CA Douai, 3e ch., 19 mars 2015, n° 13-07040
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Cœur de Pevele
Défendeur :
Emat (SAS), Tecnoclima SPA (Sté), SCA Dalkia France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Girot
Conseillers :
Mme Andre, M. Spateri
Avocats :
Mes Laurent, Meignie, Carlier, Marty, Bussy, de Cosnac, Deffrennes
Exposé du litige :
La communauté de communes du Coeur de Pévèle est propriétaire d'un bien immobilier situé sur le territoire de la commune d'Orchies.
Cet immeuble était chauffé au moyen d'un générateur d'air chaud à gaz, fourni par la société Emat, acheté auprès de la société Technoclima et équipé d'un brûleur de marque Riello. Ces équipements avaient été achetés auprès de la société Dupont sanitaires chauffage le 31 décembre 1998.
Selon marché du 25 novembre 2002 la société Dalkia s'était vue confier l'entretien de l'installation de chauffage.
Dans la nuit du 9 au 10 mars 2007 un incendie s'est déclaré qui a entièrement détruit le bâtiment.
Par acte d'huissier du 11 mai 2007 la communauté de communes et son assureur la société Areas dommages ont fait assigner la société Dalkia devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Douai. Un expert a été désigné par ordonnance du 4 juin 2007. Les opérations d'expertise ont été étendues au contradictoire de la société Emat le 3 décembre 2007, de la société Dupont sanitaires chauffage, de la société SFCR, distributeur des produits de marque Riello, le 19 novembre 2007. Le 8 décembre 2008 les opérations d'expertise ont encore été étendues au contradictoire des sociétés Riello et Technoclima.
L'expert a déposé son rapport le 21 juillet 2009.
Selon exploit du 7 mai 2010 la communauté de communes et la société Areas dommages ont fait assigner la société Emat devant le tribunal de grande instance de Douai afin d'obtenir la réparation de leur préjudice sur le fondement de l'article 1386-1 du Code civil.
La société Emat a fait assigner en garantie les sociétés Technoclima, Riello France et Dalkia par actes d'huissier des 4 et 8 juin et 11 août 2010.
Par jugement du 12 novembre 2013 le Tribunal de grande instance de Douai a pris acte du désistement d'instance et d'action de la société Emat à l'encontre de la société Riello, débouté la communauté de communes et la société Areas dommages de leurs demandes, laissé aux défenderesses la charge de leurs frais irrépétibles, et condamné la communauté de communes et la société Areas dommages aux dépens, en ce compris les frais d'expertise.
La communauté de communes du Coeur de Pévèle et la société Areas dommages ont interjeté appel de ce jugement le 12 décembre 2013.
Elles en sollicitent l'infirmation et demandent à la cour de condamner la société Emat, sur le fondement de l'article 1386-1 du Code civil, à payer à la société Areas dommages la somme de 21 3267 euro de dommages et intérêts avec application de l'article 1154 du Code civil, outre 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Au soutien de leurs demandes elles font valoir que le sinistre trouve son origine dans la chaudière produite par la société Emat, même si l'expertise n'a pas déterminé la nature exacte du dysfonctionnement de cet appareil, et ce dès lors qu'il a pu être établi par l'expertise amiable du cabinet Lavoue, puis par l'expertise judiciaire que l'incendie a pris naissance dans cette chaudière à la suite d'une surchauffe au fond du foyer. Elles en déduisent que la chaudière n'a pas présenté la sécurité normale attendue en pareille hypothèse, en l'absence de fonctionnement du système de sécurité de surchauffe et qu'elle était donc défectueuse.
La société Emat conclut à titre principal à la confirmation du jugement, et à titre subsidiaire demande à être garantie par les sociétés Technoclima et Dalkia. En tout état de cause elle sollicite l'octroi de la somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle rappelle qu'elle s'est bornée à fournir le générateur d'air chaud et le brûleur de marque Riello non monté sur le générateur et soutient que l'hypothèse la plus probable de la cause de l'incendie est un dysfonctionnement du thermostat d'ambiance, qui ne faisait pas partie de sa prestation. Elle ajoute que le rapport d'expertise ne permet pas de caractériser avec certitude la défectuosité de la chaudière. Elle exclut l'hypothèse d'un défaut de réglage de la flamme en exposant que la chaudière a fonctionné correctement pendant neuf ans avec le même réglage.
À l'appui de sa demande subsidiaire, elle indique avoir acheté la chaudière à la société Technoclima avant de se charger de sa distribution, de sorte que c'est cette dernière qui doit être considérée comme le producteur au sens de l'article 1386-7 du Code civil. Elle reproche à la société Dalkia un défaut d'entretien dans la mesure où l'expert a relevé un dysfonctionnement du système de sécurité de surchauffe.
La société de droit italien Technoclima conclut à la confirmation du jugement, au rejet des demandes de la société Emat à son encontre et subsidiairement demande à être garantie par la société Dalkia. Elle demande enfin l'octroi de la somme de 4 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle indique que l'expert n'a pas pu déterminer l'origine de l'incendie, les composantes de la chaudière ayant été détruites lors du sinistre, de sorte qu'il n'a pu émettre que des hypothèses qui n'ont pu être vérifiées, et qu'il n'a pas pu démontrer la nature du ou des dysfonctionnements. Elle ajoute que la société Emat ne démontre pas plus que les composants qu'elle a fournis seraient eux-mêmes défectueux, soulignant que la société Emat a procédé à l'assemblage des composants du système de chauffage.
Elle ajoute que le préjudice allégué par la communauté de communes et par la compagnie d'assurances n'est pas établi, seule une quittance subrogative de 76 838 euro étant produite.
À l'encontre de la société Dalkia, elle relève que le cabinet Lavoue, dans une expertise amiable, a indiqué qu'il est vraisemblable qu'un réglage de flamme inadapté est à l'origine d'un effet chalumeau, ledit réglage relevant de la société chargée de l'entretien de la chaudière.
La société Dalkia France conclut à la confirmation du jugement et au rejet des demandes de la société Emat à son encontre, ainsi qu'à sa condamnation à lui payer la somme de 5000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle rappelle qu'elle n'a aucun lien contractuel avec la société Emat et soutient avoir régulièrement procédé à l'entretien de la chaudière, le carnet ayant toutefois été détruit lors de l'incendie. Elle ajoute que l'expert a indiqué que les réglages du brûleur étaient corrects au moment du sinistre et qu'il n'a pas pu déterminer la cause exacte de l'incendie, de sorte qu'aucune faute n'est démontrée à son encontre. Elle fait encore valoir que le relevé du compteur de gaz n'a montré aucune anomalie, à l'exception de pannes en mars et avril 2006.
Sur ce,
Sur la responsabilité de la société Emat :
Attendu que l'article 1386-4 du Code civil dispose qu'un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ;
Que toutefois la simple implication d'un produit dans la réalisation d'un dommage ne suffit pas à établir son défaut ;
Que l'expert a conclu au fait que " c'est au niveau de la chaîne de régulation thermostat "sonde Honeywell " brûleur qu'un dysfonctionnement a pu survenir " ;
Qu'il ajoute " qu'il n'a pas pu être démontré quel avait été la nature du ou des dysfonctionnements ni à quel niveau de l'un ou l'autre de ces équipements" et "qu'en tout état de cause, le système de chauffage constitue un ensemble composé de la chaudière et de sa régulation, or c'est bien à partir du percement du corps de chauffe (foyer) que le sinistre a pu se déclencher, la détérioration du foyer ayant été provoquée par une marche anormalement soutenue du brûleur en l'absence de ventilation efficace sans que la sécurité surchauffe au-delà de 90° C n'ait fonctionné " ;
Qu'en outre il résulte de l'avis du sapiteur monsieur Cousin que " le brûleur ne présentait aucun dysfonctionnement et était convenablement réglé, la surchauffe du foyer étant à rechercher dans un dysfonctionnement de la chaîne de régulation (thermostat d'ambiance qui assure le démarrage du brûleur, démarrage du ventilateur - par la sonde airstat - quand la température de l'air atteint 40 °C, coupure du brûleur pas l'airstat quand l'air atteint 90°C avec marche du ventilateur jusqu'à refroidissement à 25°C) " ;
Que l'expert n'identifie pas d'autre cause susceptible d'être à l'origine du sinistre;
Qu'ainsi, il est établi que le système de chauffage mis en place par la société Emat présentait bien un dysfonctionnement de la chaîne de régulation et n'offrait pas de ce fait la sécurité à laquelle on pouvait s'attendre, dans la mesure où ce défaut a permis une surchauffe du foyer à l'origine de l'incendie, conséquence d'une marche anormale du brûleur qui n'a pas été arrêtée par le système de sécurité ;
Qu'il importe peu à ce titre que les opérations d'expertise n'aient pas pu déterminer avec certitude la cause et la nature exactes du dysfonctionnement du système de sécurité, dès lors qu'est établi le défaut du produit et qu'il incombe au producteur de prouver la cause exonératoire ou la faute de l'utilisateur, ce qu'il n'offre pas de faire ;
Qu'en conséquence le jugement devra être infirmé et la société Emat condamnée à indemniser la société Areas dommages, subrogée dans les droits de la communauté de communes selon quittance subrogative du 24 avril 2012 ;
Que la société Emat ne discute pas le préjudice tel qu'évalué par les appelantes à la somme de 21 3267 euro qu'elle sera en conséquence condamnée à payer à la société Areas dommages avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, capitalisés conformément à l'article 1154 du Code civil ;
Sur les appels en garantie :
Attendu qu'il n'est pas contesté que la société Technoclima a fourni le générateur à air chaud et la sonde Honeywell, ensuite installés par la société Emat, qui a fourni par ailleurs le brûleur ;
Que cependant l'expertise n'a pas permis de déterminer précisément l'élément de la chaîne de régulation ayant présenté un dysfonctionnement, de sorte que le défaut de l'un des seuls éléments produits par la société Technoclima n'est pas démontré ;
Que la société Emat sera par conséquent déboutée de son appel en garantie à son encontre ;
Qu'elle sera de même déboutée de son appel en garantie contre la société Dalkia, contre laquelle aucune des pièces produites aux débats ne démontre un défaut d'accomplissement de ses opérations de maintenance, les opérations d'expertise ayant au contraire mis en évidence un réglage correct du brûleur de la chaudière ;
Sur les demandes accessoires :
Attendu que la société Emat succombe à l'instance et en supportera les dépens, tant de première instance que d'appel ;
Qu'elle sera en outre condamnée à payer à la communauté de communes du Coeur de Pévèle et à la compagnie Areas dommages d'une part la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, à la société de droit italien Technoclima d'autre part et à la société Dalkia de troisième part, la somme de 2 000 euro, pour chacune d'elle sur ce même fondement en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, La Cour, Infirme le jugement, et statuant de nouveau : Condamne la société Emat à payer à la société Areas dommages la somme de 21 3267 euro de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, capitalisés conformément à l'article 1154 du Code civil ; Déboute la société Emat de ses appels en garantie à l'encontre des sociétés Technoclima et Dalkia ; Condamne la société Emat à payer à la société Areas dommages et à la communauté de communes du Coeur de Pévèle la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Emat à payer à la société de droit italien Technoclima la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Emat à payer à la société Dalkia la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Emat aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de maître Bussy, avocat, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.