CA Toulouse, 2e ch., 9 mars 2016, n° 14-01264
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Alain Afflelou Franchiseur (SASU)
Défendeur :
Mariotti (ès qual.), LGD Carmoptic (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Salmeron
Conseillers :
MM. Baïssus, Sonneville
Avocats :
Mes Sorel, Dayan, Dessart, Culoz
EXPOSÉ DES FAITS ET PROCÉDURE :
La SARL LGD Carmoptic a été créée pour l'exploitation d'un fonds de commerce d'optique lunetterie sous l'enseigne Alain Afflelou et a été immatriculée le 5 avril 2006.
Elle a conclu le 8 juin 2006 un contrat de franchise avec la société Alain Afflelou qui exploite un réseau de franchise sous la marque Alain Afflelou.
Par jugement du 19 juillet 2011, le Tribunal de commerce d'Albi a prononcé le redressement judiciaire de la SARL LGD Carmoptic ; un plan de cession a été ordonné par jugement du 25 octobre 2011 et, par jugement du 31 janvier 2012, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire et Me Mariotti a été désigné liquidateur judiciaire.
Par acte du 22 novembre 2012, Me Mariotti ès qualités a fait assigner la SASU Alain Afflelou Franchiseur en responsabilité et paiement de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation d'information précontractuelle du franchiseur sur le fondement des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce et pour faute délictuelle du franchiseur pour manquement à ses obligations de sincérité et de bonne foi.
Par jugement du 14 février 2014, le Tribunal de commerce d'Albi a :
- condamné la SASU Alain Afflelou Franchiseur à payer à Me Mariotti ès qualités les sommes de 772 301,68 euro à titre de dommages-intérêts pour les préjudices subis et 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile (CPC)
- condamné la SASU Alain Afflelou Franchiseur aux dépens
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration en date du 5 mars 2014, la SASU Alain Afflelou Franchiseur a relevé appel du jugement.
La clôture a été fixée au 29 décembre 2015.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Par conclusions notifiées le 24 décembre 2015 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la SASU Alain Afflelou Franchiseur demande, au visa des articles 455 et 458 du CPC, L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, et 1382 du Code civil,
- à titre principal de :
- prononcer la nullité du jugement rendu le 14 février 2014 (RG n° 2012003953) par le Tribunal de commerce d'Albi, pour défaut de motivation ;
Et, au visa de l'article 562-2 du CPC, dire que l'arrêt de la cour d'appel à intervenir se substituera au jugement entrepris.
- à titre subsidiaire de :
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Et statuant à nouveau,
- dire Maître Mariotti irrecevable et mal fondé en ses demandes;
- l'en débouter.
- le condamner, es qualités, à payer à la SASU Alain Afflelou Franchiseur la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice causé par l'abus du droit d'ester en justice, en application des dispositions de l'article 1382 du Code civil.
- lui allouer la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du CPC
- de dire Maître Mariotti irrecevable et mal fondé en son appel incident et l'en débouter.
Elle fait valoir que :
- sur la nullité du jugement, ce dernier n'est pas motivé sur l'appréciation du préjudice arbitré à la somme de 772 301,68 euro.
- sur son obligation d'information précontractuelle de franchiseur, elle a rempli son obligation : la présentation d'une étude de marché local ne correspond pas à une véritable étude de marché mais à l'indication de certaines données dont nombre d'habitants et liste des concurrents dans la zone d'implantation ; l'intervention du franchiseur dans la stratégie commerciale du franchisé n'est justifiée que si cette stratégie porte sur le savoir-faire. Le choix de l'implantation appartient au franchisé.
Il a reçu le 18 mai 2006, préalablement à la signature du contrat avec le franchiseur, le document précontractuel d'information (DPI) en application de l'article L. 330-3 du Code de commerce. L Deprez a choisi seul le lieu d'emplacement sans aucune intervention de Laurent Afflelou et a signé le contrat de bail le 24 mars 2006 le DPI n'était donc pas déterminant de son choix. Les informations communiquées étaient conformes à l'article R. 330-3 dudit Code (chiffres sur Midi Pyrénées, mentionnée par erreur Il de France comme l'atteste la comparaison avec les chiffres INSEE), voire plus importantes (liste et adresse des médecins ophtalmologues de la zone).
- sur les difficultés du franchisé : elles sont apparues 5 ans après le début d'activité de franchisé ; il connaissait très bien le réseau, salarié opticien à Lagny, puis responsable adjoint de magasin à Labège, responsable de magasin à Albi. Il connaissait très bien le marché avant de s'installer à Carmaux à 15 km d'Albi. Me Mariotti ès qualités doit établir le lien de causalité entre la faute du défaut d'information précontractuelle alléguée et le préjudice qui n'est pas davantage établi.
- sur les comptes prévisionnels, elle conteste avoir fourni les dits comptes sur 3 ans : Me Mariotti ne les produit pas de juin 2006 à décembre 2009 et les chiffres d'affaires communiqués sont peu crédibles comparés au chiffre des achats et elle en déduit que soit le chiffre d'affaires cache des ventes occultes soit une partie du stock a été détournée.
- sur la politique commerciale inadaptée du franchiseur à la clientèle et à l'agglomération concernée, elle rappelle la progression du réseau en 2006 et les chiffres d'affaires en expansion entre 2006 et 2009 avec des implantations dans de petites villes. Enfin, elle rappelle le prix du CEN 9 000 euro financé par le franchisé à hauteur de 1 000 euro et le solde du prix dépend du nombre de paires de verres affinités achetées par le franchisé ; au-delà de 3 000 paires l'appareil est gratuit et pour moins de 750 paires le prix maximum est de 9 000 euro. Le lien de causalité entre faute et préjudice n'est pas établi.
Par conclusions notifiées le 7 décembre 2015 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, Fabrice Mariotti en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL LGD Carmoptic demande de :
- statuer ce que de droit sur la demande de la SAS Alain Afflelou Franchiseur tendant à voir prononcer la nullité du jugement du Tribunal de commerce d'Albi
- En toute hypothèse, vu l'article 562 du Code de procédure civile.
Vu l'effet dévolutif de l'appel et les articles L. 330-1 et R. 330-1 du Code de commerce et 1382 et suivants du Code civil,
- constater que la SAS Alain Afflelou Franchiseur a commis une faute ayant causé un préjudice à la SARL LGD Carmoptic.
- condamner la SAS Alain Afflelou Franchiseur et au paiement de la somme de 772 301,68 euro à titre de dommages et intérêts pour les préjudices subis par la SARL LGD Carmoptic,
- débouter la SAS Alain Afflelou Franchiseur de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la SAS Afflelou Franchiseur au paiement de la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du CPC
Il conteste la nullité du jugement pour défaut de motivation sur l'appréciation du préjudice ; le préjudice correspond au passif net de la société constaté à la clôture de la liquidation judiciaire. Le vice de forme ne cause aucun préjudice et la nullité ne peut découler de l'oralité des débats.
Le manquement à l'obligation d'information précontractuelle du Franchiseur porte sur la présentation du marché local au visa de l'article R. 330-1 du Code de commerce ; le revenu médian en région Ile-de-France n'ayant aucune mesure avec celui qu'il convient de connaître dans le Tarn ; il s'agit de l'application de dispositions d'ordre public (L. 330-3 et R. 330-3 du Code de commerce).
M. Desprez, gérant de la société liquidée, n'était que salarié opticien lunetier au sein du réseau Afflelou et n'avait pas géré de société ; il n'était donc pas un commerçant averti et il n'avait aucune connaissance du marché carmausin. Le bail commercial a été négocié avant même que le franchiseur ait rempli ses obligations d'information précontractuelles avec le franchisé puisque l'enseigne était déjà prévue.
Les comptes prévisionnels établissent qu'ils étaient irréalisables entre hypothèses haute et basse et le chiffre réalisé. Ces données démontrent le caractère non sincère et non loyal des informations transmises.
De même, la politique commerciale du franchiseur n'était pas adaptée à la clientèle et à l'agglomération concernée (dépenses excessives comme la 3e paire offerte mais payée par le franchisé ou l'étalement du paiement des lunettes sur l'année alors que les frais de dossier incombaient au franchisé).
MOTIFS DE LA DÉCISION :
- Sur la nullité du jugement :
Le seul fait de ne pas avoir exposé les détails de l'appréciation par le tribunal du préjudice du franchisé ne peut justifier la nullité du jugement sollicitée par la partie appelante au visa des articles 455 et 458 du CPC et ce d'autant plus que l'appréciation du préjudice relève du pouvoir souverain des juges. Pour le reste, la cour constate que le jugement est motivé au sens des dits articles et qu'il n'encourt donc pas la sanction de la nullité.
Il convient de rejeter le moyen soulevé par le franchiseur.
Sur les fautes alléguées du franchiseur :
Le franchisé reproche au franchiseur un manquement à son obligation précontractuelle d'information sur la présentation du marché local, sur le défaut de sincérité et de loyauté des comptes prévisionnels fournis ainsi que le caractère inadapté de la politique commerciale du franchiseur eu égard à la clientèle et à l'agglomération concernée.
L'obligation précontractuelle est définie par les articles L. 330-1-3 et R. 330-1 du Code de commerce. Le franchiseur doit remettre un document qui précise notamment l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités. L'article R. 330-1 précise pour chaque point les informations indispensables que doit mentionner le document.
Me Mariotti ès qualités, reproche au franchiseur de n'avoir donné que des informations générales et notamment des chiffres correspondant aux données d'Ile-de-France.
La SAS Afflelou fait observer que ce document ne doit pas être une étude de marché en bonne et due forme mais doit donner des informations sur le réseau national et sur la situation du marché local et elle précise que, concernant les données chiffrées, comme le revenu médian et la population locale en 2006, une erreur matérielle s'est en effet glissée dans le document qui a fait indiquer Ile-de-France en lieu et place de Midi Pyrénées mais les chiffres étaient les bons comme en attestent en effet ceux de l'INSEE produits aux débats.
L'article L. 330-3 du Code de commerce n'exige qu'une précision " sur l'état et les perspectives de développement du marché concerné " et l'article R. 330-1 mentionne que " les informations doivent être complétées par une présentation de l'état général et local du marché des produits et services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ".
Le document précontractuel remis au candidat franchisé comportait en effet les chiffres de la population locale et le revenu médian dont il n'est pas établi qu'ils étaient faux en dépit de l'erreur matérielle signalée. Sur les perspectives de développement du marché, il avait été annexé la liste des opticiens concurrents et des médecins ophtalmologues de la zone géographique ainsi que les magasins Afflelou existant dans le secteur proche. Il ne pouvait être donné davantage d'informations sur l'activité économique dès lors qu'il s'agissait d'une création d'un fonds de commerce.
Sur les comptes prévisionnels produits, les critiques reposent uniquement sur la comparaison avec les chiffres réalisés en définitive par le franchisé alors que le franchiseur conteste avoir remis ce document comportant des chiffes prévisionnels sur 3 ans à L Deprez.
Ce document ne figure pas sur le reçu du document précontractuel d'informations signé par le franchisé le 18 mai 2006. Par ailleurs, L Deprez n'établit pas que le document lui a été remis par le franchiseur ; son attestation sur l'honneur n'est pas recevable dès lors qu'il ne peut se faire de preuve à lui-même. Il ne produit d'ailleurs pas d'attestation de la banque qui lui a consenti un prêt confortant le fait que les dits chiffres prévisionnels émanaient du franchiseur.
Le franchisé ne produit pas davantage les chiffres réalisés à Albi dans l'agence où L Deprez avait été responsable du magasin pour établir le caractère fantaisiste des chiffres produits. A défaut de preuve de l'origine des dits chiffres, la faute alléguée n'est pas établie.
Enfin sur la politique commerciale du franchiseur qui serait inadaptée à la population et à la ville de Carmaux, la cour ne trouve pas les éléments d'une démonstration liant les exigences du franchiseur et les mauvais résultats économiques enregistrés par le franchisé.
Bien au contraire, la SAS Afflelou produit les résultats d'autres franchisés installés dans d'autres régions de France dans des villes comparables voire plus petites dans la même période de temps entre 2006 et 2009 et qui n'ont pas conduit à la liquidation judiciaire du franchisé, preuve que la politique commerciale du franchiseur n'est pas inadaptée à la taille ou à la spécificité de la zone géographique concernée.
La cour en déduit que les fautes alléguées ne sont pas établies et qu'il convient d'infirmer le jugement attaqué et de débouter Me Mariotti, ès qualités, de ses demandes et ce d'autant plus que le préjudice allégué est uniquement évalué à hauteur de l'insuffisance d'actif révélée par la liquidation judiciaire du franchisé soit 772 301,68 euro en raison de l'importance de la créance du franchiseur au passif mais le lien de causalité entre les fautes alléguées et ce préjudice n'est pas davantage établi.
Sur la demande de dommages-intérêts de la SAS Afflelou :
L'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute pouvant donner lieu à des dommages-intérêts que si le demandeur a agi par malice ou de mauvaise foi, ou avec légèreté blâmable tous faits insuffisamment caractérisés en l'espèce ; il semble plutôt que Me Mariotti ès qualités, se soit mépris sur les fautes du franchiseur eu égard à l'importance de sa créance au passif du franchisé.
La demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par Me Mariotti, ès qualités, doit être rejetée.
Eu égard à la situation respective des parties, chacune conservera la charge de ses frais irrépétibles.
Par ces motifs LA COUR, Rejette l'exception de nullité du jugement, Infirme le jugement, Et statuant à nouveau, Déboute Me Mariotti, ès qualités, de l'ensemble de ses demandes, Déboute la SAS Afflelou de sa demande de dommages-intérêts, Condamne Me Mariotti ès qualités aux dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront passés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.