CA Versailles, 12e ch., 1 mars 2016, n° 14-01734
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Arcil (SA)
Défendeur :
Asiatique Européenne de Commerce (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rosenthal
Conseillers :
Mme Soulmagnon, M. Leplat
Avocats :
Mes Dupuis, Ravion, Guttin, Kouchnir Cargill
La SA Arcil, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation des lignes de conditionnement de produits laitiers, des équipements et des pièces de rechange y afférents a conclu le 4 novembre 2002 un contrat d'agent commercial avec la SA Asiatique Européenne de Commerce, ci-après AEC, aux fins de représenter et de promouvoir la vente de ses produits en Chine, à l'exception de certains clients ou commandes réservés par la SA Arcil selon l'article 2.1 du contrat.
Suite à son courrier du 26 août 2009 et au courrier en réponse de la SA AEC sollicitant un délai supplémentaire, la SA Arcil a adressé à la SA AEC le 9 octobre 2009 un courrier recommandé avec accusé réception mettant fin au contrat d'agent commercial avec un préavis de six mois expirant le 12 avril 2010. Pour prendre en compte les commandes enregistrées concernant les clients Yili et Mengniu, en application de l'article 8.5 du contrat portant sur le droit à commissions sur toutes les offres en cours, les parties ont convenu que le suivi des appels d'offres perdure jusqu'au 12 avril 2011.
Après avoir pris acte le 22 octobre 2009 de la résiliation de son contrat d'agence commerciale, la SA AEC demandait à la SA Arcil par courrier avec accusé réception du 31 mars 2011 le paiement de l'indemnité de fin de contrat c'est-à-dire la somme de 192 552 euro et son droit à commission sur un appel d'offre de la société Yili, puis elle adressait deux mises en demeure les 12 mai et 22 juin 2011, qui sont restées sans réponse, la SA Arcil ne réglant que trois factures en août 2011.
C'est dans ce contexte, que la SA Arcil a assigné le 14 octobre 2011 SA Asiatique Européenne de Commerce à titre principal en résiliation du contrat d'agent en avril 2010 et en paiement de dommages et intérêts du fait de ses manquements contractuels.
Par jugement en date du 29 janvier 2014, le Tribunal de commerce de Nanterre:
- dit qu'il n'est pas démontré que la SA Asiatique Européenne de Commerce a failli à ses obligations contractuelles et en conséquence:
- déboute la société Arcil de sa demande en dommages et intérêts à ce titre,
- condamne la société Arcil à verser à la SA Asiatique Européenne de Commerce la somme de 8 848,17 euro avec intérêt au taux contractuel à compter de la date d'échéance de chaque facture;
- ordonne que la société Arcil communique à la SA Asiatique Européenne de Commerce les documents comptables lui permettant de calculer le montant de la commission qui lui est due sur la vente de la machine A6D24FL3102 faite à la société Yili,
- dit que la faute invoquée privative d'indemnité de fin de contrat n'a pas été démontrée et en conséquence:
- condamne la société Arcil à payer à la SA Asiatique Européenne de Commerce la somme de 192 552 euro au titre de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce,
- dit que cette somme portera intérêts légaux à compter du 22 juin 2011,
- déboute la SA Asiatique Européenne de Commerce de sa demande de dommages et intérêts,
- condamne la société Arcil au paiement à la SA Asiatique Européenne de Commerce de la somme de 10 000 euro, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonne l'exécution provisoire,
- condamne la société Arcil aux dépens
Par déclaration du 5 mars 2014, la SA Arcil a interjeté appel de la décision.
En application de ce jugement, la SA Arcil déclare avoir versé à la SA Asiatique Européenne de Commerce la somme de 215 636,41euro suivant décompte préparé par elle, puis avoir transmis à cette dernière les documents afférents à la commission Yili et avoir versé à ce titre la somme de 71 257euro.
Par dernières conclusions signifiées par RPVA le 17 septembre 2015, la SA Arcil demande à la cour de:
- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en toutes ses dispositions ;
- Donner acte à la société Arcil de la résiliation du contrat d'agent commercial en date du 4 novembre 2002 signé entre Arcil et AEC et ce avec effet au 9 avril 2011 ;
- Donner acte à la société Arcil de la complète exécution du jugement en date du 29 janvier 2014 et du paiement à ce titre de la somme totale de 286 893 euro à AEC ;
A titre principal:
- Relever la société Arcil de toute obligation, notamment financière, à l'égard de la société AEC, notamment au regard des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce, compte tenu de la violation par cette dernière de ses obligations contractuelles et condamner à ce titre la société AEC à devoir rembourser à la société Arcil la somme de 192 552 euro, sous huitaine à compter de la signification de la décision à intervenir et ce sous une astreinte de 2 000 euro par jour de retard ;
A titre subsidiaire:
- Réduire à une somme qui ne saurait dépasser 20 000 euro le montant de l'indemnité de fin de contrat, compte tenu de la violation par AEC de ses obligations contractuelles et du préavis exceptionnel dont elle a bénéficié et condamner à ce titre la société AEC à devoir rembourser à la société Arcil une somme qui ne pourra être inférieure à 172 552 euro, sous huitaine à compter de la signification de la décision à intervenir et ce sous une astreinte de 2 000 euro par jour de retard ;
En toutes hypothèses:
- Condamner la SA Asiatique Européenne de Commerce au remboursement de la somme de 71 257 euro indûment payée par la société Arcil à la SA Asiatique Européenne de Commerce en application du jugement en date du 29 janvier 2014, au titre de la vente réalisée au profit de Yili ;
- Débouter la SA Asiatique Européenne de Commerce de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles, fins et conclusions, notamment au titre de son appel incident ;
- Condamner la SA Asiatique Européenne de Commerce à verser à la société Arcil la somme de 30 000 euro, à parfaire, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner la SA Asiatique Européenne de Commerce aux entiers dépens.
- Dire que les dépens pourront être directement recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
Par dernières conclusions signifiées par RPVA le 28 octobre 2015, la SA Asiatique Européenne de Commerce prie la cour de:
- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre du 29 janvier 2014 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société AEC au titre de la procédure abusive dont elle fait l'objet ;
Et statuant à nouveau sur ce dernier point :
- Condamner la société Arcil à lui payer la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
En tout état de cause,
- Condamner la société Arcil à lui payer une somme de 30 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en compensation des frais irrépétibles que celle-ci a dû engager pour faire valoir ses droits,
- Condamner la société Arcil en tous les dépens de la présente instance
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions des parties et au jugement déféré conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 12 novembre 2015 et l'affaire a été plaidée à l'audience du 15 décembre 2015.
MOTIFS
Selon les dispositions de l'article 954 du Code de procédure civile : " Les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ses prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.
Les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif. La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif (...) ".
La demande de la SA Arcil en paiement de la somme de 820 000 euro au titre de la perte de chance d'avoir eu cinq appels d'offre, formulée en page 26 de ses conclusions n'étant pas reprise au dispositif de ses dernières écritures du 17 septembre 2015, la cour n'a pas à statuer sur ce chef de demande.
Sur la faute grave:
La SA Arcil expose qu'elle a indiqué à plusieurs reprises à la SA AEC son souhait de bénéficier d'un plan d'action concret concernant sa représentation commerciale en Chine, que des réunions ont eu lieu à ce sujet à Paris et Shanghai, que néanmoins la SA AEC a refusé pendant plusieurs mois de " considérer avec sérieux ces demandes ", qu'elle a attendu en outre le dernier jour du délai, qu'elle lui avait octroyé, pour susciter une prolongation de celui-ci sans faire de proposition, que le comportement de la SA AEC est ainsi constitutif d'une faute grave rendant impossible le mandat d'intérêt commun liant les parties.
En réplique, la SA AEC conteste toute faute grave de sa part, faisant valoir que la lettre du 26 août 2009 ne la mentionne pas, qu'aucune critique ne lui a été faite entre 2002 et 2009, qu'aucun manque de prospection et de moyens mis en œuvre n'est avéré de sa part, qu'il ne peut valablement lui être reproché d'avoir sollicité une prorogation d'un mois pour proposer un plan d'action.
L'article L. 134-12 du Code de commerce dispose que: " en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits. Les ayants droit de l'agent commercial bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent ".
En vertu de l'article L. 134-13 du Code de commerce " La réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :
1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;
2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;
3° Selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence ".
La faute grave est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel. Il appartient au mandant d'apporter la preuve de cette faute.
Dans son courrier du 26 août 2009 adressé à la SA AEC, la SA Arcil mentionne: " nous sommes d'accord sur le fait que les moyens mis en œuvre jusqu'à présent étaient satisfaisants au regard des opportunités en Chine ", montrant ainsi clairement qu'elle n'a pas de critiques particulières à faire à son agent sur l'exécution du contrat de 2002 à 2009 dont elle ne remet pas en cause son action commerciale. La SA Arcil ne justifie d'aucun autre manquement contractuel de la SA AEC susceptible de caractériser une faute grave de sa part pendant cette période, l'attestation de Monsieur Hannoteaux (pièce n° 9) ne relatant que des faits dont il n'a pas été témoin direct, étant totalement insuffisante à cet égard.
En ce qui concerne l'année 2009, il n'est pas discuté que deux entretiens ont eu lieu entre les parties, le premier le 9 juillet à Puiseux-Pontoise et le second 21 août à Shanghai et qu'ils avaient pour objet la représentation commerciale de la SA Arcil en Chine. La SA AEC produit d'ailleurs à cet effet sous cote 30 la présentation Powerpoint qu'elle a faite à cette dernière date qui mentionne les difficultés rencontrées sur le marché chinois et les nouveaux positionnements à avoir, ce qui n'est pas contradictoire avec la position de la SA Arcil. Certes le 26 août 2009 la SA Arcil indique à la SA AEC : " je souhaite confirmer que Arcil est en attente d'un plan d'action concernant sa représentation commerciale en Chine par AEC " et, " pour tenir compte des nouvelles opportunités d'accroissement d'activité sur le marché chinois, lui demande de lui faire savoir sous 30 jours si AEC est prêt à renforcer l'équipe qui représente Arcil et de quelle manière ". Si, en réponse la SA AEC lui a demandé le 26 septembre 2009 un délai supplémentaire d'un mois pour lui présenter le plan d'action sollicité arguant du fait que la société ERCA s'est retirée du marché chinois et a mis fin au contrat avec Monsieur Tao, qu'il y a dès lors la possibilité d'utiliser les capacités commerciales de Monsieur Tao pour Yili et qu'il y a des négociations en cours sur les appels d'offre des principaux clients, Yili et Mengniu, dès le 28 septembre 2009 le représentant de la SA Arcil indique à la SA AEC que " comme je vous l'ai indiqué à plusieurs reprises, je souhaite et j'aurai un plan précis pour le marché chinois le 30.09. Votre non-réponse vous écarte donc de ces réflexions ".
Alors que la SA Arcil n'apporte pas d'élément supplémentaire justifiant de demandes antérieures à juillet 2009 pour l'élaboration d'un nouveau plan d'action aux fins de promouvoir sa société sur le marché chinois, le seul fait que la SA AEC ne respecte pas le délai, au demeurant court, d'un mois pour présenter un plan d'action est insuffisant pour caractériser une faute grave de la SA AEC, agent commercial. La SA Arcil ne justifie pas plus de manquements contractuels de la SA AEC dans l'exécution du contrat ni avant ni à compter de cette date, alors qu'elle a continué d'exercer son mandat pendant la période de préavis à compter de la lettre de résiliation du 9 octobre 2009.
Par conséquent, la cour confirme la décision du tribunal qui a débouté la SA Arcil de ses demandes en privation d'indemnité légale pour faute de l'agent commercial et en dommages et intérêts pour manquements contractuels.
Sur les demandes de la SA AEC:
La SA AEC demande la confirmation du jugement sur le paiement de l'arriéré des commissions dû et le paiement de l'indemnité légale de fin de mission. Elle sollicite le paiement de la somme de 100 000 euro de dommages et intérêts du fait du caractère abusif de l'action de la SA Arcil à son encontre.
La SA Arcil conteste le paiement de la commission sur la vente de la machine A6D24FL3102 et elle estime qu'au regard des faits de l'espèce, de l'absence de prospection et de création d'une clientèle commune et de l'absence de réalisation des objectifs de vente, l'indemnité légale doit être réduite pour tenir compte du préjudice effectivement subi par la SA AEC.
La SA Arcil ne conteste pas être redevable à l'égard de la SA AEC du paiement de la somme de 8 848,17euro correspondant à deux factures du 3 mars 2011 et à une du 18 janvier 2011. Le jugement sera confirmé sur ce point.
En ce qui concerne la vente de la machine A6D24 FL3102 à Yili, le tribunal a, à juste titre, retenu que le contrat FL 3102 a été conclu pour une machine décrite dans l'offre du 2 avril 2010, que cette offre portait sur la même machine et était destinée à la même usine de Tianjin que celle contenue dans l'appel d'offres N° YL-ZB- 201003040 de mars 2010 et négociée par la SA AEC avant la fin de son contrat. Par conséquent, la SA AEC est en droit de demander une commission pour cette vente. La décision du tribunal sera donc confirmée sur ce point et la demande en restitution de la SA Arcil à hauteur de la somme de 71 257 euro, au demeurant non nouvelle au regard de l'article 564 du Code de procédure civile, sera rejetée.
Le droit à l'indemnité à la fin du contrat d'agent commercial due en application de l'article L. 134-12 susvisé est une mesure de protection d'ordre public. Il est admis que l'indemnité légale due à l'agent commercial en réparation du préjudice subi lors de la cessation du contrat est fixée à la valeur de deux années de commissions perçues par l'agent calculées sur la moyenne des trois dernières années d'exécution du mandat.
Du seul fait de la cessation du contrat, l'agent se trouve privé de son pouvoir de représentation, de la part de marché qu'il avait constituée et du potentiel de commissions généré par son activité. Par conséquent la SA AEC a droit à une indemnité compensatrice du préjudice subi résultant de la perte, pour l'avenir, des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune, et la SA Arcil ne peut utilement en demander sa minoration en arguant de manquements contractuels de la SA AEC qui relève de sa responsabilité contractuelle et le cas échéant de paiement de dommages et intérêts. En tout état de cause, la SA Arcil, si elle argue en cours de procédure de l'absence de prospection et de création d'une clientèle commune et de l'absence de réalisation des objectifs de vente en contravention avec les clauses du contrat ne justifie nullement en avoir fait part à la SA AEC pendant l'exécution du contrat et n'apporte pas d'élément en attestant.
Dès lors c'est à juste titre que le tribunal a retenu que le droit de la SA AEC de percevoir l'indemnité de rupture prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce n'est pas contestable. Le montant de l'indemnité calculé par le tribunal à la somme de 192 552 euro sur le fondement d'une moyenne annuelle des commissions perçues par la SA AEC sur les trois dernières années de 96 276 euro, n'est pas remis en cause par les parties et sera confirmé par la cour.
Quant à la demande en dommages et intérêts de la SA AEC pour procédure abusive, l'exercice d'une action en justice est un droit et cette dernière ne justifie pas du caractère abusif de la procédure initiée par la SA Arcil à son encontre. Elle en sera donc déboutée.
Sur les demandes annexes:
Le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dont il a fait une équitable application.
En cause d'appel, il convient de condamner la SA Arcil à verser à la SA AEC la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les dépens d'appel sont à la charge de la SA Arcil.
Par ces motifs LA COUR statuant par arrêt contradictoire, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne la SA Arcil à payer à SA Asiatique Européenne de Commerce la somme de 15 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel, Rejette toutes les autres demandes des parties, Condamne la SA Arcil aux dépens d'appel et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.