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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 26 mars 2013, n° 12-01406

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Lactalis Ingrédient (SA), Tendriade-Collet (Sté), Laitière de Retiers (Sté)

Défendeur :

Odifa (SARL), MG.2.Mix (SAS), Allianz Iard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mmes Brylinski, Poinseaux

Avocats :

SCP Lissarrague Dupuis Boccon-Gibod, AARPI Inter-Barreaux Jrf Avocats, Mes Van De Kerckove, Dupuis, Buisson Fizellier, Ergan, Jullien, Bernard

T. com. Paris, du 7 nov. 2006

7 novembre 2006

FAITS ET PROCEDURE

La société Mg2 Mix fabrique des pré-mélanges, composants minéraux vitaminés " CMV ", mélanges d'oligo-éléments qu'elle vend à des fabricants d'alimentation animale ; pour la fabrication de ces pré-mélanges, elle se fournit notamment auprès de la société Odifa qui commercialise des oligo-éléments importés notamment de Chine.

La société Laitière de Retiers, fabrique des aliments pour animaux, dans lesquels elle incorpore des " CMV ", qui sont distribués par l'intermédiaire des sociétés Lactalis Ingrédient et Tendriade Collet appartenant au même groupe.

Les sociétés du Groupe Lactalis ont fait valoir qu'à compter du 24 janvier 2005, certains éleveurs se sont plaints auprès de la société Tendriade Collet de l'inappétence chez les veaux, et de ce que les analyses effectuées par leurs soins auraient révélé une teneur excessive en cadmium du pré-mélange fabriqué et vendu par Mg2 Mix, provenant d'une non-conformité du sulfate de zinc incorporé vendu par Odifa et acquis auprès de la société chinoise Jog, contenant du cadmium en quantité excessive.

Estimant avoir subi un lourd préjudice, les sociétés Laitière de Retiers, Lactalis Industrie et Tendriade Collet, par acte en date du 22 mars 2006, ont fait assigner à bref délai les sociétés Mg2 Mix et Odifa, ainsi que la société Agf Iard, en sa qualité d'assureur de ces deux sociétés, en paiement de la somme à parfaire de 2 777 607 euro à titre principal, augmentée du préjudice financier constitué par les intérêts mensuels d'un montant de 55 000 euro au 31 décembre 2005, fondant leur action sur les articles 1641 ou 1147 du Code civil.

Le Tribunal de commerce de Paris, par jugement rendu le 7 novembre 2006 sous le bénéfice de l'exécution provisoire moyennant fourniture d'une caution bancaire, a dit que les sociétés Mg2 Mix et Odifa avaient commis à l'égard du Groupe Lactalis une faute par l'importation et l'incorporation de produits (sulfate de zinc) comportant une substance (cadmium) rendant leur emploi impropre dans des aliments pour animaux, les a en conséquence condamnées au paiement d'une provision de 600 000 euro, ordonnant une expertise comptable en vue de la détermination du montant du préjudice.

La Cour d'appel de Paris, par arrêt rendu le 24 septembre 2010, évoquant au fond après dépôt du rapport d'expertise, a :

- dit l'action des sociétés Laitière de Retiers, Lactalis industrie et Tendriade-Collet recevable sur le seul fondement des dispositions des articles 1641 et suivants du Code civil ;

- débouté les sociétés Laitière de Retiers, Lactalis industrie et Tendriade-Collet de toutes leurs demandes ;

- ordonné à la société Laitière de Retiers de restituer la provision de 600 000 euro à la société Allianz Iard ;

- rejeté le surplus des demandes,

- condamné les sociétés Laitière de Retiers, Lactalis industrie et Tendriade-Collet aux entiers dépens.

La Cour de cassation, par arrêt en date du 26 janvier 2012, a cassé et annulé cet arrêt, mais seulement en ses dispositions relatives à la demande en ce qu'elle est fondée sur la responsabilité de produits défectueux, et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Versailles.

Elle rappelle que pour juger l'action des sociétés Laitière de Retiers, Lactalis industrie et Tendriade-Collet irrecevable en ce qu'elle était fondée sur les articles 1386-1 et suivants du Code civil, l'arrêt retient que la responsabilité du fait des produits défectueux a été invoquée, dans des conclusions du 12 novembre 2009, plus de trois ans après le mois de mars 2005, au cours duquel ces trois sociétés ont eu connaissance du dommage, en ajoutant qu'eu égard aux fondements initialement invoqués, l'acte introductif d'instance n'avait pu avoir pour effet d'interrompre la prescription à cet égard ;

Elle considère qu'en statuant ainsi alors qu'il résultait de ses propres constatations que la demande en réparation du préjudice causé par la vente d'un produit dont il était allégué qu'il était contaminé par du cadmium tendait aux mêmes fins, qu'elle soit fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux ou sur la garantie des vices cachés, de sorte que l'assignation avait eu un effet interruptif quant à l'action fondée sur les articles 1386-1 et suivants du Code civil, la cour d'appel a violé l'article 2244 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, applicable en la cause.

Les sociétés Laitière de Retiers, Lactalis Ingrédient et Tendriade-Collet, aux termes de leurs dernières écritures en date du 6 février 2013 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, demandent à la cour, sous le visa des articles 1386-1 et suivants du Code civil, de :

A titre principal,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- entériner les conclusions du rapport d'expertise à l'exception du quantum des préjudices, et condamner solidairement et à défaut in solidum les sociétés Odifa, Mg2 Mix et leur assureur Allianz, à leur payer la somme de 3 895 073 euro ;

A titre subsidiaire, si la cour avait une interprétation sévère des dispositions de l'article 1386-2 du Code civil,

- condamner solidairement et à défaut in solidum, les sociétés Odifa, Mg2 Mix et leur assureur Allianz, à payer la somme de 2 509 343 euro aux sociétés Lactalis Industrie et Tendriade Collet, correspondant aux seuls préjudices subis par ces dernières ;

En tout état de cause,

- dire que le montant des condamnations portera intérêt à compter du jugement du 7 novembre 2006 conformément aux dispositions de l'article 1153-1 du Code civil ;

- dire que ces intérêts produiront eux-mêmes des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil ;

- condamner les mêmes et sous la même solidarité à payer aux sociétés concluantes au principal la somme de 150 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise.

La société Mg2 Mix, aux termes de ses dernières écritures en date du 28 janvier 2013 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour, sous le visa des articles 1147, 1603 et 1604, 1386-1 et suivants du Code civil, de :

- dire qu'aucune faute ne peut être retenue à son encontre, qu'aucun défaut de sécurité ni pour l'homme, ni pour l'animal n'est démontré, et que la société Lactalis devra supporter seule son éventuel préjudice, en raison de sa propre faute exclusive, exonératoire de la responsabilité des autres intervenants ;

- mettre hors de cause la société Mg2 Mix ;

- débouter les sociétés Laitière de Retiers, Lactalis Industrie et Tendriade Collet de toutes leurs prétentions ;

- à titre subsidiaire, condamner la société Odifa et son assureur Allianz à garantir la société Mg2 Mix de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre en principal, frais et intérêts ;

- à titre infiniment subsidiaire, condamner la société Allianz en sa qualité d'assureur de Mg2 Mix, à garantir cette dernière de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre en principal, frais et intérêts ;

- en tout état de cause, condamner solidairement les sociétés Laitière de Retiers, Lactalis Industrie et Tendriade Collet au paiement, à la société Mg2 Mix d'une somme de 70 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Allianz Iard, aux termes de ses dernières écritures en date du 8 février 2013 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour, sous le visa des articles 1386-1 et suivants du Code civil, de :

- dire à titre principal que les CMV livrés au " Groupe Lactalis " ne sont pas des produits défectueux au sens de l'article 1386-1 et suivants du Code civil et à titre subsidiaire, que le 'Groupe Lactalis' est seul responsable de son éventuel, et débouter en conséquence celui-ci de ses prétentions ;

- à titre plus subsidiaire, prononcer un partage de responsabilité entre les intervenants, en fixant pour chacun d'eux sa part de responsabilité, et réduire à de plus justes proportions le préjudice allégué par le " Groupe Lactalis " ;

- en tout état de cause, constater qu'Allianz est attraite dans la procédure en qualité d'assureur responsabilité civile professionnelle des sociétés Odifa et Mg2 Mix et en conséquence, dans le cas où une condamnation serait prononcée à l'encontre d'Odifa et Mg2 Mix, limiter la garantie d'Allianz aux montants prévu prévus dans les polices responsabilité civile professionnelle signées par ces sociétés ;

- condamner le " Groupe Lactalis " au paiement à la société Allianz d'une somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La société Odifa anciennement Oligo Distribution Fabrication, assignée à personne n'a pas comparu, l'arrêt en dernier ressort sera réputé contradictoire.

DISCUSSION

La Cour d'appel de Paris était saisie par les sociétés du Groupe Lactalis sur le fondement des articles 1147, 1641, 1386-1 et suivants du Code civil, et L. 222-1 du Code civil.

Sous le visa des articles 1147 du Code civil et L. 22-1 du Code de la consommation, elle les a déboutées de leurs prétentions, en l'absence d'atteinte à la sécurité des personnes ou des biens ; sous le visa de l' article 1641 du Code civil elle les a également déboutées, retenant l'existence d'un vice affectant les produits vendus par Mg2 Mix à Laitière de Retiers, mais considérant que celui-ci n'avait pas le caractère d'un vice caché, compte tenu de ce que vice, compte tenu de la qualité de professionnel de Laitière de Retiers, règlementairement tenue à des contrôles auxquels elle n'a pas procédé.

De ces chefs, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris est irrévocable ; reste seul en question le bienfondé de l'action des sociétés du Groupe Lactalis sous le seul visa des articles 1386-1 et suivants du Code civil.

Pour retenir la responsabilité de Mg2 Mix et Odifa, le tribunal a retenu l'existence, établie par diverses enquêtes et reconnue par Mg2 Mix, d'un taux anormalement élevé de cadmium dans les CMV fabriqués et vendus par cette dernière, et considéré en conséquence que ces CMV dont l'usage est impropre à l'alimentation animale, relèvent de la qualification de produits défectueux soumis aux dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil.

Les articles 1386-1 et suivant du Code civil organisent les conditions de la responsabilité du producteur d'un produit défectueux, s'appliquant à la réparation d'un dommage résultant d'une atteinte à la personne ou au-delà d'un certain seuil d'une atteinte à un bien autre que le produit lui-même ; le produit défectueux au sens de ces dispositions est défini par l'article 1386-4 du même Code comme étant celui qui n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, en tenant compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

Les parties s'opposent en particulier sur la qualification de produit défectueux des CMV fabriqués et vendus par Mg2 Mix incluant du sulfate de zinc importé par Odifa contenant un taux excessif de cadmium.

L'expert désigné par le tribunal, qui a procédé à une étude de traçabilité et sollicité l'avis de madame Kolf-Clauw, professeur à l'école vétérinaire de Toulouse et spécialiste des contaminations par le cadmium, conclut qu'il existe sans aucun doute un lien de causalité entre la présence d'un taux excessif de cadmium dans le sulfate de zinc importé par Odifa, intégré dans les CMV produits par Mg2 Mix eux-mêmes intégrés dans les aliments fabriqués par Lactalis, et le préjudice allégué.

Les sociétés du Groupe Lactalis rappellent elles-mêmes que l'Afssa, sollicitée pour évaluer le risque que représente pour la santé humaine la consommation de viandes ayant ingéré des aliments contenant du cadmium lequel se fixe dans le foie et le rein de l'animal, dans son avis du 11 février 2006 a conclu à l'absence de risque sanitaire pour le consommateur ; aucun autre élément n'est produit qui viendrait contredire cette analyse dans un sens péjoratif.

Elles font valoir que demeure la question des conséquences dommageables de la pollution des produits et des risques induits par le produit défectueux, dont notamment et surtout l'inappétence des veaux.

L'expert a relevé que l'analyse comparative de lots de veau ayant ou non consommé les CMV incriminés démontre sur la moyenne de ceux-ci une tendance cohérente avec l'analyse de Lactalis, à savoir perte d'appétence, moindre performance alimentaire et surcoût alimentaire de produits lactés, les indices GMQ (gain moyen quotidien de poids durant l'élevage) étant inférieurs sur les lots ayant consommé ces CMV, avec une incidence sur la marge.

Aucun des éléments produits aux débats ne permet de retenir que les CMV contaminés par le cadmium, au taux de concentration de celui-ci même très largement supérieur à la norme fixée, aurait été toxique pour les veaux avec un risque pour leur santé.

L'incidence établie et seule revendiquée par les sociétés du Groupe Lactalis est une perte d'appétence pour ces aliments contaminés, entraînant des croissances anormalement basses et donc des pertes de rendement dans les élevages.

Les veaux ne subissent pas de perte de poids, mais une réduction de leur prise de poids attendue, liée non pas à un trouble du métabolisme, mais a une absence d'appétit pour le produit, qui réduit leur consommation, pour ce seul produit, sans persistance ni incidence sur la consommation d'autres aliments non contaminés.

Dans ces conditions, si les CMV contaminés par le Cadmium en taux excessif sont incontestablement impropres à leur destination, ils ne répondent pas à la définition du produit défectueux de l'article 1386-4 du Code civil, et ne relèvent pas de la garantie prévue par les articles 1386-1 et suivants du même Code.

Les sociétés du Groupe Lactalis doivent en conséquence être déboutées de l'ensemble de leurs prétentions, sans qu'il soit utile d'examiner les moyens et arguments se rapportant aux manquements de Mg2 Mix et Lactalis dans les obligations respectives de contrôle au stade de la fabrication et commercialisation de leurs produits.

Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé, en toutes ses dispositions.

Les sociétés du Groupe Lactalis supporteront les entiers dépens de première instance et d'appels incluant les frais d'expertise, mais il n'y a pas lieu de prévoir l'allocation d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, Statuant par arrêt réputé contradictoire en dernier ressort, après cassation par arrêt en date du 26 janvier 2012, de l'arrêt rendu par la cour d'appel de paris le 24 septembre 2010, sur appel d'un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 7 novembre 2006, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau et, y ajoutant, Déboute les sociétés Laitière de Retiers, Lactalis Ingrédient et Tendriade-Collet de leurs prétentions sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil, Dit n'y avoir lieu à allocation d'indemnité sur le fondement de l' article 700 du Code de procédure civile tant en première instance qu'en cause d'appel, Condamne les sociétés Laitière de Retiers, Lactalis Ingrédient et Tendriade-Collet aux entiers dépens de première instance et d'appels incluant les frais d'expertise, dont recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.