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Décisions

CA Bourges, ch. civ., 4 septembre 2014, n° 14-00217

BOURGES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Sanofi Pasteur (SA)

Défendeur :

Le Sou Médical

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gautier

Conseillers :

Mmes Penot, Jeannot

Avocat :

SCP G. & Associes

TGI Châteauroux, du 13 nov. 2013

13 novembre 2013

M. Patrick R. s'est fait vacciner contre le virus de l'hépatite B, trois injections lui ayant été administrées par le docteur A., les 17 février, 16 mars et 2 septembre 2000.

Deux semaines après la dernière injection, il ressentait des fourmillements dans les doigts et un diagnostic de sclérose en plaques était envisagé en juin 2011.

Estimant que cette maladie pouvait être consécutive à la vaccination effectuée, M. R. sollicitait en référé l'organisation d'une mesure d'expertise, aux fins d'en déterminer les causes et de décrire les manquements éventuellement imputables au Dr A. et au laboratoire Sanofi, fabricant des vaccins.

Par ordonnance du 13 novembre 2013, le juge des référés de Châteauroux a rejeté les demandes formées par M. R. lequel a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe, le 12 décembre 2013.

Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 7 février 2014, auxquelles il est fait référence en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, M. R. sollicite l'infirmation de la décision et la désignation d'un expert aux fins de rechercher si ses lésions sont en relation directe et certaine avec la vaccination pratiquée par le docteur A..

A l'appui de ses demandes, il indique que nonobstant l'avis du conseil scientifique de l'association pour la recherche sur la sclérose en plaques, selon lequel aucun argument épidémiologique ne pourrait être avancé pour contre-indiquer la vaccination contre l'hépatite B, un rapport établi à sa demande par le professeur V., neuropsychiatre, expert auprès de la cour d'appel de Limoges, souligne que des coïncidences troublantes avec une relation chronologique indiscutable entre la vaccination et le début de la sclérose en plaques ou d'un tableau apparenté ont été observées et que la causalité entre les deux ne peut être exclue par principe, le délai de 15 jours à 3 semaines après l'injection du dernier rappel et le déclenchement des signes fonctionnels neurologiques, étant raisonnable pour la manifestation d'une maladie auto immune après un contact avec un possible antigène.

M. R. estime pouvoir mettre la responsabilité du docteur A. en cause pour non-respect de son devoir d'information préalable et soutient que la question de la prescription d'une action éventuelle contre le laboratoire Sanofi, ne relève pas de la compétence du juge des référés mais de celle du juge du fond.

Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 25 avril 2014, auxquelles il est fait référence en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la SA Sanofi sollicite la réformation de l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a écarté le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'action au fond, la confirmation de l'ordonnance pour le surplus et le débouté de la demande formulée par M. R..

Subsidiairement, elle sollicite la désignation d'un collège d'experts composé de neurologue et immunologue, aux frais avancés de M. R. et en tout état de cause, la condamnation de ce dernier aux dépens

A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir qu'une action éventuellement diligentée au fond par M. R. serait manifestement prescrite puisque enfermée dans un délai de 10 voire de 5 ans, de sorte que le motif légitime prescrit par l'article 145 du Code de procédure civile, fait défaut.

Elle souligne que la sclérose en plaques est une maladie multifactorielle associant un terrain génétique non encore identifié à des facteurs environnementaux ou exogènes , que la vaccination contre le virus de l'hépatite B n'a pas modifié le nombre des patients atteints de cette affection , la communauté scientifique et notamment les conclusions de la commission nationale de pharmacovigilance du 29 janvier 2008 s'accordant à écarter l'hypothèse d'un lien entre cette pathologie et la vaccination, aux termes d'un recul de 19 années d'évaluation .

Elle en déduit que la démonstration d'un lien de causalité étant impossible, aucun motif légitime d'organiser l'expertise sollicitée n'existe.

Elle souligne que le vaccin contre le virus de l'hépatite B ne peut être considéré comme défectueux dès lors que la mention d'une pathologie possible de poussée de sclérose en plaques dans les semaines suivant la vaccination, figure expressément sur la notice, au titre des précautions d'emploi.

Aux termes d'écritures signifiées le 10 juin 2014, le docteur Claudine A. conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise et subsidiairement à ce qu'il lui soit donné acte de ses protestations et réserves relatives à la demande d'expertise judiciaire sollicitée, proposant dans ce cas une mission.

À l'appui de ses prétentions, elle fait valoir que le professeur V. n'a pu dégager de lien de causalité entre les injections réalisées et l'apparition de la sclérose en plaques, sa responsabilité au titre d'un manquement à son devoir de conseil, ne pouvant en conséquence, être retenu.

Elle expose que le laboratoire Sanofi qui lui a fourni le vaccin doit être attrait dans la cause.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 juin 2014.

Motifs de la décision :

- Sur l'existence d'un motif légitime, au regard d'une prescription éventuelle des actions :

Le motif légitime exigé par l'article 145 du Code de procédure civile pour obtenir l'organisation d'une mesure d'instruction, est inexistant lorsque la prétention est manifestement vouée à l'échec , notamment par l'effet d'une prescription évidente de l'action .

À cet égard, le juge des référés est en conséquence compétent pour apprécier l'évidence de la prescription encourue.

L'action en responsabilité éventuelle de la SA Sanofi sur le fondement de l'article 1386-16 du Code civil, en sa qualité de producteur du vaccin, s' éteint 10 ans après la mise en circulation du produit qui a causé le dommage, sauf faute de sa part.

Aux termes de l'article 2226 du Code civil, l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par 10 ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé .

Un débat peut donc s'instaurer au fond, sur la question de la prescription d'une action à l'égard de la SA Sanofi.

Par ailleurs, l'action en responsabilité à l'encontre du docteur A., se prescrivait par 30 ans avant la date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 modifiant les prescriptions, des suites de laquelle elle se prescrit désormais par 10 ans.

Cette action n'étant pas prescrite au jour de l'action, le nouveau délai de 10 ans a recommencé à courir en 2008.

Dans ces conditions, il ne peut être considéré que les actions envisagées soient manifestement prescrites, la question de possibles suspension ou interruption de prescription ressortissant au demeurant à la seule compétence des juges du fond, et en conséquence, que la demande d'expertise soit dépourvue de motif légitime de ce chef.

- Sur l'existence d'un motif légitime au regard de la recherche de l'établissement de la preuve :

L'impossibilité ou non, de prouver scientifiquement le lien de causalité entre l'apparition d'une sclérose en plaques et la vaccination contre l'hépatite B, laisse place à une appréciation au cas par cas, par présomption, au regard notamment de l'état antérieur de l'individu, de son histoire familiale, de son origine ethnique, du temps écoulé entre les injections et le déclenchement de la maladie, du nombre des injections pratiquées.

Il en résulte que des présomption graves précises et concordantes peuvent permettre d'établir le lien entre les vaccinations litigieuses, le déclenchement de la sclérose en plaques et l'imputabilité de la sclérose en plaques à ces injections entraînant ainsi l'existence de présomptions graves précises et concordantes du caractère défectueux des doses administrées.

La demande d'expertise formulée correspond en conséquence à une volonté légitime d'établir la preuve de faits dont peut dépendre la solution du litige, au sens de l'article 145 du Code de procédure civile.

L'ordonnance entreprise sera donc infirmée et une expertise ordonnée, aux frais avancés de M. Patrick R.

Les dépens seront réservés.

Par ces motifs, La Cour, Infirme l'ordonnance entreprise ; Statuant à nouveau, Ordonne une expertise médicale confiée : - au Dr François C., médecin neurologue, et - au Dr Jacques-H.M. C., médecin immunologue recevant pour mission de : - examiner et prendre connaissance du dossier médical de M. R., - préciser les spécialités qui lui ont été administrées par le docteur A., leurs numéros de lot et les dates d'injection, - décrire les symptômes présentés par M. R., ses lésions et indiquer de quelle pathologie il se trouve atteint, en précisant par quel moyen et à quelle date le diagnostic a été posé, les différents épisodes de la maladie, leurs conséquences, les traitements dont il a été l'objet et leurs résultats, - dire si les soins prodigués par le docteur A. ont été consciencieux, attentifs et dispensés selon les règles de l'art et les données acquises de la science médicale à l'époque, - dans la négative, préciser la nature des manquements et leurs conséquences sur l'état du patient, - dire s'il existe un lien de causalité direct et certain entre les lésions et la vaccination contre l'hépatite B pratiquée par le docteur A. sur M. R., - dans l'affirmative, dire s'il existe un état antérieur ayant pu avoir une conséquence sur la gravité ou l'évolution de l'affection, fixer la date de consolidation de ses blessures et déterminer les différents préjudices subis par M. R. conformément à la nomenclature dite " Dintillac " ; Dit que les experts devront déposer leur rapport au plus tard le 5 janvier 2015, après avoir communiqué leurs premières conclusions aux parties et leur avoir laissé un délai suffisant mais non supérieur à un mois, pour faire valoir leurs dires et observations ; Dit que M. Patrick R. devra consigner au greffe de la cour une somme de 1 500 euro à valoir sur la rémunération du Dr C. et une somme de 1 500 euro à valoir sur la rémunération du Dr C., au plus tard le 6 octobre 2014 ; Condamne in solidum les intimés aux dépens de première instance et d'appel.