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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 18 novembre 2014, n° 13-00136

REIMS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Timac Agro (SAS)

Défendeur :

Tinant, Potron, GAEC du Moulin à Vent, Moulin de Foigny (SARL), Groupe Lactalis (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Maillard

Conseillers :

Mme Lauer, M. Soin

Avocats :

SCP Delvincourt Caulier-Richard, SCP Genet, SCP Brodu Cicurel Meynard Gauthier, Mes Gaudeaux, Lepage, Six

TGI Charleville Mézières, du 16 nov. 201…

16 novembre 2012

Le GAEC du Moulin à vent, exploitant agricole de polyculture comprenant une activité laitière, s'est procuré en automne 1999 un produit dénommé " prosanex " auprès de la société Timac, sur recommandation de la société Sofralait qui appartient au groupe Lactalis, puis à compter de la fin de l'année 2001, le GAEC s'est approvisionné auprès de la société Moulin de Foigny, distributeur de ce produit fabriqué par la société Timac, dont la vocation est d'améliorer l'hygiène du couchage des vaches.

Des problèmes sanitaires tels que baisse de la production laitière, arthrites et troubles de la locomotion étant apparu sur son cheptel bovin laitier dès l'année 2000, et ayant entraîné une mortalité exceptionnelle du troupeau, le GAEC du Moulin à vent a imputé cette perte de bovins à l'utilisation du Prosanex, a adressé une lettre recommandée à son fournisseur en décembre 2003, a cessé à compter de cette date l'utilisation du produit et a fait diligenter une expertise technique sur son exploitation courant 2004.

N'ayant obtenu aucun accord d'indemnisation ni de la part des sociétés Timac et Moulin de Foigny, ni de la part du groupe Lactalis, le GAEC du Moulin à vent et ses gérants, MM. Jean-Yves Tinant et Henri Potron, ont fait assigner ceux-ci, par actes d'huissier des 26, 27 et 28 mai 2008, devant le tribunal de grande instance de Charleville Mezieres, afin d'obtenir réparation, à titre principal sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, à titre subsidiaire sur les articles 1386-1 et suivants du même Code (produits défectueux).

Dans leurs dernières conclusions de première instance, ils ont invoqué également les dispositions des articles 1382 et 1603 et suivants du Code civil.

Par jugement du 16 novembre 2012, le tribunal a :

- dit que les sociétés Moulin de Foigny, groupe Lactalis et Timac agro, venant aux droits de la société Timac ont, en leurs qualités de vendeur, distributeur et fabricant professionnel, manqué à leur obligation d'information et de mise en garde du GAEC du Moulin à vent, de MM. Jean-Yves Tinant et Henri Potron,

- condamné in solidum les sociétés Moulin de Foigny, groupe Lactalis et Timac agro à payer au GAEC Moulin à vent, à M. Jean-Yves Tinant et à M. Henri Potron la somme de 65 725,83 euro au titre du préjudice subi au titre de la perte de chance, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- débouté le GAEC du Moulin à vent et MM. Tinant et Potron de leurs demandes au titre du préjudice moral,

- condamné in solidum les sociétés Moulin de Foigny, groupe Lactalis et Timac agro à payer au GAEC du Moulin à vent, à M. Jean-Yves Tinant et à M. Henri Potron la somme de 3 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- fait droit à la demande d'anatocisme,

- rejeté le surplus des demandes du GAEC du Moulin à vent et de MM. Tinant et Potron,

- condamné in solidum les sociétés Moulin de Foigny, groupe Lactalis et Timac agro aux entiers dépens de l'instance,

- rejeté la demande au titre de l'exécution provisoire.

Par déclaration en date du 16 janvier 2013, la société Timac agro a interjeté appel du jugement à l'encontre du GAEC du Moulin à vent, de M. Jean-Yves Tinant, de M. Henri Potron, de la société Moulin de Foigny et du groupe Lactalis.

Par conclusions notifiées le 5 septembre 2014, elle demande à titre liminaire à la cour de :

- dire et juger que le régime spécifique du fait des produits défectueux institué par la loi du 19 mai 1998 ne s'applique pas au Prosanex dont la mise en circulation est antérieure à la date d'entrée en vigueur de cette loi,

- à titre subsidiaire, dire et juger que l'action en responsabilité du GAEC du Moulin à vent et de ses gérants, fondée sur les articles 1386-1 et suivants du Code civil, à l'encontre de la société Timac agro est éteinte,

Plus subsidiairement, dire et juger que l'action est prescrite,

En conséquence, la dire et juger irrecevable, infirmer le jugement en toutes ses dispositions, dire et juger mal fondée l'action en responsabilité de droit commun du GAEC du Moulin à vent et de ses dirigeants et débouter ceux-ci de l'intégralité de leurs demandes en tant que dirigées à l'encontre de la société Timac agro.

A titre principal, la société Timac agro demande à la cour de :

- dire et juger que le GAEC du Moulin à vent et ses co-gérants n'établissent l'existence ni d'un lien de causalité entre l'utilisation par eux de l'assainissant et de l'asséchant pour litière Prosanex et les problèmes sanitaires présentés par leur cheptel de vaches laitières, ni d'un préjudice indemnisable par la société Timac agro,

- dire et juger que les demandes en garantie des sociétés Moulin de Foigny et groupe Lactalis sont dépourvues d'objet et en tout état de cause mal fondées,

En conséquence, infirmer en toutes ses dispositions le jugement, sauf en ce qu'il a débouté le GAEC du Moulin à vent et MM. Tinant et Potron de leurs demandes au titre du préjudice moral,

- débouter purement et simplement les mêmes de leur action en responsabilité à l'encontre de la société Timac agro, fabricant du produit Prosanex, quel que puisse être le fondement juridique de leur action,

A titre subsidiaire, il lui demande de dire et juger tardive, en tout état de cause injustifiée et de ce fait inutile la demande d'expertise ou de déplacement sur les lieux et la rejeter, et très subsidiairement de mettre les frais d'expertise à la charge des demandeurs.

En tout état de cause, la société Timac agro demande à la cour de débouter le GAEC du Moulin à vent et MM. Tinant et Potron de leur demande d'intérêts au taux légal et de les condamner in solidum à lui verser les sommes de 15 000 euro à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre la condamnation des mêmes aux entiers dépens avec application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions notifiées le 08 septembre 2014, le GAEC du Moulin à vent, M. Henri Potron et M. Jean-Yves Tinant demandent à la cour, vu les articles 1147 et suivants, 1382 et suivants, 1603 et suivants et notamment 1615, 1386-1 et suivants du Code civil, la directive n° 85-374-CEE du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf concernant le quantum des préjudices subis qui sera porté à la somme de 189 418 euro pour le GAEC et à 10 000 euro pour chacun des gérants, et condamner la société Timac, le cas échéant solidairement avec les sociétés groupe Lactalis et Moulin de Foigny à verser au GAEC du Moulin à vent cette somme à titre de dommages-intérêts pour les préjudices subis et à ses gérants la somme de 10 000 euro chacun en réparation du préjudice moral subi, et y ajoutant, de :

- condamner in solidum les sociétés Timac, groupe Lactalis et Moulin de Foigny au paiement de la somme de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux intérêts de droit,

- débouter les sociétés Timac, groupe Lactalis et Moulin de Foigny de toutes leurs demandes, fins et conclusions envers le GAEC du Moulin à vent et de ses gérants, y compris au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et des dépens,

Subsidiairement, de désigner un technicien afin de réaliser une expertise judiciaire avec une mission similaire à celle de l'expertise technique contradictoire amiable réalisée par le cabinet Puyo et associés.

Par conclusions notifiées le 19 juillet 2014, la société Moulin de Foigny demande à la cour de réformer le jugement, de débouter le GAEC du Moulin à vent et MM. Potron et Tinant de toutes leurs demandes, fins et conclusions et statuant sur l'appel incident, de les condamner au paiement d'une somme de 15 000 euro de dommages-intérêts pour procédure abusive et injustifiée.

A titre subsidiaire, elle lui demande de condamner la société Timac à la garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre et ce en principal, intérêts et frais et en toute hypothèse, de condamner le GAEC du Moulin à vent et MM. Potron et Tinant à lui payer les sommes de 6 000 euro au titre des frais irrépétibles de première instance et de 6 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel, outre la condamnation des mêmes en tous les dépens de première instance et d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions notifiées le 27 août 2014, la société groupe Lactalis demande à la cour, vu les articles 9 du Code de procédure civile et 1147 du Code civil, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté le GAEC du Moulin à vent et ses gérants de leurs demandes formées au titre du préjudice moral, et statuant à nouveau, à titre principal, de :

- dire et juger que le GAEC du Moulin à vent et MM. Tinant et Potron ne rapportent la preuve ni d'une faute à son égard, ni d'un lien de causalité entre l'utilisation du Prosanex et les troubles sanitaires présentés par leur cheptel de vaches laitières,

En conséquence, les débouter de leur action en responsabilité, en tant que dirigée à son encontre, les débouter de leur demande d'expertise, devenue inutile, et les débouter de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions en tant que dirigées à son encontre.

Subsidiairement et sans approbation des demandes principales du GAEC du Moulin à vent et de MM. Tinant et Potron, de constater que le tribunal a omis de statuer sur la demande de garantie formulée par la société groupe Lactalis à l'encontre de la société Timac agro, et réparant cette omission, dire et juger que cette société, en sa qualité de fabricant, sera tenue en application des dispositions de l'article 1134 du Code civil à la garantir de toute condamnation qui par extraordinaire pourrait être prononcée à son encontre au profit du GAEC du Moulin à vent et de MM. Tinant et Potron, et ce en principal, intérêts, dommages et intérêts et frais.

En tout état de cause, la société groupe Lactalis demande à la cour de condamner in solidum le GAEC du Moulin à vent et MM. Tinant et Potron à lui payer les sommes de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre la condamnation des mêmes aux entiers dépens avec application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR,

Sur la demande dirigée à l'encontre de la société Timac agro, fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux

Attendu que la loi de transposition n° 98-389 du 19 mai 1998 de la directive 85-374-CEE du 25 juillet 1985 a créé, au sein du livre troisième du Code civil, un titre quatrième bis constitué des articles 1386-1 à 1386-18 et intitulé " de la responsabilité du fait des produits défectueux " ;

Que les dispositions de la loi précitée sont applicables aux produits dont la mise en circulation est postérieure à la date de son entrée en vigueur, soit le 21 mai 1998, étant observé qu'aux termes de l'article 1386-5 du Code civil, un produit est mis en circulation lorsque le producteur s'en est dessaisi volontairement ;

Attendu qu'en l'espèce la lettre émanant de la société Inabonos, datée du 14 mai 1998, étant en soi insuffisante à établir une mise en circulation du Prosanex, antérieure au 21 mai 1998, il convient donc de juger que la loi de transposition est bien applicable au produit en litige ;

Attendu que l'article 1386-17 du Code civil prévoit que l'action en réparation fondée sur les dispositions du titre quatrième bis se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur ;

Attendu qu'en l'espèce, dans la mesure où le pré-rapport d'expertise rédigé par le cabinet CPA, dès le 26 octobre 2004, précise que " les désordres rencontrés par le GAEC du Moulin à Vent ont vraisemblablement une origine multifactorielle, mais il semble bien que l'exposition aux dérivés chlorés dus à l'utilisation du Prosanex ait eu un rôle prépondérant ", l'action du GAEC et des consorts Tinant-Potron pouvait être introduite, à tout le moins devant le juge des référés à fin d'expertise juduiciaire, dans un délai de trois ans à compter de cette date, soit jusqu'au 26 octobre 2007 ;

Que les demandeurs ayant saisi le tribunal par assignation du 26 mai 2008, il convient donc de déclarer leur action irrecevable comme prescrite en tant que dirigée, sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux à l'encontre du producteur, étant précisé à cet égard que ni le rapport d'expertise amiable en date du 13 novembre 2006, ni la mise en demeure adressée le 06 juin 2007 à la société Timac agro ne constituent une cause d'interruption de la prescription, au sens de l'article 2244 ancien du Code civil ;

Sur la demande dirigée à l'encontre de la société Timac agro, du groupe Lactalis et de la société Moulin de Foigny, fondée sur la responsabilité de droit commun

Attendu qu'au soutien de leurs demandes, fondées sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil à l'encontre de la société Timac ago, des articles 1147 et 1603 et suivants du Code civil à l'encontre du groupe Lactalis et de la société Moulin de Foigny, le GAEC du Moulin à vent et les consorts Potron-Tinant, exposent que le fabricant (Timac), le distributeur (Lactalis) et le vendeur professionnel (Moulin de Foigny) sont tenus vis à vis de l'utilisateur à une obligation d'information et de renseignement sur les dangers attachés à l'utilisation du produit commercialisé ;

Qu'ils reprochent ainsi à leurs contradicteurs de ne pas avoir indiqué la composition précise du produit Prosanex, malgré la présence de composants dangereux, et de n'avoir procédé à aucune mise en garde sur les conditions d'utilisation du produit et les risques encourus ;

Attendu que bien que soumis à une obligation de renseignement, d'information et de conseil vis-à-vis de l'utilisateur, les professionnels sus-nommés ne rapportent pas la preuve suffisante de ce qu'ils ont satisfait à leur obligation ;

Qu'en effet, la simple communication au client des notices d'utilisation du produit par le revendeur ne suffit à l'évidence pas à établir le caractère réel et complet de l'information due à celui-ci, en l'absence de production d'éléments tangibles destinés à démontrer que le GAEC du Moulin à vent a bénéficié d'une information effective, personnalisée et le cas éventuellement répétée, tenant compte des conditions d'exploitation spécifiques de l'éleveur, constatées dès la première livraison (nature de la litière, architecture et structure de l'étable, taille des logettes, etc...) et le cas échéant à l'occasion d'une information ultérieure sur l'évolution, toujours possible, desdites conditions ;

Qu'en outre, le fabricant n'a pas cru devoir produire les fiches de données de sécurité du produit, en vigueur entre l'automne 1999, date de première utilisation du Prosanex par le GAEC du Moulin à vent et octobre 2003, date de fin d'utilisation par ce dernier du produit en litige, privant ainsi la cour de la possibilité d'en apprécier la teneur, s'agissant de l'indication ou non de la composition du produit, avec mise en garde ou non de l'utilisateur, compte tenu de la présence de trochsolène sodique, composant qui du propre aveu de l'appelant a été classé à partir de 2004, en considération de sa concentration dans le Prosanex, dangereux pour l'environnement ;

Que les premiers juges doivent donc être approuvés en ce qu'ils ont estimé que ni le fabricant ni les revendeurs ne démontrent qu'ils ont permis à l'utilisateur de prendre, le cas échéant, les mesures nécessaires pour la protection de la santé, de la sécurité et de l'environnement sur le lieu de travail ;

Attendu cependant que cumulativement à la démonstration d'une faute commise par la partie adverse, les demandeurs doivent établir le lien de causalité existant entre cette omission supposée du fabricant, du distributeur et du revendeur, et les différents problèmes sanitaires constatés sur le cheptel bovin laitier, accompagnés d'un taux de mortalité anormal du troupeau ;

Attendu qu'il convient à cet égard de constater en premier lieu que contrairement aux allégations de l'utilisateur, la survenance des troubles ne coïncide nullement avec le remplacement, à partir de l'automne 1999, d'un autre produit de la gamme Timac appelé " Actilith FL ", à base de calcaire d'algues marines, par le Prosanex, produit similaire mais contenant le trochsolène sodique évoqué ci-avant, le tableau récapitulatif par année du nombre des vaches réformées, c'est à dire soustraites du cheptel pour abattage, et de celui des vaches décédées à l'étable, établi par le propre expert technique du GAEC du Moulin à vent, M. Bruno Perrot qui appartient au cabinet CPA, démontrant ainsi qu'au cours de l'année 1998, sur un effectif de 48 vaches laitières, 24 ont été réformées alors que 07 sont mortes ;

Que le taux de réforme et de mortalité, qui atteint alors 64,60 % en données cumulées, soit une valeur hors normes dès avant le remplacement de l'Actilith FL par le produit incriminé, se trouve en effet supérieur ou en adéquation tant avec les statistiques de 2000 et 2001, contenues dans le courrier adressé le 20 février 2006 par M. Perrot au cabinet CDH, les taux cumulés de réforme et de mortalité étant ainsi pour ces deux exercices de pleine utilisation du Prosanex de 37,5 % et de 61,54 %, qu'avec les conclusions du pré-rapport d'expertise du cabinet CPA, qui déplorent certes un taux de mortalité apparaissant globalement élevé et qui serait en croissance depuis 2000, mais rappellent également que " le GAEC du Moulin à Vent, malgré un niveau de production tout à fait correct, connaît de façon récurrente des difficultés d'ordre sanitaire " ;

Attendu en second lieu que pour rapporter la preuve d'une part de la toxicité du produit en litige, d'autre part du lien de causalité existant entre le dépérissement du troupeau et la possible nocivité du Prosanex, l'utilisateur se fonde principalement sur le rapport d'expertise final émanant du cabinet CPA, daté du 13 novembre 2006 ;

Que si ce rapport ne porte pas atteinte au principe du contradictoire, comme ayant été régulièrement versé aux débats et partant, soumis à la discussion, l'expertise amiable effectuée à la seule demande des requérants et/ou de leur compagnie d'assurance ne pouvait cependant suffire à emporter la conviction des premiers juges, alors même que la partie adverse produit des éléments contraires, contenus dans le rapport d'expertise établi par le cabinet d'expertise CDH ;

Attendu au surplus que la conclusion du paragraphe 4 du rapport d'expertise final produit par le GAEC du Moulin à vent, intitulé " lien de causalité des troubles avec le Prosanex ", procède par des motifs dubitatifs ou hypothétiques en énonçant que " les désordres rencontrés par le GAEC du Moulin à Vent ont vraisemblablement une origine multifactorielle, mais il semble bien que l'exposition aux dérivés chlorés dus à l'utilisation du Prosanex ait eu un rôle prépondérant " ;

Que l'incertitude résultant des constatations définitives de cet expert corroborent les réserves contenues pages 5 et 11 des rapports de ce même expert, datés des 08 mars et 26 avril 2004, précisant que " les conditions d'élevage sont assez rudimentaires, peu classiques, et organisées dans un souci de simplification des tâches ", et ajoutant que " il est en effet clair que le cas du GAEC du Moulin à Vent est un cas isolé (sinon unique) et que les conditions d'élevage ont un rôle non négligeable dans les dommages " ;

Attendu par ailleurs que les pièces produites par la société Timac agro et notamment l'article sur le dépérissement des vaches laitières publié dans la revue médicale vétérinaire, ainsi que les conclusions du cabinet CDH démontrent que de nombreuses causes, non explorées par l'utilisateur et exclusives d'une éventuelle nocivité du Prosanex, peuvent être à l'origine des problèmes sanitaires présentés par le cheptel du GAEC du Moulin à vent ;

Attendu enfin qu'en raison de leur généralité et/ou de leur insuffisance, les attestations ainsi que les autres études produites par l'utilisateur, soit en première instance, soit en cause d'appel, n'emportent pas davantage la conviction de la cour dans le sens d'une toxicité avérée du Prosanex et dans cette hypothèse, d'un lien de causalité indubitable existant entre l'utilisation de ce produit, à l'occasion de l'activité laitière exercée par les demandeurs, et les problèmes sanitaires, réels, constatés au sein de leur élevage, lesdites études ayant en effet été menées hors du contexte spécifique concernant le GAEC du Moulin à vent ;

Qu'à titre de simple exemple de ces insuffisances, si l'avis plus spécifique, mais succinct, donné par courrier du 29 avril 2005 par le professeur Alfred Noels au docteur Martin Technivet, détaille les effets possibles de chacun des composants, pris isolément, du Prosanex, et laisse présumer une éventuelle toxicité du dichlorocyanurate de sodium pour les vaches laitières, ce scientifique tempère immédiatement son propos en ajoutant qu'en considération du milieu très complexe dans lequel le produit est répandu, " une compréhension fine et détaillée des processus impliqués lors de la biodégradation ne pourrait venir que d'une étude poussée, encore que des variations locales de la nature des émanations/produits puissent avoir lieu " ;

Qu'en définitive la preuve certaine n'étant rapportée, ni d'une nocivité du produit incriminé, ni d'un lien de causalité existant entre les manquements du fabricant, du distributeur et du vendeur professionnel à leur obligation d'information et de mise en garde, les utilisateurs ne peuvent être que déboutés de leurs demandes de dommages et intérêts, les dispositions des articles 1603 et suivants du Code civil relatives à l'obligation de délivrer un produit conforme, ainsi que celles des articles 1382 et 1147 étant en effet inopérantes en l'espèce ;

Que le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a condamné in solidum les professionnels à indemniser l'utilisateur, ainsi que dans ses dispositions subséquentes ;

Attendu qu'en considération du sort réservé à la demande d'indemnisation, le demande de garantie formulée par la société groupe Lactalis et la société Moulin de Foigny, à l'encontre de la société Timac agro ne peut être que déclarée sans objet ;

Attendu que le fabricant, le distributeur et le vendeur professionnel, dont il n'est pas indifférent de relever que la responsabilité civile avait été retenue par le tribunal, ne peuvent décemment maintenir en cause d'appel leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, alors que d'une part la mortalité élevée au sein de l'élevage des demandeurs a pu légitimement conduire ceux-ci, certes tardivement et sans moyens de preuve indubitables, à émettre des doutes sur l'innocuité pour les bovins du produit assainissant et asséchant de litières dénommé Prosanex, et que d'autre part ils ont échoué dans l'administration de la preuve de ce qu'ils ont satisfait à leur obligation complète d'information et de mise en garde ;

Que leur demande de dommages et intérêts doit donc être rejetée ;

Attendu que la cour n'estime pas devoir satisfaire à la demande d'expertise judiciaire formée à titre subsidiaire par le GAEC du Moulin à vent et par les consorts Tinant-Potron, une telle mesure organisée plus de dix ans après la cessation par ces derniers de l'utilisation du produit en litige, alors même que les conditions d'exploitation de l'élevage ont nécessairement changé, n'ayant en effet plus aucun sens ;

Attendu que le GAEC du Moulin à vent et les consorts Tinant-Potron, parties qui succombent, seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux modalités énoncées par l'article 699 du Code de procédure civile ;

Attendu qu'aucune considération tirée de l'équité ou de la situation économique des parties ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, au profit de quiconque ;

Qu'il y a donc lieu de débouter les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Infirme le jugement prononcé le 16 novembre 2012 par le Tribunal de grande instance de Charleville Mezieres, sauf en ce qu'il a dit que les sociétés Moulin de Foigny, groupe Lactalis et Timac agro, venant aux droits de la société Timac ont, en leurs qualités de vendeur, distributeur et fabricant professionnel, manqué à leur obligation d'information et de mise en garde du GAEC du Moulin à vent, de MM. Jean-Yves Tinant et Henri Potron, Statuant à nouveau, Déclare irrecevable l'action en responsabilité introduite par le GAEC du Moulin à vent et MM. Jean-Yves Tinant et Henri Potron à l'encontre de la société Timac agro, fondée sur les dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil, transposant la directive 85-374-CEE du 25 juillet 1985, Déboute le GAEC du Moulin à vent et MM. Jean-Yves Tinant et Henri Potron de leurs demandes de dommages et intérêts, en tant que dirigée à l'encontre de la société Timac agro, de la société groupe Lactalis et de la société Moulin de Foigny, Constate en conséquence que la demande de garantie formée par la société groupe Lactalis et la société Moulin de Foigny à l'encontre de la société Timac agro est devenue sans objet, Déboute la société Timac agro, la société groupe Lactalis et la société Moulin de Foigny de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive, Rejette la demande d'expertise judiciaire formée par le GAEC du Moulin à vent et MM. Jean-Yves Tinant et Henri Potron, Déboutes les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, Condamne le GAEC du Moulin à vent et MM. Jean-Yves Tinant et Henri Potron aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés selon les modalités de l'article 699 du Code civil.