutes sur le lien entre l'accident et les blessures subies par la victime ;
Que leur demande d'expertise médicale judiciaire n'est donc pas fondée ;
Considérant, par conséquent, que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société ADG sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil et a rejeté les demandes d'expertises présentées par les appelantes ;
Sur le montant des indemnités.
Considérant que les appelantes ne formulent aucune critique sur le jugement quant au montant des indemnités allouées aux intimés ;
Considérant que la CPAM demande la confirmation du jugement, qui a fixé sa créance à la somme de 16 625,83 euro et l'indemnité forfaitaire à 997 euro ;
Considérant que les demandes de M. Georges doivent être examinées successivement :
- dépenses de santé actuelles : il demande la confirmation du jugement en ce qu'il a fixé le complément non pris en charge par la CPAM pour sa prothèse oculaire à la somme de 300 euro ; il ne justifie toujours pas, en cause d'appel, de sa demande en paiement de la somme complémentaire de 150 euro au titre des déplacements aux consultations médicales et à l'expertise ; il sera donc débouté de ce chef de demande ;
- déficit fonctionnel temporaire total : le tribunal lui a alloué la somme de 168 euro pour la période d'hospitalisation, qui a duré huit jours, mais il réclame la somme de 176 euro ; la somme allouée par le tribunal apparaît satisfactoires et mérite d'être confirmée ;
- déficit fonctionnel temporaire partiel : les médecins experts ayant évalué la gêne dans les actes de la vie courante à 50 % pour la période du 30 septembre 2009 au 21 mai 2010, le tribunal a alloué à ce titre la somme de 2 184 euro ; M. Georges demande la somme de 2 800 euro sur la base de 700 euro par mois ; la somme allouée par le tribunal apparaît satisfactoires et mérite d'être confirmée ;
- préjudice esthétique temporaire : jusqu'au 21 mai 2010, date de consolidation, M. Georges a porté un pansement sur l'œil ; il réclame à ce titre la somme de 3 000 euro ; le tribunal a fait une juste appréciation de ce préjudice en lui allouant la somme de 1 500 euro ;
- frais médicaux futurs : M. Georges, qui devra changer sa prothèse oculaire tous les trois ans, demande la confirmation du jugement en ce qu'il lui a alloué la somme de 1 774,60 euro ;
- déficit fonctionnel permanent : les médecins experts ayant évalué ce préjudice à 26 %, le tribunal lui a alloué la somme de 52 000 euro, dont M. Georges demande la confirmation ;
- incidence professionnelle : M. Georges était chauffeur poids lourds au chômage lors de son accident ; la perte d'un œil lui a fait perdre les permis poids lourds et transports en commun ; il en conclut qu'il subit une dévalorisation sur le marché du travail et réclame la somme de 30 000 euro ; dans la mesure où il ne produit aucune pièce sur ses diplômes, sa carrière professionnelle, l'âge de son départ à la retraite, ni sur sa situation professionnelle actuelle, le jugement doit être confirmé en ce qu'il lui a alloué la somme de 12 000 euro ;
- souffrances endurées : les médecins ayant évalué ce préjudice à 3/7, le tribunal lui a alloué la somme de 4 000 euro ; il réclame la somme de 9 000 euro ; cependant, la somme allouée par le tribunal apparaît satisfactoires et mérite d'être confirmée ;
- préjudice esthétique définitif : les médecins ayant évalué ce préjudice à 1,5/7 compte tenu du port d'une prothèse oculaire, le tribunal a fixé la réparation à 2 000 euro, alors que M. Georges réclame la somme de 3 000 euro ; la somme allouée par le tribunal apparaît satisfactoires et mérite d'être confirmée ;
- préjudice moral et psychologique : M. Georges réclame la somme de 3 000 euro, expliquant que la perte d'un œil lui a causé un traumatisme et une grave dépression ; mais, selon les médecins experts, il était déjà suivi pour une dépression chronique avant son accident ; la somme de 1 500 euro allouée par le tribunal apparaît donc satisfactoires et mérite d'être confirmée ;
Sur les dommages-intérêts.
Considérant que M. Georges demande la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, le jugement n'ayant toujours pas été exécuté, alors qu'il était assorti de l'exécution provisoire ;
Considérant que les appelantes ont effectivement eu un comportement dilatoire, dans la mesure où, d'une part, le rapport de leur propre expert ne permettait pas d'écarter la responsabilité de la société ADG, et, d'autre part, la situation économique de celle-ci devait lui permettre d'exécuter le jugement ;
Qu'il convient de sanctionner ce comportement en allouant à la victime la somme de 2 000 euro à titre de dommages-intérêts ;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile.
Considérant que l'équité commande d'allouer à M. Georges la somme complémentaire de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, d'allouer à la CPAM celle de 1 500 euro sur le même fondement, et de débouter les appelantes de ce chef de demande ;
Par ces motifs, La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Déboute les appelantes de leur demande de rejet des conclusions de M. Georges ; Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Et y ajoutant, condamne les sociétés Application des Gaz et Ace Europe in solidum à payer les sommes suivantes : - 2 000 euro à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à M. Georges, - 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à la CPAM de Seine et Marne ; Condamne les sociétés Application des Gaz et Ace Europe aux dépens de la procédure d'appel et dit qu'ils pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.